Jean-Baptiste Martin est l’exemple type de l’industriel paternaliste du XIXe siècle. Il a fondé l’une des plus importantes affaires de la Fabrique lyonnaise. La manufacture qu’il fait édifier à Tarare, est l’un des derniers bâtiments les plus représentatifs d’un mode social de travail révolu : l’internat industriel. Ce type d’organisation du travail fut très répandu dans la région Rhône-Alpes. La filature et le tissage sont ici par leur taille, par leur architecture, par la renommée de l’entreprise, le plus souvent cités dans la région, où ce mode social d’organisation du travail fut le plus répandu.
L’usine est construite de 1839 à 1843 par l’architecte Eugène Toussaint Cateland sur le modèle des manufactures en étage. Elle rassemblait une main-d’œuvre de jeunes filles âgées de 12 à 21 ans, logées et nourries à l’usine. 500 jeunes filles pauvres de tous pays sont confiées aux 22 sœurs de Saint-Joseph et à l’aumônier qui loge sur place. Après un essai d’un mois elles sont apprenties pour 3 ans, puis deviennent ouvrières et peuvent toujours donner leur congé. Le travail s’effectue sous le contrôle de contremaîtres et la surveillance morale par les sœurs. Celles-ci outre la direction des âmes, sont également comptables, économes, infirmières. Elles accordent des primes par ordre de mérite. Des oriflammes de couleurs indiquent les places les plus méritantes. Le travail est de 12 heures par jour, ponctuées de pauses pour les repas et les récréations. Faiblement rémunérées, les ouvrières se constituent une dot sous forme d’un compte épargne patronal. Leurs gains sont à peine les 2/3 de ceux des ouvriers, tandis que les apprenties gagnent environ la moitié d’un ouvrier. Du point de vue patronal, les revenus sont tels, que ce mode d’organisation s’étendit très largement.
L’usine est éclairée au gaz et des réservoirs d’eau sont répartis pour les lavages, l’hygiène et pour lutter contre les incendies. Une cuisine collective et une boulangerie complètent l’organisation, avec la chapelle et l’école. La chapelle, de 400 m², située au troisième étage du moulinage possède une charpente apparente polychrome, en séquoia, à poinçons pendants sculptés. A l’école, les leçons de lecture, d’écriture et de calcul sont dispensées dès la seconde année de présence. 600 métiers mécaniques fonctionnent au départ à l’énergie hydraulique puis, à partir de 1849, grâce à une machine à vapeur. Cet outil de travail s’étendra sous le Second Empire, notamment avec le travail de la peluche en 1862.
Le site de Tarare est inscrit au titre des Monuments Historiques depuis 1987. La protection porte sur le moulinage dans sa totalité et les écuries pour les façades et les toitures. Le tissage a été détruit en 1970. Seuls subsistent le moulinage, la maison de maître transformée en clinique et les écuries. Lesquelles offrent une architecture recherchée et un décor intéressant représentant une tête de cheval encadrée d’une moulure en forme de fer à cheval timbré dans la partie basse de la lettre « M » et surmontée de la date « 1844 ». Des traces du jardin d'agrément sont encore visibles. Des logements sociaux ont été construits dans le parc à côté des écuries. Le moulinage a été occupé, en partie, en location par une société d’import-export, et une partie réhabilité en logement social.
Photographe au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, site de Lyon