1_Le contexte institutionnel : réseaux de communication et transformation des mobilités
La mobilité est une compétence et une priorité d’action pour la Région. Ainsi, la feuille de route « Mobilités Positives 2035 » se penche sur les problématiques de « décarbonation, d’aménagement du territoire et de solutions de mobilités adaptées à chaque usager1». La canalisation des flux et la projection urbaine d’infrastructures liées à l’évolution des modes de mobilité n’est pas une préoccupation nouvelle. Le service de l’Inventaire général du patrimoine culturel, « qui a pour vocation de donner une épaisseur historique au territoire afin de mieux en comprendre le façonnage2 », peut, en appliquant sa méthode à un terrain spécifiquement concerné par le développement de la mobilité, participer à la réflexion concernant l’aménagement des axes de circulations. Auparavant, l’étude menée sur la desserte ferroviaire des villes en Auvergne a montré comment l’apport de ce moyen de transport avait joué sur l’aménagement urbain. Ainsi, il convient d’approfondir la question du lien entre aménagement urbain et établissement de grandes voies de communication.
La thématique de la mobilité est également au cœur des préoccupations des collectivités (ville de Clermont-Ferrand, Clermont Auvergne Métropole). Les cœurs de ville sont pleinement entrés dans une dynamique de développement des mobilités douces : piétonisation des centres urbains, offre de transports en commun, création de pistes cyclables... Ce mouvement se double d’une politique de patrimonialisation des centres-villes : un Secteur de patrimoine remarquable est en cours d’étude dans les quartiers anciens du centre de Clermont (à l’exclusion de Montferrand déjà doté d’un Secteur sauvegardé approuvé en 1997). En revanche et a contrario, quelle place donner au patrimoine des rives de boulevards de ceinture, participant par définition au périmètre de bordure des centres-villes et plus directement orientés vers le parcours rapide que vers la contemplation pittoresque ? L’environnement urbain qu’ils irriguent peut sembler relativement mal qualifié : est-on à la lisière du centre-ville, déjà dans les faubourgs, voire en limite de zone périurbaine ? L’un des plans du document de présentation du PLU de la ville de Clermont-Ferrand3inclut ces boulevards de ceinture dans une zone qualifiée de « tissus résidentiels denses, faubourgs et collectifs » : c’est dire la variété de typologie urbaine qu’ils sont susceptibles de recéler.
La ville de Clermont-Ferrand, carrefour entre les routes menant de Paris au Languedoc et de Lyon à Bordeaux, s’est dotée, entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècle, d’une ceinture de boulevards permettant aux grandes voies de circulation d’éviter de traverser une ville à la topographie accidentée. Ces boulevards se sont montrés capables de canaliser le flux automobile dans des proportions inimaginables lors de leur création. Cependant, une remise en question majeure de la place de la voiture dans les agglomérations pourrait à nouveau modifier leur usage4. Le livret 3 « Orientation d’aménagement et de programmation » du Plan local d’urbanisme de Clermont-Ferrand approuvé le 04 novembre 2016 veut appliquer une simplification du « schéma de circulation sur les boulevards de ceinture et proposer un traitement de l’espace public commun à l’ensemble des boulevards afin de mettre en valeur leurs qualités patrimoniales (alignements remarquables, architectures caractéristiques) ». Il propose également de « mettre en valeur les portes du centre-ville de Clermont-Ferrand par des aménagements qualitatifs (programme d’embellissement, plantations sur l’espace public) » Ce programme s’accompagne d’un plan mettant en avant la ceinture des boulevards et les ponctuant de portes d’entrée5.
Dans ce contexte, il paraît nécessaire d’avoir une bonne connaissance de l’histoire et du développement de ces boulevards, de leur rôle de passeur entre les différents axes de pénétration dans la ville que sont les portes. Le périmètre de l’étude se concentre sur ce tracé des boulevards et sur les parcelles urbaines qu’ils percutent. Elle s’inscrit dans une démarche de complémentarité d’études thématiques qui incluent une partie du territoire urbain clermontois (Les villes en Auvergne, L’inclusion urbaine des lycées par Bénédicte Renaud-Morand, Le patrimoine de Michelin par Brigitte Ceroni).
Cette étude s’inscrit également en complémentarité scientifique du projet d’établissement d’un Secteur patrimoine remarquable (SPR) sur le secteur historique de la butte s’étendant à une partie des rives des boulevards Lavoisier, Jean-Baptiste Dumas et Duclaux, englobant le boulevard Fleury, l’avenue d’Italie et le secteur de la place des Carmes.
Cette étude produira des données normées issues du dépouillement des archives et des fiches de repérage sur le terrain. Répondant à une observation systématiquement enregistrée, certaines des données pourront être partagées pour alimenter des SIG, mis à disposition des aménageurs ou du public.
2_L’étude : une approche topographique
a) les enjeux scientifiques : une inscription dans les études urbaines
Cette étude s’inscrit dans le courant de recherches sur les voies de communication entamées par l’Inventaire depuis une dizaine d’année : les points de franchissement du Rhône (2010), les canaux de Bourgogne (2014), les lignes ferroviaire d’Auvergne (2015) poursuivie en Occitanie (2022) pour ne citer que quelques exemples. Ainsi le terrain peut être considéré à l’échelle d’une bande de territoire formant les rives d’un axe de communication (3 km de part et d’autre de la Saône en Franche-Comté par exemple) et le regard être orienté par un fonds documentaire spécifique (les guides touristiques pour le ferroviaire en Auvergne). Nous nous proposons d’appliquer une méthode inspirée de ces études : les parcelles riveraines des boulevards sont repérées, tant sur le plan de leur évolution morphologique, que sur celui de leur aménagement architectural et paysager.
L’objectif est de matérialiser le caractère collectif de la fabrique de la ville. « Questionner la fabrique de la ville, c’est focaliser l’attention sur des réalisation effectives, examiner plus attentivement non pas la ville faite ou à faire mais la ville en train de se faire »6. Ceci implique par conséquent une démarche s’inscrivant dans l’analyse de l’évolution d’un micro-territoire, celui du parcellaire délimité par l’action de l’ouverture de la voie, ainsi que la prise en compte de l’interaction des acteurs qui ont contribué à la production de ce que nous offre le terrain à l’heure actuelle. Michaël Darin souligne qu’il faut dissocier les percées effectuées dans les tissus anciens, avec phénomènes de réduction du nombre de parcelles (cas de Rouen), et les ouvertures effectuées en périphérie, avec phénomène inverse d’accroissement du nombre de parcelles (cas de Toulouse). Les boulevards de ceinture de Clermont s’inscrivent dans le second cas, qui correspond à la viabilisation de nouveaux secteurs urbains. Le phénomène essentiel est par conséquent celui du raccordement et du lotissement de parcelles à vocation agricole parfois très vastes. L’ouverture de ce système de voirie est dissociée de projets immobiliers et ne vise, d’après les délibérations municipales, qu’à une amélioration de la circulation. Alors, les édifices des rives ne comprennent aucun des équipements prestigieux qui font l’urbanité d’un secteur (grands magasins, salles de spectacle, banque, édifice public). Malgré leur rôle structurant à l’échelle de la ville, les boulevards de Clermont-Ferrand, dépourvus de l’harmonie monumentale des percées dites haussmanniennes, sont des « formes urbaines mineures », ils sont la matérialisation de la « combinaison d’actions des intervenants « d’en haut » et « d’en bas ». Délaissant la dichotomie verticale, il faut donc distinguer clairement le rôle des divers acteurs sociaux dont les intérêts et les moyens s’harmonisent parfois, mais se heurtent plus souvent. Autrement dit, c’est en insistant sur l’imbrication d’une multitude d’actions et d’une variété d’acteurs sociaux que l’histoire morphologique peut contribuer à la compréhension de l’évolution de cette œuvre collective fascinante qu’est la ville »7.
b) Le théâtre de la ville
L’observation de l’évolution de la morphologie parcellaire entre l’ouverture du boulevard et nos jours (fractionnement, stabilité de taille, agrandissement) apporte des éléments à la compréhension de son aménagement actuel qui s’avèreront sans doute particulièrement pertinents pour les installations industrielles et commerciales, religieuses ou les établissements publics. Concernant l’habitat, les préconisations d’alignement garantissent une certaine norme architecturale qui concourt à l’explication du paysage. Elles n’empêchent cependant que les propriétaires disposent d’une marge de liberté individuelle. « L’unité d’étude de l’espace urbain » considérée ici est une opération d’urbanisme définie comme « un aménagement de l’espace comprenant réseaux, parcellaire, équipement selon une planification pouvant inclure des contraintes architecturales » (Principes, méthode et conduite de l'Inventaire général, paragraphe sur les études urbaines). Néanmoins, le caractère concerté de l'édification des boulevards est à nuancer. Si certains secteurs sont dotés de "conditions architecturales imposées" (pour reprendre le titre d'un document d'archives concernant le quartier de la gare, conditions qui ne seront d’ailleurs que peu suivies), d'autres ne sont régis que par la législation des alignements voulant que la construction n’outrepasse ni la hauteur autorisée ni la ligne de devant de parcelle ; ainsi le recul peut jouer et rien n’oblige à l’alignement des façades entre elles. Le paysage urbain peut difficilement être qualifié d’homogène. Cette hétérogénéité forme le contexte paysager par lequel certains éléments architecturaux ressortent soit par leurs qualités constructives propres, soit par leurs modes d’inclusion dans une séquence urbaine8. Les formes architecturales et l’implantation du bâti reflètent-elles la recherche d’une harmonie ou à l’inverse note-t-on la volonté de se distinguer, de se servir de l’architecture pour faire acte d’ostentation ? Au cours de l’évolution urbaine, lors de ce « renouvellement du théâtre de la rue9», on constate l’apparition de « fausses-notes »10 (héberges, murs aveugles…). Faut-il les interpréter comme la traduction d’initiatives constructives qui s’établissent sans aucun égard au contexte ou comme le fruit d’une contrainte topographique ? Ne peut-on pas également les voir comme une façon de s’imposer au paysage urbain, de se distinguer ?
Les propriétaires choisissent-il d’implanter la façade principale sur la voie, de disposer les pièces les plus prestigieuses vers cette voie, d’user de dispositifs spécifiques pour en souligner l’entrée ? Quel type d’architecture s’installe : sont-ce des villas de bord de ville11, des maisons secondaires de propriétaires du centre-ville dotant leur parcelle de jardin d’une habitation de loisir (voire de modestes « tonnes », appellation locale désignant la maison de jardin), ou bien sont-ce des immeubles de rapport, des édifices à vocation d’habitat principal voués à soulager l’accroissement de population pesant sur le centre-ville ?
Les questions évoquées ci-dessus suivent quatre fils thématiques : l’histoire de l’ouverture et de l’édification des boulevards de Clermont-Ferrand assortie d’une attention à l’évolution du paysage urbain ; l’histoire urbaine par observation de l’évolution morphologique des parcelles et du mode de lotissement aux abords des boulevards ; l’histoire architecturale au cours de laquelle la contrainte parcellaire et l’évolution des styles peuvent se lire comme des invariants parfois infléchis par des usages locaux (utilisation de la pierre de Volvic par exemple), principe de forme auquel on peut confronter la question de l’usage par une réflexion sur la typologie ; enfin synthèse de cet ensemble, la question du théâtre que constitue la ville se traduisant par la question qui anime le cœur des sorties sur le terrain : pourquoi un édifice est-il plus visible qu’un autre ? Qu’est-ce qui fait qu’un bâtiment capte le regard quand l’autre semble ne former qu’une toile de fond ? Ce questionnement s’impose d’autant plus que l’attention n’est pas uniquement captée par les « belles » architectures, l’esthétique n’étant là qu’un critère parmi d’autre. La question peut sembler naïve dans l’immédiateté du ressenti qu’elle reflète. Surtout, il pourrait nous être reproché de tomber dans un subjectivisme peu scientifique. Une part importante du travail consiste donc à objectiver ce phénomène de perception en dégageant des critères de visibilité des édifices.
c) Les modes d’approche et l’application de la méthode : une démarche topographique
Le repérage sur le terrain12 est exhaustif. Aucun critère a priori n’est appliqué qui amènerait à écarter un édifice : ni la date, ni l’état, ni les remaniements n’entraînent un défaut de prise en considération. La problématique de l’étude émane ainsi pleinement du terrain et évite d’inclure un postulat qui perturberait l’observation. Il ne s’agit pas de chercher le bâti originel bien conservé, le témoignage encore palpable d’une époque révolue13.
Les observations issues du dépouillement des archives14 et des sorties sur le terrain sont retranscrites en éléments objectifs qui permettent de départager les édifices faisant l’objet d’un dossier individuel. Les dossiers d’œuvres individuels sont déterminés en fonction de deux caractéristiques principales : leur richesse archivistique permettant de reconstituer un pan d’histoire de l’évolution urbaine et leur visibilité dans le paysage urbain (établi selon leur mode d’inclusion dans le bâti et selon leur qualité architecturale propre). Une exception est consentie toutefois : il a été décidé de rédiger systématiquement un dossier pour les œuvres, quelle que soit leur qualité, de l’architecte Valentin Vigneron, en raison du caractère emblématique que son œuvre possède dans la ville de Clermont-Ferrand. Chaque boulevard reçoit également un traitement en dossier individuel permettant de retranscrire les modalités d’ouverte et d’édification, et de décrire les séquences urbaines dont il est composé en s’arrêtant sur les ruptures de rythme qui peuvent être relevées.
Les éléments ne faisant pas l’objet d’un dossier individuel alimentent les dossiers collectifs dans lesquels nous tenteront d’affiner la typologie de l’habitat urbain de la fin du XIXe siècle à nos jours.
Des dossiers thématiques exploiteront des données à caractère urbain : les lotissements jouxtant les boulevards, le traitement des places et des carrefours des boulevards, l’évolution des parcelles industrielles et commerciales.
3_Les restitutions attendues
Comme pour toute étude d’Inventaire, la finalité naturelle réside dans les dossiers numériques réalisés sur notre logiciel métier (Gertrude) et consultables en ligne. L’articulation des dossiers entre eux doit refléter l’architecture de l’étude et nécessite d’être élaborée en parallèle du repérage. Les axes de réflexions seront restitués via des publications (articles pour le blog scientifique de l’Inventaire (Hypothèse.org) ou bien alimentant le site internet de l’Inventaire en cours de réfection et/ou des conférences.
Une publication donnera la synthèse des observations effectuées sur le terrain selon la trame des quatre fils de réflexion évoqués ci-dessus.
Le SIG à destination de partage permettra de regrouper des informations sur les édifices remarquables et peut servir de base à l’élaboration de parcours de visite par les professionnels du tourisme.
4_Calendrier, moyens scientifiques et techniques.
20% d’ETP du poste de responsable d’unité Inventaire général, Ressources ; photographe ; dessinatrice-cartographe
· 2022 : établissement du périmètre d’étude, rédaction de la première version du CSST, rassemblement de la documentation d’archives, établissement des fiches de repérage et test de ces fiches sur le terrain
· 2023 : Publication dossiers d’urgence. Repérage et dépouillement avenue d’Italie, boulevard Fleury et boulevard Cote-Blatin.
· 2024 : Publication avenue d’Italie, boulevard Fleury et boulevard Cote-Blatin.
· 2025 : Publication boulevards Jean-Jaurès, Aristide-Briand et Duclaux.
· 2026 : Publication boulevards Berthelot, Lavoisier et Jean-Baptiste Dumas.
· 2027 : Dossiers de synthèse et préparation de la publication papier
Conservatrice du patrimoine. Responsable de l'unité Ressources du Service Patrimoines et Inventaire général de la région Auvergne-Rhône-Alpes.