1. HISTORIQUE
À Seyssel, le pont suspendu de 1838 était, dans les années 1960, devenu insuffisant. Il était nécessaire de construire un nouvel ouvrage sur le Rhône afin de relier l'Ain à la Savoie et de détourner la circulation du coeur de la ville (Bulletin Ponts métalliques, p. 73 et Travaux, p. 2 ; BROCARD, p. 85 ; MARREY, 1995, p. 257).
Le site choisi, à moins de 500 m en aval du pont suspendu, offrait au droit du franchissement une petite île séparant le Rhône en deux bras. Sur le bras principal, côté rive droite, il fallait pourvoir à la navigation (VIRLOGEUX, 1987, p. 131 ; Bulletin Ponts métalliques, p. 73 et Travaux, p. 2).
Un courrier du 21 août 1963, émanant du Service de la navigation et adressé à l´ingénieur en chef de l´Ain, fait mention de ce projet de nouveau pont. Il est indiqué que l'ouvrage doit être fait dans le cadre de la retenue du futur barrage de Chautagne (commune d'Anglefort) à construire par la Compagnie nationale du Rhône, à environ 5 km en aval ; que l´île - dont il est question - sera dérasée, ce qui permettra le passage de la navigation sous les arches. Il est souligné également que le lit du Rhône se trouve, dans cette section, stabilisé, du fait de la mise en service du barrage de Génissiat (depuis 1948).
À cette date (1963), c'est déjà le SCET (devenu Sétra) qui est chargé de l´étude de la construction du nouvel ouvrage (AD Rhône, 3959W 1744).
Au début de 1970, un pont provisoire de type Bailey, sur bateaux, est lancé sur le fleuve à l´aval de l´ouvrage suspendu (et en amont du futur pont), pendant les travaux de renforcement du pont suspendu et les études du nouveau pont (AD Rhône, idem ; BROCARD, p. 85).
Le Sétra (Service d'Etudes Techniques des Routes et Autoroutes, aujourd'hui Service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements) se voit confier par la Direction Départementale de l'Equipement de l'Ain, le maître d'oeuvre, l'établissement de l'avant-projet, avec la collaboration des architectes Alain Spielmann et Jean Berlottier, qui contrôlent le projet d'exécution (AD Ain, 494 W 6 ; VIRLOGEUX, 1987, p. 132 ; Bulletin Ponts métalliques, p. 73 ; Travaux, p. 2 ; BROCARD, p. 85 ; MARREY, 1995, p. 257 ; MARREY, 2004, p. 91 ; notice Structurae).
Michel Virlogeux et Gilles Lacoste, ingénieurs du Sétra, ont élaboré un petit pont à haubans à tablier en béton précontraint, dont la conception est fortement inspirée de la passerelle de l'Illhof dans le Bas-Rhin (Bulletin Ponts métalliques, p. 73 et Travaux, p. 2).
Pour éviter la construction par encorbellements successifs jugée trop coûteuse pour un petit pont, le tablier serait mis en place par poussage à l'aide d'appuis provisoires dans le fleuve. Le schéma de l'ouvrage était alors déterminé : un pylône central, en forme de "Y renversé", était implanté à la pointe de la petite île, et trois petites piles (pilettes), de même profil, divisaient la partie en rive gauche en quatre travées, servant d'appuis au lançage du tablier de ce côté.
Le tablier en béton léger était constitué de deux nervures latérales de 1,80 m de haut reliées par des entretoises et un hourdis mince.
Les haubans étaient arrimés sur des blocs d'ancrage de forme triangulaire placés latéralement contre les nervures et reliés entre eux par une longrine selon une disposition mise au point par l'entreprise Dragages et Travaux Publics (DTP), le Sétra et l'architecte Philippe Fraleu pour un projet de pont entre Cergy et Pontoise.
Les ancrages des haubans étaient placés sur la crête verticale du mât du pylône offrant un haubanage quasiment symétrique et élégant (Bulletin Ponts métalliques, p. 74-75 et Travaux, p. 2).
En octobre 1968, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) précise à l´ingénieur en chef des Ponts et Chaussées quant à l'avant-projet sommaire de construction du pont en béton précontraint, qu'il faut respecter des gabarits navigables, notamment un tirant d´air de 7 m sur le niveau des plus hautes eaux navigables, une ouverture libre de 60 m dans le cas d´une seule passe ou de deux fois 45 m dans le cas de deux passes (AD Rhône, 3959W 1744).
La solution de pont à haubans à tablier en béton précontraint du Sétra répondait à la nécessité de préserver la navigation sur le bras principal du Rhône.
Pour s'en convaincre les Conseils généraux de l'Ain et de la Haute-Savoie, les maîtres d'ouvrage, lancent alors l'appel d'offres pour la réalisation d'un pont à haubans, avec pylône projeté, sur le Rhône à Seyssel sous forme de concours (VIRLOGEUX, 1987, p. 131-132 ; Bulletin Ponts métalliques, p. 76 et Travaux, p. 2).
Au milieu des années 1980 (1984-85), le jury du concours retient le projet des entreprises Baudin Châteauneuf et Léon Grosse, à qui le marché est attribué sous réserve de certains changements (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification de l´ouvrage).
Les entreprises non retenues, à savoir Muller Frères, de Boulay en Moselle - cette dernière avait remis une offre en novembre 1984 -, Famy et GTM-Floriot se voient attribuer une prime de 50 000 F, leurs offres étant jugées intéressantes "du point de vue technique, esthétique et financier" (ibidem).
Baudin Châteauneuf avait présenté un pont à haubans en ossature mixte à deux poutres métalliques entretoisées sous une dalle de couverture en béton armé, selon un dessin d'Henri Bachelart reprenant les dispositions adoptées pour le pont de Saint-Florent-le-Viel (Maine-et-Loire). Les deux travées du pont proposé étaient séparées par un pylône en béton en forme de "A" (ou de "V renversé") qui concentrait les haubans à sa tête. Ce projet ne comportait pas de pilettes supplémentaires (Bulletin Ponts métalliques, p. 76 ; LACOSTE, p. 3 ; Travaux, p. 2-3).
Cette solution de pont en béton armé, qui constituait la réponse la moins chère à l'appel d'offres (Bulletin Ponts métalliques, p. 76 ; Travaux, p. 2 ; MARREY, 1995, p. 257 ; MARREY, 2004, p. 91), "se révéla un peu plus économique que les solutions en béton précontraint inspirées du projet du Sétra" (VIRLOGEUX, 1987, p. 132).
Cette proposition fut donc adoptée, sous réserve de modifications, comprenant notamment la réintégration de certaines dispositions ou formes élaborées dans le projet du Sétra : ainsi, le pylône en "Y renversé" et la répartition des ancrages sur la crête du mât (VIRLOGEUX, idem ; Bulletin Ponts métalliques, p. 76, 78 ; LACOSTE, p. 3 ; Travaux, p. 3 ; MARREY, 1995, p. 257 ; MARREY, 2004, p. 91).
Trois maquettes d'études furent réalisées : la solution de l'entreprise, cette même solution réadaptée par le Sétra, une dernière permettant d'étudier la possibilité de supprimer complètement les pilettes, déjà réduites au nombre de deux (cette suppression étaient souhaitée par les élus) (VIRLOGEUX, idem ; Bulletin Ponts métalliques, p. 78 et Travaux, p. 3-4).
"La volonté de conserver le mât en "Y renversé" du projet de base ne permettait d'adopter les autres modifications envisagées par l'entreprise qu'au prix d'une augmentation de l'épaisseur du mât qui l'aurait alourdi considérablement. Aussi, les dispositions du projet de base concernant les pilettes, le mât et le haubanage ont été maintenues" (LACOSTE, p. 3).
Les pilettes, finalement conservées, garantissaient un aspect structurel plus fin et donc plus élégant (Bulletin Ponts métalliques, p. 81 et Travaux, p. 4). Leur suppression aurait en effet entraîné la concentration des ancrages dans la tête du mât et donc l'augmentation des dimensions de ce dernier (VIRLOGEUX, idem).
Michel Fléchaire a proposé d'assurer l'ancrage des câbles sur le pylône à l'aide de barres transversales en acier ; quant aux ancrages inférieurs, suivant l'idée de Philippe Lecroq, les culots s'appuient sur des poutres transversales en caisson. Ces entretoises-caisson sont placées entre les entretoises du tablier et traversent l'âme des poutres longitudinales, ménageant des oreilles d'attache rectangulaires (Bulletin Ponts métalliques, p. 81, 83 et Travaux, p. 4).
Leur conception, concernant notamment la liaison des caissons d'ancrage - le siège des efforts les plus importants - aux poutres principales, a demandé plusieurs calculs aux éléments finis, qui ont été confiés à la SOCOTEC (Travaux, p. 7 et p. 9).
La construction de l'ouvrage est financée à parts égales par les départements de l'Ain et de la Haute Savoie, subventionnée par la Région et par l'État (BROCARD, p. 85).
Les sommes dues au titre de la reconstruction du pont de Pyrimont (détruit par fait de guerre en 1940), qui disposait d'un ouvrage provisoire, sont réorientées, avec l'accord du ministère de l´Intérieur, vers la construction du nouveau pont de Seyssel (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification).
Le chantier débute en 1985, en fin d'année selon Brocard (p. 85).
La construction et les étapes de construction de l'ouvrage sont détaillées dans les articles du Bulletin Ponts métalliques, p. 85 et suiv. et de Travaux, p. 10 et suiv. ; voir aussi LACOSTE, p. 2-3 :
Le pylône "a été construit par l'entreprise Léon Grosse par levées successives au moyen de coffrages grimpants, et à l'aide d'une passerelle de travail manoeuvrée par la grande grue à tour desservant le chantier". La principale difficulté résidait dans le placement des barres d'ancrage dans le coffrage. Pour cela, "Baudin Châteauneuf a construit par tronçons successifs un bâti métallique rigide auquel les barres d'ancrage ont été solidement attachées" ; la bonne mise en oeuvre de ces barres a été vérifiée.
La charpente métallique a été réalisée dans les ateliers Baudin à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret). 480 tonnes d'acier, produites par USINOR Dunkerque, ont été nécessaires pour sa confection (BROCARD, p. 85). Les tronçons de poutres ont été transportés par convois exceptionnels sur le chantier.
La charpente a été lancée en trois phases, correspondant aux trois tronçons principaux assemblés à terre. Un premier tronçon est lancé en rive gauche par poussage, en s'appuyant sur les pilettes. Une charpente provisoire et un mât auxiliaire de haubanage monté sur le tablier a permis la mise en place du second tronçon. Le dernier tronçon a été monté en rive droite et lancé par poussage, avec l'aide d'un appui provisoire implantée sur la berge (palée). Les deux derniers tronçons ont été soudés.
Les haubans, fabriqués dans l'usine Tecnor de Bourg-en-Bresse, ont été, avec leur ancrage, soumis à un essai de résistance à la fatigue par le passage simultané de deux camions de 30 tonnes. Brocard signale que, pour la première fois en France, un essai à la fatigue de l'ensemble du haubanage a été effectué au moyen d'une machine spécialement conçue (p. 85).
Les haubans mis en place ont subi une première phase de mise en tension.
Enfin, la dalle de couverture a été coulée sur des coffrages et la tension des haubans complétée.
L'ouvrage a été peint dans un camaïeu de bleus choisi par Jean Berlottier (VIRLOGEUX, 1987, p. 132 ; Bulletin Ponts métalliques, p. 94 et Travaux, p. 21).
En 1984-1985 avait été ouverte une enquête parcellaire étudiant le projet de déviation de la route départementale 992 (AD Rhône, 3959W 1744) destinée à desservir le nouveau pont. Parallèlement à la construction du pont, dans le courant de l'année 1986, de nombreuses actions sont menées pour cette opération (AD Ain, 219W 31).
Le nouveau pont de Seyssel est terminé en mars 1987 (MARREY, 1995, p. 257).
Le 10 juin suivant, on procédait aux essais de charge, effectués par le passage de six camions de 26 tonnes. La torsion du tablier est constatée assez limitée (Travaux, p. 17-18).
L'ouvrage est mis en circulation en juin (AD Ain, 494 W 6 ; LACOSTE, p. 3) ou en juillet selon les sources (le 1er juillet dans Travaux, p. 18 ; le 18 juillet 1987 selon BROCARD, p. 85).
Son coût total est estimé à 22,6 millions de F 1985 (BROCARD, p. 85-86).
En mars 1988, des dispositions de contreventement supplémentaires ont été mises en oeuvre. Au mois de juin suivant, les ancrages ont été injectés avec une résine polyuréthane souple afin d'amortir les vibrations (Travaux, p. 18-19).
Le pont a été inauguré le 3 septembre 1988 (voir légende de la Fig. 3).
Cette même année, l'ouvrage obtenait le prix du concours des plus beaux ouvrages de construction métallique catégorie ''ouvrages d'art'' (Site SCMF ; BROCARD, p. 86 ; MONTENS, p. 177).
La D.D.E. de l'Ain en assure toujours la surveillance et l'entretien (Site Sétra - Piles).
2. DESCRIPTION
Reliant l´Ain et la Haute Savoie, le nouveau pont de Seyssel franchit le Rhône à 450 m en aval du pont suspendu, à la pointe méridionale d'une petite île située au sud des deux bourgs dont l'ouvrage porte le nom.
Le pont de 220,60 m d'ouverture (218,50 de longueur totale : base CNR/Oasis) comporte quatre travées. Le pylône principal en forme de "Y renversé", qui culmine à près de 55 m de hauteur, délimite deux portées : une de 115 m côté Ain, en rive droite, et l'autre de 105,60 m côté Haute-Savoie, en rive gauche. De ce dernier côté, la portée est subdivisée par deux piles formant trois travées inégales de droite à gauche, respectivement de 30 m, 40 m et 35,60 m (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification ; LACOSTE, schéma p. 2 ; Travaux, p. 19 ; BROCARD, p. 85 ; MARREY, 1995, p. 257 ; MONTENS, p. 177 ; Site Sétra - Piles).
Le tablier présente une structure mixte acier - béton armé : il est constitué de deux poutres en acier hautes de 1,80 m (tablier bipoutre), entretoisées, portant une dalle de couverture en béton armé (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification ; Travaux, p. 19 ; BROCARD, p. 85 ; MONTENS, p. 177 ; notice Structurae ; Site Sétra - Piles).
Sur une largeur totale de 11 m, il offre 7,60 m de chaussée et deux trottoirs de 1,25 m (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification ; base CNR/Oasis ; Site Sétra - Piles)
Le tablier est supporté par deux culées et le pylône principal en béton armé. Sur ce dernier, il s'appuie sur deux consoles triangulaires en acier formant des excroissances du pylône.
Côté rive gauche, le tablier repose sur deux petites piles supplémentaires, dites pilettes, formant V, en béton également (LACOSTE, p. 2 ; Travaux, p. 4 ; BROCARD, p. 85).
Tous les appuis sont fondés sur pieux (AD Ain, 219 W 1 : Fiche d´identification).
Le tablier est soutenu également par dix-huit paires de haubans.
La suspension comporte trente-six haubans répartis en deux nappes de chaque côté du tablier (haubanage latéral en semi-éventail : Site Sétra - Piles) : on compte neuf paires de câbles porteurs de par et d'autre du pylône (LACOSTE, p. 2 ; Travaux, p. 19 ; BROCARD, p. 85).
Les haubans sont ancrés par échelonnement sur la partie verticale du pylône, le jambage du Y inversé, formant mât, avec des culots et des tirants. Latéralement, ils sont ancrés à l'extérieur des poutres du tablier, par l'intermédiaire de culots et de tiges relais, sur des caissons rectangulaires traversant l'âme des poutres (Bulletin Ponts métalliques, p. 81, 83 ; LACOSTE, p. 2 ; Travaux, p. 4 et p. 19 ; BROCARD, p. 85 ; Site Sétra - Piles).
Les câbles ancrés dans le tablier au niveau des deux pilettes et de la culée de rive gauche ont un rôle de retenue pour le pylône (LACOSTE, p. 2).
Les haubans sont constitués de câbles clos en acier, de 72 ou 88 mm de diamètre, selon leur taille. Ils se composent de fils ronds toronnés en couches successives, recouverts de deux couches de fils Z à pas inversés.
Les câbles sont traités contre la corrosion (galvanisation des fils, remplissage des vides par du polypropylène amorphe et application de trois couches de peinture) (Bulletin Ponts métalliques, p. 86 ; LACOSTE, p. 2 ; Travaux, p. 10 ; Site Sétra - Piles).
L'ouvrage est peint dans un camaïeu de bleus (Bulletin Ponts métalliques, p. 94 et Travaux, p. 21) : bleu sombre pour les poutres principales, bleu clair pour les haubans, leurs ancrages et les poutres en caisson transversales, bleu moyen pour les barrières de sécurité (VIRLOGEUX, 1987, p. 132).
Jean-Vincent Berlottier s’installe à Bourg-en-Bresse après des études d’architecture à Paris, un séjour en Côte d’Ivoire et un passage dans l’agence de Marcel Breuer à New York. (source : https://www.caue01.org/fr/portail/93/actualite/53638/jean-vincent-berlottier-convictions-architectures-et-ouvrages-dart-1967-2008.html)