Introduction : état de la documentation
Le lycée Vaugelas est une institution importante pour l'histoire de Chambéry et de la Savoie ; il est en effet l’héritier d’une longue tradition d’enseignement, son origine remontant à 1564. À cette date, le collège fondé par les jésuites grâce aux lettres patentes du duc de Savoie Emmanuel-Philibert (30 octobre 1564) concurrence à peine le collège Chappuisien (IA74002207) fondé en 1549 à Annecy par Eustache Chappuis et poursuivant le même but : former les jeunes gens à la rhétorique et aux sciences humaines et religieuses afin de contrer le calvinisme actif se développant à Genève. Ces collèges constituent deux lieux importants de l’instruction des jeunes gens dans les territoires de la Maison de Savoie. Les sources relatives à l’établissement sont majoritairement conservées aux archives communales de Chambéry, série 4M. Ce fonds a cependant subi une perte importante dans l'incendie du théâtre municipal de 1864, dans les combles duquel elles avaient été entreposées (JUTTET, 2005, p. 250) ; il ne subsiste que quelques pièces éparses des documents produits avant 1864. Pour le lycée Vaugelas, cinq plans datant du deuxième quart du 19e siècle (1827), montrent le projet de construction des jésuites et quelques aménagements : plan de Trivelly de 1827, plans du rez-de-chaussée (AC Chambéry, 43W40-1 à 3). Ces plans permettent de constater que dès l’origine, les bâtiments ont fait l’objet d’une réflexion constante, et de réaménagements quasi ininterrompus jusqu’à nos jours pour les adapter aux enseignements dispensés et offrir un lieu évoluant avec les exigences de son temps.
L’incendie d’une partie des archives communales nous prive d’un pan important de l’installation du collège des jésuites dans l’ancien couvent de la Visitation et de la construction de l’extension en 1827. Toutefois, l’histoire de l’établissement est connue par d’autres sources (fonds sarde, fonds de la Préfecture), et nous disposons de l’ensemble des archives depuis 1860 jusqu’à nos jours.
Du couvent de la Visitation au lycée Vaugelas
L’Ordre de la Visitation est présent à Chambéry dès 1624. À la tête de la communauté à partir de 1635, la Mère Marie-Jacqueline Favre (fille du juriste Antoine Favre et sœur du grammairien Claude Favre de Vaugelas) fait construire le couvent sur un terrain acquis à l’extérieur des remparts, à l’ouest de la Leysse, sur l’emplacement des remparts et des fossés du 15e siècle (ARRAGAIN, 2013). Les Visitandines s’y installent en 1636, mais l’église n’est achevée qu’en 1726. Les sœurs restent jusqu’à la fin du 18e siècle. En juin 1793, elles sont expulsées, leurs biens vendus en plusieurs lots : les bâtiments conventuels sont acquis par Louis Viviant tandis que l’église est dévolue à Antoine Grobert.
Depuis 1564, à Chambéry, l'enseignement est essentiellement assuré par les jésuites : gratuit, dispensé dans un espace clos favorisant l’internat des élèves, il est financé par des donations, des subventions des villes et les revenus des prieurés qui leur étaient affectés. L'établissement est placé sous la direction d’un recteur assisté d’un préfet des études et contrôlé par un provincial, qui pour Chambéry, fut celui d’Aquitaine puis de Lyon. Leur but était de former des hommes sachant bien parler, bien écrire, à l’aise en société. Mais on leur reprochait l’importance donnée au latin, au détriment du français langue officielle des États sardes, et à la philosophie, ainsi que l’encadrement strictement religieux. Victor Amédée II (prince de Piémont et duc de Savoie, 1675-1730) affiche clairement sa volonté de centraliser l’enseignement et de le reprendre en main, notamment par la création d’un collège des provinces à l’Université de Turin ; il retire en 1729 aux jésuites le droit d’enseigner et remplace leur collège par un collège royal dont les enseignants sont des laïcs et des clercs séculiers. En cela, il précédait la France d’un bon quart de siècle (STEFANINI, 2007, p.17).
Incluse dans le tout nouveau Département du Mont-Blanc créé en 1792, la Savoie est dotée d'établissements d’enseignement d’excellence, dont les écoles secondaires. Celle de Chambéry est créée par arrêté du 3 Frimaire an XII (24 novembre 1803), à charge pour la ville de trouver un local pour les élèves. Le 7 février 1804, la commune rachète à l’héritière de Louis Viviant, pour la somme de 32 000 Frs, l'ancien couvent des Visitandines (AC Chambéry 107 W 1). La chapelle est achetée le 13 juin de la même année à Mr Grobert pour 9 300 Frs.
Sous la Révolution, l’incorporation de la Savoie dans le département du Mont-Blanc a pour effet de transformer le collège royal sarde en collège national, avec de nouveaux enseignants, laïcs et clercs. Ce dernier est, en 1796, remplacé par l’École centrale, dissoute en 1803 et à laquelle succède, en 1804, l’école secondaire communale devenant en 1810 collège impérial.
Cette école est installée en mai 1804 dans l’ancien couvent de la Visitation et accueille 200 pensionnaires.
À la chute de l'Empire en 1816, Victor-Emmanuel Ier récupère tous ses États et rétablit les collèges royaux. Celui de Chambéry, dit de première classe, est à charge de l’État sarde. Charles-Félix (successeur de Victor-Emmanuel Ier en 1821) le dote d’un règlement en 1822. L’enseignement y est gratuit, les élèves, admis à partir de 9 ans, suivent l’enseignement religieux et participent à l'exercice du culte. En 1823, on rappelle les jésuites (l'ordre a été rétabli par Pie VII en 1814) pour assurer l’enseignement de la grammaire. Ils dirigent le collège de 1827 à 1848, date à laquelle le droit d'enseigner leur est retiré.
Le collège prend alors la dénomination de collège national, jusqu’à l’annexion définitive de la Savoie à la France en 1860. Par décret du 13 juin 1860, Chambéry est dotée d’un lycée impérial de garçons : c’est alors le seul établissement secondaire laïque pour les deux Savoie (le lycée de garçons d’Annecy, actuellement lycée Berthollet (IA74002201), ne sera créé que sous la IIIe République, en 1888). L’enseignement y était payant et de ce fait réservé aux familles aisées. En 1870, le lycée impérial devient lycée national, désigné comme "Lycée de garçons" jusqu’à ce qu’il prenne le nom de Lycée Vaugelas en 1966. (STEFANINI, 2007, p.45).
Histoire des bâtiments
1- Le couvent de la Visitation
Le Theatrum Sabaudiae (www.sabaudia.org/3197-le-theatrum-sabaudie.htm), comme le plan conservé remontant aux années 1823-1824 (AC Chambéry 43W40-LYC5_02) montrent le plan général des locaux. Le cloître, de plan carré, s’élève à l’ouest de l’église ; son aile sud se prolonge à l'ouest. Un vaste jardin et des terrains, cultivés ou non, complètent le dispositif à l'est, à l’ouest et au nord. L’ensemble est protégé de l’extérieur par un mur de clôture percé de deux portails : l’un menant à la cour du couvent, l’autre au parvis de l’église. Plan vers 1823-1824
À partir du 19e siècle, le tissu urbain de Chambéry est profondément modifié, transformant radicalement l’environnement immédiat de l’établissement. Par ailleurs, la Ville, soucieuse d’apporter aux élèves tout le confort possible au sein du nouveau Collège royal, réfléchit à l’amélioration des locaux. Le 26 octobre 1822, le général de Boigne fait don de 70.000 livres en faveur des jésuites, assorti d'une rente annuelle de 7.000 livres, pour l'acquisition de terrains. Deux projets sont étudiés : l’un qui propose de conserver et optimiser les bâtiments du couvent, bien que vétustes, comme l’atteste le Plan du rez-de-chaussée du collège de la ville de Chambéry, avec le projet de son agrandissement pour y établir les Révérends Pères jésuites (AC Chambéry, 43W40-LYC5_02) dressé probablement vers 1823-1824. Alors que la partie nord du cloître, aménagée en salles de classes, est conservée, la partie sud est partiellement détruite et agrandie vers l’ouest afin de permettre l’installation de réfectoires (des élèves et des pères jésuites), cuisines, intendance et salles de classes. Le mur de clôture au sud est détruit pour laisser libres les parvis de la nouvelle entrée projetée de l’établissement et de l’église, conservée. Au nord, un promenoir est prévu à l’emplacement des jardins existants depuis le 17e siècle. Le second projet consiste dans l’édification d’un bâtiment neuf : le bâtiment en H (voir infra).
Les bâtiments du couvent, dévolus à l’enseignement, seront néanmoins conservés jusqu’à leur démolition en 1892, pour laisser place à de nouvelles constructions.
2- Le bâtiment en H (A)
En 1827, l’architecte de la Ville de Chambéry, Trivelly, propose un Plan des fondations et de distribution pour le nouveau projet d'agrandissement du collège des Rds Pes jésuites à Chambéry (AC Chambéry, 43W40-LYC5_001).Projet d'agrandissement, Trivelly. ca 1827
Le projet délaisse les bâtiments de l’ancien couvent et projette un nouvel édifice au nord-est du tènement, raccordé au précédent par une aile-passerelle élevée à l’arrière de la chapelle au nord. Le bâtiment est conçu sur un plan régulier en H ; une retombe sur le plan du bâtiment transversal indique la présence d'un escalier monumental hors-oeuvre proposé en variante ; il sera accepté.
Ce nouveau bâtiment accueille les réfectoires, l'infirmerie et les dortoirs, aménagés dans de vastes et hautes salles répondant aux principes hygiénistes du moment. Devenu emblématique de l'établissement, ce bâtiment vite baptisé "Jésuitière" comme l'attestent quelques cartes postales du début du 20e siècle, remplira ses fonctions d'internat jusqu'en 1986.
3- L'aile Marcoz (C, D, E)
L’actuelle aile Marcoz (IA73003803) est édifiée en plusieurs étapes : de 1886 à 1892 sont érigés le pavillon Minerve et la première partie de l’aile ; la partie centrale entre 1919 et 1923 ; la partie nord jusqu’à la rue G.-M. Raymond de 1949 à 1955 pour le gros œuvre, de 1961 à 1969 pour les surélévations et aménagements intérieurs.
4- Le Petit lycée (IA73003805) (F)
Établi dès 1869 dans le tènement du collège, au nord de la chapelle et du cloitre, il est détruit une première fois en 1892 pour laisser place à la partie sud de l'aile Marcoz et reconstruit sur l'angle nord-ouest, dessiné par le tracé des nouvelles rues Marcoz à l'ouest et des Écoles (actuelle rue G.M. Raymond) au nord. Il subsiste jusqu'à sa disparition légale en 1945, date à laquelle il est remplacé par le pavillon d'angle et les logements de fonction actuels.
5- Le gymnase (G)
Un premier gymnase est construit en même temps que le Petit lycée et dans son prolongement sur le côté nord. L'édifice actuel (IA73003807), construit en 1969 sur les plans de P. Foray, répond aux normes du Ministère de l'Éducation nationale et des Sports pour les établissements accueillant 1500 élèves.
6- La demi-pension, espace Pierre-Balmain (H)
La création d'un espace spécifiquement dédié à la demi-pension répond au besoin constant de libérer le plus d'espace possible, dans un milieu contraint, à l'enseignement. Restaurant : perspective d'ensemble, 1996Le bâtiment construit à l'ouest de la parcelle, en mitoyenneté avec l'école élémentaire Waldeck-Rousseau, est habilement intégré dans le volume de la cour, annoncé par une zone végétalisée associée aux formes douces et arrondies de l'édifice. Inauguré en 1996, le lieu est baptisé en hommage au couturier Pierre Balmain, ancien élève devenu célèbre du Lycée Vaugelas.
À l’aube du 21e siècle
Le lycée d’enseignement général dispense des formations à dimension européenne et accueille plus de 1000 élèves. Au début du 21e siècle, il devenait essentiel de l'adapter aux ambitions pédagogiques de l’institution. Un important programme de réhabilitation et de restructuration est entrepris dès 2005. Les travaux décomposés en deux tranches (2007 puis 2009) durent jusqu’à l’inauguration officielle le 1er décembre 2011.
Le programme redéfinit le rapport administration/élèves, en plaçant l’administration au cœur du dispositif ; le bloc scientifique est restructuré sur deux niveaux, les locaux des disciplines artistiques maintenus et modernisés ainsi que les logements de fonction. L’accessibilité aux personnes à mobilité réduite est appliquée dans l’ensemble de l’établissement ; un grand soin a par ailleurs été apporté à l’isolation thermique et acoustique.
Les façades des bâtiments construits par les jésuites ont été conservées, hormis l’entrée, entièrement repensée : deux passages supplémentaires sont créés de part et d’autre de l’entrée principale, en démolissant deux allèges de fenêtres. Le double escalier de pierre a été déplacé plus en avant et reconstruit à l’identique, dégageant ainsi une vaste plate-forme ; les garde-corps ont été conservés. Les façades sont repeintes, les toitures d’ardoise ou de zinc à joint debout sont reprises. On remarquera, par comparaison avec des photographies antérieures à 2005, que les façades étaient rythmées par un soulignement des baies, grâce à la pierre apparente ou la couleur ; cette opposition marquée entre murs et baies a totalement disparu, au profit d’une lecture plus lisse des façades, laissant peu d’aspérités sur lesquelles l’œil peut s’arrêter. Dans un second temps, l'aile Marcoz a été totalement repensée, de même que sa jonction avec le bâtiment en H. Le préau est remanié, la cour réaménagée avec de nouvelles plantations.
Ces travaux ont permis de placer le lycée dans la dynamique du développement durable : l’utilisation de matériaux pérennes et faciles d’entretien est privilégiée, l’isolation du bâtiment répond aux exigences requises sur les économies d’énergie, le confort thermique et l’éclairage naturel. Une attention particulière a été apportée aux éléments anciens, tels les portes, qui autant que possible ont été conservés.
Chercheuse indépendante depuis 2003 auprès des services régionaux de l'Inventaire et de collectivités. A réalisé ou participé en tant que prestataire aux opérations suivantes : " Patrimoine des lycées " (avec la collaboration de Frederike Mulot), 2010-2015, " 1% artistiques ", 2019-2020 (avec la collaboration de Valérie Pamart), " Inventaire topographique de deux communes de l'ancien canton de Trévoux " (Pays d'Art et d'Histoire Dombes Saône Vallée, pour la communauté de communes Dombes Saône Vallée), 2019.