1. Une société et des hôpitaux en mutation
2. Un établissement séduisant
3. Une architecture avenante
4. Une contribution pleine d’intérêt
Depuis son ouverture en 1930, la polyclinique est considérée par beaucoup comme le plus beau joyau architectural de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand. Vue depuis le boulevard Charles-de-Gaulle, sertie dans un écrin arboré, elle ne manque effectivement pas d’allure. Cet aspect avenant résulte directement de son programme d’origine : il s’agissait de séduire une nouvelle clientèle payante qui hésitait encore à se faire soigner dans les hôpitaux publics, clientèle qui n’allait pas tarder à s’accroître avec la promulgation de la loi du 5 avril 1928 sur les assurances sociales.
Une société et des hôpitaux en mutation
Avec l’essor des industries de transformation du caoutchouc (Conchon-Quinette, Bergougnan et Michelin) pendant la Première Guerre mondiale et dans les années 1920, Clermont-Ferrand subit une explosion démographique. Les recensements dénombrèrent sur la commune 65 386 habitants en 1911, 82 577 en 1921 et 111 711 en 1926. Des localités limitrophes connurent également un fort accroissement, notamment Chamalières (2 941 habitants en 1906, 6 260 en 1926). Il s’ensuivit une crise aigüe du logement et une saturation des équipements publics de toute nature. Philippe Marcombes, maire de Clermont-Ferrand de décembre 1919 à mai 1929 et de mai à juin 19351, engagea des investissements importants pour répondre aux besoins les plus urgents2. En tant que président de la Commission administrative des hospices de Clermont-Ferrand3, il formula notamment le projet d’édifier un nouvel hôtel-Dieu à l’extérieur de la ville (idée qu’il avait déjà esquissée avant la Première Guerre mondiale)4. Les moyens manquèrent pour une entreprise aussi ambitieuse, mais les hospices dépensèrent tout de même de 1920 à 1930 près de 11,5 millions de francs pour leurs bâtiments hospitaliers (entretien, grosses réparations et travaux neufs). Plus du tiers de cette somme fut consacré à la construction de la polyclinique.
Depuis la fin du XIXe siècle, les progrès médicaux modifiaient peu à peu la fonction des hôpitaux publics : dépassant leur rôle séculaire d’institutions charitables, ils devenaient des lieux où l’on opérait le mieux et avec le moins de risques5. Des malades appartenant aux milieux de la petite et moyenne bourgeoisie voulaient se faire soigner dans ces établissements, auxquels ils accédaient en payant leur séjour et les soins dispensés. La fréquentation des hôpitaux par une telle clientèle avait débuté avec le vote de la loi du 1er avril 1898 sur les sociétés de secours-mutuels, puis celle du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Cet état de fait fut entériné par le nouveau modèle de « Règlement intérieur pour les hôpitaux et hospices »6 diffusé par la circulaire ministérielle du 31 mars 1926. L’article 28 rappelait en préambule que les hôpitaux avaient été créés pour les indigents bénéficiant de l’assistance obligatoire, et que d’y recevoir des malades payants c’était les détourner de cette destination. Mais l’article autorisait ensuite l’admission « exceptionnelle » et sous conditions de malades payants, tout en précisant que « les cliniques annexées [n’étaient] pas soumises à la législation hospitalière ». Les malades payants étaient classés en trois catégories, des moins aisés aux plus riches, afin d’appliquer des prix de journée proportionnels à leurs moyens. Plusieurs modes de règlement des honoraires médicaux ou chirurgicaux étaient proposés, la création de chambre ou de salle payantes n’était plus soumise à l’approbation du ministère et les administrateurs des hôpitaux avaient la liberté de décider « si les médecins et les chirurgiens du dehors [pouvaient] être admis à donner leurs soins aux malades payants, à la demande de ceux-ci ».
Le règlement rappelait aussi que les hôpitaux publics ne pouvaient se livrer à des opérations à caractère commercial, opérations qui les auraient mis « en concurrence, dans des conditions privilégiées, avec les maisons de santé privées ». En effet, dans la plupart des villes, de plus en plus d’établissements hospitaliers privés (vulgairement désignés sous le nom de clinique) ouvraient afin de prendre en charge cette « clientèle »7. En 1930, il existait déjà dix cliniques privées à Clermont-Ferrand et Chamalières8. Des médecins hospitaliers exerçaient également dans des cliniques, certains étant même à l’origine de leur création. Par exemple, Hippolyte Bousquet, médecin à l’hôtel-Dieu et professeur à l’école de médecine de Clermont-Ferrand, avait ouvert en 1901 une clinique à Chamalières.
Désireux de répondre aux attentes de cette catégorie de patients et d’attirer une partie de ceux qui se tournaient vers le privé, les administrateurs des hospices de Clermont-Ferrand avaient créé dans l’hôtel-Dieu, dans les années 1910, des « maisons de santé chirurgicale et médicale »9. La « maison chirurgicale » occupait probablement un bâtiment situé avenue Vercingétorix, au nord de la maternité (à l’emplacement actuel du « Pavillon Roux »). La « maison médicale », installée « provisoirement » pendant la Première guerre mondiale, se situait sans doute dans le bâtiment même de l’hôtel-Dieu. Ces locaux, vétustes et peu commodes, ne pouvaient convenir sur le long terme. Les administrateurs des hospices envisagèrent dès 1926 de les remplacer. L’architecte des hospices Jean Amadon (1886-1954) dessina en mars 1926 un « Projet de construction d’un pavillon de polyclinique »10. L’édifice esquissé, de taille relativement réduite, devait abriter sur deux niveaux quatre services.
L’obtention de subventions11 et les capacités financières des hospices permirent d’envisager une réalisation beaucoup plus ambitieuse. Jean Amadon conçut les plans d’un bâtiment nettement plus monumental ne comptant pas moins de six niveaux12. Le site d’implantation s’étendait à l’ouest de l’enclos de l’hôtel-Dieu, à proximité du boulevard Gergovia. Le 4 novembre 1927, les administrateurs décidèrent de souscrire un emprunt de 4 272 000 francs, dont l’essentiel devait être consacré à l’édification et à l’équipement d’une polyclinique. Dans cette « vaste et moderne maison de santé médicale, chirurgicale et d’accouchement, […] les malades de la classe moyenne [trouveraient], à des prix à leur portée, les soins utiles »13.
À la fin 1927 et au début de 1928, Jean Amadon dressa les plans et devis définitifs du nouvel établissement14. L’adjudication au rabais des principaux lots se déroula le 28 janvier 1928. L’entrepreneur Louis Duperrier, établi à Beaumont (commune limitrophe de Clermont-Ferrand), remporta le lot « terrassements, maçonnerie et ciment armé ». La construction engendra un important surcoût15. Aux 3 260 229 francs de crédits votés primitivement, il fallut ajouter 578 005 francs de dépassements de devis et 543 112 francs de travaux complémentaires non prévus à l’origine ! Le chantier fut toutefois mené rapidement puisque la polyclinique ouvrit le 1er janvier 193016. D’abord baptisée du nom du docteur Émile Roux, elle prit après juin 1935 le nom de Philippe Marcombes17.
Un établissement séduisant
Pour promouvoir la nouvelle polyclinique, les administrateurs firent paraître des encarts publicitaires dans les journaux quotidiens auvergnats. En octobre 1930, ils décidèrent de publier une luxueuse brochure promotionnelle imprimée à 5 000 exemplaires18. Bénéficiant d’une belle mise en page et abondamment illustrée, la brochure détaillait les aménagements du bâtiment et les prestations proposées aux « patients-clients ».
L’introduction resituait le contexte de la création de la polyclinique : l’extension de Clermont-Ferrand, les bouleversements économiques et domestiques, « les conceptions modernes, la complexité même des soins à donner aux malades »19 justifiaient un tel équipement. Il était rappelé que « depuis longtemps déjà, dans de nombreux pays étrangers, en Amérique surtout », des organisations similaires fonctionnaient, et qu’en France « quelques villes, Nancy notamment »20, en possédaient. Plus loin, l’on soulignait que les commanditaires avaient prévu « une organisation de soins véritables, comparable à celle qui [existait] dans les meilleurs cliniques de Paris, organisation qui ne se [trouvait] qu’exceptionnellement en province ».
Les qualités du site étaient vantées : la polyclinique s’élevait « à proximité de la place de Jaude, centre actif de la cité, desservie par plusieurs lignes de tramway ». Construite « sur un vaste emplacement en amphithéâtre », elle donnait « sur une des plus grandes et plus belles voies de la ville ». Dans le « parc entièrement clos » qui l’entourait, « aux parterres fleuris, aux allées plantées d’arbres », les convalescents pouvaient « respirer l’air et reprendre peu à peu le contact avec la vie extérieure ». Le « vaste bâtiment » possédait des « lignes sobres et harmonieuses ». La façade principale, orientée à l’ouest, était « percée d’immenses baies dispensant partout air et lumière et permettant au regard d’embrasser d’un coup d’œil l’hémicycle de montagnes dominé par le puy de Dôme ».
La polyclinique abritait cent chambres individuelles, dont dix comportaient un second lit pour accompagnant. Chaque chambre disposait d’une salle de bains avec toilettes. D’autres toilettes étaient à l’usage du personnel et des visiteurs. Tout était prévu « pour que chaque malade soit entièrement chez lui et isolé ». Grâce à une isolation acoustique minutieuse, les patients devaient trouver « le repos absolu et le calme complet ». Dans le même but, l’on avait substitué des signaux lumineux aux sonneries d’appel. Deux ascenseurs, assez grands pour y placer un lit roulant, desservaient tous les niveaux. Les voitures ambulances pouvaient entrer dans deux halls couverts : de là, il était possible d’emmener les malades couchés jusqu’aux ascenseurs.
Les services généraux disposaient d’une cuisine, de locaux contenant « toute la machinerie qu’emploie l’industrie hôtelière » (dont une laverie automatique de vaisselle), d’une chambre froide, d’une lingerie, d’une chaufferie au mazout. Des monte-charges permettaient d’acheminer rapidement les repas « aux tisanières d’étage chargées de leur répartition ». Un système de nettoyage par aspiration centralisée (« vacuum cleaner »), dont la tuyauterie s’étendait à tous les niveaux, évacuait « directement à l’égout les poussières de tout l’immeuble ».
La polyclinique était « organisée pour que toutes les maladies médicales, chirurgicales, obstétricales puissent y être traitées par les médecins, chirurgiens et accoucheurs des hôpitaux, selon le choix des malades ». Chaque étage « formait un tout indépendant avec sa salle de garde pour le personnel soignant ». Le service d’accouchement occupait entièrement le quatrième étage. Le « quartier chirurgical » comprenait trois salles d’opération, deux aseptiques et une septique. L’établissement comportait également un service central de stérilisation, un service de radiographie et de radioscopie, un laboratoire d’analyses, des salles d’examens spécialisés et des salles de pansements.
Bref, comme l’on pouvait le lire à la fin de la brochure, les malades étaient assurés de « trouver les soins les plus dévoués, les plus compétents ». Encore fallait-il en avoir les moyens. Le prix journalier des chambres fixé en 1930 variait selon le confort : de 35 à 60 francs pour celles à un lit, de 80 à 120 francs pour celles à deux lits (malade et accompagnant)21. Très probablement, ce prix ne comprenait pas les actes médicaux ou chirurgicaux, ni les honoraires des médecins22. À une époque où le salaire mensuel moyen d’un ouvrier de l’industrie s’élevait à 722 francs, de pareils tarifs s’avéraient élevés, mais ils devaient toutefois être compétitifs par rapport à ceux pratiqués dans les cliniques privées. Par ailleurs, en vertu des lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930, une majorité de salariés allaient dès lors disposer d’une assurance maladie23 : cela conduisit peut-être à une certaine démocratisation de l’accès à la polyclinique avant l’instauration de la sécurité sociale (1945-1946).
Une architecture avenante
Le pavillon des militaires (Desaix) et l’hôpital pour enfants24, les deux réalisations majeures des années 1913-1925 dans l’enclos de l’hôtel-Dieu, avaient volontairement été placées en retrait de l’espace public. Au contraire, les commanditaires de la polyclinique voulurent lui conférer une forte présence urbaine. Mise en scène par le parc qui l’entourait, par la pente du terrain et par le boulevard, la façade principale du bâtiment affirmait dans la ville la présence et le statut de l’établissement. En même temps, la polyclinique affichait son autonomie en tournant le dos au vieil hôtel-Dieu. Une entrée particulière, surveillée par une conciergerie25, lui fut affectée. Une longue grille de clôture en fer forgé permit d’établir une perméabilité visuelle entre l’espace public et le parc26. Placée face à l’axe de symétrie de la façade ouest, l’entrée principale ouvrit la perspective. Deux puissants piliers et la grille de fermeture en ferronnerie (œuvre, comme la grille de clôture, du ferronnier clermontois Camille Graveau27) la monumentalisèrent.
La volonté d’ouvrir un grand nombre de chambres vers le panorama occidental avait été l’un des critères importants de la conception du parti général. Les fonctions liées à l’accueil et au séjour des malades, à l’organisation des services, aux pratiques médicales et chirurgicales, s’avérèrent également déterminantes.
Le bâtiment affecte en plan la forme d’un « T ». Le pied du T, orienté est-ouest, mesure environ 16 mètres de longueur et 11 mètres de largeur. La tête du T, orientée nord-sud, mesure 55 mètres de longueur et de 12 à 15,5 mètres de largeur. À chaque extrémité du T se trouve un pavillon. L’édifice possède un sous-sol semi-enterré (pourvu de cours anglaises), un rez-de-chaussée surélevé, trois étages au niveau des corps de bâtiments principaux et quatre étages au niveau des pavillons. Un avant-corps central souligne l’axe de symétrie de l’élévation principale. Les façades antérieures et latérales des pavillons nord et sud présentent également des avant-corps. Aux extrémités nord et sud, de petits bâtiments de plan rectangulaire, à un niveau couvert d’une terrasse, abritent les halls des ambulances. Des corniches très saillantes règnent sur toutes les élévations. Certaines présentent un corps de moulures, d’autres des caissons. Celles des pavillons prennent appui sur des consoles. Des toits peu pentus, à longs-pans et en pavillon, composent la couverture. Grâce au jeu des renfoncements, des avancées et des différences de hauteur, la volumétrie générale de l’édifice est assez animée.
Divers matériaux ont été employés pour la construction. Les murs porteurs sont en maçonnerie de pierre de Volvic, les piliers, les linteaux et les corniches en béton armé, les planchers en béton armé et hourdis de briques creuses. Des tuiles mécaniques revêtent les toits. Un crépi blanc crème unifie les façades. L'empattement taluté des murs du sous-sol semi-enterré présente un appareil de revêtement en pierre de Villebois. Des soupiraux, parfois défendus par une grille, éclairent le sous-sol et assurent sa ventilation.
Les élévations, bien proportionnées, sont régulièrement organisées. Un rythme ternaire symétrique (B-A-B) se retrouve fréquemment, par exemple pour les avant-corps. La plupart des baies sont rectangulaires. Toutefois, des arcs segmentaires, en anse-de-panier ou en plein-cintre couvrent certaines baies (par exemple celles du rez-de-chaussée). En façade principale, de grandes baies divisées en trois parties par des trumeaux accentuent la travée centrale des avant-corps latéraux. Leur composition propose une variation sur le thème de la fenêtre thermale. Enfin, des baies à appui en escalier, rampantes ou couverte d’un arc plein-cintre, éclairent les cages d’escalier nord et sud.
La façade principale concentre les effets architecturaux et décoratifs. Le vocabulaire appartient à l’Art déco, choix révélateur puisqu’il s’agissait du style ostentatoire par excellence des années 1925-1935. De manière habituelle, l’avant-corps central s’avère particulièrement soigné. Il est précédé par un degré rectangulaire et un porche. Ce dernier est couvert d’une terrasse portée par quatre piliers. Les entraxes des piliers suivent le schéma B-A-B (une travée large accostée de travées latérales plus étroites). L’avant-corps reprend le même rythme, des pilastres soulignant les divisions. Au sommet des pilastres, des « dés » en surplomb coupent la corniche. Une sorte de fronton se dessine ainsi, la travée centrale ayant sa corniche un peu plus haute que celles des travées latérales, le tout dominant les corniches des arrière-corps. L’enseigne « Polyclinique Philippe-Marcombes » (l’enseigne « Émile-Roux » figure sur des photographies antérieures à 1935) est mise en valeur au centre de la composition. L’avant-corps présente en outre des décors. Des cannelures ornent les piliers et les pilastres. Sous la corniche de la travée centrale, des denticules et un cordon en dents de scie dessinent un pseudo entablement. De petits panneaux sculptés en méplat sont enchâssés en haut des piliers. De plus grands panneaux en méplat, enrichis de mosaïques jaune, or et bleu, soulignent le sommet des travées latérales. Les motifs des panneaux se composent de fleurs et de reliefs géométrisés et emboîtés. Le traitement est caractéristique du style Art déco. Ces œuvres, ainsi que les petits bas-reliefs visibles sur les avant-corps latéraux et sur les piliers du portail d’entrée, sont dues au sculpteur clermontois Gustave Gournier (1903-1986).
Toujours pour accroître la prestance de la façade principale, Jean Amadon a doté le premier étage de six balcons. Ceux-ci agrémentent les travées de part et d’autre du porche et la travée centrale des avant-corps latéraux. Les garde-corps de ces balcons, ainsi que ceux de la terrasse du porche, sont garnis de balustres cylindriques. Deux autres balcons, placés sur la travée centrale au troisième étage des avant-corps latéraux, possèdent des garde-corps en ferronnerie. Un motif de corbeille de fleurs (thème fréquemment employé dans l’Art déco) est plusieurs fois répété sur chaque garde-corps. Des balconnets ou des garde-corps en ferronnerie à motifs géométriques équipent les autres grandes fenêtres. Enfin, dernier élément de la panoplie d’éléments employée par l’architecte, la façade est enrichie de moulures. Par exemple, de nombreux pleins-de-travées comportent une moulure festonnée.
L’entrée principale offre une composition élégante où interviennent des matières riches en effets. Les moulures emboîtées des piédroits et du linteau encadrent les deux vantaux en ferronnerie. Une mosaïque rouge et jaune, dont la composition se fonde sur un réseau de carrés et de triangles, revêt le sol sous le porche et dans le vestibule. Des plaques de marbre ocre veiné de brun ornent les murs du vestibule jusqu’aux deux tiers de leur hauteur. À l’origine, la superficie du vestibule était le double de l’actuelle. Pour des raisons pratiques, une porte à deux vantaux complétée par une cloison (l’une et l’autre en métal et verre) fut installée au cours de l’été 1930 afin de le fractionner en deux parties28. La première partie resta affectée à l’entrée, la seconde devint une pièce de distribution reliant les couloirs du rez-de-chaussée.
Le plan « en T » génère trois branches. Dans chacune des branches, à tous les niveaux, un couloir longitudinal dessert toutes les pièces. Un espace de distribution centrale est placé à la rencontre des couloirs. Les escaliers et les ascenseurs situés au nord et au sud du corps de bâtiment principal permettent les circulations verticales. Dans l’aile postérieure, un escalier de service relie le sous-sol et le rez-de-chaussée. À tous les niveaux, chaque branche du « T »abrite un secteur clairement délimité. Très logiquement, les services annexes occupaient le sous-sol, les services administratifs, un service de médecine et un service de chirurgie se trouvaient au rez-de-chaussée, d’autres services hospitaliers occupaient les étages. Si l’aile postérieure comportait également des chambres de malades, elle concentrait surtout les services requérant des équipements très techniques (laboratoires, radiographie, examens divers). Les trois salles d’opération étaient placées dans le pavillon oriental de cette aile, aux premier, deuxième et troisième étages29. Des salles de préparation et d’anesthésie les jouxtaient. Les chirurgiens pouvaient opérer à la lumière naturelle grâce aux grandes baies qui ouvraient au nord, mais ils disposaient aussi de l’éclairage électrique dispensé par un « scyalitique »30.
Le confort n’était pas le seul avantage des chambres individuelles équipées de sanitaires complets. Par rapport aux dortoirs (avec ou sans box) et aux sanitaires collectifs, cette solution réduisait considérablement les risques de contamination. Par ailleurs, la séparation des hommes et les femmes dans des secteurs qui leur étaient réservés n’avait plus lieu d’être (à l’exception évidemment de l’étage de la maternité). L’organisation mise en place pour les services et les soins s’avérait donc bien différente de celle générée par les pratiques séculaires. Autre différence essentielle par rapport à tous les bâtiments de l’hôtel-Dieu construits antérieurement, l’architecture de la polyclinique ne tenait plus aucun compte des préceptes « aéristes », encore considérés comme incontournables lors de la conception de l’hôpital pour enfants treize ans auparavant. En particulier, la hauteur sous plafond des chambres s’avérait semblable à celle communément employée dans l’habitat domestique de l’époque. La question du « cube d’air » et de la ventilation était passée au second plan.
Une contribution pleine d’intérêt
La polyclinique de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand se distingue à plus d’un titre. Dans le contexte de l’ensemble hospitalier dont elle est une composante, elle matérialise une franche rupture. Sa destination modifiait profondément le rôle jusqu’alors assumé par cet hôpital public. Son affectation exclusive à une clientèle aisée correspondait à une sorte de privatisation de l’offre de soins, mais en même temps elle introduisait une mixité sociale dans l’enceinte de l’hôtel-Dieu. En cela, elle constituait une étape importante dans la mutation de l’hôpital « pour indigents » vers un hôpital « pour tous ».
La nouveauté de l’organisation spatiale des services doit aussi être relevée. Bien d’autres services de l’hôtel-Dieu (pour ne parler que de l’exemple clermontois) ne connaîtraient une organisation comparable qu’à la fin des années 1950. De même, bien des établissements hospitaliers n’atteindraient le niveau de confort et d’équipement de la polyclinique que dans les années 1970-1980.
Avec ses dates de conception (courant 1927 - début 1930) et ses caractéristiques architecturales, la polyclinique paraît être à l’échelle de la France un édifice rare et remarquable. Son architecture se fonde sur l’emploi d’un plan resserré et la multiplication des niveaux. En cela, elle rompt avec le type de l’hôpital pavillonnaire encore prescrit officiellement à son époque. Elle semble prendre exemple – toute proportion gardée – sur les hôpitaux des États-Unis d’Amérique qui depuis plusieurs décennies pouvaient comporter de très nombreux étages31. Son plan « en T » pourrait aussi témoigner de l’influence des sanatoriums de type « germano-suisse ». Mais il ne faut pas non plus exclure des rapprochements avec les hôtels de luxe qui depuis longtemps répondaient à une configuration similaire. Par ailleurs, des établissements se déployant sur de nombreux étages avaient déjà été construits pour y abriter une clinique privée située en ville (là où se conjuguaient un parcellaire dense et un prix élevé du foncier)32.
Quoi qu’il en soit, la polyclinique de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand semble appartenir au petit groupe des édifices hospitaliers français incarnant la transition entre l’hôpital pavillonnaire et l’hôpital-bloc33. L’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine34, qui ouvrit en 1926, relève aussi de ce groupe. Élevé sur un plan affectant une forme de « U » très ouvert, il comptait jusqu’à cinq étages. Ses équipements et ses dispositions présentaient également des points communs avec ceux de la polyclinique. On peut citer comme autre exemple l’hôpital Foch de Suresnes35, lui aussi destiné aux patients des classes moyennes, qui fut construit de 1931 à 1937. D’une capacité de 336 lits répartis en chambres individuelles avec cabinets de toilette, il se déployait selon un plan en « T » sur neuf niveaux.
Christophe LAURENT, historien de l'architecture, mai 2016
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-