- Avertissement.
- Ce dossier a été constitué en 2023 à partir d'éléments réunis par le service de l'Inventaire dans les années 1980. Deux visites du site (en 2020 et 2023) ont permis son élaboration mais aucune recherche complémentaire n'a été entreprise, hormis la consultation du rapport de diagnostic de l'INRAP. L'exploitation de la documentation conservée dans le service reste à affiner. Ce dossier vaut surtout pour la mise à disposition des internautes d'un ensemble de clichés conséquent.
- Un premier dossier réalisé dans le cadre d'un inventaire préliminaire a été créé en 2008 sur la base d'une enquête de terrain réalisée en 2000. Il est consultable sur la base POP du Ministère de la culture sous la référence IA63001084.
Le couvent des cordeliers.
D’après Josiane Teyssot, l’implantation des cordeliers à Riom hors les murs date de 1233, à une époque où la région se distingue par une « capitale à trois têtes » : Clermont, ville de l’évêque, Montferrand, ville du comte, et Riom, depuis 1212 capitale administrative et judiciaire du roi pour ses terres d’Auvergne.
Les moines franciscains s’étaient auparavant installés à Montferrand (en 1224, d’après Tardieu) puis déplacés à Clermont en 1241 (hors les murs). Les établissements franciscains prolifèrent dans la région, comme ailleurs, selon une logique éprouvée de colonisation des villes : d’abord dans un centre principal puis dans des centres de dimensions inférieures mais toujours importants.
En 1357, les cordeliers de Riom obtiennent du pape l’autorisation de construire une nouvelle église intra-muros. Ce qui provoque, là aussi comme ailleurs, une réaction vive d’une coalition composée notamment des consuls et des religieux de Saint-Amable, opposée à ce transfert. Pourtant, pour ce qui concerne Saint-Amable, en 1300 la bulle Super cathedra du pape Boniface VIII postulait que les franciscains ne pourraient prêcher que dans leurs propres églises et sur les places publiques en dehors des horaires déjà prévus par les prélats du lieu. Il n’en reste pas moins qu’à Riom, en 1359 un accord est signé entre les religieux de Saint-Amable et les cordeliers stipulant notamment que les droits de sépulture perçus par les moines quand ils enterreront dans leur église seront partagés entre les deux parties.
Et en effet, des documents conservés aux archives départementales prouvent que, comme ailleurs, l’église des cordeliers devient le lieu de sépulture privilégiée de l’élite locale. Des dalles liées à différentes inhumations ont été photographiées dans le cloître en 1986 : elles pourraient provenir du sol de l’église et avoir été remployées.
Du point de vue de la construction à l’époque médiévale, l’abbaye de Saint-Amable située au nord-ouest de Riom se présente comme le pôle le plus attractif de la ville. Le couvent prend ainsi place dans les espaces libres situés à l’est en limite nord de l’enceinte. Il surplombe au nord l'actuel boulevard du chancelier Michel-de-l'Hospital, cette partie de la ville étant particulièrement escarpée. L'îlot occupé est de forme irrégulière, approximativement trapézoïdale.
Les archéologues de l'INRAP (dirigés par Fabrice Gauthier), lors de fouilles réalisées en 2020, s'étaient notamment donné pour problématique de déterminer si le site riomois intra-muros avait été occupé avant l'installation des cordeliers. Il semblerait que non, les principaux apports des fouilles étant de nature funéraire. Il paraît vraisemblable que la totalité du jardin du cloître ait servi de cimetière (il contenait de nombreux "immatures", disposés en moyenne à 0, 8 m du sol actuel). Des caves ont également été repérées mais sans corrélation avec les plans anciens connus.
Détail de la vue de Riom au XVe siècle, tirée de l'armorial de Guillaume Revel (BNF, département des manuscrits, français 22297 / Gallica).
La première vue du couvent date du milieu du XVe siècle : on distingue nettement l’église au premier plan sur la représentation que donne Guillaume Revel dans son Armorial. Elle est en effet représentée au même titre que l’église abbatiale de Saint-Amable, le château et sa sainte chapelle, le beffroi, et moindrement, l’église du Marthuret (située sur le versant sud de la butte de Riom). L’importance du couvent, de même que la simplicité de sa construction, semblent avoir été prises en compte dans le rendu. Quatre des travées de la nef sont perceptibles, scandées par les contreforts, la travée du chœur pouvant être masqué par l’important clocher épaulé de contreforts sur une partie de sa hauteur (Revel montre l’église Notre-Dame de Prospérité, à Montferrand, de seulement quatre travées également, mais on sait, là, que trois travées ont été ajoutées vers l’ouest après 1450). La galerie du cloître appuyée contre la nef est couverte de tuile. Un mur est élevé pouvant être celui d’un corps de porche.
Les quatre galeries du cloître ont été conservées jusqu'à aujourd'hui, surmontées de galeries-hautes au XIXe siècle.
L'église.
D'après l'état des lieux du début du XIXe siècle, le plan de l'église est celui d’un édifice à nef unique et chœur dans le prolongement, sans transept. L’ensemble forme sept travées voûtées d’ogives, ces dernières retombant sur des culots. Une voûte d’ogives couvre également l’avant-porche, moins élevé que la nef. Dans le pignon ouest, la porte d’entrée principale se distingue par la saillie de ses piédroits. À l’entrée du chœur, une porte donne accès à un petit massif contenant un escalier en vis. Ce petit massif ne semble néanmoins pas pouvoir être celui du clocher représenté par Revel (le massif du clocher aurait-il été complètement arasé dans les années 1790 après avoir été touché par la foudre ?). Le chevet est à trois pans (là, le dessin de Richier est troublant puisqu’il montre un chevet de plan semi-circulaire à huit contreforts). Des contreforts, que l’on percevait sur la vue de Revel, marque chaque travée sur l’extérieur. Au nord, en partie basse, trois chapelles semblent avoir été installées entre les contreforts (ce que le dessin de Richier confirmerait), et deux contreforts vers l’est sont en saillie sur une galerie du cloître, le plus proche de la porte étant creusé d’un bénitier (détail visible sur un cliché datant de 1986). À l’intérieur, au sud, une succession de voûtes d’arêtes semblent constituer un bas-côté, qui aurait pu avoir été ajouté à une date inconnue. Ainsi au sud de la nef, des arcades au premier niveau, couvertes d’arcs brisés, ouvrent sur ce bas-côté. L’édifice est essentiellement éclairé à l’est par des hautes fenêtres à deux formes et rose (signalant le chœur liturgique ?) puis en allant vers l’ouest par une fenêtre simple dans une travée (marquant la transition vers l’espace dévolu aux paroissiens ?) puis par des fenêtres à deux formes moins hautes que les premières.État des lieux. Coupe longitudinale sur l'église, en regardant vers le sud. Sans date, sans échelle, par Rousseau.
Ce parti d’ensemble simple et à nef unique vaut pour la plupart des églises franciscaines de cette période. Sans qu’il soit avéré que le modèle soit celui de la basilique Saint-François d’Assise (1226-consacrée en 1258). À Riom, s’élèvent deux autres édifices à nef unique : la Sainte-Chapelle (1380-1400) et Notre-Dame du Marthuret (reconstruite au XIVe siècle). L’église à nef unique des cordeliers de Clermont peut en être plus sûrement rapprochée ; avec cette différence importante du point de vue de la perception du volume intérieur que les ogives retombent dans des chapiteaux puis dans des faisceaux de colonnettes. À Riom, avec l’arrêt des ogives au niveau des culots, le volume s’en trouve encore simplifié.
Dans les années 1790 le clocher est détruit par la foudre.
Dans les années 1790 également, sur son « projet pour un nouveau quartier », Amable Richier figure la nef de l’église, qui aurait été conservée mais réorientée. En gris sont même représentés ce qui semble être un état existant sur lequel sont visibles des aménagements intérieurs (stalles, autels).Projet et plan pour un nouveau quartier à l'emplacement de la maison centrale, comprenant rues, halle circulaire, immeubles d'habitation et église, dessin lavis rose clair, fuschia, gris et noir, échelle de 32 toises, 78 x 48 cm, par Richier, vers 1800-1830 (Bibliothèque du Patrimoine Clermont-Ferrand, CA5089).
L’architecte Pierre Rousseau, chargé de la réaffectation en prison, propose que la nef de l’église reçoive principalement les dortoirs des hommes, moyennant une division de la hauteur de la nef en trois niveaux : ce choix est soutenu par le Conseil des bâtiments civils. Sur les plans du troisième projet de Rousseau, on voit que dans l’église, des murs de refend sont élevés d’un contrefort à l’autre, sur les 3 niveaux, pour des ateliers au rez-de-chaussée et des dortoirs pour hommes aux étages. Un escalier est construit dans une partie du chœur1. Sur ces plans, le corps de porche et le bas-côté sont supprimés.
La galerie au sud de la nef disparaît et un mur est construit de ce côté qui englobe les contreforts. Le mur-pignon de l’église est entièrement démoli puis reconstruit. De même que la charpente de l’édifice. Et que sa couverture en tuile. Les dortoirs sur trois niveaux sont aménagés sous voûtes. Mais des contreforts doivent être ajoutés dans un second temps du côté du pignon. Les fenêtres côté rue qui donnent jour aux dortoirs doivent être agrandies et des hottes placées au-devant d’elles afin d’empêcher les communications avec l’extérieur.
En 1821 Rousseau ayant été démis de ses fonctions, la reprise de l’église n’était pas la seule partie critiquée de l’édifice.
L’architecte clermontois Guillaume-Th-A. Degeorge prenant la suite, il aura eu à consolider à nouveau le pignon de l’église. Il est possible que les constructions adventices (des latrines ?) supportés par des corbeaux moulurés datent de cette reprise en main par Degeorge ou d’une campagne encore ultérieure (seconde moitié du XIXe siècle ?). Ces corbeaux témoignent d’un effort pour s’inscrire dans le « monde gothique », qu’on retrouve dans le couvrement par des arcs brisés des baies du troisième étage qui surmontent la galerie du cloître au sud, soit du côté de l’église.
En 1985, Jean-Marie Rollier prévoit notamment la démolition de la façade sud de l'église.
Le 7 mai 1987 un contrefort de la nef au sud s’écroule au cours des travaux, entraînant la chute mortelle d'un ouvrier.
La prison.
Après que le couvent a été déclaré bien national, et dans le cadre de la grande vague de réutilisation de l’ensemble des biens devenus récemment nationaux, le préfet propose en 1801 que le couvent soit aménagé en prison. Le programme se prête bien à la réaffectation : comme à l'abbaye de Clairvaux, par exemple, le cloître peut devenir cour de promenade, et les cellules des moines devenir celles des prisonniers, ou bien, comme à Riom, le volume de l'église, après avoir été subdivisé, devenir dortoirs de détenus.
Huit départements participent à sa réalisation (Allier, Cantal, Corrèze, Creuse, Haute-Loire, Loire, Puy-de-Dôme, Rhône).
Pierre Rousseau en était devenu l’architecte en 1808 (décret impérial du 16 juin). Il en avait levé l’état des lieux (plans, coupes, élévation2). Son projet est approuvé par le Conseils des bâtiments civils en 1810. La nécessité d'isoler la prison oblige les autorités à acquérir les propriétés contiguës. L'ancien couvent des cordeliers occupe la partie sud-ouest de l'îlot. Les bâtiments existants s'organisent autour d'un cloître : ils sont réservés au quartier des hommes. L'architecte conçoit son projet, qu'il reprend en 1819, en alignant les nouvelles constructions parallèlement aux voies, l'ensemble étant délimité par un mur d'enceinte. Ainsi deux cours sont créées au sein de l'îlot, la seconde étant dévolue aux femmes auxquels les nouveaux bâtiments sont affectés. "Le bâtiment réservé à l'administration s'inscrit à l'extrémité est de la maison centrale. De forme rectangulaire, double en profondeur, [...]. L'entrée axiale use du vocabulaire de l'architecture parlante qui trouve dans ce programme son expression la plus aboutie."3
Dans le projet de Rousseau du 1er mai 1809, « on conserve l’église, ainsi que les autres anciens bâtiments autour du cloître. Tous sont voûtés en scories ; on admet le même système, tant à l’égard des divisions d’étages pratiquées dans la hauteur intérieure de l’église qu’à l’égard des constructions neuves. Et la raison qu’on en a donné est excellente : c’est qu’en suivant les usages et en employant les matériaux du pays, on rend incombustible un établissement où souvent les incendies, préparés par les détenus, ont été pour eux un moyen combiné d’évasion générale ». Les hommes seront moins confortablement installés que les femmes « attendu les formes ingrates des chambres prises dans la grande voûte de l’église ».
Encore deux autres projets de Rousseau sont examinés et rejetés par le conseil des bâtiments civils (les devis restent trop élevés, il est prévu de loger plus de 1000 détenus, ce qui semble excessif, etc). Le troisième est accepté avec des réserves (le montant du 1er projet s’élevait à 688.409 livres, et dans ce troisième, il est passé à 352.250) et des reprises de certains éléments du premier projet.
En 1814, les travaux commencent après adjudication à l’entrepreneur Morin.
En 1818, l'inspecteur Gisors constate : « […] les chambres pratiquées dans l’ancienne église ne recevant présentement le jour et l’air que par des croisées placées trop bas et d’une dimension trop petite, il deviendrait nécessaire de les agrandir, ce que j’ai reconnu possible » ; des malfaçons sont constatées (mur de soutènement côté boulevard, mur de terrasse qui sert de promenoir, arc des étages supérieurs des galeries du cloître, menuiserie des croisées, murs de fondation …). Il faut donner au directeur de l’établissement le titre d’inspecteur des travaux pour que l’entrepreneur répare des malfaçons que l’architecte semble tolérer".
Rousseau est démis de ses fonctions en 1821 par le ministre de l'Intérieur puisque le chantier a été très mal mené et des malfaçons s’accumulent. Néanmoins la maison centrale reçoit ses premiers prisonniers.
Le 15 mars 1823, le préfet propose au ministre de l’intérieur de substituer Guillaume-Thérèse-Antoine, architecte local, à Rousseau. Le 23 novembre 1827 celui-ci demande l’autorisation expresse de mener des travaux de consolidation correspondant aux vices de construction des travaux antérieurs à 1825, pour des sommes considérables. Cela lui est accordé.
En 1828, il produit son projet qui est approuvé.Maison centrale de détention de Riom. Plan du rez-de-chaussée indiquant sa situation le 15 novembre 1828, papier, 65 x 94 cm., lavis, 0,7 cm./m., par Degeorge, architecte, 1828 (AD 63 meuble à plans 1013 n° 723).
Les travaux sont considérés achevés en 1830.
En 1926 l’ancienne église et le cloître sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. En 1962, la protection est étendue à la façade est du bâtiment de l’administration, au versant de toiture correspondant et au vestibule du même bâtiment.
Un projet de désaffectation de la prison et d’y installer un musée d’art populaire émerge en 1956 (Georges-Henri Rivière exprime son intérêt de délocaliser une partie du musée parisien, en raison de l’exiguïté des locaux dont il dispose à Chaillot). Mais le ministère de la justice reprend le bâtiment en main en 1958.
En 1985, Jean-Marie Rollier, architecte riomois, produisant un avant-projet de réhabilitation, prévoit notamment de reconstruire deux bâtiments (deux ailes orientées est-ouest, au sud et au nord de la parcelle). Ce sont ces bâtiments qui maintenant doivent être démolis dans un projet d'aménagement du site lancé en 2023, après la désaffectation de 2016.Avant-projet sommaire, coupes et façades sur cours (est et nord), éch. 1/100, 15 octobre 1985, par J-M. Rollier.
Qualification du bâti.
L'église. La conservation des vestiges de l’église du XIVe siècle, des traces de sa transformation en prison, voire de celle de l’accident de 1987, peut sembler pertinente. Cependant il s'agirait de faire la part précisément entre vestiges de la construction du XIVe siècle, que l’on peut qualifier de durable - elle est encore jugée solide par l’architecte Attiret peu après 1801, soit avant que l’équipe Rousseau/Morin n’intervienne qui semble l’avoir considérablement affaiblie. Il reste que le clocher, le corps de porche, le bas-côté, le pignon avec le portail ont disparu, de même qu’une partie du mur sud élevé par l’entrepreneur Morin.
L'ensemble. Les travaux de réaffectation du couvent auquel on a adjoint les premiers bâtiments du XIXe siècle sont représentatifs de l'époque qui précède celle de la mise au point de programmes architecturaux originaux et spécifiques pour les prisons, comme les plans en étoile. Ces programmes ont conduit à la construction a novo de tels édifices.
1AN. F/21/1895.2AD 63. N 346-347. Non datés.3Doutre, Marilyne, 2003, p. 131.
Conservatrice du patrimoine, chercheure de 1994 à 2023 au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel (Clermont-Ferrand).