La maison du passeur à Grelonges se dresse sur un point culminant qui résulterait d’un aménagement anthropique ancien, étudié par la géomorphologie appliquée à l’archéologie au début du 21e siècle par Emma Bouvard et Laurent Astrade. Par cette méthode, les chercheurs entérinent l’existence du prieuré clunisien fondé à la fin du 11e ou au début du 12e siècle par l’un des seigneurs de Beaujeu à un endroit stratégique du territoire. Le prieuré est en effet installé à la frontière entre le royaume (rive droite) et l’Empire (rive gauche), sur un lieu de passage à gué pratiqué depuis des lustres. Les fondateurs auraient pu installer concrètement le prieuré de moniales sur l’une ou l’autre rive, mais c’était lui conférer une étiquette politique non souhaitée. La solution d’une île, au sol pourtant instable, au milieu d’un lieu de passage avéré depuis longtemps, permettait de créer « une zone franche entre les possessions beaujolaises et les conquêtes de l’Empire ». Bien que construit sur un sol instable et fragile, le prieuré marque un carrefour territorial et politique, et « renforce la connotation de franchissement à cet endroit, et la prééminence des seigneurs sur la rivière, ressource économique de la plus haute importance : seigneurs laïcs – les Beaujeu, seigneurs spirituels mais tout aussi politiques – les abbés de l’ordre de Cluny, deuxième puissance religieuse d’Occident après Rome. »
La confrontation des sources lacunaires avec l’analyse topographique et les différents sondages des composants sédimentaires du secteur permettent à Emma Bouvard et Laurent Astrade de valider l’hypothèse de la présence d’un bras de la Saône, formant une île à Grelonges, avant la période 1250-1300 qui marque la fin du fonctionnement actif du prieuré. Les chercheurs déterminent que les moniales, au 13e siècle, se sont régulièrement trouvées confrontées à des crues érodant considérablement la partie ouest de l’île et la rive droite, côté royaume. Là où des témoignages laissent penser que le franchissement pouvait se faire à l’aide d’une simple planche, un écart se creusait, amenant les religieuses à couper tous leurs arbres, en 1291, pour avoir matière à combler le chenal les séparant de l’Empire. Fragilisée par la disparition des troncs et des racines, l’île ne pouvait que s’effacer sous le poids de l’eau. Le plan terrier de 1606 conservé aux Archives nationales ne la mentionne plus. Le tracé supposé du chenal et la forme de l’île subsistent sur les plans du cadastre napoléonien (AD de l’Ain, Fareins, 3 P 6104, feuille A2) et de la carte topographique de la Saône terminée en 1862, où le « pont de la goutte de Grelonge » (feuille 7) enjambe le bras du chenal à l’aval de l’ancien gué.
Rien ne subsiste du prieuré en termes de vestiges bâtis (arases, fondations). Des découvertes fortuites, la toponymie, des archives lacunaires, associées à la majesté du site, nourrissent la mémoire orale, enrichie par les dernières méthodes d’investigation archéologique pluridisciplinaire. Des éléments paraissent réemployés ponctuellement dans la maçonnerie de la maison du passeur.
Chercheuse indépendante depuis 2003 auprès des services régionaux de l'Inventaire et de collectivités. A réalisé ou participé en tant que prestataire aux opérations suivantes : " Patrimoine des lycées " (avec la collaboration de Frederike Mulot), 2010-2015, " 1% artistiques ", 2019-2020 (avec la collaboration de Valérie Pamart), " Inventaire topographique de deux communes de l'ancien canton de Trévoux " (Pays d'Art et d'Histoire Dombes Saône Vallée, pour la communauté de communes Dombes Saône Vallée), 2019.