Lettre de l'architecte G. Trévoux au maire de Lyon, 23 août 1923. AC Lyon. 726 WP/120.

Monsieur le Maire,

J'ai l'honneur de vous demander l'autorisation de construire une surélévation sur le bâtiment appartenant à la Ville, occupé par le Grand Magasin des Cordeliers, et situé dans le triangle formé par la place des Cordeliers, la rue Président-Carnot, la rue Champier, suivant plans joints n° 12, 22, 32, 41, 51, 62, 71, 81, et 2 perspectives de l'état actuel du projet.

Cette surélévation a pour but de masquer les édicules des cages d'ascenseurs et de donner une silhouette des toits plus agréable, en faisant une couronne de verdure, 3 dômes lumineux et des terrasses accessibles au public, agrémentées de verdure, statues, vasques. Ces terrasses à des niveaux différents donneront des coins abrités d'où l'on aura une vue superbe.

Les travaux seraient exécutés par des entrepreneurs lyonnais.

La Direction des Galeries Lafayette désirant récompenser les valeurs lyonnaises, a décidé de donner les sculptures de chacun des trois dômes à 3 artistes de la Ville :

Messieurs Larrivé - Bertola et Chorel.

Espérant une réponse favorable, veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'expression de mes sentiments dévoués.

G. Trévoux architecte D.P.L.G., 31 rue Jarente Lyon.

Galeries Lafayette. Les Cordeliers à travers l'histoire. Paris, 1926 [édité après l'inauguration des travaux de surélévation], np, ill. Musée des Beaux-Arts de Lyon, Bibliothèque, fonds Gilles Chomer, 302.

Extraits :

Les grands magasins des Cordeliers s'élèvent dans la partie de la ville de Lyon connue sous le nom de "Quartier Grôlée" ou "Quartier des Cordeliers". (...) C'est en 1890 que commencèrent en vertu d'un accord avec la municipalité lyonnaise et une entreprise particulière, les opérations de voirie et les travaux de démolition et de construction tendant à la réfection complète du quartier Grôlée. (...)

L'emplacement actuel des Grand Magasins des Cordeliers fut compris dans le plan général de la reconstruction du quartier. Il occupe une superficie triangulaire de 2680 mètres carrés comprenant la totalité de l'ancienne rue Meyssonnier et partie de la rue Pavie avec une façade sur la place des Cordeliers, une autre façade en bordure sur la rue Champier, le séparant de l'ancienne église Saint-Bonaventure, et une troisième façade sur l'extrémité de la rue du Président-Carnot qui a absorbé l'ancienne place Gonfalon. Cet immeuble était formé de trois immeubles juxtaposés ayant une cour commune et qui furent d'abord destinés à l'habitation bourgeoise avec des boutiques au rez-de-chaussée. C'est au cours des constructions que la municipalité de Lyon en passa bail à M. Sineux qui en prit possession pour y installer les Grands Magasins. Les entresols de ces immeubles furent alors supprimés, afin de ménager une hauteur de plafond suffisante pour l'exploitation du rez-de-chaussée. La cour commune fut couverte et c'est ainsi que fut constitué le vaste hall qui existe encore. Les Grands Magasins des Cordeliers étaient alors fondés. En 1895 il se forma sous le nom de "Société E. Sineux et Cie" une société en commandite par actions, au capital de cinq millions de francs. Cette société fut transformée en 1899 en une société anonyme au capital réduit de 2.500.000, qui prit le nom de "Grands Magasins des Cordeliers". C'est en 1919 que l'administration de la Société anonyme des Grands Magasins des Cordeliers échut aux Galeries Lafayette de Paris. D'importants travaux de construction et de transformations furent alors entrepris afin de régénérer l'ancienne maison et lui donner l'allure de la grande maison parisienne. Enfin, les derniers travaux qui parachevèrent l'édifice furent entrepris au mois de janvier 1924 et terminés en 1925. La Ville de Lyon est propriétaire des immeubles occupés par les Grands Magasins des Cordeliers, situés entre la rue Champier, place des Cordeliers et la rue du Président-Carnot. Pour répondre à l'accroissement de ses affaires et aux besoins de sa clientèle, la Société anonyme des Grands Magasins des Cordeliers avait proposé à la Ville de Lyon la surélévation de ces immeubles. La Ville de Lyon, répondant à ce désir, autorisa cette surélévation dans les conditions proposées, aux frais et sous l'entière responsabilité de la Société anonyme des Grands Cordeliers. L'exhaussement convenu comportait : la construction de deux étages supplémentaires, l'édifice devant avoir ainsi sept étages, le remaniement des façades et des toitures pour l'établissement de dômes lumineux et de terrasses à des niveaux différents, ces terrasses devant être accessibles au public et agrémentées de verdure, statues et vasques. Les travaux commencés en janvier 1924, furent menés avec la plus grande activité sous la direction de M. Trévoux, architecte de la Ville de Lyon, auteur du projet, et sous le contrôle de M. Chanut, architecte des Galeries Lafayette. Ils furent terminés en février 1925.

Le problème de la surélévation des Cordeliers était intéressant par ce point capital qu'il ne fallait pas interrompre la vente un seul instant, ni priver la maison de ses moyens d'accès habituels. : portes, escaliers, ascenseurs. D'où nécessité absolue d'un immense parapluie de protection et d'un pylône extérieur avec monte-charges puissants et rapides pour la descente des démolitions et la montée des matériaux.

Les combles, le 6e étage et le 5e étage anciens ont été dérasés. Les trois étages nouveaux ont été constitués comme une immense poutre ayant pour hauteur totale la somme des hauteurs partielles de ces éléments nouveaux, poutre à trois tubulures annulaires qui sont justement les étages nouveaux. Cette ossature est entièrement en béton de ciment armé avec très forte densité d'aciers. On peut estimer que les démolitions ont produit mille quatre cents tonnes de matériaux, qu'il a fallu évacuer surtout la nuit et que les constructions neuves ont amené deux mille tonnes de matériaux qu'il a fallu monter sans interruption au fur et à mesure des besoins. Le parapluie et ses coursives ont demandé sept cents stères de bois choisis ; le pylône cent cinquante stères.

L'opération la plus intéressante de toutes, a été la libération progressive du 4e étage de jonction, moment à partir duquel, chaque semaine, une nouvelle région a été livrée à l'exploitation commerciale.

La remise officielle de ces agrandissements à la Ville de Lyon eut lieu le 8 mars 1925. Elle fut faite à M. Herriot, Maire de Lyon, Président du Conseil des Ministres, Ministre des Affaires étrangères, en présence de MM. [...] M. Herriot arrive à 2h 1/2. Il est reçu à la porte des Magasins de la rue du Président-Carnot par M. Raoul Meyer, administrateur-délégué [...]. Entre la double haie formée par les employés supérieurs et les invités, il est conduit à l'ascenseur qui lui permet d'accéder au salon du 6e étage où l'attendent tous les personnages officiels et les invités. M. Herriot et M. Raoul Meyer, prenant la tête du cortège, gravissent les quelques marches qui mènent aux terrasses. [...] Aux acclamations du personnel qui se presse sur la terrasse supérieure, le cortège fait son entrée sur la terrasse. Il se divise un instant pour contempler le magnifique panorama qui se déroule aux pieds des visiteurs. [...] Au milieu du plus profond silence, M. Raoul Meyer [administrateur-délégué des Grands Magasins des Cordeliers] gravit les marches et prononce le discours dont nous reproduisons ci-après le texte :

[...] Les réalisateurs de notre œuvre ont été le si distingué Architecte de la Ville de Lyon, M. Trévoux, dont les projets et les plans ont été appliqués, et M. Chanut, qui a été le profond animateur et l'impeccable artisan de toutes nos entreprises. Grâce à eux, nous avons pu mener à bien, en moins de douze mois, un si vaste programme. Il s'agissait, en effet, de le réaliser sans gêner la vie du quartier, avec toutes les garanties de sécurité possible et sans interrompre notre vie commerciale. Vous avez tous été témoins de ce qui a été fait. Vous avez tous admiré cette cathédrale de bois qui enveloppait la vie mystérieuse de la ruche où se réalisait un travail obstiné et formidable, dirigé par une méthode, une science et une conscience. Ce fut un chef-d'œuvre d'organisation dont les auteurs forcent notre admiration et ont droit à toute notre reconnaissance. Ce fut aussi le chantier de concentration de tous les corps de métier de notre belle et chère Cité. J'éprouve personnellement quelque fierté à en parler, puisque mon enfance et mon adolescence tout entière se sont écoulées dans le rayonnement de sa grandeur. Il n'est, en effet, pas un brin de matière de cet édifice, pas une coulée de ciment, pas une pierre, pas un clou qui n'aient été fournis par des entrepreneurs, ou façonnés par des artisans ou des ouvriers lyonnais. Nous sommes heureux d'avoir pu apporter cette contribution à la vie sociale de Lyon et notre gratitude va à tous ceux qui, du plus modeste au plus considérable, ont secondé nos efforts. Pour l'ornementation de cet ensemble d'énergie, de puissance et de grandeur imposante et solide, nous avons eu recours au ciseau des Maîtres Chorel, Larrivé et Bertholat [sic, Bertola] et vous avez pu admirer les groupes originaux d'une pensée si gracieuse et si sincère qui, par eux, symbolisent les saisons sur le couronnement de notre édifice. C'est à nous seuls qu'incombe maintenant la tâche de n'abriter dans cette Maison qu'une activité féconde et joyeuse.

[...] Du haut de cette terrasse qui sera un belvédère et un jardin, la population tout entière est conviée à un spectacle dont la grandeur est une leçon. On voit s'y dérouler avec ampleur le panorama historique de la Cité, le long de ses majestueux quais de pierre et de la colline mystique de Fourvière à la colline laborieuse de la Croix-Rousse. Partout, de quelque part que l'on se tourne, on se sent au milieu d'une force, d'une sagesse et d'une profusion.

[Discours de M. Herriot] : [...] Le jour où vous êtes venu me trouver, mon cher Meyer, vous m'avez exposé que l'accroissement de vos affaires nécessitait un local plus spacieux. Après plusieurs discussions [...] j'ai pensé que, comme je ne pouvais plus me développer en surface, j'étais obligé de me développer en hauteur, de faire en petit ce qu'on a fait à New-York, pour un grand Magasin de Nouveautés que vous connaissez très bien et dont l'imitation paraît vous avoir hanté. Je me souviens qu'à ce moment, en passant sur le pont Lafayette, je voyais avec déplaisir la construction provisoire que vous aviez faite, et qui ressemblait à nos baraques de la Foire. Aujourd'hui, comme à la Foire, les constructions provisoires ont disparu et ont été remplacées par un palais.

[...]

Après quelques nouveaux instants de stationnement et d'observation sur les terrasses, le cortège, dirigé par M. Raoul Meyer, redescend à l'étage inférieur, traverse les salons aménagés et est accueilli dans la spacieuse salle de thé où un lunch est servi. [...] La cérémonie prend fin. M. Herriot et MM. les Ministres sont reconduits à leurs voitures par MM. les Directeurs des Grands Magasins des Cordeliers. Le personnel, resté dans la salle de thé, participe au lunch et continue de fêter joyeusement cette mémorable journée.