Si l'attribution à Magnani ne fait pas de doute (l'autel porte sa signature), la question de la nature exacte de son intervention demeure, tout comme celle de Ferdinand Delamonce, réputé être l'auteur du modèle. Clapasson, qui ne manque jamais de signaler le nom des peintres et architectes ayant participé au décor, ne mentionne pas celui de Delamonce pour le maître-autel, se contentant d'indiquer que les mesures en ont été envoyés à Carrare. Le doute quant à cette attribution persiste donc, d'autant que B. Gaudin de Villaine souligne, à juste titre, que les archives sont muettes sur une quelconque intervention de l'architecte, même si elle lui en attribue la paternité en s'appuyant sur des similitudes d'ordre stylistique avec certaines de ses réalisations (1982, vol. 2, p. 86).
Pour en revenir à Magnani, notons en premier lieu que la présence d'une signature sur un autel est relativement rare au 18e siècle. De plus, celle-ci intrigue, tant par son emplacement que par son format : gravée en lettres majuscules de grand format et dorées, occupant un large espace au milieu du revers de l'autel, elle est la première chose que voit l'officiant quittant la sacristie pour entrer dans le chœur.
Le terme FECIT indique en principe que le signataire a pris une part active à la réalisation matérielle de l’œuvre. Or jusqu'à ce jour aucune source ne mentionne un Domenico Magnani -- dont le nom est sans raison apparente francisé en Dominique Magnan tant par Marquis (1970, p. 95 note 29 et p. 97) que par Chomer (Clapasson, éd. de 1981, p. 95 note 18) -- parmi les sculpteurs génois du 18e siècle. Toutes les documents consultés dans le cadre de cette étude le présentent comme maître de carrière et négociant en marbres, fournisseur officiel de la Couronne de France (voir notamment la Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome, t. 9, 1894, p. 446-448). Sans nul doute Magnani était-il à la tête d'un important atelier et vendait non seulement des blocs, mais aussi tous types de produits manufacturés, taillés sur place avant d'être expédiés dans toute l'Europe. De ce fait il employait des carriers, des tailleurs de pierre, et des sculpteurs pour pour l'exécution des figures les plus complexes.
Ce type d'organisation, qui est de règle chez tous les marbriers de la région de Gênes, vient éclairer le commentaire que fait Clapasson en 1741 sur le décor du chœur, achevé depuis peu : " Tout l'ouvrage du sanctuaire et de l'autel a été travaillé à Carrare, sur des mesures qu'on y avait envoyées, et l'on a fait venir des ouvriers du même endroit pour les mettre en place ; aussi, du côté de la propreté de l'appareil et de l'assemblage des marbres on ne peut rien de mieux ; il n'en est pas de même quant à l'union des couleurs, qui est une chose fort essentielle dans ces ouvrages ; il paraît qu'elle a été fort négligée, et c'est principalement ce qui est cause que celui-ci ne produit pas tout l'effet qu'il devrait : les sculptures paraissent de différentes mains [non souligné dans le texte] ; il en est d'excellentes, comme celles qu'on voit aux ornements du coffre d'autel, et les autres des plus médiocres ; les grandes figures posées dans les niches [du chœur] ont été taillées sur de bons modèles, mais l'exécution en a été tout à fait négligée " (éd. 1982, p. 93).
Aussi faut-il peut-être voir dans l'inscription portée au revers du maître-autel : DOMINICUS MAGNANI CARARRIENSIS FECIT, qui indique non seulement le nom du fabricant mais la provenance de l’œuvre, davantage qu'une signature stricto senso, une marque d'identification qui atteste sa qualité et en certifie l'origine. Comme le poinçon de l’orfèvre ou l’estampille de l'ébéniste, elle est non seulement une marque distinctive, mais constitue une forme de promotion de celui qui a rendu possible la réalisation de l’œuvre.
Chercheuse au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel (2006-...)