HISTORIQUE
Depuis longtemps, les habitants de Culoz désirent traverser le Rhône par une voie de communication plus sûre et plus facile que le passage précaire et dangereux que constitue un bac (BERTHELON, p. 152).
Le 12 août 1851, dans un mémoire adressé au Conseil général de l'Ain, Fidèle Tournier, maire de Culoz, demande l´établissement d´un pont sur le Rhône, entre Culoz et Laloès [La Loi]. Ce projet, trop ambitieux, bien que favorablement accueilli (cf délibération du Conseil divisionnaire de Chambéry du 6 décembre 1851), ne peut être exécuté faute de moyens financiers (ibidem).
Alors que Culoz prend de l'importance, notamment comme tête de la ligne de chemin de fer mise en place à partir de 1856 vers Chambéry, Modane, Saint-Jean-de-Maurienne et Bardonècchia, le même Tournier entreprend de nouvelles démarches afin d'obtenir la construction d'un ouvrage fixe sur le fleuve. Il est alors question d'un pont dit "à l´américaine", à une seule voie, qui coûterait au plus 60 000 F, avec ou sans péage. Ce projet reste à nouveau sans suite car le viaduc ferroviaire, alors à l'étude pour franchir le Rhône à hauteur de Culoz (la pose de la première pierre a lieu le 1er septembre 1857), doit comporter une voie piétonne.
En compensation de l'absence de passage piéton établi sur ce dernier, la commune de Culoz se voit offrir, le 9 décembre 1856, un bac avec passe-cheval et passe-voiture reliant Landaize (dépendant de Culoz) et la Loi (dépendant de Ruffieux) (idem, p. 152-153 et COGOLUENHE, livre 1, p. 35).
Bien que dotés de ce bac à traille, les habitants des deux rives continuent à solliciter l'établissement d'un ouvrage fixe. Ils font une demande directement auprès de l'Empereur Napoléon III, qui, lors d'une entrevue à Chambéry en 1860 avec le maire de Culoz, Stanislas Tournier, et le maire de Ruffieux, la baron Girod de Montfalcon, leur promet la construction d'un pont.
Le 12 août de la même année, l'ouvrage n'étant toujours pas à l'étude, une pétition des habitants et des conseils municipaux est adressée à Napoléon III (BERTHELON, p. 153).
En avril 1863, un avant-projet de construction voit le jour.
En septembre 1865, le projet présenté prévoit, outre un pont reliant l'Ain à la Savoie, l'établissement de digues sur les deux rives en amont et en aval de l'ouvrage (ces digues longitudinales permettent de conduire les eaux du fleuve sous le pont et en régularisent le cours), la levée des deux rives aux abords et enfin la construction d'une route sur la rive gauche pour raccorder la levée avec la route départementale n° 3 de la Savoie. Le montant total des travaux s'élève alors à 1 295 000 F (ils monteront jusqu'à 1 500 000 F). Les quatre piles en rivière et les perrés supportant les chemins contre les culées seront défendus par des massifs d´enrochements arasés au niveau des eaux d´été.
Le pont sera composé de cinq arches en fonte de 50 m d´ouverture chacune, avec piles et culées en maçonnerie fondées à l'air comprimé, à l´exception de la culée de rive gauche, assise sur un massif de béton dans une enceinte de pieux jointifs. Le tablier de 7 m de large doit porter une chaussée de 5 m et deux trottoirs de 1 m.
Un décret passé fin novembre 1865 fixe son emplacement (AD Ain, 2S 88 et AD Savoie, 20S PC 11 et 20S PC 12, voir annexe n° 1 ; AD Rhône, 3959W 1744).
Des plans, coupes et élévations sont établis l'année suivante ; le pont est pourvu, dans sa culée en rive droite, d'un dispositif de mines destiné à le rompre le cas échéant (Archives Conseil Général de la Savoie et AD Savoie, 20S PC 12).
Les travaux sont approuvés par décision ministérielle du 5 septembre 1866 (AD Savoie, 20S PC 11).
À la même période, le Conseil général de l´Ain prend l´engagement de pourvoir aux frais de raccordement de la route départementale 22 avec la levée du pont projeté sur le Rhône, ainsi qu'à la moitié des dépenses d´entretien du pont (AD Ain, 2S 88 : Courrier du ministère au préfet, 19 septembre 1866).
Début février 1868, un procès-verbal d´adjudication des travaux est passé avec Cail & Cie (Compagnie de Fives-Lille), pour un montant de 1 099 419,88 F (AD Savoie, 20S PC 11 et 20S PS 12).
Le choix du lieu d´implantation n´est cependant pas définitif. Cette même année, plusieurs communes ont en effet demandé à ce que ce pont soit établi à 1 km environ en aval de l´emplacement déterminé par le décret de novembre 1865. Mais le préfet de la Savoie, reconnaissant que "ces oppositions ne sont pas de nature à faire remettre en question ce qui a été décidé", invite l´ingénieur en chef à reprendre immédiatement les travaux du pont (AD Ain, 2S 88).
Le 3 octobre 1868, un arrêté préfectoral autorise les entrepreneurs des travaux à établir un bac à traille sur le Rhône pour le transport des ouvriers et des matériaux employés par eux à la construction du pont de Culoz. Il sera établi à proximité de l'ouvrage à construire (AD Rhône, 3959W 1744).
Cail & Cie demandent des indemnités en raison des avaries causées par la crue du fleuve du 29 septembre 1869 (AD Savoie, 31S 115).
En 1871, d´après l´ingénieur en chef qui fait état de la situation des travaux au 27 octobre, les piles et les culées du pont sont terminées jusqu´au niveau des trottoirs. Les fontes des quatre premières arches de la rive gauche sont posées et calées ; on monte alors celles de la cinquième arche. Les digues des deux rives aux abords du pont sont complètement terminées (idem).
En 1873, le pont de Culoz est achevé. Sa réception définitive, qui a lieu après les épreuves réglementaires, est prononcée le 3 novembre (idem).
Deux ans plus tard, un dossier est monté au sujet des travaux d´endiguement destinés à protéger le hameau de la Loi contre les inondations du Rhône. Il ne paraît pourtant pas démontré que la construction du pont de Culoz ait eu pour effet d´aggraver la situation de ce hameau quant aux inondations (AD Savoie, 31S 115).
En 1877, un contentieux sur le décompte des frais se fait jour entre la Compagnie Fives-Lille et l´administration (idem).
En août 1879, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées demande un crédit au préfet, pour exécuter des travaux d'urgence à la digue de rive droite en aval du pont de Culoz. Ces travaux sont destinés à prévenir l´agrandissement d´une brèche ouverte par une crue du Rhône, qui pourrait entraîner l´enlèvement de toute la digue lors d'une nouvelle crue (AD Ain, 2S 88 et AD Savoie, idem).
Dès 1939, avant que n'intervienne la guerre, la reconstruction du pont est projetée pour cause d'avaries et parce que l'ouvrage ne répond plus aux exigences de la circulation (AD Savoie, 12S 1 et AD Savoie, 1210W 42).
L'année suivante, une reconstruction conservant les piles et culées existantes est envisagée (AD Rhône, 3959W 1744) ; et en mars 1940, un marché est passé avec l´entreprise Léon Grosse pour l´exécution des travaux de restauration, travaux qui seront stoppés par la débâcle du mois de juin (AD Savoie, 1210W 42).
En effet, en juin 1940, pour freiner les Allemands, est ordonnée la destruction complète de tous les ponts entre Lyon et Fort l´Ecluse (BROCARD, p. 89). Si le pont de la Loi y échappe alors, il n'est pas épargné en 1944 par l'armée allemande, date à laquelle une arche du pont est endommagée par une mine (AD Savoie, 12S 1, annexe n° 2 et AD Savoie, 1210W 42). Le rétablissement d'une traille est alors nécessaire (COGOLUENHE, livre 1, p. 35 et livre 2, p. 76).
Les sources indiquent que l'ouvrage est provisoirement remonté, mais il est réduit à une voie sur sa partie détériorée et la charge des véhicules admis à y circuler se limite à cinq tonnes (AD Savoie, 12S 1, annexe n° 2).
Cependant, l'état du pont n'apparaît pas satisfaisant (les arcs en fonte sont devenus vétustes) et fin 1948, on projette à nouveau de le reconstruire (AD Savoie, 12S 1 et AD Savoie 1210W 42).
En janvier 1951, deux solutions sont proposées : l'une utilisant des arcs en béton armé, articulés aux naissances, et l'autre des poutres droites en béton précontraint (AD Savoie, 12S 1, annexe n° 2).
Le 20 février suivant, un procès-verbal d´adjudication est passé au profit de la SETRA, Société d´entreprises électriques et de Travaux Publics (Bourg-en-Bresse), pour les travaux de reconstruction du pont de la Loi ; cette même société termine alors la construction du pont de Brégnier-Cordon.
Son projet de pont en béton armé, au montant de 59.324.295 F, est retenu (annexe n° 3).
La réédification devait être faite par moitié d´ouvrage et la circulation maintenue, sauf une interruption tolérée de six mois (AD Rhône, 3959W 1744 ; AD Savoie, 12S 1, Chemise projet définitif et AD Savoie, 1210W 42).
Le nouvel ouvrage sera constitué, comme l'ancien ouvrage dont il reprend les fondations, de cinq travées de 50 m d´ouverture chacune, mais les arcs en fonte sont démontés pour être remplacés par des arcs en béton armé. Il portera une chaussée de 6 m de large et deux trottoirs de 1 m (idem ; BROCARD, p. 89).
Début avril 1952, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées informe le président du Conseil général de la Savoie que la reconstruction du pont nécessite un tonnage d´acier très important (310 tonnes) et que les délais de livraison sont longs. L'adjudicataire doit attendre la disponibilité d´un pont Bailey pour le montage des cintres, ce qui ralentit les travaux.
Le 19 septembre 1952, l'écroulement de cette passerelle Bailey fait quelques blessés et entraîne un conflit entre la SETRA et l´administration qui met en relation l´accident survenu avec la lenteur des travaux de l´entreprise (en mai 1958, une décision du tribunal administratif de Grenoble condamnera l'État à dédommager la SETRA pour cet accident ; cf Archives Conseil Général de la Savoie).
Par ailleurs, la SETRA doit faire face à des impayés de factures (AD Savoie, 1210W 42).
Le 2 avril 1953, l´entreprise Graux précise qu´elle est intéressée par la reprise du marché de la SETRA (Archives Conseil Général de la Savoie).
Un avenant est passé avec cette entreprise parisienne le 7 avril 1953 afin d'opérer le remplacement de la SETRA (idem et AD Savoie, 12S 1, Chemise projet définitif).
La nouvelle entreprise accepte, pour réduire les délais, de porter le nombre des cintres à cinq, au lieu de trois. Un avenant fixe à 16 700 000 F le montant des frais et ramène à quinze mois le délai d´exécution (Archives Conseil Général de la Savoie : Courrier du ministre des Travaux Publics à l´ingénieur en chef, 12 septembre 1953).
L'entreprise commence par substituer un télécharge Monzies de six tonnes à la passerelle Bailey d'emploi trop risqué (Archives Conseil Général de la Savoie).
Mais le 16 juin 1954, Graux présente un bilan financier déficitaire résultant du réaménagement du chantier et de la faiblesse des prix du béton. Au mois de juillet, l'entreprise semble avoir déposé le bilan (idem).
Le 19 août 1954, l´entreprise J. Pascal & Fils de Grenoble prévient l´ingénieur en chef qu´elle a conclu un accord avec Graux pour la reprise du chantier du pont de la Loi (Archives Conseil Général de la Savoie).
Un nouvel avenant, en date du 11 (ou 16) août 1954, passe en effet le marché à l´entreprise Pascal, qui remplace alors la précédente entreprise Graux (idem et AD Savoie, 12S 1, Chemise projet définitif).
Le décompte définitif du dernier entrepreneur, soldé au 19 avril 1956, monte à 21 582 030 F (AD Savoie, 12S 1, idem).
La reconstruction du pont de la Loi est cependant achevée depuis le 1er janvier 1955 (Archives Conseil Général de la Savoie).