Les questions que nous choisissons de soulever à l'étude de cet édifice sont celle de l'identité du maître d'oeuvre et surtout celle de l'implantation : que doit-on conclure du choix d'une telle proximité de la voie ferrée ?
En effet, l'identité du maître d'oeuvre de cette demeure n'est pas connue. Même si l'allure générale (un style Louis XIII, simplifié) et certains détails (comme les frontons interrompus des baies, les pointes de diamant) font penser au château de Chazeuil (Allier), que l'on doit à Jean-Bélisaire Moreau (1829-1899). Mais la pointe de diamant comme motif décoratif est également assez largement représentée par exemple dans les gravures de César Daly (voir ses propositions de villas suburbaines, publiées à partir de 1864). Barbara Vauvillé1, qui a tenté de recenser les châteaux des Moreau (Jean-Bélisaire, le père, et René, le fils), ne mentionne pas la villa Languille qui, certes ne comprend pas de domaine agricole et/ou forestier2 mais aurait pu être considérée comme une "maison en forme de château". Quant à Franck Delmiot, spécialiste de l'oeuvre des Moreau, consulté oralement, il n'exclut pas totalement une attribution à Jean-Bélisaire.
Une telle proximité avec la voie ferrée était-elle délibérément recherchée ?
Henriette Dussourd ne l'envisage absolument pas, tellement le chemin de fer est perçu comme une nuisance (déjà en 1962), puisqu'en annonçant que la maison était en cours d'achèvement dans les années 1885-1890, elle affirme que la parcelle aurait été traversée après coup par le chemin de fer (arrivé pourtant à Moulins en 1853 !). Le cas ne serait pourtant pas unique sur le territoire auvergnat puisque selon la mémoire familiale, Henri de Bonnafos, propriétaire du château de Viescamp (Cantal), au moment de la construction de la ligne Aurillac - Bergerac (1882-1891), aurait considéré comme une chance de bénéficier du spectacle du train.
D'autres cas de figure de ce type ont été repérés dans d'autres régions, en Île de France par exemple, tel Emile Zola, qui s'enthousiasmait du passage de la voie ferrée au bas de sa propriété de Médan, les photographies qu'il en a prises en témoignent. L'écrivain et journaliste Victor Fournel écrit en 1865 : "Pour rien au monde le vrai Parisien ne voudrait d'une maison de campagne d'où il n'entendrait pas le sifflet de la locomotive. En vous montrant son jardin, il vous dit avec orgueil : le chemin de fer passe à deux pas, j'entends tous les trains". Le train était en outre perçu par certains paysagistes tels que le comte de Choulot comme "un élément pittoresque d'animation dont la modernité permet de le positionner dans le paysage"3. Le rail était aussi un des motifs modernes de prédilection de certains peintres (en témoigne, par exemple,Train dans la campagne de Claude Monet, vers 1870, conservé au musée d'Orsay).
À Angers, la rive du chemin de fer est considérée comme un site important d'attraction de la villégiature : "Une première émancipation architecturale se manifeste dans les années 1850 le long de la voie de chemin de fer, qui dessine alors la limite sud de la ville" écrivent Dominique Lettelier et Olivier Biguet. Ils poursuivent : "Comme un cours d'eau, la tranchée du chemin de fer recèle un pouvoir d'évasion [...]"4.
Des enthousiastes du chemin de fer ont été identifiés dans l'Allier aussi, Annie Brossard et Didier Arrachart en ont repéré quelques uns5. Ne faudrait-il pas y ajouter la fratrie Languille ? Rien ne permet de l'affirmer directement mais on peut émettre l'hypothèse que le maître d'oeuvre avait reçu quelques instructions concernant l'orientation du balcon, ainsi que celle des pièces et de l'entrée principales, de manière à profiter au mieux du spectacle du chemin de fer.
Chercheure à l'Inventaire général du patrimoine culturel d'Auvergne-Rhône-Alpes.