Entretien avec François Malaval réalisé par Nadine Halitim-Dubois (chercheur inventaire du patrimoine Région Auvergne-Rhône-Alpes) (1er entretien)
Lyon, le 28 juillet 2021 de 10h à12h30 à la BU – Chevreuil Lyon 7e arrondissement et au café d’en face
NHD- Bonjour, je vais vous demander de vous présenter. Nous retracer votre parcours et ensuite de parler d’ ITDT (ETIT) et de la façon dont cette société a évolué selon vous.
- François Malaval - je suis rentré en 79 dans une société qui s’appelait MIL CLT, c'est la première entreprise textile où j'ai travaillé. Puis ETIT qui appartenait à Bianchini Ferrier. Je m’occupais du laboratoire et puis des techniques de teinture, d’impression, pour améliorer les performances et les coûts. Je connaissais un peu le textile pour avoir travaillé dans une autre entreprise de la région lyonnaise.
NHD- C’était laquelle ?
FM-Je ne sais plus, c’était une usine qui était à Rillieux, qui faisait de la grosse cavalerie comme on dit (rires). Je suis rentré en contact avec L’ETIT, voilà j’ai commencé en 79. J’ai trouvé une entreprise où il y avait beaucoup de monde, qui travaillait toutes sortes de fibres : la soie, la laine, les textiles artificiels, les textiles synthétiques, le coton, le lin, enfin toute sortes de matières, aussi bien en teinture qu’en impression.
A l’époque il y avait presque 500 personnes, et il y avait des techniques…on travaillait beaucoup la soie pour Bianchini-Ferrier, qui proposait ses textiles à des entreprises comme Dior, aux grands couturiers. Et puis on travaillait aussi pour d’autres qui faisait aussi… des gros métrages sur du coton, du polyamide, du polyester, on faisait des gros métrages, pour… je ne me souviens plus trop du nom, et aussi du prêt à porter…
En 81, à peu près, Bianchini-Ferrier a eu des problèmes…, il a souhaité vendre ITDT parce que, des problèmes financiers. L’ETIT a été racheté par le groupe Liberty, un groupe anglais. De 350 personnes nous sommes repartis à 180 à peu près, avec la moitié du personnel et puis on est vite remonté en production, parce que Liberty nous alimentait aussi pour faire de belles choses sur leurs tissus… le tissu de Liberty c'est le tanalawn entre autres, du coton léger, et puis on continuait aussi à travailler pour les soyeux, Bianchini Ferrier, et puis des tas d’autres, Racine, et aussi Brochier, tout un tas de clients pour la haute couture. On a continué, on s’est étoffé, on est monté presque jusqu’à 300 personnes.
Et puis en 97, autre problème, Liberty a souhaité se séparer de son outil de production, il y a eu des changements dans la direction du groupe Liberty ; ils voulaient peut-être faire plus d’argent, alors que l’usine rapportait quand même de l’argent à la société, il y avait toujours un bilan positif.
Il n’y a pas eu beaucoup de candidats pour la reprise, quelques-uns voulaient reprendre avec une cinquantaine de personnes, alors qu’on était presque 300, mais la meilleure solution a été de faire reprendre la société par les employés et créer une société coopérative de production, avec l’aide du groupement des scops et puis l’aide un peu de la municipalité de Tournon et de la région. Nous sommes repartis en 97 avec 70 personnes, c’était mieux que 50 ! Voilà et puis donc il y a eu un premier…
NHD-Et vous avez eu des responsabilités dans la scop ?
FM- J’étais parmi les membres fondateurs et il y avait des employés, des ouvriers, des cadres, je faisais partie de l’encadrement, et ensuite j’avais toujours la responsabilité du laboratoire, la responsabilité en teinture. Et même après, durant un an et demi deux ans, j’ai été président du conseil d’administration, on dirigeait la société avec un directeur général qui ne faisait pas partie de la société, c’était quelqu’un qui nous avait été proposé par l’Association des scops. Et puis on ça ce n’est pas très bien passé, au bout d’un an on a dû faire une réélection et c’est une autre équipe qui é été réélu. Et c’était assez bizarre parce que dans le nouveau conseil d’administration, il y avait une de mes laborantines, il y avait ma secrétaire, il y avait tout un tas de gens qui était un peu différent de la vie de la société, mais voilà, l’élection des scops ça se passe comme ça. C’est mon ancienne secrétaire qui est devenue PDG, elle s’est entourée de… elle a embauché un directeur, elle a embauché des gens et c’était toujours les scops qui aidaient à la gestion de l’entreprise et ça a continué jusqu’en en 2008.
En 2008, le textile français subissait la concurrence d’autres pays, et notre principal client, le groupe Deveaux[1], a été interrogé pour savoir si la disparition d’ITDT était vraiment défavorable à leur groupe et il aurait dit : « Ben non, on va se débrouiller » (rires), parce que le groupe Deveaux il faisait travailler en Chine, il avait une usine à Villefranche et les autres clients n’ont pas fait montre de leur attachement à ITDT. Donc on a disparu, et on était liquidé… voilà… et après, vente aux enchères et puis le site a été racheté par un groupement qui ensuite l’a revendu à la Ville, il reste toujours maintenant le terrain nu.
NHD - Tout a été démoli ?
FM- Pratiquement tout a été démoli, il reste le bâtiment où il y avait un des fleurons d’ITDT qui était l’impression au rouleau : on travaillait pour la maison Burger, on faisait de la toile de Jouy, on était parmi les derniers à le faire (le client qui nous faisait imprimer la toile de Jouy c'était la maison Burger). Il reste ce bâtiment, parce que c’est un bâtiment assez ancien avec des poutres en bois, la municipalité de Tournon pensait en faire un lieu de culture, mais les conditions en ce moment… jusqu’à présent pas beaucoup de crédits peut-être, donc c’est toujours en l’état, il y a des tags et le problème pour moi surtout c’est qu’il reste la pollution.
On avait des lagunes pour que les effluents qui sortent de l’usine mettent au moins une semaine à se mélanger, à se diluer, pour repartir dans le Rhône. C’est là qu’il y a le plus de pollutions. Aux endroits où il y avait la chaudière, les fuites de fuel, des choses comme ça, c’est assez pollué ; c’est peut-être pour ça que ça ralentit les travaux pour refonder le site.
NHD - Et là vous avez été associé à des projets ?
FM- Dans les années 2010-2011, on nous invitait à des réunions, mais on n’avait pas vraiment notre mot à dire… Le site a disparu, on a tout perdu, des centaines de milliers d’euros… un gros trou…
NHD - Vous avez créé une association ?
FM- Il reste une association pour avoir une mutuelle de santé de groupe, c’est l’Association des anciens salariés d’IDTT, dont je suis trésorier (rires). On essaye de se revoir, mais depuis 2019 c’est un peu difficile ; il y a beaucoup de personnes âgées dans le groupe, il faut faire attention. On pense toujours à refaire une fête comme on avait fait en 2015, on avait réuni une bonne partie des anciens salariés d’ITDT, de la Scop, et même d’ETIT, des gens qui étaient partis depuis si longtemps. Ça fait plaisir de se retrouver
NHD - Quand vous faites des rassemblements vous les faites où ?
FM- A Tournon, parce que les employés de Tournon venaient d’un secteur d’une trentaine de km, aussi bien dans la Drôme, que dans l’Ardèche, sur le plateau. Il y avait beaucoup de personnes, des techniciens, qui étaient à la fois agriculteurs et employés à ITDT ; il y avait des congés pour les cerises, les abricots (rires) C’était bien !
NHD - Est-ce qu’il y avait des logements ouvriers ?
FM- Avec l’ETIT il y avait des logements pour l’encadrement, mais pour les employés non, je ne pense pas. Ensuite quand Liberty a pris ils s’en sont séparé. Ils ont acheté l’usine mais ils ont revendu les appartements.
-En face de l’usine il y a une grande maison, je ne sais pas si elle était en lien avec l’usine ?
FM- Non. Il y avait en face de l’usine un ancien parking, que nous avons vendu au début de la Scop, au propriétaire de l’Intermarché, il l’a revendu après pour faire des maisons, peut-être des HLM ou quelque chose comme ça
NHD -De type lotissement ?
FM- Oui, un lotissement. C’est moi-même qui ai signé le compromis de vente, et encaissé un gros chèque (rires). Il y a des gens qui habitaient très proches de l’usine, et d’autres plus loin. Moi-même j’étais à 20-25 km, tous les matins et même des fois à midi
NHD -Il n’y avait pas un car de ramassage ?
FM- Pas à ma connaissance. Ceux qui faisaient des cars de ramassage dans la région c’était Saviem, enfin les grosses boites. Nous c’était tellement dispersé…
NHD - Dans l’atelier dont vous m’avez parlé, c’est là où il y avait la fameuse machine…
FM- Elle n’y est plus. La machine a été vendue aux enchères, maintenant elle est dans le Nord
NHD -La mairie ne l’a pas conservée ?
FM- Non, elle a été vendue aux enchères, il y a même eu un reportage à la télévision. Il faudrait que je retrouve le nom de la société qui l’a achetée. Ils ont eu du mal à la remettre en route. Il faudrait que je leur téléphone, je n’y pense pas toujours, j’aimerais bien voir la machine tourner et voir ce qu’ils font avec.
(après recherche, retour de monsieur Malaval : L'entreprise qui a acheté la machine à imprimer au rouleau , c'est la SARL Ars Tinctoria, adresse : 80115 Querrieu le gérant M. Benoit .)
FM- Oui, oui , bien sûr. C’étaient des milliers de rouleaux en fonte, des rouleaux en cuivre. Le mieux c’était les rouleaux de toile de Jouy gravés à la main, bien sûr, Burger nom de la société sur du coton, pour de l’ameublement, avec des colorants spéciaux pour tenir à la lumière et dans le temps.
Et vous, vous avez travaillé sur cette machine ?
FM- Non, mais c’est moi qui donnais les colorants et les recettes. C’est compliqué, c’était une vieille technique, il fallait avoir la pression, après il fallait vaporiser, il fallait laver, tout un tas de manipulations. C’était de belles choses. On avait l’impression à la main, l’impression au rouleau, l’impression au cadre plat, l’impression rotative. On a failli faire l’impression à jets d’encre mais c’était un peu tard, ça demandait un investissement… Mais on aurait très bien pu s’en sortir aussi. En teinture c’était pareil, on était capable de teindre toutes les matières : la soie, l’acétate-viscose, la viscose, le coton, le polyester, le polyamide et tous les apprêts possibles et imaginables. ( montre un document sur l’ennoblissement textile). C’est tout ce qu’on sait faire. Vous pouvez faire une photo. C’est en français et en anglais ; ça c’était dans les années 90 je crois. On était capable de beaucoup de choses !
- Au niveau de la société il y avait des syndicats, il y avait une vie syndicale ?
FM-Oui, oui, CGT, CFDT, CGC aussi. Un comité d’entreprise très actif
- Au niveau du personnel il y avait autant d’hommes que de femmes ?
FM- C’était un peu plus masculin que féminin, parce que le travail en teinture dans les machines, dans les barques ça demandait de la force physique. Le personnel féminin était dans les secrétariats, les comptabilités, le laboratoire, les coloristes, mais très peu en fabrication, peut être 5 personnes, il y en avait quand même, surtout dans les derniers temps. Rotatives, c’était surtout dans les ateliers. Les conditions n’étaient pas terribles en teinture, que ce soit en hiver où on comptait sur le chauffage du bain de teinture pour chauffer l’atelier, et en été il faisait bien 35-40 degrés au côté des machines. Il s'agit du chauffage des bains de teinture :le tissu trempe et est brassé dans un bain contenant les colorants et produits chimiques chauffé entre 60 et 98 °C suivant les matières textiles .
On ne pouvait pas faire autrement. L’ancien matériel surtout, atmosphérique, c’étaient des machines dont on ne pouvait se passer, très gourmandes en énergie, en eau, mais ça faisait de belles productions
Et vous avec le recul ? Vous voyez cela comment…
FM- Si on aurait pu faire mieux ?
Ou différemment ?
FM- Voilà ! Je pense surtout que c’est la concurrence étrangère qui nous a empêché de poursuivre surtout dans les gros métrages, les grosses productions. On faisait un tampon pour faire vivre la société, parce que la haute qualité, la soierie, les quantités n’étaient pas suffisantes pour faire que ça. On avait besoin aussi de la grande production. Je pense que beaucoup de nos concurrents ont disparu aussi, pour les mêmes problèmes.
NAD- Je vous remercie encore pour ce premier entretien.
[1] Société Deveaux créée en 1830 : au fil de son histoire, la spécialisation et l'offre de produits du groupe évolue, partant du traditionnel tissu-teint et proposant dès les années 1980 des tissus unis et imprimés, ainsi que de la maille à partir des années 1990.
Photographe au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, site de Lyon