Cette entreprise fut à la fin du XIXème siècle, la plus grande usine de Haute-Savoie. Qualifié de « colossal » par les ingénieurs du Ministère de l'agriculture en 1895, l’établissement passa de la production du chlorate de potasse, du perchlorate, puis à l’aluminium, aux ferro-alliages, au graphite et à la magnésie.
L’usine de Chedde se trouve dans la commune de Passy, à la limite du bassin-versant de l’Arve Supérieur au pied du massif du Mont-Blanc. A cet endroit, l’Arve dessine un arc coudé suivant une chute naturelle de 180 mètres ouverte sur une plaine sédimentaire propice à l’aménagement de grandes infrastructures. Ce n'est donc pas un hasard si monsieur Charles Chevrant de la Société Chevrant Thorand et Compagnie de Grenoble, agissant comme prospecteur de chutes hydrauliques, rachète en 1892 la concession et le droit de passage pour 7 000 francs .
L’homme d’affaires avisé cède alors son bien à la Société Corbin et Compagnie. Une fois l'achat des terrains réglé, les dirigeants de cette entreprise, Paul Corbin et Georges Henri Bergès décident de quitter leurs ateliers de Lancey en Savoie pour augmenter les volumes de fabrication du chlorate de potassium. Ils profitent alors de l’engouement suscité par les procédés innovants mis au point par Paul Corbin pour s’adjoindre la participation financière de grands industriels grenoblois. Ils créent la Société des Forces Motrices et Usines de l’Arve avec un capital de 2 800 000 francs puis de 4 100 000 francs. L’entreprise Thorand et Nicolet, l’Etablissement Joya, l’Etablissement Bouchayer Viallet participent à l’édification des ateliers et de la plus puissante centrale hydroélectrique des Alpes du nord.
Entre 1904 et 1914, on y développe la production d’aluminium. L’explosif produit ici : la cheddite reconnue pour sa stabilité par l’armée française devient une arme utilisée par les soldats durant la Grande Guerre. En 1916, le groupe de Paul Corbin fusionne avec sa principale concurrente : la Compagnie des produits chimiques d’Alais et de la Camargue. La construction du laboratoire signé par l’architecte Henry-Jacques Le Même en 1940 devient un lieu de recherches. L'ouverture d'un nouveau bâtiment appelé le "hall à graphitassions" en 1951 amplifie la diversification des activités. La destruction de l’ancienne halle des chlorates et de la centrale hydroélectrique en 1983 marque la fin du développement du site et explique la réorganisation des espaces de production.
L'usine est implantée à l’écart des habitations de manière à pouvoir éviter les dangers liés aux explosions ou aux incendies. Cependant, la construction des cantonnements dans les années 1900 amorce la naissance d'une future cité ouvrière. En effet, le début des années 1920 voit la construction des premières cités jardins qui permettent progressivement aux plans de « la fabrique » de se confondre avec celui du hameau de Chedde. En dépit de son évolution récente, ce bourg possède grâce à l’entreprise un plan d’urbanisme intéressant. On peut retenir les nombreuses infrastructures dévolues à la vie des employés. A côte du triptyque traditionnel où se côtoient le site de production, les maisons patronales et les logements ouvriers, on y adjoint les équipements liés aux loisirs et à la spiritualité. Se promener dans les rues de Chedde démontre toute la diversité des formes prises par ce patrimoine industriel : de l’église Saint-Joseph en passant par les bosquets agrémentant les cités jardins.
Archéologue et graphiste au service archéologie et patrimoine bâti du Conseil Départemental de la Haute-Savoie