L’urbanisme de l’ensemble HLM
Les immeubles de la Croix-Saint-Romain et le lotissement Les Érables se trouvent à 700 mètres au nord-est du centre de Sainte-Sigolène. Ce secteur constitue de nos jours une partie des faubourgs de la ville (fig. 2). Mais, au milieu des années 1950 et au début des années 1960, lors du choix des sites d’implantation des immeubles et du lotissement, il était encore peu urbanisé (fig. 1). Il comportait essentiellement des champs cultivés et des pâturages. Une trentaine de maisons s’élevaient cependant au bord de la route de Monistrol.
Le bien-fonds des immeubles possède une forme grossièrement rectangulaire orientée nord-ouest/sud-est. Il mesure 164 mètres de longueur et 68 mètres de largeur (dimensions maximales). En légère pente vers l’ouest et le sud-ouest, il couvre 9 659 m2. Il est desservi au sud par la route de Monistrol. Ces caractéristiques favorables ont été décisives dans la sélection du site par les commanditaires. Elles ont aussi déterminé le projet urbain : les deux immeubles sont implantés nord-ouest/sud-est, c’est-à-dire perpendiculairement à la pente et parallèlement aux longs côtés des limites du terrain. Ils sont décalés l’un par rapport à l’autre (fig. 5 à 7), le « Groupe 1 » sur le tiers sud de la parcelle, le « Groupe 2 » sur les deux tiers nord. Les longues façades antérieures (orientales) et postérieures (occidentales) bénéficient ainsi d’un bon ensoleillement. Par ailleurs, les logements possèdent des vues dégagées. Enfin, puisque la surface bâtie est faible, de grands espaces verts entourent les bâtiments (fig. 8 et 9).
Deux impasses rectilignes donnent accès aux immeubles. Elles naissent route de Monistrol et longent les façades orientales où se trouvent les portes d’entrée principales. Elles desservent également des parkings situés à l’est des bâtiments. Le terrain du groupe HLM constitue donc un cul-de-sac (sauf à emprunter un sentier qui conduit au nord vers des jardins potagers). Aucun cheminement direct ne le relie au lotissement voisin (fig. 6 et 10). Pour aller de l’un à l’autre, il faut passer par la route de Monistrol.
L’urbanisme du lotissement
Le plan d’urbanisme du lotissement s’avère plus complexe que celui de l’ensemble HLM. Surtout, il s’est inscrit dans un projet plus vaste de développement de l’agglomération.
Le bien-fonds du lotissement s’étend immédiatement au nord-est de celui du groupe HLM. De forme trapézoïdale, long de 265 mètres et large de 107 mètres (dimensions maximales), il couvre une surface de 20 900 m2. Le relief le place en position dominante par rapport aux immeubles.
Les maisons du lotissement sont desservies par une rue en boucle nommée « Lotissement Les Érables » (fig. 2). Cette rue est globalement orientée nord-sud et nord-ouest/sud-est. Elle débouche au sud sur la route de Monistrol. Au nord, elle est reliée à la route du Peycher. Cette dernière figure sur le plan dessiné en 1963 par Étienne Grand avec la légende « route projetée » (fig. 3). Effectivement, la section orientale de cette route (entre le lotissement et la route de Peyrelas) a été aménagée en même temps que la rue du lotissement. Sa section nord-ouest est plus récente : elle a été créée vers 1968-1970, conjointement au percement de la rue du Beau Site et de la déviation de la route départementale 44. Ces nouvelles voies (route du Peycher, rue du Beau Site et déviation de la RD 44) ont permis l’extension des faubourgs de Sainte-Sigolène vers le nord et le nord-ouest.
Le lotissement ne possède pas d’espaces verts publics, mais des arbres d’alignement bordent plusieurs sections de la rue. S’il n’a pas de place publique, il dispose en revanche de deux petits parkings.
Les 21 lots de l’opération réalisée par la Société coopérative d’HLM de Dunières dessinent quatre rangées, deux à l’extérieur de la boucle de la rue et deux à l’intérieur. Les lots possèdent une surface moyenne de 640 m2. Le plus petit mesure 550 m2, le plus grand 900 m2. Les parcelles sont le plus souvent rectangulaires, quelques-unes sont triangulaires ou trapézoïdales.
Les maisons se dressent en retrait de la rue, le plus souvent quasiment au centre de la parcelle. Les dimensions des retraits varient afin d’éviter un alignement trop strict des bâtiments. En raison du tracé de la rue associant lignes droites et courbes, dix-huit maisons s’élèvent parallèlement à la voie et trois sont en biais. Quinze maisons ont leurs angles orientés vers les points cardinaux, six présentent leurs façades vers les points cardinaux. Avec le relief et le décalage des implantations, les vues semblent assez ouvertes, sans vis-à-vis gênants.
Assez curieusement, toutes les maisons ont leur façade principale disposée perpendiculairement à la rue (et donc perpendiculairement à leur accès principal). Cette caractéristique est peu fréquente dans ce type de programme : le plus souvent, les façades principales sont parallèles à la rue (ou un peu en biais). Ici, de toute évidence, l’exposition des façades principales vers le sud et le sud-est a été privilégiée.
L’architecture des immeubles HLM
L’architecture des immeubles s’avère dépouillée sans pour autant être rudimentaire. Les moyens alloués à la construction étaient réduits, ils furent donc concentrés sur les éléments indispensables du programme. L’objectif était d’obtenir au meilleur coût des logements nombreux, suffisamment vastes, bien éclairés et ventilés, disposant de l’eau courante, de l’éclairage électrique, de sanitaires et d’une installation de chauffage. En résumé, avec une habitation à loyer modéré, les « ménages modestes » pouvaient enfin accéder au « confort moderne optimisé ».
Les deux immeubles s’élèvent sur un plan rectangulaire (fig. 8 et 9, 13 à 15). Le « Groupe 1 » mesure 42 mètres de longueur, le « Groupe 2 » 84 mètres de longueur, leur largeur est de 8,20 mètres. Les immeubles sont constitués de six modules répétés : le « Groupe 1 » comporte deux modules identiques, le « Groupe 2 » rassemble quatre modules identiques. Chaque module compte six appartements répartis deux par deux sur trois niveaux. En outre, un sous-sol semi enterré abrite des locaux utilitaires (caves, buanderies). Au centre du module, une entrée principale, un vestibule et un escalier desservent les niveaux.
La volumétrie générale des bâtiments est simplement parallélépipédique. Une petite corniche dessine un trait net entre les élévations et les toits à croupes couverts de tuiles.
Avec leurs travées régulièrement espacées, les façades principales sont très sobres, presque monotones. La travée centrale de chaque module forme un léger avant-corps qui souligne l’emplacement de l’entrée principale et de la cage d’escalier (fig. 16).
Les façades postérieures s’avèrent plus animées. Celle du « Groupe 1 » (fig. 14) comporte pour chaque module deux avant-corps latéraux, ce qui crée au centre de la façade un large avant-corps. Les deux renfoncements encadrés par les avant-corps sont garnis de trois niveaux de balcons filants. Les garde-corps des balcons sont en partie maçonnés afin de souligner l’axe de symétrie de chaque module.
Sur la façade postérieure du « Groupe 2 » (fig. 9 et 17), chaque module comprend un avant-corps central et deux avant-corps latéraux. Les deux renfoncements ainsi délimités abritent trois niveaux de balcons légèrement saillants. Les garde-corps sont en partie maçonnés de part et d’autre de l’avant-corps central, ce qui – là aussi – accentue la symétrie de la composition.
L’architecture des maisons
L’architecture des maisons se veut avant tout efficace. Comme souvent pour ce type de programme, l’originalité ou l’invention esthétique ont été bannis. Mais par leur dessin, par leurs proportions, les maisons offrent tout de même un aspect agréable, d’autant que la plupart n’ont pas été modifiées. Entourées de clôtures basses et de jardins bien entretenus, elles forment toujours un ensemble assez homogène et harmonieux.
Les maisons se répartissent en deux groupes d’inégale importance. Le premier compte dix-huit maisons de type F4 (fig. 18 à 22 et 27). Il s’agit des n° 1 à 8, 12 à 14, 18 à 21, 23 et 24 du lotissement Les Érables, ainsi que du n° 5 rue du Peycher (qui correspond au lot n° 14 du plan dressé en 1963, fig. 4). Le second groupe se compose de trois maisons de type F5 : les n° 15, 16 et 17 du lotissement (lots n° 19, 20 et 21 du plan de 1963). Un peu plus grandes, d’une architecture légèrement plus riche (du moins sur les dessins originaux, fig. 23 et 24), elles se trouvent au plus près de l’accès principal et sur la partie haute du terrain du lotissement (fig. 4, 25 et 26). Faut-il voir dans cet emplacement « de choix » l’indice d’une implantation hiérarchisée en fonction des modèles de maison ? Ce n’est pas sûr…
Par rapport aux plans des maisons édifiées dans le lotissement, les plans-types annexés au permis de construire de 1963 sont inversés droite/gauche (comme un calque retourné horizontalement, fig. 18-19 et 23-24). De toute évidence, Étienne Grand ne les dessina pas spécialement pour cette opération.
La principale raison de cette inversion droite-gauche semble résider dans l’orientation donnée au balcon et à la loggia qui agrémentent respectivement le type F4 et le type F5. Sur les maisons type F4 du lotissement (fig. 21-22), le balcon se trouve du côté gauche de la façade principale (à droite sur le plan, fig. 18-19). Ainsi, le balcon bénéficie au mieux de l’exposition sud-est/sud-ouest et du panorama le plus large. Sur les maisons type F5 du lotissement, grâce à l’inversion du plan (fig. 23-24), la loggia est à gauche de la façade latérale gauche (fig. 25-26). Elle ouvre ainsi vers l’ouest. Là encore, l’ensoleillement et la vue ont été privilégiés. De toute évidence, l’altitude non négligeable du lotissement (800 mètres) a joué un rôle dans le choix de ces inversions.
Les maisons du lotissement répondent à un programme qui, dans les années 1960, était devenu très courant : chacune comporte un logement mono-familial et un garage pour une voiture automobile.
Le type F4 s’élève sur un plan carré (9,60 m de côté), le type F5 sur un plan rectangulaire (9,60 x 10,90 m). L’un et l’autre possèdent deux niveaux reliés par un escalier intérieur à une volée droite. Le rez-de-chaussée est essentiellement occupé par le garage et la cave, l’étage abrite l’appartement. La surface habitable du type F4 (séjour et trois chambres) est de 73,80 m2, celle du type F5 (séjour et quatre chambres) de 87,40 m2.
Les maisons ont une volumétrie parallélépipédique simple. Elles sont couvertes de toits en pavillon (type F4) ou à croupes (type F5) revêtus de tuiles. Deux renfoncements introduisent un peu de variété dans les élévations. Sur le modèle F5, il s’agit de la loggia évoquée ci-dessus. Sur le modèle F4, il s’agit du renfoncement qui, outre le balcon, abrite les portes de la maison et du garage.
Pour les élévations, faute de pouvoir obtenir un dessin régulier, Étienne Grand a recherché des compositions équilibrées. Par exemple, sur la façade principale du type F4, le regroupement des deux petites fenêtres de l’étage contrebalance visuellement le renfoncement.
Quelques maisons possèdent des détails qui les différencient des autres : il s’agit par exemple d’un bandeau en béton gris qui domine l’étage (fig. 27) ou d’une fermeture d’avant-toit biaise (fig. 22). Ces petites variations ont vraisemblablement été décidées en cours d’exécution, à l’initiative des acquéreurs qui participaient sans doute au chantier dans le cadre de l’opération « Castors ».
En revanche, pour les maisons F5, deux éléments prévus sur les plans d’origine n’ont pas été construits (fig. 24-25). Ils donnaient pourtant un peu « de cachet » à la façade principale. Ce sont d’une part un auvent en béton qui encadrait les portes d’entrée de la maison et du garage, et d’autre part un oculus qui à l’étage soulignait l’axe de symétrie (une petite fenêtre carrée, moins coûteuse, a pris sa place).
L’organisation intérieure des deux modèles est très similaire (fig. 18 et 23). Elle se fonde sur la position de l’escalier. Celui-ci est placé sur l’axe de symétrie transversal. Il dessert à l’étage un hall central qui distribue toutes les pièces. Comme bien souvent, la cuisine reste séparée du séjour. Le type F5 comporte une quatrième chambre largement ouverte sur le séjour, ce qui crée un espace de réception plus grand (25,6 m2) que celui du type F4 (15,35 m2). Le type F5 présente également une petite curiosité : un cabinet de toilettes équipé de deux portes permet de circuler directement de la chambre principale à la chambre 4.
La présence de plusieurs penderies montre que l’architecte s’était attaché à proposer des dispositions fonctionnelles. En revanche, dans ce registre, les rez-de-chaussée surprennent. Ils sont aussi vastes que l’appartement et pourtant ils n’accueillent qu’un petit vestibule, le garage et une cave. La surface de la cave paraît spécialement disproportionnée. De plus, elle n’est éclairée que par trois petites fenêtres, ce qui la rend peu aménageable en pièces d’habitation supplémentaires. Dans le cadre d’une réalisation se voulant assez économique, un rez-de-chaussée aussi peu utile paraît bien coûteux.
Conclusion
Les immeubles de la Croix-Saint-Romain et le lotissement Les Érables sont des réalisations que l’on peut qualifier « d’ordinaires » ou de « communes ». Leurs caractéristiques urbaines et architecturales se rencontrent fréquemment. Néanmoins, les opérations de ce type, modestes par le nombre de logements et implantées dans des petites villes en milieu rural, ont été rarement étudiées.
L’exemple de Sainte-Sigolène témoigne qu’au cours des années 1950-1960, même dans un tel contexte, la construction d’immeubles HLM et de maisons « économiques » en série sur plan-type parut être une solution adaptée. Deux cartes postales (fig. 1 et 6) éditées vers 1964 et 1968 montrent à l’arrière-plan le bourg de Sainte-Sigolène et au premier plan les immeubles HLM de la Croix-Saint-Romain et le lotissement Les Érables. Le choix opéré par les photographes et l’édition des cartes attestent qu’à l’époque, ces deux réalisations bénéficièrent d’une perception très positive. Grâce à elles, de nombreuses personnes accédèrent à des logements décents et même devinrent propriétaires de leur maison. Indéniablement, cela constitua un véritable progrès social.
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-