1. Des hommages très utiles
2. Les panneaux et les tableaux de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand
Le couloir le plus « prestigieux » de l’édifice de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand abrite un ensemble de huit tableaux. Sur le premier d’entre eux est inscrite la liste chronologique des « Anciens hôpitaux de Clermont ». Les sept autres donnent une liste chronologique des « Noms des bienfaiteurs des hospices », de 1444 à 1952.
Des hommages très utiles
Du Moyen Âge au début de la seconde moitié du XXe siècle, les hospices et les hôpitaux français furent essentiellement, par leurs statuts, leurs missions et leurs modes de fonctionnement, des institutions charitables. Une part variable mais considérable de leur financement provenait d’aumônes, de dons, de legs, de rentes consentis par des particuliers1. Ces fonds servirent à créer des établissements, à construire ou rénover des bâtiments, à fonder un ou plusieurs lits, mais ils contribuaient aussi aux dépenses courantes de toutes natures.
Les administrateurs des hospices et hôpitaux ne pouvaient qu’encourager de telles pratiques. La dédicace d’un édifice ou l’installation de plaques commémoratives étaient un bon moyen de le faire. Elles permettaient d’honorer le fondateur d’un établissement ou les plus « importants » bienfaiteurs (l’importance étant bien sûr estimée selon la valeur vénale du don). L’hommage public, démonstratif et permanent ainsi rendu avait valeur d’exemple. En rappelant ces actions, l’on affirmait également la puissance d’une institution soutenue depuis longtemps et régulièrement par des personnalités. La démarche conduisait à l’autocélébration d’une classe de notables fortunés, mais capables de générosité pour des raisons pieuses ou philanthropiques.
Au moins dès le XVIe siècle, des inscriptions commémorèrent la fondation de nouveaux hôpitaux tout en glorifiant par la même occasion les fondateurs. Parmi d’autres, deux exemples en Auvergne illustrent cette pratique. Sur l’entablement du portail de l’ancien hôtel-Dieu Saint-Barthélemy de Clermont-Ferrand, établissement construit de 1562 à 1571, figure l’inscription latine suivante : « D(eo) O(ptimo) M(aximo) GUIL(lelmus) DUPRAT EPS(iscopus) CLAROMON(tensis) HAS AEDES CHRISTI PAUPERIB(ibus) AFUNDAMENt(is) CONSTRUENDAS TESTAMEN(to) CAVIT SCABIN(is) PROCUR(atoribus) MDLXVI » (« À Dieu le très Bon le très Grand, Guillaume Duprat, évêque de Clairmont, a décidé la construction de cet édifice pour les pauvres du Christ ; par son testament chargera les échevins de compléter son œuvre. 1566 »2. Le second exemple se trouve à Issoire, où un texte gravé en 1633 sur une plaque de cuivre relate la fondation de l’hôpital par les époux Ardier3.
L’usage d’honorer les bienfaiteurs des établissements hospitaliers par des inscriptions et des œuvres placées dans les édifices se répandit au XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle4. L’on recourut à des formes et des supports variés, notamment des portraits peints, des sculptures, et plus fréquemment des plaques commémoratives. Ces objets furent placés dans des lieux « stratégiques », souvent d’apparat, tels les espaces principaux de circulation, les chapelles, les salles de réunion des administrateurs et les bibliothèques.
Même si aucun recensement à l’échelle de la France ou d’une région n’a été réalisé, de nombreux exemples paraissent exister. Quelques-uns sont référencés sur les bases Internet du ministère de la Culture et sur celles de services régionaux de l’Inventaire. Ainsi à Orléans, dans la chapelle Saint-Charles, un monument funéraire érigé au début du XVIIIe siècle rend hommage à Claude Ursin, bienfaiteur de l’hôpital général. Dans l’hôtel-Dieu de Carpentras (édifié de 1750 à 1761), une galerie des « Donatifs » comporte 285 peintures sur toile avec des inscriptions commémoratives de dons datant de 1731 à 1930. La galerie du cloître de l’hôpital de Lyon abrite des « tables pour inscrire les noms des bienfaiteurs des hospices », tables qui donnent une liste de 1482 à 1932 et dont la première plaque fut exécutée en 1855. L’hôpital de Dourdan possède une plaque en marbre indiquant la liste des bienfaiteurs de 1681 à 1941. À Hyères, les noms inscrits sur quatre plaques en marbre blanc couvrent les années 1779 à 1945. Plus modeste, le « Tableau des bienfaiteurs de l’hospice de Laroquebrou » (Cantal), établi en 1900 et poursuivi jusqu’en 1948, fut rédigé sur papier5.
Les panneaux et les tableaux de l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand
En 1845, le docteur Auguste Peghoux, professeur à l’école de médecine de Clermont-Ferrand, rédigea un ouvrage essentiellement consacré à l’histoire des hôpitaux clermontois6. Il exposa de nouvelles connaissances sur les nombreux établissements hospitaliers créés dans la ville depuis le VIIe siècle. Il consacra 58 pages de son livre à une liste, classée par ordre alphabétique, des plus importants bienfaiteurs des hospices de Clermont-Ferrand. Quarante ans plus tard, ce travail servit de base pour l’exécution du tableau historique et des tableaux des bienfaiteurs situés dans le principal couloir de l’hôtel-Dieu.
Ces tableaux avaient cependant eu un précédent. En 1859, le vestibule de l’entrée principale de l’hôtel-Dieu avait été orné de quatre panneaux commémorant les actions de donateurs. Sur le mur de gauche, le premier panneau affirmait : « Massillon, il a institué les pauvres ses légataires universels » ; le second était dédié « à Mgr de Lagarlaye, les hospices reconnaissants ». Sur le mur de droite, l’inscription du premier panneau remerciait « Hugaly Meyrand, ses legs ont servi à la construction de l’école »7, celle du second panneau « la famille de Ribeyre, pour ses nombreuses libéralités ».
En 1886, à l’exemple de la mise en scène de ces panneaux dans un lieu très fréquenté, les administrateurs des hospices jetèrent leur dévolu sur la galerie qui, à partir de l’entrée principale, desservait le rez-de-chaussée de la moitié orientale du corps de bâtiment nord et le rez-de-chaussée du premier corps de bâtiment oriental, puis qui conduisait aux autres ailes de l’édifice. Ils firent placer un premier tableau à l’extrémité orientale de la première section de la galerie. En introduction, pour exposer la vénérable ancienneté de l’institution dont ils avaient la charge, les administrateurs consacrèrent ce panneau à l’énumération des « Anciens hôpitaux de Clermont » et de quelques établissements apparentés. Les sept autres tableaux furent disposés le long du mur oriental de la seconde section de la galerie. Ils reçurent la liste des « Noms des bienfaiteurs des hospices », classée chronologiquement à partir de l’année 1444.
Les tableaux (ainsi désignés pour se conformer à leur dénomination d’origine) sont solidaires des murs. Ils ont été répartis entre les pilastres et les portes qui rythment l’architecture. Ils comportent un cadre en plâtre sculpté recouvert de peinture bronze doré. Les inscriptions, organisées en colonnes, ont été peintes en lettres dorées sur un fond rouge-terre de sienne brûlée. Les archives départementales du Puy-de-Dôme conservent le contrat signé le 12 mars 1886 par les administrateurs des hospices et Joseph Estrada, peintre-décorateur domicilié n° 25 place Saint-Pierre à Clermont-Ferrand. Le contrat stipule que l’artisan devra, pour la somme de 563,49 francs, « faire au tableau des bienfaiteurs des établissements hospitaliers établi dans le principal couloir à l’hôtel-Dieu, dix-huit mille sept cent quatre-vingt trois lettres ». Le document précise en outre que « ce travail devra être terminé dans de très bonnes conditions avant le 15 avril prochain »8.
Joseph Estrada, dont le nom apparaît également en haut à gauche du tableau historique, peignit intégralement les inscriptions des sept premiers tableaux et presque la moitié de celles du huitième. Les noms des donateurs de l’année 1885 se trouvent en effet en bas de la cinquième colonne du huitième panneau, qui compte au total douze colonnes. La liste fut complétée par la suite9 et jusqu’en 1952. Cette date marque son interruption, peut-être en raison des changements statutaires que connurent les hôpitaux. En conséquence, le dernier tiers du huitième panneau resta inoccupé. Au fil du temps, principalement sur cette partie vide, des graffitis gravés ajoutèrent une strate historique. Le centre du huitième panneau subit une autre altération, sans doute produite par les rayonnements des appareils du service de radiologie situé de l’autre côté du mur. Une lacune existe donc dans la liste.
Les noms des bienfaitrices et bienfaiteurs sont accompagnés du montant ou de la nature du don, et parfois de leur destination. Le titre, la fonction ou la profession de la personne complète souvent ces indications. La liste compte, selon Jean Belin10, pas moins de 844 noms. Elle n’est pas exhaustive puisqu’elle ne comporte que les dons les plus « importants », critère de sélection sujet à bien des interprétations et fluctuations. Son analyse permettrait entre autres une étude statistique de la périodisation des dons, de leur fréquence, de leur montant, de leur utilisation, du sexe et du rang social des personnes11.
Christophe LAURENT, historien de l'architecture, mai 2016
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-