TEXTE COMPLÉMENTAIRE
Histoire de l´habitat du quartier Perrache dit Derrière les voûtes.
Il est difficile d´appréhender la division de l´habitat entre maison et immeuble dans le quartier Perrache (comme dans le reste de la ville) à travers les textes : jusqu´au début du XXe siècle, le terme maison est utilisé systématiquement quelque soit l´édifice d´habitation. La distinction maison / immeuble a été établie selon l´occupation : ont été considérées comme maison les constructions relevant a priori de l´habitat mono-familial.
Le recensement du quartier montre que l´habitat existant compte en grande majorité des immeubles (214 recensés) et peu de maisons (24 recensées). Il faut y ajouter 3 cités HBM, 1 cité SNCF (cf. DOSSIER Cités ; immeubles ; Ensemble des logements sociaux de la presqu´île Perrache). Peuvent être également comptabilisées dans l´habitat du quartier les deux casernes de gendarmerie (cf. DOSSIER). Cf. carte de localisation de l´habitat (dess. 1 à 4).
L´histoire de l´habitat dans le quartier de Perrache, dit Derrière les voûtes, est récente. Au XVIIIe siècle, il n´y avait là que quelques îles, dont la principale, l´île Mogniat, était occupée par un domaine rural avec une ferme dont seuls quelques plans rendent compte (fig. 28) et qui a complètement disparu.
En 1770, Antoine-Michel Perrache propose un plan d´aménagement visant à repousser le confluent vers le sud (fig. 29 ; cf DOSSIER Secteur urbain concerté dit Entreprise Perrache). Son entreprise, ambitieuse, prévoyait une zone d´habitat au nord, entre les anciennes fortifications de la ville et la gare d´eau qu´il souhaitait aménager à la hauteur de l´actuel cours de Verdun ; la gravure dédiée au frère du roi en 1776 rend compte, de façon utopique, de ce projet immobilier (fig. 30).
Plusieurs plans, établis en 1782 (fig. 31), 1791 (fig. 32), montrent l´évolution de son entreprise et l´emprise des constructions élevées chaussée Perrache et cours Bertin (actuel cours de Verdun). Des demeures vont continuer à être édifiées le long de ces voies au début du XIXe siècle (fig. 33). Quelques dessins et gravures donnent une idée de ces maisons construites près du pont de la Mulatière à la fin du 18e siècle (fig. 34), en bordure des lônes du Rhône en 1807 (fig. 35), à l´entrée de la chaussée Perrache en 1830 (fig. 36).
Un texte de 1788 fournit la description de la maison des ingénieurs des ponts et chaussées près du pont de la Mulatière : la maison, d´un étage, est construite sur un sous-sol ; l´entrée centrale, chaussée Perrache, ouvre sur un couloir ou « allée » qui dessert quatre pièces dont une cuisine de part et d´autre, et conduit, à l´arrière, sur une terrasse donnant sur le canal des Moulins ; l´étage comprend 4 chambres distribuées par un corridor. C´est une maison confortable, avec latrines et puits dans le couloir (AD Rhône : S 1836).
Lorsqu´en 1810, on projette de construire un palais impérial (cf. DOSSIER Palais), à l´emplacement de la gare d´eau, le gouvernement acquiert plusieurs maisons, le long du quai ou du cours Bertin, maisons que l´expertise décrit comme « maisons en pierre de 2 étages » (Ibid.). L´endroit est alors un lieu de promenades à la mode, comme l´atteste un texte de 1810 (MAZADE) et le nombre de cabarets qui vont s´y développer : en 1814, sur les 33 commerçants payant patentes cours Napoléon (cours de Verdun actuel), il y a 5 gargotiers ou cabaretiers ; ils sont 13 sur les 23 commerçants installés chaussée Perrache (AC Lyon. 0310 WP 750).
Les circonstances politiques vont conduire à l´abandon du projet impérial, les travaux de remblai stagnent et des marécages se reforment.
C´est dans ce contexte que le maire Lacroix-Laval lance son projet d´aménagement de la presqu´île : il veut en faire un quartier industriel et y attirer de nouveaux habitants (cf. DOSSIER Secteur urbain concerté dit Distribution de la presqu´île Perrache). Le projet, publié à grand renfort de publicité, coupe nettement la presqu´île en deux : au nord l´habitat, au sud l´industrie. Le terrain est divisé en masses ; mais il n´y a pas de lotissement proprement dit, chaque soumissionnaire achetant ou louant la surface qu´il souhaite. Les premières affectations de lots se font par soumissions : les soumissionnaires sont tenus de construire dans un délai compté, mais aussi de suivre un plan d´urbanisme précis : hauteur maximum de 26 m pour les immeubles construits le long des rues principales, alignement des corniches et des bandeaux, mais liberté de suivre le vocabulaire architectural de son choix (annexe 1).
La municipalité soigne particulièrement les immeubles le long du cours du Midi ou du cours Charlemagne : tels l´immeuble Tabory, 32 cours du Midi, dont on conserve les élévations acceptées par la mairie (fig. 37, cf. DOSSIER), l´immeuble Legendre-Hérald (annexe 1) ou la brasserie Groskopf (fig. 38).
Les soumissionnaires doivent également remblayer le terrain afin de le mettre hors eau, devant leur façade, à mi-largeur des rues, ainsi que dans leur cour (annexes 1 et 2). Ces travaux de remblais vont se prolonger pendant plus d´un siècle. Il s´agit de combler des dénivelés qui atteignent jusqu´à 4 m. de profondeur. Au milieu du 19e s., devant l´opposition des acheteurs, la municipalité revient sur l´obligation de remblayer les cours. Certaines cours conservent ces dénivelés : 30 rue Dugas-Montbel (fig. 39), 14 cours Charlemagne (fig. 40), ainsi que la ruelle reliant le cours Bayard et la rue Casimir.-Perier (dess. 27). Un dessin de Saint-Olive de 1872 donne l´aspect du cours Suchet (fig. 41) ; plusieurs plaques signalant « eau non potable » rappellent cette période (fig. 42)
Les matrices cadastrales de 1831, les recensements de population de 1830 et 1840 permettent d´appréhender le type de population qui vient s´installer à Perrache. Le plan de distribution de 1826 précise : "...le but principal, pour ainsi dire unique, de l´administration est d´attirer, de fixer dans la presqu´île Perrache, une population qui apporte à Lyon des genres d´industrie qui n´y sont pas encore connues ou qui sont susceptibles d´y recevoir des perfectionnements, tels que filature et tissage de laine, de chanvre, de soie, savonnerie, forges, etc., etc.". Viennent effectivement s´établir à Perrache des industriels dont l´activité est liée à l´eau (tannerie, fabricant de couvertures, 22 quai Perrache, cf. DOSSIER), polluante, comme la vitriolerie de Claude Perret (cf. DOSSIER), ou nécessitant de l´espace (corderie). A côté de leur usine, ils se construisent leur demeure, comme C. Perret (constructions détruites), et font également construire des logements pour leurs ouvriers. Au sud du quartier, à l´intérieur et autour de la gare d´eau, se concentrent les entrepôts et maisons des marchands de charbon (cf. DOSSIER Maison, 124 cours Charlemagne). CF. carte des industries intallées dans la presqu´île (dess. 5 à 7)
Dix propriétaires rentiers investissent dans des immeubles de rapport ; quatre d´entre eux y résident également. On constate que les investissements à Perrache s´inscrivent dans les opérations immobilières de la ville : ainsi lorsqu´en 1832 la ville fait entreprendre le percement de l´actuelle rue de l´Ancienne Préfecture (de la place des Jacobins au quai de Saône), elle dédommage l´un des administrateurs de la Société chargée du percement, Arthur Vingtrinier, en lui cédant un terrain cours Rambaud sur lequel il devra édifier dans les 3 ans un immeuble ayant 19 m de façade et au moins un étage.
Les recensements de population permettent également d´appréhender la population qui vient habiter dans le nouveau quartier. Une analyse fine de ces textes serait nécessaire pour établir un état précis de cette population ; les sondages que nous avons réalisés donnent cependant une image indicative :
d´abord une présence très importante d´ouvriers de la Manufacture des tabacs, située au nord du cours de Verdun (actuel lycée Récamier) ;
des ouvriers en soie tiennent métier dans leur appartement : 19 ouvriers en soie, 1 ouvrier passementier, 1 ouvrier avec métier de tulle et bas ;
des ouvriers ou manoeuvres travaillant dans le quartiers : crocheteurs, sablonniers, blanchisseuses (sur les bateaux lavoirs du Rhône ou de la Saône), ouvriers travaillant dans les différentes fabriques.
Si les discours sur la nécessité d´offrir de meilleures conditions de logements aux habitants de Lyon sous-tendaient les opérations immobilières, au résultat la seule différence que l´on peut constater, c´est qu´effectivement pour ceux qui habitaient sur rue, ils échappaient à l´étroitesse des voies qui régnait dans la presqu´île ; autrement les appartements restent le plus souvent réduits à une seule pièce pour des familles entières.
Par exemple, les cordiers Clervaux et Jouveneton font construire plusieurs immeubles de rapport dont deux situés 1 rue du Bélier et 1 rue Smith : l´immeuble 1 rue du Bélier comprenant rez-de-chaussée et 3 étages se divisent ainsi : rez-de-chaussée, 11 logements dont 4 commerces (1 revendeur de ferrailles, 1 épicier, 1 gargotier et 1 marchand de charbons), 1er étage, 16 logements, 2e et 3e étages, 17 logements chacun ; 8 de ces logements sont vides, l´immeuble compte 142 habitants, soit entre 2 et 3 habitants par logement (1 pièce).
L´immeuble 1 rue Smith compte 4 étages et accueille 204 habitants. Le 30 cours du Midi comprenant rez-de-chaussée, entresol, 1er étage, et 2e étage en mansarde, ne comporte qu´un seul logement de 2 pièces, tous les autres logements ont une pièce ; les vingt-six logements de l´immeuble (dont un est inoccupé) abrite 78 habitants ; l´occupation va de 1 à 7 personnes par logement.
On peut établir la carte des logements à cette date, selon leur attribution dans les matrices cadastrales : logements bourgeois ou ouvriers (dess. 8 à 10). Un certain nombre d´immeubles comportent d´ailleurs juxtaposition de logements bourgeois (au 1er étage) et de logements ouvriers aux étages supérieurs (par exemple, l´immeuble 42 quai Perrache, cf. DOSSIER).
L´analyse des matrices cadastrales permet de dresser un état du bâti en 1831. La carte des matériaux (dess. 11 à 13) fait apparaître l´importance des constructions en brique et bois (78 % du total du bâti) ; 10 % du bâti comporte du pisé, pour des édifices situés en coeur d´îlots, à l´extrémité de la chaussée Perrache, mais aussi le long du cours Charlemagne en bordure des terres du jardinier Jean-Pierre Datigny. Les bâtiments entièrement en bois sont principalement des dépendances artisanales ou industrielles. Les édifices complètement en pierre (outre les grosses usines que sont l´usine à gaz ou les moulins à vapeur) sont des immeubles construits le long des grands axes (cours du Midi ou cours Charlemagne), parfois antérieurs au programme de la municipalité (chaussée Perrache).
Avant 1835, la majorité des bâtiments n´ont qu´un étage. Les immeubles les plus élevés (3 ou 4 étages) correspondent aux constructions en pierre du nord du quartier (dess. 14 à 16).
L´analyse de la cartographie du I9e siècle et le dépouillement des matrices cadastrales permettent de se représenter l´état de l´habitat du quartier et son évolution : superposition du cadastre actuel sur le plan de 1847 (dess. 17 à 19) ou sur celui de 1863 (dess. 20 à 22).
Le plan de 1847 met l´accent sur les édifices publics, mais il indique également les constructions antérieures au plan de distribution de 1826 qui n´ont pas encore été démolies : immeubles hors alignement le long du cours du Midi (cours de Verdun actuel) et du quai Perrache, ou édifices subsistants en coeur de masse comme les petites constructions édifiées en bordure du quai de l´ancienne gare d´eau entre la rue du Bélier et la rue Dugas-Montbel. En l´absence de plan de lotissement, les nouvelles constructions restent dispersées avec cependant une légère tendance à construire le long des quais Perrache et Rambaud. Avec la progression des constructions, le plan de 1863 indique un programme plus logique, avec constitution d´alignement bâti en bordure d´îlots. Le centre du quartier, autour de l´ancien hippodrome, nouvellement découpé en masses, reste encore vide de toute construction.
La chronologie de construction des immeubles et maisons selon les matrices cadastrales s´établit ainsi :
Avant 1850, 286 constructions
de 1850 à 1874 : 96 constructions
de 1875 à 1899 : 191 constructions
de 1900 à 1950 : 160 constructions.
Au XIXe comme au XXe siècle, la distribution de la presqu´île mise en place par la municipalité en 1826 reste valable : au nord de la rue Casimir-Perier une zone d´habitat, au sud une zone industriel ; seule entorse à ce schéma, la construction de quatre immeubles (183-185 cours Charlemagne, 82-83 quai Perrache, cf. DOSSIER), à l´extrême sud de la presqu´île : les commanditaires, expropriés au moment de la suppression de la gare d´eau Seguin, pensaient sans doute que l´habitat allait s´étendre sur l´ensemble du quartier.
La progression de l´habitat s´est faite le long des voies principales : les investisseurs construisent d´abord des immeubles de rapport sur l´alignement de la rue et dans un deuxième temps en coeur d´ilots : 3-3bis, 14 cours Charlemagne. Les rues secondaires sont plutôt occupées par de petites maisons ou des logements précaires jusqu´au milieu du XXe siècle. La profondeur des masses dessinées par le plan de 1826 (83 m) conduit la municipalité à en recouper un certain nombre avec le percement nord-sud de 2 nouvelles rues : rues Seguin et rue Quivogne, investies également dans la 1ère moitié du XXe siècle par des ateliers, puis après la seconde guerre mondiale par des logements garnis souvent insalubres.
Parallèlement, les initiatives en faveur du logement social se multiplient, avec d´abord des initiatives privées à la fin du XIXe siècle (immeubles Mangini cours Bayard), mais surtout avec les programmes municipaux : immeuble de la Société de bienfaisance, 17 cours Bayard, dès 1910, et les 3 groupes de HBM (1913-1929). Cf. DOSSIER Ensemble des logements sociaux.
A partir de 1970, ateliers et logements insalubres ont été peu à peu détruits pour faire place à des immeubles de rapport et à de petits squares ou jardins privatifs (rues Delandine, Quivogne, Smith).
Le projet Lyon-Confluence prévoit juxtaposition de pôles de loisirs, services et habitat tant de standing que populaire.
La carte de datation de l´habitat recensé rend compte de l´évolution des constructions (dess. 23 à 26)
L´étude de l´habitat du quartier constitue l´un des éléments de l´étude générale de l´habitat de la ville. Cette étude qui doit aboutir à la mise en relief à la fois des caractères spécifiques de cet habitat et de ses rapports avec l´histoire nationale de l´habitation, va se construire au fur et à mesure des enquêtes. Les conclusions présentées sur l´habitat du quartier ne visent donc qu´à mettre en avant les traits qui ont semblé les plus représentatifs des édifices dans leur contexte, sans en tirer aucune conclusion plus générale. Afin de faciliter l´utilisation ultérieure de ces observations, les caractères architecturaux de l´habitat sont présentés dans les dossiers IMMEUBLES, MAISONS et CITES.