Un lycée pour Vaulx-en-Velin
Le lycée Robert-Doisneau s’inscrit résolument dans le centre ville de Vaulx-en-Velin.
À l’est de Lyon, Vaulx-en-Velin, 4e commune du Rhône par son nombre d’habitants, s’élève et se développe sur les plaines alluvionnaires du Rhône. Jusqu’au milieu du 19e siècle, la commune est régulièrement submergée par les crues du fleuve, parfois violentes, que le canal de Jonage associé à l’usine hydro-électrique va contribuer à réguler. Les nombreux terrains voués à la culture potagère sont petit à petit dévolus au développement urbain qui ne cesse de croître à partir du milieu du 20e siècle. La commune n’échappe pas à la politique urbaine généralisée des années 60-70. Son aspect se modifie considérablement, jusqu’à même déplacer son centre ville vers le sud par rapport au noyau historique du village, avec la création de la zone à urbaniser en priorité (ZUP) en 1963.
Cependant, la notion de centre ville est définie alors par la présence d’un immense plateau bétonné construit pour accueillir une très grande surface commerciale associée à une galerie marchande. L’hôtel de ville est érigé à proximité. Ce centre ville draine une population extra-communale, mais périclite chaque fin de semaine du fait de la fermeture du centre commercial. Pas de commerces de proximité, pas de logements permettant de fixer la population sur le site. Le Grand Vire, tel que le quartier se dénommait alors, apporte une vie factice à ce centre ville en devenir.
Dès le début des années 1970, le rythme de construction ralentit (entre 1000 et 1800 logements entre 1972 et 1974, puis baisse à 400 logements par an. (Guide de Vaulx-en-Velin, [1989]) ; le conseil municipal engage une bataille sans fin avec les services de l’État pour obtenir les crédits nécessaires à la construction des équipements de première nécessité : Hôtel des postes, Agence pour l’emploi, commissariat, lycée (GEOFFROY, 1996, p.124). Le projet de lycée apparaît en effet dès les premiers projets de la ZUP dans les années 60, lequel pourrait accueillir 1690 élèves sur une assiette foncière projetée. À partir de 1977 la commune renouvelle sa demande de construction d’un lycée, pour satisfaire les besoins d’une population de 40 000 habitants en matière d’éducation. Le lycée viendrait en effet compléter l'offre éducative de la commune.
Un long débat social et politique s’engage entre les différentes entités, qui dura près de vingt ans. En 1980, la commune obtient toutefois l’installation d’un lycée d’enseignement professionnel de 400 places (Lycée Professionnel Les Canuts) mais pas encore de lycée d’enseignement général.
Le rectorat finit par constater la réalité d’isolement scolaire dont souffre la commune. Le taux élevé de redoublement dans les écoles et les collèges, la structure de « collège unique » favorisant des difficultés dues à l’hétérogénéité des élèves, aboutit au classement des collèges de la commune en ZEP (zone d’éducation prioritaire). La question d’implantation d’un lycée retient alors l’attention. Une fiche descriptive d’opération du lycée est proposée par les autorités académiques en 1984 : elle prévoit 600 élèves avec des sections techniques, commerciales, industrielles. Mais dans un contexte de décentralisation, la programmation se heurte à des « priorités antérieures » (GEOFFROY, op. cit. P. 125). La question de lycée polyvalent était toutefois posée, en terme d’insertion sociale et professionnelle des jeunes Vaudais.
Un lycée inscrit résolument dans la ville
C’est au début de 1988 que le conseil municipal décide d’entamer l’étude de définition : analyse de la situation du secteur concerné, des conséquences sur le dispositif existant, en s’appuyant sur les études des services académiques. S’ensuit une étude de réalisation ou de programmation, qui définit précisément les besoins en terme de pédagogie, capacités d’accueil, etc., s’assure l’engagement des partenaires et débouche sur la désignation d’un maître d’œuvre.
La commune insiste sur la double fonction du lycée : répondre de manière favorable aux besoins de scolarité des jeunes Vaudais et s’inscrire, en tant qu’équipement urbain, comme une « pièce maîtresse parmi les multiples actions mises en œuvre dans le but d’offrir [aux] habitants un cadre de vie agréable, [et qui] participerait au développement économique de la ville ». L’absence de lycée d’enseignement général dans une ville de 45 000 habitants est vécue comme une anomalie insupportable.
Au début de l’année 1989, une classe sauvage est organisée devant l’hôtel de ville à l’initiative du maire d’alors, en réponse au refus de la Région qui craint la mise en œuvre d’un « lycée-ghetto ». La campagne pour un « lycée d’agglomération à Vaulx-en-Velin » est lancée, relayée par le conseil de parents d’élèves FCPE. Comme le souligne Géraldine Geoffroy, la demande de lycée a donc trouvé un nouvel ancrage : une dimension territorialisée, urbaine, entre lycée de proximité et lycée d’agglomération, entre « banlieue » de Lyon et « quatrième ville du département » (GEOFFROY, op. cit., p. 126).
Les émeutes du Mas-du-Taureau survenues en octobre 1990 vont accélérer le mouvement. À la fin du même mois, la Délégation interministérielle à la Ville se prononce favorablement pour la création d’un lycée d’enseignement général au Vaulx-en-Velin. Le lycée porte trois finalités : moyen de lutte contre l’échec scolaire, équipement de revalorisation de la commune et de sa population, réponse sociale à des problèmes sociaux. Le projet est très rapidement mis en œuvre, passant de l’étude à la réalisation en moins de deux ans. Les acteurs des origines – élus locaux, conseil de parents d’élèves FCPE – ne désarment pas pour autant et se mobilisent pour le contenu du lycée. La formation proposée est axée sur des filières valorisantes telles les sections industrielles.
La programmation architecturale n’inclut ni gymnase, ni restauration au sein de l’établissement : les élèves utiliseront les équipements existants alentour, ce qui n’ira pas sans soulever des contestations et des dysfonctionnements dans la gestion des élèves et de leurs mouvements.
Le choix de l’implantation du lycée dans la commune est également objet de discussions vives. La commune avait préalablement réservé un terrain le long de l’avenue Salvador-Allende (Pose de la 1ère pierre du lycée de Vaulx-en-Velin. Brochure, 9 décembre 1994; l’avenue est située en limite nord du centre ville actuel), emplacement qui n’apportait pas les réponses souhaitées. Le choix se fixe sur le terrain du Medoub, à proximité immédiate du centre commercial du Grand Vire, voué à disparaître. Quartier en pleine rénovation, cet important espace urbain est redéfini comme un vrai centre ville, développé autour d’éléments structurants déjà existants : l’Hôtel de ville, les établissements d’enseignement supérieur (École nationale des travaux publics de l’État inaugurée en 1976, LEP Les Canuts depuis 1980, École nationale d’architecture en 1987), salle culturelle (salle Charlie-Chaplin, construite en 1982-1983) et à venir : planétarium (inauguré en 1995), installations commerciales et résidentielles futures. Le quartier est totalement redessiné.
Le lycée est donc conçu d’emblée comme un élément constitutif de la nouvelle composition urbaine et non comme un « objet ». L’équipe chargée de l’étude spatiale et urbaine (Atelier des Paysages, Atelier de la Gère. Note d’insertion urbaine. [1993]) insiste sur l’importance des réseaux de communication, urbanisés et végétalisés, associés pour créer une relation continue entre les différents composants. La rue Carmellino, rebaptisée dans le projet Grande-Rue avant d’être officiellement nommée rue Émile-Zola, assure la liaison est-ouest et accueille en outre le nouveau réseau de transports en commun. À vocation principalement commerçante, elle dessert des îlots dont les rez-de-chaussée sont réservés à l’implantation de boutiques et de restaurants. À proximité, parallèlement au lycée, le parc du centre ville accentue l’axe nord-sud et apporte un support identitaire au centre ville, fortement marqué par l’eau omniprésente.
Les principes régisseurs des futures constructions de ce nouveau centre ville s’appuient sur un découpage orthogonal formatant des îlots de 65 mètres de large, avec des fonctions strictement superposées : en sous-sol, le stationnement privé ; au rez-de-chaussée, les commerces et équipements ; en R+1 jusqu’à 6, logements, hôtellerie. Les rez-de-chaussée sont alignés sur la voirie ; la densité de centre ville (R+6) est exprimée par les angles des îlots, qui restent à échelle humaine.
La construction du lycée
Dans ce concept, le nouveau lycée occupe 50 % de surface au sol, dont un quart est programmé en première tranche de travaux. Le lycée est composé pour soutenir concrètement le nouvel agencement urbain. L’architecte retenu doit répondre aux contraintes : le lycée participe pleinement à la structure du projet urbain et de ce fait la respecte ; l’épannelage urbain est en continuité avec la description des autres îlots projetés du centre ; son architecture doit apporter une réponse urbaine à son rôle d’élément structurant du site, en tant que repère, et élément prestigieux de l’utilisation scolaire. Sur une façade de 173 mètres de long, assurant un lien entre la Grande-Rue (rue Émile-Zola) et le carrefour au sud, l’entrée principale ouvrant sur une esplanade inscrit le lycée dans la vie du centre ville.
Les travaux sont très vite engagés. En mai 1993, la Société d’équipement du Rhône et de Lyon (SERL) est désigné conducteur d’opération et constitue le jury de concours d’architecture. Les candidats sont appelés à concourir à partir de juillet 1993 ; le choix se porte en février 1994 sur l’équipe Beau-Samouret-BBC, respectivement à Tassin-la-Demi-Lune et Vaulx-en-Velin. Les entreprises sont désignées, sur appel d’offre en octobre 1994. La première tranche de travaux démarre en novembre 1994, la rentrée étant assurée en septembre 1995. En juin 1995, la seconde tranche est lancée, livrée en juin 1996.
Le lycée est conçu pour accueillir 1030 élèves, de la seconde (5 classes) à la terminale, avec une formation générale littéraire, économique, scientifique et filière génie mécanique, génie électrique, BTS électronique et filière sport. L’internat est programmé pour accueillir 60 résidents. À l’origine externalisée au LEP Les Canuts, la demi-pension est effective au sein du lycée à la rentrée de 1999.
Un nom pour un lycée
Il reste au lycée, jusque là désigné comme le lycée de Vaulx-en-Velin, à se donner un nom. C’est un travail collégial, mené au sein du lycée lui-même avec l’équipe pédagogique, les élèves, les parents d’élèves qui nécessite plusieurs mois de réflexions. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’établissement, mais bien de lui donner une identité valorisante, s’inscrivant dans les valeurs d’humanisme et de la République. Géraldine Geoffroy (GEOFFROY, op. Cit., p.121-123) retrace de manière détaillée les étapes de la réflexion, qui aboutirent à la fin du premier semestre de 1996 à la proposition de nommer le lycée Robert Doisneau, photographe populaire dont l’œuvre est un trait d’union générationnel. Quoi de mieux ? L’Assemblée régionale officialise la décision au cours du dernier trimestre de l’année 1996.
Chercheuse indépendante depuis 2003 auprès des services régionaux de l'Inventaire et de collectivités. A réalisé ou participé en tant que prestataire aux opérations suivantes : " Patrimoine des lycées " (avec la collaboration de Frederike Mulot), 2010-2015, " 1% artistiques ", 2019-2020 (avec la collaboration de Valérie Pamart), " Inventaire topographique de deux communes de l'ancien canton de Trévoux " (Pays d'Art et d'Histoire Dombes Saône Vallée, pour la communauté de communes Dombes Saône Vallée), 2019.