Dossier d’œuvre architecture IA69007803 | Réalisé par
Delavenne Magali (Contributeur)
Delavenne Magali

Conservatrice du patrimoine, chercheure au Service de l'Inventaire (2014- ).

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  • inventaire topographique, Inventaire de la Ville de Lyon
Ensemble d'édifices derrière façade
Œuvre étudiée
Copyright
  • © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
  • © Ville de Lyon

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Lyon Saint-André
  • Commune Lyon 7e
  • Lieu-dit Guillotière
  • Adresse 13-15 rue Cavenne , 3-9 rue de Bonald , 34-36 rue Pasteur
  • Cadastre 2012 AO 6 ; 10-16

Une propriété affectée à des activités artisanales

La masse de terrains, issue du démantèlement de la propriété Combalot en 1843, appartenait à la fin du siècle aux héritiers de Lydie Béret, née Favier, épouse d'un conseiller de préfecture de l'Isère domicilié à Saint-Lattier. Cette vaste parcelle ne recouvrait pas la totalité de l’îlot, puisque les terrains longeant la rue Montesquieu, au nord de l'ensemble, relèvent depuis les années 1850 de la propriété Tiver. Celui-ci y avait fait construire d'abord deux maisons (12 et 14 rue Montesquieu), puis vendu les deux parcelles extérieures à des investisseurs qui y élèvent deux immeubles dans les années 1860 (10 rue Montesquieu) et 1880 (32 rue Pasteur).

Jusqu'en 1896, la propriété Béret est occupée par un ensemble de cours, hangars, ateliers, écuries et bâtiments en briques (cahier des états indicatifs du plan parcellaire de 1885-1886, AC Lyon 4 S 216). Elle accueille notamment, le long de la rue de Bonald, la Manufacture d'étalages pour magasins Grandchamp. Or, avec la construction des bâtiments universitaires, le quartier perd progressivement sa vocation artisanale pour se prêter à des opérations de promotion immobilière et à des spéculations financières. Le plan d'alignements est révisé et donne plus d'ampleur à la rue Cavenne, qui jouxte le bâtiment de la Faculté de médecine et joint la rue de l'Université. En juin 1896, les gérants de la Manufacture se mettent en contravention avec les services de voirie municipale en reconstruisant leur hangar sur ses anciens alignements, sans tenir compte du redressement et de l’élargissement à 16 m de la rue Cavenne. Cette construction est dès lors frappée de reculement (AC Lyon, 314 W 110). Cet évènement est probablement à l'origine de la décision des héritiers Béret de lotir et de vendre leurs terrains dans le cadre d'une opération immobilière globale.

La division de l'ensemble

En octobre 1896, les héritiers Béret vendent d'abord au serrurier Joseph Paccard une vaste parcelle occupant tout le centre de l'ilot et isolant complètement le terrain situé à l'angle des rues Montesquieu et Cavenne. L'acquéreur est autorisé par l'acte de vente à établir au centre de la parcelle son atelier de serrurerie, à condition que les ateliers ne s'élèvent pas à une hauteur supérieure à 8m. L'acte spécifie toutefois que "M. Paccard conserve en conséquence le droit d’élever une maison d’habitation à la hauteur normale le jour où l’immeuble à édifier sur ces deux lots ne sera plus affecté par lui ou d’autres à l’exercice de la profession de serrurier" (AD Rhône, 3 E 26837). L'autorisation de construire est accordée par la Ville le 12 novembre. L'ensemble comprenant un immeuble à logements au 15 rue Cavenne (IA69007211) et un ensemble d'ateliers en cœur d'ilot est construit par les architectes Groboz et Curny (AC Lyon, 314 W 113).

Deux ans plus tard, le reste de la masse est divisé en 6 lots vendus le même jour, le 15 octobre 1898, et un dernier lot vendu le 12 décembre 1898 (AD Rhône, 3 E 35622). La comparaison des superficies et des prix de vente des lots fait apparaître une stratégie de division hiérarchisée. Les lots ne sont pas d'ampleur et de valeur égales, mais différencient un axe fort et des emplacements secondaires. Les emplacements donnant sur la rue Cavenne sont clairement privilégiés : ils déterminent deux parcelles importantes de 275 et 324 m² vendues à 127 francs au mètre carré. Les trois parcelles dessinées sur la rue de Bonald sont plus petites (245 m² environ) et vendues à des prix tout à fait inégaux. En revanche, la rue Pasteur est considérée comme un emplacement secondaire, sur laquelle les emplacements délimités sont petits (218 et 183 m²) et vendus moins de 100 francs au mètre carré.

Le rôle de l'architecte Nicolas Vernon

Les plans de division des lots mentionnés dans les actes de vente sont dressés par l'architecte Nicolas Vernon, qui joue le rôle de coordinateur de l'opération et assure ensuite l'édification des immeubles construits sur les 6 premiers lots. Trois des actes font mention de la maison "en cours d'édification" ou "que l'acquéreur va faire construire" sur le terrain acquis, parfois hypothéquée comme garantie de l'emprunt finançant l'acquisition. Les autorisations de construire cinq immeubles mitoyens avaient été accordées préalablement à la vente, le 30 juillet 1898 (AC Lyon, 314 W 134). C'est pourquoi les plans remis par Vernon sont anonymisés, le titre du plan portant mention du nom des propriétaires étant recouvert d'un bandeau blanc. Les plans avaient vraisemblablement été dressés au nom et à la demande des héritiers Béret, avant que les investisseurs soient connus. De fait, les actes de vente précisent que la jouissance des terrains est accordée aux acquéreurs en anticipation de l'acte de vente, depuis le 1er août 1898. Le caractère d'opération d'ensemble concertée est marqué par une clause portant que les divers acquéreurs s'interdisent de clore leur cour, dans l'objectif de préserver, malgré la présence envahissante de l'atelier, un embryon de cour commune.

Les cinq immeubles mitoyens longeant les rues de Bonald et Pasteur, construits simultanément, témoignent d'une composition concertée : la disposition et le plan des immeubles jumelés au centre sont identiques (IA69007162 ; IA69007163) ; celles des deux immeubles situés aux extrémités de l'ilot se répondent en miroir (IA69007161 ; IA69007164). Le parti d'élévation et la décoration indiquent la recherche d'une harmonie en façade, même si le 3 rue de Bonald présente aujourd'hui des proportions plus lourdes, différentes du plan initialement proposé. De même, le 36 rue Pasteur est dessiné dans la continuité de l'ensemble, mais l'immeuble actuel diffère légèrement du plan (IA69007165).

L'autorisation de construire l'immeuble d'angle isolé au 13 rue Cavenne (IA69007212) est accordée quelques mois plus tard, le 3 octobre 1898, et ce plan est le seul qui soit libellé au nom des acquéreurs (AC Lyon, 314 W 135). Bien que construit dans la même chronologie, par le même architecte, cet immeuble se distingue nettement de l'ensemble par son décor, en particulier la superposition de balcons sur le pan coupé, remarquables pour leurs ferronneries d'esprit Art nouveau probablement réalisées par les propriétaires de l'immeuble, serruriers d'art. Seule la qualité architecturale de l'immeuble pourrait expliquer le surcoût de cette parcelle à la vente (154 francs au mètre carré alors que le prix moyen pour l'ensemble du lotissement est de 112 francs au mètre carré). Cet élément encore semble indiquer que l’opération répond à une économie d'ensemble, dans laquelle l'architecture est intégrée dès la conception.

Enfin, le dernier lot, qui termine l'ilot au nord-est, 34 rue Pasteur, est vendu séparément, le 15 décembre 1898. L'immeuble édifié sur cette parcelle en 1899 (IA69007166) est construit par un troisième architecte, J. Boistard (AC Lyon, 314 W 139). Bien que très sobre, son parti d'élévation se distingue de celui de l'alignement Vernon.

Les investisseurs

En-dehors de la figure de l'architecte, l'opération semble fortement portée par l'engagement de l'industriel Claude Blanc, fondeur en cuivre domicilié 346 rue Duguesclin. En effet, celui-ci se porte personnellement acquéreur de l'immeuble formant l'angle de la rue Cavenne et de la rue de Bonald (3 rue de Bonald) et avance par ailleurs tout ou partie des sommes nécessaires à l'achat de 3 autres lots, qui sont alors hypothéqués à son profit (le 5 rue de Bonald, financé à 100% ; le 7 rue de Bonald, financé à 97 % ; et le 13 rue Cavenne à 47 %). En tout, Claude Blanc aura financé, à lui seul, 55 % du budget de l'opération conduite par Nicolas Vernon (43,7% du produit total de la vente Béret). Curieusement, plan parcellaire indique qu'en 1921, la Veuve Blanc était propriétaire de 3 immeubles au sein de l'ilot, mais il ne s'agit pas de ceux qui avaient été hypothéqués. Dans le dernier acte de vente (décembre 1898), Claude Blanc intervient comme mandataire des vendeurs, probablement retournés en Isère, et un autre acte indique qu'il détient tous les titres de propriété des terrains vendus "en tant que propriétaire d’une parcelle voisine et comprise dans la même masse".

L'identité et la profession des 8 acquéreurs est très significative. En-dehors de deux parcelles acquises par des femmes, veuves qualifiées de rentières (Joséphine Andina et Marie Demourgues), toutes les acquisitions sont réalisées par des professionnels du bâtiment (Étienne Trouiller, entrepreneur de menuiserie ; Joseph Lachamps, cimentier et Michel Durand, entrepreneur) et spécialement par des professionnels du métal, avec trois serruriers d'art, Joseph Paccard (atelier Joseph Paccard et Cie), Louis Martin et François Masson (atelier Martin et Masson) et un fondeur en cuivre, Claude Blanc. On peut supposer que ce dernier a joué, avec l'architecte, un rôle de mobilisation et de réunion des investisseurs, auxquels il offrait également des facilités de financement.

Ce procédé et le profil des parties prenantes sont tout à fait comparables aux opérations immobilières étudiées par Anne-Sophie Clémençon dans le quartier de la Préfecture, où la présence d'un unique et tout-puissant propriétaire foncier, les Hospices civils de Lyon, a permis la généralisation des ilots concertés à cour commune, ce qui n'a pas pu être entièrement réalisé ici. Les trois architectes impliqués dans l'opération (Vernon, Curny et Boistard), de même que le serrurier Paccard, sont déjà identifiés pour avoir participé à ces opérations et appartiennent de fait à un même réseau professionnel. Nicolas Vernon est d'ailleurs bien connu pour l'opération de lotissement de l'ilot n°51, qu'il réalise de façon exactement contemporaine, mais avec d'autres artisans décorateurs, entre 1897 et 1899. Sa notice nécrologique, publiée en 1910 par Gabriel Mortamet, insiste sur cette opération et sur l'instinct de promoteur de Vernon, qui "organisait de vastes combinaisons d’affaires industrielles" : "Enfin l’une de ses plus grandes entreprises fut le groupe de 12 maisons à loyers situé à Lyon sur l’avenue de Saxe entre les rues Fénelon, Pierre-Corneille et Vauban".

Ensemble concerté loti à partir de 1896 sur des terrains dépendant de la propriété Béret. Ce terrain, occupé en 1886 par un ensemble de hangars, ateliers, cours et bâtiments en briques (cahier du plan parcellaire), est vendu en 8 lots successifs par les héritiers Béret entre octobre 1896 et décembre 1898. L'ensemble occupé par les ateliers de serrurerie Paccard et fils (immeuble au 15 rue Cavenne et ateliers en cœur d'îlot) est construit en premier lieu, dès 1897, par les architectes Groboz et Curny. L'immeuble d'angle (13 rue Cavenne), les quatre immeubles bordant la rue de Bonald et le 36 rue Pasteur sont édifiés simultanément en 1898, par l'architecte Nicolas Vernon. En 1899, le 34 rue Pasteur est élevé par J. Boistard.

  • Période(s)
    • Principale : 4e quart 19e siècle , daté par source

Ensemble composé de huit immeubles mitoyens, bordant trois rues et représentant les trois-quarts d'un îlot, ainsi que d'un atelier de serrurerie en cœur d'îlot. Ces immeubles, hauts de six niveaux, ne sont pas dotés d'un parti d'élévation ou d'une décoration uniforme mais sont implantés selon une logique de composition globale (immeubles en miroir le long de la rue de Bonald). L'immeuble d'angle 13 rue Cavenne se distingue par sa décoration particulièrement soignée.

  • État de conservation
    bon état
  • Statut de la propriété
    propriété privée

Documents d'archives

  • AD Rhône. 3 E 26837. Archives notariales. Minutes de Me Gabriel Renoux. Octobre-décembre 1896.

    AD Rhône : 3 E 26837
    Acte de vente du 1er et 3 octobre 1896 (Béret Paccard)
  • AD Rhône. 3 E 35622. Archives notariales. Minutes de Me Jules Brac de la Perrière. Octobre-décembre 1898.

    AD Rhône : 3 E 35622
    Actes de vente du 15 octobre 1898 (6 ventes) et du 15 décembre 1898 (Béret Demourgues)

Bibliographie

  • CLÉMENÇON, Anne-Sophie. L'Entrée et son décor. guide du quartier préfecture, Lyon 1886-1906. Lyon : CNRS, 1980. 91 p., suppl.

    p. 90
  • CLÉMENÇON, Anne-Sophie. La Ville ordinaire. Généalogie d'une rive, Lyon 1781-1914. Marseille : Éditions Parenthèses / CAUE Rhône Métropole. 2015. 284 p.

    p. 176 et 181

Périodiques

  • MORTAMET, Gabriel. "Notice biographique sur Nicolas Vernon (1862-1909)". Société académique d'architecture de Lyon, Tome 17, 1909-1910, p. 48.

  • DELAVENNE, Magali. "Le quartier Saint-André, inventaire en cours. Bulletin de la société Sauvegarde et Embellissement de Lyon, janvier 2020, p. 9-12.

Date(s) d'enquête : 2020; Date(s) de rédaction : 2020
© Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
© Ville de Lyon
Delavenne Magali
Delavenne Magali

Conservatrice du patrimoine, chercheure au Service de l'Inventaire (2014- ).

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