MARTIN, Pierre. Recherches sur l'architecture, la sculpture, la peinture, la menuiserie, la ferronnerie, etc. dans les maisons du Moyen-Age et de la Renaissance à Lyon. Paris : Victor Didron, Lyon : Béaud, 1854, p. 11-13.
"Arc du XVIe siècle provenant de l’église des Dominicains"
Parmi les restes du couvent des Dominicains qui sont parvenus jusqu’à nous, il existe un fragment intéressant qui a été transporté aux Brotteaux, où il sert d’entrée à une maison de la rue Sully. Ce fragment consiste en une large baie terminée par un arc en plein-cintre et flanquée de deux pilastres surmontés d’un entablement à ressaut. Les ornements sculptés sur la face des pilastres et sur les embrasures sont une imitation de ceux qu’on rencontre dans les édifices de la Grèce et de l’Italie. Les sculptures en feuillage telles que les chapiteaux et les rosaces ont une grande analogie de style avec celles du puits de la rue Saint-Jean dont nous avons parlé, ce qui fait supposer que ces deux constructions appartiennent à la même époque, c’est-à-dire au XVIe siècle. Du reste, le caractère architectural de l’arc qui nous occupe semble appartenir plus particulièrement à l’art italien ; on se rappelle qu’à l’époque de la Renaissance, notre ville comptait dans son sein des familles illustres, des artistes originaires d’Italie. L’écusson sculpté sur la clef du plein-cintre porte sans doute les armes de Gadagne, qui sont de gueules à la croix engrêlée d’or ; la croix que nous voyons ici laisse apercevoir en effet une trace de dorure.
Les consoles qui supportent le balcon au dessus de l’arc ne font sans doute pas partie de celui-ci ; elles paraissent bien du même style mais la place qu’elles occupent aux deux côtés de l’archivolte semble avoir été déterminée par la disposition particulière du bâtiment, pour lequel l’entrepreneur utilisait les matériaux. Il est bon de remarquer aussi qu’aucun appareil ancien ne relie les consoles avec les claveaux de l’archivolte, et qu’elles paraissent ainsi complètement indépendantes du reste de la construction. Nous n’indiquerons donc dans notre dessin que la place qu’elles occupent aujourd’hui.
Quelques personnes croient aujourd’hui que cette portion d’édifice servait de portail au cloître des Jacobins. Nous devons, à ce sujet, présenter quelques observations qui pourront peut-être amener quelques éclaircissements. Les jambages ou les pieds-droits de l’arc dont nous parlons nous montrent sur leurs faces deux évasements, l’un extérieur, l’autre intérieur, qui sont semblablement ornés ; ils viennent, en outre, se réunir à une petite face d’embrasure de quinze centimètres de largeur, et dans laquelle se trouve une petite rainure triangulaire, qui n’est pas disposée de façon à recevoir les ventaux d’une porte battante, ni une grille de portail. De plus, il n’y a aucun scellement de gond dans les jambages ; il ne pouvait pas y en avoir, parce que cette embrasure de quinze centimètres n’est pas suffisante pour supporter des scellements capables de résister au poids d’un ventail. Les petites enclaves qu’on y remarque n’ont pu avoir d’autre emploi que celui de fixer une grille légère comme on en voit à l’entrée des chapelles dans les églises. Enfin, en comparant le profil ou le plan des jambages avec ceux du portail de la cour des Archers et avec tous ceux qu’on emploie pour les ventaux des portes, on voit qu’il n’y a aucune analogie entre ces deux sortes d’accessoires, et que l’arc de la rue Sully n’a pas été destiné à un portail du cloître.
Nous ne pensons pas non plus que cet arc puisse provenir du portail de l’église des Jacobins, ainsi qu’un auteur l’a avancé. La façade de cette église fut construite par le Peautre [sic] pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, tandis que le style de l’arc qui nous occupe appartient sans aucun doute à une époque antérieure. Il ne semble pas d’ailleurs avoir fait partie d’un ordre de colonnes comme celui du portail des Jacobins. Nous trouvons dans les anciens plans de Lyon le dessin de la façade de l’église, qui nous présente en effet deux ordres de colonnes engagées ; le portail pratiqué entre celles du rez-de-chaussée se compose d’un cintre qui s’appuie sur des pieds-droits, sans autre intermédiaire qu’une imposte. Dans l’arc de la rue Sully, nous ne voyons pas l’indice d’une combinaison semblable ; nous remarquons, au contraire, deux pilastres richement décorés et qui constituent la partie principale de l’ordonnance architecturale ; ils sont couronnés de magnifiques chapiteaux, et l’entablement à ressaut qui les surmonte se profile de chaque côté des pilastres, de manière à exclure l’emploi des colonnes ou tout au moins à les rendre inutiles. Nous pourrions encore répéter ici ce que nous avons dit plus haut, en parlant des feuillures et des scellements de gonds qui devraient exister si cet arc eût pu servir de portail d’entrée.
De ce qui précède on pourrait conclure que l’arc dont nous offrons le dessin a pu former une communication entre deux parties de l’enceinte intérieure de l’église des Jacobins ; l’écusson qui est sculpté sur la clef pourrait même faire supposer qu’il provient de la chapelle des Gadagne. M. Collombet nous donne sur cette chapelle une description qui peut s’appliquer, en grande partie, à l’arc de la rue Sully (note 1 : L’Église et le Couvent des Dominicains de Lyon, p. 16). Nous lisons, en effet, que la chapelle des Gadagne était embellie de six grosses colonnes d’ordre composite, avec des pilastres supportant des entablements à ressaut. La pierre qu’on y avait employée était une espèce de marbre gris-brun, tiré du voisinage de Lyon et connu sous le nom de Gros Banc. En examinant l’arc de la rue Sully, nous voyons que celui-ci est aussi embelli de chapiteaux de l’ordre appelé composite, que les entablements sont à ressaut, et que la pierre qui est employée est celle du Gros Banc de Saint-Cyr. Nous devons ajouter que les assises sont polies sur leurs faces lisses et qu’elles sont appareillées avec soin, ainsi que cela se remarquait dans la chapelle des Gadagne.
On conserve aujourd’hui aux archives de la ville deux médailles à l’effigie de Gadagne, qui ont été trouvées sous le sol de la cour des Archers.
Thomas 1er Gadagne (v. 1452-1537)