1. L’essor d’un enseignement
2. Les locaux de l’école dans l’hôtel-Dieu
3. Un nouveau bâtiment pour une nouvelle faculté
4. La faculté dans son état de 1954
5. Une expression convaincante
Ce bâtiment1 occupe l’angle nord-ouest de l’enclos de l’hôtel-Dieu, en bordure du boulevard Charles-de-Gaulle et de la rue Lagarlaye. Il fut inauguré en 1954, mais son affectation s’inscrivait dans une tradition très ancienne, celle de former au sein de l’établissement hospitalier les élèves médecins et chirurgiens.
L’essor d’un enseignement
Des lettres patentes de Louis XIV, en date du 22 mars 1681, instituèrent le Collège de médecine de Clermont2. Pour leur part, les chirurgiens clermontois ne tardèrent pas à s’associer en fondant la confrérie de Saint Côme et Saint Damien, dont les statuts furent homologués le 13 juillet 1694. En 1745, les membres du Collège de médecine obtinrent de la ville un emplacement pour construire un édifice destiné à leurs assemblées et à leurs cours. Le bâtiment se trouvait près de la porte Saint-Esprit, à côté du couvent des Cordeliers3. Les chirurgiens purent également bâtir une maison contiguë au couvent4, dans laquelle ils installèrent un amphithéâtre d’anatomie. La plaque inaugurale de l’amphithéâtre5, datée de 1749, se trouve aujourd’hui dans le hall de la seconde faculté mixte de médecine et de pharmacie de Clermont-Ferrand (place Henri-Dunand). L’établissement universitaire rend ainsi hommage à une histoire séculaire.
Au XVIIIe siècle, le service des médecins et chirurgiens à l’hôtel-Dieu était l’une des fonctions qui légitimaient le rôle du collège de médecine et de la confrérie des chirurgiens6. Les praticiens attachés à l’établissement devaient prodiguer des soins mais aussi transmettre leur savoir. Ils formaient des jeunes gens qui voulaient acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice de ces métiers. L’enseignement se faisait en grande partie « au lit des malades ». Les « externes » pouvaient simplement observer. Les « internes », deux ou trois « garçons-chirurgiens », assistaient le chirurgien-major. Leur apprentissage durait deux ans7. Ces pratiques furent poursuivies sous la Révolution française8 puis au début du XIXe siècle. Elles aboutirent à la création de l’école secondaire de médecine de Clermont-Ferrand par le décret impérial du 18 septembre 1806. L’enseignement fut organisé et partagé entre six professeurs. Les cours ouvrirent en octobre 18079. Cinquante-trois élèves s’inscrivirent en 1808 et soixante-quatre l’année suivante.
Peu à peu, l’école municipale clermontoise prit de l’importance. Elle devint en 1841 une « école préparatoire de médecine et de pharmacie », puis en 1891 une « école préparatoire réorganisée de médecine et de pharmacie »10. Dès 1903, les médecins-professeurs ambitionnèrent d’en faire une école « de plein exercice ». Les étudiants pourraient ainsi suivre à Clermont-Ferrand « les cours et cliniques pendant quatre ans, c’est-à-dire faire presque toutes leurs études. Il leur suffirait d’aller, durant six mois à un an, dans une faculté pour passer les deux derniers examens et la thèse »11.
Le nouveau statut fut accordé par le décret du 21 septembre 1928. L’école put profiter pleinement du développement démographique, économique et universitaire de la capitale auvergnate. Ses effectifs passèrent de 60 étudiants en 1913 à 549 en 194812. Dès le milieu des années 1930, les élus municipaux clermontois et les médecins-enseignants multiplièrent les démarches pour obtenir l’érection de l’école en faculté. Outre les enjeux institutionnels, il s’agissait de conforter l’attractivité de la ville. La mutation présentait également l’avantage de transférer à l’État la charge des frais de fonctionnement jusque-là supportée par la commune13. Un obstacle majeur s’opposait toutefois au projet : les ministères de tutelle refusaient d’y souscrire en raison de l’insuffisance des locaux de l’école.
Les locaux de l’école dans l’hôtel-Dieu
Dès son ouverture en 1773, le nouvel hôtel-Dieu servit de lieu d’enseignement, mais il est fort probable qu’aucune salle de l’édifice ne fut à l’époque spécifiquement réservée à cette fonction. En revanche, quelques mois après la création de l’école secondaire, l’architecte Pierre Rousseau (1751-1829) prévit à son usage de vastes espaces. Selon les plans qu’il dessina en mars 1808 pour l’achèvement de l’hôtel-Dieu, la majeure partie de la moitié occidentale du corps de bâtiment nord aurait dû être affectée à l’école. Dans le sous-sol semi-enterré devaient se trouver un « dépôt des morts » et une « pièce pour le service des cours d’anatomie », et au rez-de-chaussée une « salle pour les cours de médecine », une « salle de dissection » et un amphithéâtre14. Les plans de Rousseau ne furent que partiellement exécutés, la moitié occidentale du corps de bâtiment nord resta ainsi à l’état de projet.
Sans doute à partir du début des années 1820, les professeurs et les étudiants disposèrent de quelques pièces dispersées. Les deux plus importantes se situaient dans le corps de bâtiment nord : un grand bureau placé au-dessus du vestibule de l’entrée principale et un amphithéâtre de plan rectangulaire adossé à l’ouest du même vestibule15. Selon un médecin, qui se remémorait son entrée à l’école en 1842, ces installations étaient d’une « simplicité par trop rudimentaire. […] Une grande salle, pavée et sans plafond, située au-dessus de la porte cochère […] servait pour tous les cours, sauf celui d’anatomie et de clinique. On y trouvait une grande et une petite table, un banc de bois, des chaises, un tableau noir, une cheminée en pierre et un poêle. Les professeurs de matière médicale, de pharmacie et d’histoire naturelle y apportaient quelques échantillons, tandis que les professeurs de physique et de chimie fonctionnaient avec un outillage des plus simples, qu’ils devaient ensuite enlever ou dissimuler bien qu’ils n’eussent là ni placards ni armoires, parce que la salle servait aussi à la réunion de la commission administrative [des hospices] quand elle devait procéder à quelques adjudications […]. On avait installé dans le sous-sol un amphithéâtre pourvu de gradins, et accompagné d’un cabinet pour le préparateur des cours et le chef des travaux anatomiques. Les dissections se faisaient dans une baraque située dans le jardin et entourée d’arbres qui en dissimulaient la vue »16. L’amphithéâtre, aménagé vers 1825-1830, n’avait rien de monumental. En 1855, il était décrit comme étant « dans un très mauvais état, très obscur et totalement insuffisant »17.
La même année, la municipalité et les hospices de Clermont-Ferrand réunirent enfin les fonds nécessaires à l’achèvement de l’aile nord de l’hôtel-Dieu18. Par son legs de 40 000 francs, Jacques Hugaly-Meyrand apporta une contribution décisive19. Le projet prévoyait de doubler l’aile vers l’ouest, à partir du vestibule d’entrée. Comme Rousseau l’avait imaginé en 1808, la nouvelle partie fut affectée à l’école de médecine. L’architecte Hugues Imbert (1807-1876) dessina les plans et dirigea les travaux. Les locaux furent inaugurés en juillet 1859. Ils comportaient trois niveaux reliés par un escalier principal à volées courbes. La distribution était de type « double avec couloir ». Le sous-sol semi-enterré comportait principalement un amphithéâtre pour les cours d’anatomie et de médecine. Le rez-de-chaussée renfermait des bureaux, une bibliothèque et la salle des actes. Au premier étage se trouvaient un amphithéâtre pour les cours de chimie, physique et histoire naturelle, des laboratoires et des salles de professeurs20.
Un nouveau bâtiment pour une nouvelle faculté
Au fil des décennies, pour répondre aux changements statutaires et aux progrès scientifiques, les installations de l’école au sein de l’hôtel-Dieu furent régulièrement rénovées21. Mais à la fin des années 1930, l’augmentation des effectifs estudiantins entraîna leur saturation. Après la Libération, le maire de Clermont-Ferrand Gabriel Montpied (1903-1991) comprit l’urgente nécessité de construire une nouveau bâtiment. Un rapport22 fut approuvé par le conseil municipal du 30 décembre 1948. Il s’agissait de doter l’école « de tous les aménagements convenant à un enseignement largement dispensé suivant les méthodes les plus modernes ». Un « vaste immeuble » allait regrouper « les amphithéâtres de cours, les salles de travaux pratiques et théoriques […], les locaux d’administration, bibliothèque, secrétariat, bureau du doyen, ainsi qu’un auditorium pour les grandes réunions universitaires publiques ». L’édifice s’élèverait à côté de l’école existante, dans l’enclos de l’hôtel-Dieu, en bordure de la rue Lagarlaye et du boulevard Gergovia23. Il permettrait de « doter le centre universitaire de Clermont d’un nouvel établissement ». L’opération présentait en outre l’intérêt, « à l’heure où le chômage dev[enait] menaçant, d’occuper de nombreux ouvriers dans plusieurs corps de métiers ».
Le projet fut estimé à 110 millions de francs. La commune sollicita les collectivités territoriales et l’État pour le cofinancer. Le ministère de l’Éducation nationale refusa toute participation en raison du caractère uniquement municipal de l’école24. Gabriel Montpied fit remarquer l’incohérence de cette position. Le ministère ne voulait pas accorder le statut de faculté en raison de l’insuffisance des locaux, et cependant il ne contribuait pas à l’édification d’un bâtiment qui résoudrait le problème ! Fort heureusement, le Conseil général du Puy-de-Dôme accepta de supporter 60 % de la dépense, le reste demeura à la charge de la ville.
Comme l’atteste la délibération du conseil municipal du 30 décembre 1948, le « projet de construction » était déjà prêt à cette date. Il avait été étudié « sous la direction de M. Albéric Aubert, architecte des hospices ». D’autres documents mentionnent, aux côtés d’Aubert, l’architecte René Delayre. Enfin, sur les plans conservés aux archives municipales de Clermont-Ferrand (dessins datés de mai 1948), le nom de l’architecte Marcel Depailler figure sous ceux d’Aubert et de Delayre. La signature des plans de la nouvelle école fit l’objet d’un accord entre les trois hommes. En tant qu’architecte des hospices, Albéric Aubert (1895-1971) participait « de droit » à l’opération puisque le bâtiment devait être implanté sur un terrain appartenant à cette institution. René Delayre (1924-1969) collabora avec lui dans des conditions restant à préciser. Âgé de 23 ans en 1947, depuis peu diplômé, il travaillait « au service de l’urbanisme de Clermont-Ferrand ». Son association avec Aubert semble avoir été assez brève car il œuvra bientôt à Lorient. Enfin, la présence de Marcel Depailler (1902-1978) répondait très probablement à une logique administrative : il était directeur général de l’architecture de la ville de Clermont-Ferrand et avait donc la charge de l’entretien et de la construction des bâtiments communaux. Puisque la ville était maître d’ouvrage de l’opération, il fallait bien que le nom de son directeur général de l’architecture fût inscrit sur les plans.
Le nom de Marcel Depailler n’apparaît quasiment jamais sur les documents relatifs à cette opération, tandis que celui de René Delayre est rarement présent. En revanche, toutes les pièces qui concernent la conception du bâtiment, la préparation des marchés, l’exécution du chantier, la réception des travaux, etc., portent la signature d’Aubert25. Une convention signée le 24 janvier 1950 par Gabriel Montpied et Albéric Aubert ne laisse guère de doutes : « Monsieur Aubert […] est chargé de l’élaboration des plans, de la direction, surveillance et vérification des travaux pour la nouvelle école de plein exercice de médecine et de pharmacie »26. L’édifice doit donc bien être attribué à Albéric Aubert, avec la collaboration de René Delayre pour l’étude du projet. De toute évidence, le rôle de Marcel Depailler était resté très limité27.
L’adjudication des principaux marchés se déroula le 3 octobre 1949. Le chantier débuta en janvier 1950 par la destruction de trois petits bâtiments vétustes le long de la rue Lagarlaye (ils abritaient la salle d’anatomie, un amphithéâtre et les laboratoires d’anatomie pathologique). Peu à peu, la société Berry-Travaux, qui avait remporté les lots « terrassements, maçonnerie et béton armé », ne put tenir ses engagements. Elle fit faillite en janvier 1952. L’entreprise vichyssoise Chaumény accepta de prendre le relais et le chantier se poursuivit normalement. Les difficultés économiques de l’après-guerre eurent de lourdes incidences. Les prix des matériaux connurent des hausses importantes (de 15 à 112 % selon les corps de métiers). Le bâtiment coûta finalement 187,5 millions de francs28.
L’inauguration se déroula le 7 mai 1954, en présence notamment d’André Marie, ministre de l’Éducation nationale, et du docteur Pierre Luton, le très actif directeur de l’école de médecine clermontoise. Les efforts consentis produisirent leur effet : la loi du 3 mars 1954 transforma l’école en faculté mixte de médecine et de pharmacie29.
La faculté ne resta que treize années dans ces locaux. Au début des années 1960, l’État engagea un plan national pour le développement de l’enseignement supérieur. Clermont-Ferrand s’enrichit ainsi de plusieurs grands édifices universitaires, dont une nouvelle faculté mixte de médecine et de pharmacie située sur le plateau Saint-Jacques, à côté du centre hospitalier universitaire en construction. Conçu en 1960-1961 par l’architecte parisien Jean-Baptiste Mathon (1893-1971), ce bâtiment assez colossal fut inauguré le 13 octobre 1967 par Georges Pompidou.
À la suite du déménagement de ses premiers occupants, le bâtiment achevé en 1954 accueillit l’école dentaire municipale30. Avec les évolutions statutaires de cette école, il prit le nom de « faculté de chirurgie dentaire ». En 1991-1993, ses espaces intérieurs subirent de profondes modifications et une surélévation partielle vitrée changea son aspect extérieur31. En 2014, l’Unité de formation et de recherche d’odontologie quitta les lieux. Une nouvelle campagne de lourds travaux vient de se terminer32, avec notamment une refonte complète de l’intérieur et l’extension du niveau ajouté en 1991-1993. Depuis novembre 2015, l’ancienne faculté mixte de médecine et de pharmacie abrite l’école universitaire de management de l’université d’Auvergne.
La faculté dans son état de 1954
Le bâtiment possède un plan en « L » orienté est-ouest. Dans ses plus grandes dimensions, il mesure environ 84,5 mètres d’est en ouest et 34 mètres du nord au sud. Il est clairement articulé en trois corps. À l’ouest, un premier corps orienté nord-sud accueille essentiellement un grand vestibule, un auditorium et une bibliothèque. Le deuxième corps, plus long et orienté est-ouest, comporte surtout des salles d’enseignement et des laboratoires. Enfin à l’est, le dernier corps – plus court et orienté nord-sud – est occupé par quatre amphithéâtres (deux d’une capacité de 210 places, deux de 130 places). Les amphithéâtres se situent ainsi au centre de l’ensemble formé par les anciens et les nouveaux locaux d’enseignement. Ils sont complétés par deux amphithéâtres circulaires pour la physiologie et la médecine légale et opératoire (autopsie), lesquels se trouvent à l’ouest de l’aile médiane.
Par son implantation au flanc de la butte de Clermont et les larges dégagements qui l’entourent de trois côtés, le bâtiment jouit d’une belle situation. Avec l’édifice de l’hôtel-Dieu et la polyclinique voisine, il constitue une composition urbaine élaborée. La parcelle est ceinte au nord et à l’ouest d’un mur bas surmonté d’une grille. Au nord, jusqu’à l’angle de la rue Lagarlaye, la grille reproduit le dessin de celle forgée en 1930 pour la clôture de la polyclinique. L’entrée principale ouvre au nord. Elle comporte une porte cochère et deux portes piétonnes sans couvrement pourvues de fermetures en métal. Le ferronnier clermontois Georges Bernardin (1894-1974) a exécuté l’ensemble de ces ouvrages33.
La volumétrie du bâtiment est essentiellement parallélépipédique, d’autant que des toits-terrasses couvrent les trois corps. Toutefois, l’extrémité nord de l’aile des amphithéâtres suit un plan en demi-cercle, tandis que l’élévation sud de l’aile ouest présente un avant-corps aveugle convexe. La pente assez prononcée du terrain a permis d’étager les volumes de l’ouest à l’est. Le corps ouest est placé en contrebas du corps médian, lui-même dominé par le corps oriental. Cette gradation génère une bonne insertion dans le site. Elle confère aux trois corps des rapports de proportion harmonieux.
La façade principale, au nord, profite pleinement de ce parti : elle affirme sa monumentalité sans pour autant paraître écrasante. La cour et le jardin engazonné qui la séparent du boulevard contribuent aussi à la mettre en perspective. Mais c’est surtout sa composition asymétrique et équilibrée qui la rend remarquable. Un grand porche se trouve à gauche de l’élévation, dans le prolongement de l’axe de symétrie longitudinal du corps médian. Il possède trois hauts piliers en béton armé portant un entablement. Un degré demi-rectangulaire en pierres de Volvic conduit au seuil. Les trois portes sont surmontées par de hautes baies rectangulaires. Le porche forme un avant-corps par rapport à l’extrémité gauche de l’élévation. En revanche, les deux-tiers droits de la façade sont au même alignement que le porche. Cette partie comporte sept travées encadrées par deux pans de murs aveugles. Par leurs dimensions et leur disposition, ces travées reproduisent le rythme des baies du porche. Mais elles sont percées de deux rangées de hautes fenêtres, celles du bas éclairant l’auditorium, celles du haut correspondant au niveau de la bibliothèque ainsi qu’à deux étages partiels. La division supplémentaire créée par les deux étages partiels n’est donc pas exprimée en façade, ce qui a renforcé l’unité de la composition. L’entablement contribue fortement à la prestance de l’élévation. L’architrave et la corniche, précisément délimitées par quelques moulures, contrebalancent les verticales des piliers et des travées. Des éléments architecturaux secondaires viennent en complément, notamment les chambranles saillants et les morceaux d’entablement qui soulignent les baies. Le décor n’est pas totalement absent puisque des feuilles et des chevrons en bas-relief agrémentent les architraves des morceaux d’entablement.
La façade sud de l’aile ouest présente, de part et d’autre de l’avant-corps convexe, des baies carrées à chambranles saillants. L’élévation orientale de cette aile reprend les dispositions de la partie droite de l’élévation occidentale. Les façades des autres corps s’avèrent plus sobres. Leur expression très régulière résulte de l’alignement et du rythme serré des nombreuses fenêtres. Des gargouilles cylindriques ou « en livre ouvert » apportent une touche de fantaisie.
Tous les murs des élévations sont porteurs. Une maçonnerie de moellons en pierre de Volvic a été adoptée pour les murs du vide-sanitaire qui s’étend sous le bâtiment. Le soubassement de la façade principale est habillé de grandes plaques de la même pierre. Hormis cet habillage, toutes les élévations sont de couleur blanc cassé. Elles présentent un revêtement similaire à un grand appareil régulier à larges joints creux. Il ne s’agit pourtant pas de pierres de taille, mais de dalles préfabriquées en béton vibré qui ont été posées selon la technique du coffrage perdu (le béton des murs a été coulé entre les dalles placées en parement et un coffrage traditionnel). Le sable employé pour les dalles est blanc, exempt de grains de basalte ou de pouzzolane noire, et de deux granulométries différentes, une fine et une légèrement plus grosse mélangées. Le ciment a été sélectionné pour son ton très clair. Un décapage au jet de sable de la face vue des dalles a permis d’enlever la couche superficielle de ciment et donc de faire ressortir les grains de sable. Des dalles spéciales ont été fabriquées pour les piédroits, les linteaux, les retours d’angle et les parois courbes34.
En raison de la dénivellation, l’organisation des niveaux habitables s’avère un peu complexe. L’aile occidentale possède de un à trois niveaux. Le rez-de-chaussée surélevé renferme au nord le grand vestibule (qui occupe toute la hauteur de l’aile) et au sud l’auditorium. Le premier étage, au-dessus de l’auditorium, abrite des salles et la bibliothèque. Un second étage partiel (réservé aux archives) surmonte les salles du premier, tandis que la bibliothèque dispose de toute la hauteur comprise entre le sol du premier étage et la dalle de couverture.
Dans la continuité de la mise en scène de l’entrée principale, le grand vestibule possède un caractère monumental. La composition de ce haut et vaste espace reprend le jeu d’asymétrie équilibrée de la façade ouest. Huit piliers sont disposés en « L ». Six d’entre eux (ceux placés aux extrémités étant jumelés) délimitent, face aux portes d’entrée, trois larges travées accostées de deux travées plus étroites. Deux autres, du côté sud, structurent une travée rythmique. Celle-ci est percée au rez-de-chaussée par les accès à l’auditorium. Du côté nord se développe un large escalier en rez-de-chaussée, tournant à droite, à trois volées droites. Il conduit à une tribune de plan en « U » ouverte sur le vestibule, laquelle dessert le premier étage des ailes occidentale et médiane. La rampe d’appui de l’escalier et la balustrade de la tribune sont constituées d’éléments en ciment moulé de couleur ocre clair. En contraste, des dalles de granito noir habillent les piliers35.
Les deux autres corps de bâtiment présentent quatre niveaux visibles. Le rez-de-chaussée de l’aile médiane est accessible depuis le grand vestibule en gravissant quelques marches, mais il devient semi-enterré dans sa partie orientale. Le deuxième niveau de l’aile médiane forme à l’ouest le premier étage et à l’est un rez-de-chaussée de plain-pied. Il est d’ailleurs appelé « 2e rez-de-chaussée » sur les plans originaux. Au-dessus de ce niveau, l’aile médiane compte deux étages, et l’aile orientale de deux à trois (les volumes des amphithéâtres occupent la hauteur de deux niveaux). Des couloirs longitudinaux est-ouest distribuent les ailes médiane et orientale. Les salles et les laboratoires sont disposés de part et d’autre. Deux escaliers rampe-sur-rampe placés au sud-est de l’aile médiane et sud-ouest de l’aile ouest relient tous les niveaux. Un ascenseur est situé au nord-ouest de l’aile médiane.
Les dalles des planchers sont renforcées par des poutres en béton armé préfabriquées. Ces dernières reposent sur les murs de façades porteurs et sur une ligne de poteaux en béton armé placée suivant l’axe de symétrie longitudinal est-ouest. L’entraxe entre deux poteaux mesure 150 centimètres. Cette dimension et ses subdivisions ont été utilisées pour standardiser au maximum les éléments de construction. Grâce à sa structure en béton armé, le bâtiment possède de grands plateaux techniques débarrassés de tous points porteurs. Les cloisons intérieures, constituées d’une ossature en pin et de plaques d’agglomérés (Duorelit), sont démontables et modulaires. Les architectes ont voulu ainsi « permettre les transformations que peuvent exiger les progrès de la science dans la disposition des locaux, sans entraîner de dépenses ni d’entraves dans le fonctionnement de ces services lorsque ces transformations seront demandées »36.
Une expression convaincante
Par son langage architectural, la faculté mixte de médecine et de pharmacie s’inscrit entre le Classicisme moderne et le Modernisme tempéré. Ces deux tendances stylistiques, qui émergèrent entre 1910 et 1930, furent largement employées jusqu’au milieu des années 1960. Elles marquèrent particulièrement la seconde reconstruction. L’unité générale du bâtiment inauguré en 1954, les proportions des volumes, le dialogue harmonieux des lignes verticales et horizontales, la sobre monumentalité des « colonnades » du porche et du vestibule, l’entablement de l’aile ouest, etc., sont autant de caractéristiques qui renvoient à la grammaire et au vocabulaire du Classicisme moderne (un classicisme expurgé de tout historicisme). L’asymétrie dynamique et équilibrée du plan d’ensemble, de la façade principale et du vestibule, les volumes très sobres et géométrisés, les longs bandeaux constitués par le rythme serré des fenêtres appartiennent davantage au Modernisme tempéré (c’est-à-dire dépourvu des « outrances avant-gardistes »). Les trois principaux édifices publics construits par Albéric Aubert dans la région clermontoise après 1948 jouent avec cet « entre-deux » : le centre de protection infantile (Romagnat, 1953-1959), l’extension de la faculté des Sciences (Clermont-Ferrand, angle de l’avenue Carnot et de la rue Paul-Collomp, 1954-1956, surélevée en 1960-1961) et le lycée Roger-Claustre (Clermont-Ferrand, rue du Docteur Hospital, André Vital Blanc architecte associé, 1955-1959).
La faculté appartient à son époque, celle de l’immédiat après-guerre et de ses difficultés économiques, par une autre caractéristique importante. Le bâtiment fut spécialement étudié pour obtenir « l’abaissement maximum des prix de revient et [la] diminution des délais d’exécution »37. La standardisation de nombreux éléments architecturaux et leur production en série répondaient à cet objectif. De même, la technique des dalles de revêtement posées « en coffrage perdu » s’inscrivait dans les nombreuses expériences menées en ce domaine sur les chantiers de la seconde reconstruction. Elle est très similaire à la « pierre banchée » mise en œuvre par le célèbre architecte Fernand Pouillon, par exemple pour les immeubles de La Tourette à Marseille (1948-1953).
Parmi les qualités les plus évidentes de l’architecture de la faculté, il convient d’insister sur l’inscription du plan dans la composition urbaine, l’insertion des volumes dans le site, l’unité d’ensemble des élévations, la monumentalité dépourvue de lourdeur de la façade principale. La récente campagne de travaux a profondément modifié ces quatre aspects. Désormais, des cages d’escalier de secours s’élèvent le long de la façade nord, des ascenseurs pour les personnes à mobilité réduite se trouvent devant le perron et dans le vestibule, un étage supplémentaire règne sur l’aile médiane et domine de son long encorbellement la façade principale. Par leur mode de construction et leur insertion dans l’existant sans destruction majeure, ces divers appendices présentent néanmoins l’avantage d’être réversibles.
Christophe LAURENT, historien de l'architecture, mai 2016
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-