On nous adresse des observations au sujet de l'article sur les Bauges qui nous avait été communiqué dernièrement ; et que nous ayons cru devoir insérer à raison de l'intérêt que pouvaient offrir quelques détails sur cette vallée, mais en laissant, bien entendu à l'auteur toute sa responsabilité quant à leur exactitude. Voici ces observations, dont on nous demande l'insertion dans notre feuille :
Nous croyons qu'il est de l'intérêt de notre histoire nationale de ne pas laisser passer sous silence les erreurs que renferme l'article imprimé sous le titre de Vallée des Bauges, dans le numéro 108 du Courrier des Alpes ; nous nous faisons un devoir de les relever dans les lignes suivantes :
I. Le nom du pays des bauges ne fut jamais Boviliae. Aucun acte public ou particulier ne le cite sous cette dénomination. Le nom de Boggae, cité dans l'acte de fondation du prieuré de Bellevaux, de l'an 1090, pour désigner les Bauges, est sans contredît le plus ancien, et il est le vrai. De Boggae, on a dit Boges et Bauges. Plus tard et presque toujours, les documents nous font connaître le pays des Bauges sous le nom de Bovitiae, Bovitiarum, et dans une sentence du 3 juillet 1441, rendue par le conseil suprême de Chambéry contre les communiers de Jarsy en faveur des pères de Tamié à l'occasion de la montagne d'Orgival, que les premiers soutenaient leur appartenir, le pays des Bauges est signalé sous le nom de Baugiarum, et le duc de Savoie, au nom duquel la justice se rendait, est déclaré comte de Bauges, comes Baugiaci ; et plus bas, dans la même sentence, il est dit que la montagne d'Orgival est dans le mandement du Châtelard des Bauges, in mandamento Casteltarii Bovitiarum.
II. Les forêts sont presque anéanties dans les Bauges. Dieu préserve ce pays de grand incendie ! Dans les Hautes-Bauges, il n'en reste point ; car nous n'appelons pas forêts les bosquets d'Orgival, de Gontane, de Bellevaux et de la Compôte, voire même ce qui reste des bois de haute futaie dans la paroisse du Châtelard, Aillon-le-Vieux, la Motte, le Noyer, Charmillon où Saint-François-de-Sale, Lescheraines et Arith sont pauvres sous ce rapport. On ne voit plus dans ce pays des forêts que dans la combe de Lourden et à Margeriaz, paroisse d'Aillon-Ie-Jeune, et à Bellecombe.
III. Dire avec le préfet Verneilh que les usines considérables et les nombreux martinets des Bauges appartenaient a M.Armenjon du temps où ce personnage honorable et distingué exerçait au milieu de nous une administration bienfaisante et réparatrice, c'est avancer une assertion qui est loin de l'exactitude. La famille Armenjon n'a eu en propriété que les artifices de Villaret-Rouge, et cela pendant trois générations seulement. Les auteurs ou les créateurs de la civilisation industrielle dans les Bauges furent Dieu-le-fils, Jean Rosset, son frère, et Jean Arnaud, qui présentèrent au comte Amédée VIII une supplique tendant à obtenir la permission de construire des martinets. Le 14 juillet 1409, ce prince leur fit expédier des patentes pour la construction de ces martinets sur la rive gauche du nant d'Aillon, dans la Seigneurie de Villaret-Rouge, appartenant aux révérendes dames du Betton. Il leur accorda en même temps le droit d'exploiter les mines de fer qu'ils découvriraient dans les Bauges, et celui de l'usage du bois pour les coulées à prendre dans des forêts à quatre lieues de distance dans ce mandement. De là les nombreuses clouteries qui s'établirent dans les Bauges, notamment dans les communes d'Aillon et du Noyer. Noble Jean Vivard, dit Chevalier, maitre-auditeur de la chambre des Comptes de Savoie, ne tarda pas à suivre leur exemple, et, par patentes du 7 novembre 1429, le duc Amédée VIII lui accorda le droit d'établir les mêmes artifices sur le Chéran, au lieu appelé Ranfian. Les moulins, battoirs et autres artifices construits sur les deux rives de la même rivière dans la paroisse, de Lescheraines, sont l'ouvrage de Guillaume et de Barthélémy de Chabod, oncle et neveu, seigneurs de Jacob et de Villeneuve, près de Chambéry et co-seigneurs de Lescheraines. Les usines de Lacombe et de Lourden durent leur existence aux pères chartreux de ce lieu solitaire ; Celles de Carlet, paroisse de Jarsy, ont été construites par l'ordre des pères Bénédictins de Bellevaux. Le 23 février 1654, Louis fils de Sébastien Turinaz, venu de Javen en Piémont, passa bail avec le prieur commanditaire, pour construire les artifices, exploiter les forêts et faire les coulées.
IV. Nous ne pouvons convenir que la famille. Armenjon soit la plus ancienne famille des Bauges. Les Tollombert, divisés en deux branches, les Tollombert proprement dits et les Cathiard étaient dans les Bauges avant 1200. Les Salomon, les David, les Ferroud, les Durand, les Pelarin, divisés en familles des Borrel, Prallet, Andriveris, Jacquemoud, sont antérieurs aux premiers. Les Lévrier, surnommés Rochon, sont de l'époque de ces derniers. Les Duperier figurent dans les actes publics avant 1400. Les Aimonet paraissent depuis 1300, ainsi que les Gonthier, etc. Il n'en est pas ainsi de la famille Armenjon. Nous convenons avec plaisir qu'elle fut riche et hospitalière.
V. La paroisse seule du Charmillon ou de St-François-de-Sales fait des ustensiles en bois pour le commerce.
VI. Il y avait plus d'une famille féodale dans les Bauges, savoir :
1° Les nobles de Trépied, de Tripodibus, chez lesquels logeait saint François de Sales, lorsqu'il visitait les Bauges ; 2° Les de Charvet, dont le dernier rejeton, Charles, mourut dans son châleau de Jarsy ;
3° Les de la Compôte, dont Guy, qui resta en 1520, mourut dans son château de la Compote ;
4° Les du Châtelard, qui disparurent vers la fin du 15e siècle ;
5° Les de Cerise, de la Motte qui subsistent ;
6° Les d'Atilly , éteints depuis quatre siècles
7° Les d'Allèves, qui finirent en Jean II, vers 1415 ;
8° Les d'Arith, de Arico, s'éteignirent au Châlelard ;
9° La famille de Mollienna fit défaut dans un petit château qu'elle possédait à Montesibod, hameau de Bellecombe ; 10° Les d'Orlier, 3e branche, seigneurs du Cengle, paroisse d'AIlèves, et du château de Bressieux, habitèrent ce dernier manoir jusqu'en 1338, époque où ils vendirent ce château à François Arnbrosii de (Chambéry, dont les descendants firent séjour dans le même château jusqu'à Jean en qui périt cette branche mâle de sa famille en 1438. Sa sœur Antoinette, épouse de Guillaume de Seyssel, seigneur de Bordeau, habita ainsi que ses descendants jusqu'au 6 novembre 1543, le même château. C'est ce que fit encore après eux, sa famille Rovero-Gallier de St-Séverin, jusqu'en 1719, Les Ambrosii, branche cadette des précédents, seigneurs de la Charnée, habitaient on partie le château de ce nom, en partie Ie Châtelard, jusqu'à l'extinction de celle branche, vers l'an 1580. Les Chabod eux-mêmes, branche aînée, aimaient à passer quelques temps de l'année à Lescheraines. Pour la famille de Lescheraine, elle quitta les Bauges vers l'an 1370, époque où s'éteignit la noble famille des Allues, paroisse de St-Pierre-d'AIbigny ; alors François de Lescheraine, second du nom, reçut de Jean de Miolans l'inféodation du château des Allues,qu'elle a toujours habité jusqu'au 6 février 1742, jour où elle s'éteignit en la personne de Pierre-Louis. Le même château fut habité par les substitués Jacques de Coudre de Blancheville, et dame Gasparde de Lescheraine, son épouse ; Pierre-Louis, leur fils, et Antoine-Félix, leur petit-fils, mort sans postérité, en 1831, dans ce château des Allues. Non seulement au Châtelard, mais dans toutes les Bauges, et ailleurs, on conserve un souvenir reconnaissant envers l'ancienne famille de Lescheraines, et celle qui lui fut substituée, mais surtout envers le dernier personnage Antoine-Félix, qui aimait les Bauges et les Baujus, comme ses yeux.
Gaspard BONNEFOY, pr.,
Membre de la Commission Royale des Études Historiques, etc.
LÉON AYMONIER (1863-1934) PHARMACIEN AU CHÂTELARD
Léon Aymonier naît au Châtelard en1863. Il appartient à la lignée bourgeoise de cette famille, présente dans les Bauges depuis 1430. Sa mère tient un café dans le bourg, en complément d’un emploi à la poste ; son père est cultivateur. Son oncle, le commandant Étienne Aymonier, est administrateur en Asie du Sud-Est et spécialiste de la langue et de la culture cambodgiennes. C’est sans doute avec son soutien que Léon Aymonier entreprend des études de pharmacie à Grenoble, après son service militaire. Il obtient son diplôme en 1890. De retour au Châtelard après un stage à Paris, il achète en 1892 l’officine de Charles Gavard et épouse sa cousine germaine, Jeanne [...]. Quatre enfants naîtront, Paul (décédé en bas âge), Marthe, Paul et Marie-Louise.
UN PHOTOGRAPHE EN DEVENIR
La pratique amateur, si elle concerne un nombre croissant d’individus à la fin du 19e siècle, reste un hobby réservé à une élite sociale et culturelle. Léon Aymonier se livre à ses premières expériences photographiques dans les années1890. C’est peut-être auprès de Joseph Flandrin, son camarade d’internat à Grenoble et futur médecin accoucheur, que Léon Aymonier s’initie à la photographie. Les innovations techniques, en particulier la mise au point du gélatino-bromure d’argent au cours des années 1870, accélèrent la diffusion de cette pratique. La photographie n’est plus réservée aux seuls photographes professionnels, grâce à des temps de pose réduits et des appareils plus maniables. Faciles d’emploi et fabriqués industriellement, les négatifs sur plaques de verre sèches, prêts à l’emploi, ont la préférence de Léon Aymonier.
UN PHOTOGRAPHE EN MOYENNE MONTAGNE
Tantôt pharmacien, tantôt photographe, Léon Aymonier perfectionne sa pratique en consacrant à sa passion une partie importante de son temps. Il l’introduit dans les Bauges, espace rural de moyenne montagne. Si les photographes ambulants sillonnent les campagnes dès la fin du19e siècle, la majorité des studios professionnels est installée en ville, drainant une clientèle essentiellement urbaine. En l’absence de concurrent dans les Bauges, il improvise un studio photographique en plein air à proximité de son officine. Des années durant, se succèdent devant son objectif la population des Bauges dans sa diversité sociale et dans tous les âges de la vie.
Extrait de "Les Bauges de Léon Aymonier", Carnet de découverte des exposition, Exposition du Musée Savoisien, Chambéry, 2013.