Yannick Milleret, Des eaux thermales oubliées, La Bauche-les-Bains et la source Germaine à Saint-Pierre-d´Entremont Inventaire patrimonial de l´eau des Pays de Savoie, décembre 2011
Des eaux populaires aux nobles thermes
Les eaux médicinales, thérapeutiques ou encore thermales ont des émergences diverses ; des sources sont découvertes après des événements géologiques (mouvement du sol) ou naturels (éboulement, avalanche). Une température élevée, une odeur, une couleur inhabituelle ou encore une saveur singulière de l´eau sont autant d´indices qui laissent percevoir une source aux propriétés particulières. Les premiers consommateurs de ces eaux étaient majoritairement des locaux, l´eau était bue pour des vertus présagées ou des bienfaits colportés de village en village. Il est courant d´entendre nos ainés ou dans le cadre de l´inventaire des habitants évoquer des sources aux qualités ancestrales, dont les bienfaits ont été transmis par tradition orale depuis plusieurs générations. Marc Boyer définit ces pratiques comme une médecine populaire, un thermalisme populaire. En Savoie, cette appropriation des sources a été rendu possible grâce aux nombreuses ressources hydrologiques et géologiques. L´usage des eaux thérapeutiques s´intensifie au cours du XIXe siècle en s´insérant dans le mouvement hygiéniste européen. Le rapport aux eaux évolue avec une approche médicinale basée sur des analyses chimiques ; les eaux sont étudiées, classifiées, répertoriées. A cette époque, la Savoie est touchée par la fièvre thermale et de nombreuses sources font l´objet de projets architecturaux. Cette dynamique touristique se développe grâce à la révolution des transports (chemin de fer, réseau routier). L´annexion de la Savoie à La France, en 1860, joue un rôle moteur avec l´ouverture des frontières et l´arrivée de capitaux extérieurs.
La pratique des eaux bascule d´un thermalisme populaire à une pratique bourgeoise et aristocratique. Les stations thermales s´équipent de bâtiments modernes avec des douches, des bains, des structures hôtelières, des casinos et des théâtres. Aix-les-Bains est le symbole de cette économie thermale dynamique au même titre qu´Évian-les-Bains ou encore Thonon-les-Bains pour la Haute-Savoie. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, le paysage thermal savoyard compte plus d´une dizaine d´établissements. L´image collective est souvent réduite aux grands sites, cependant, de nombreuses initiatives ont vu le jour ou tout du moins des projets ont été imaginés, afin de faire profiter les élites des qualités médicinales des sources savoyardes aux élites, mais aussi dans une optique mercantile. Au côté de l´histoire fastueuse de grands thermes, l´Avant-Pays Savoyard a aussi connu son aventure thermale avec les thermes de La Bauche et la Source Germaine.
Deux sources, deux destins
La Source Germaine ou encore celle de la Bauche sont les témoins de la période faste du thermalisme savoyard. Les réflexions et les aménagements sont pensés et élaborés dans la seconde moitié du XIXe siècle, dès les années 1860 pour La Bauche et à partir des années 1890 pour les eaux de Saint-Pierre-d´Entremont. Le succès de ces projets thermaux est intiment relié à un contexte économique et thermal concurrentiel.
La Bauche-les-Bains, des thermes à la campagne
En 1862, le comte Edouard Crotti de Castigliole redécouvre une source ferrugineuse sur les terres de son domaine à La Bauche. Une source réapparaît en contrebas d´un étang lors des travaux d´aménagement, des vestiges d´un captage remontant à l´époque romaine sont mis à jour. Le comte décide d´exploiter cette source avec une activité de mise en bouteille et de fabrication de pastilles. Il aménage dans un premier temps, un bâtiment à l´architecture de chalet au niveau du point de résurgence de la source, auquel il adjoint dans les années suivantes un laboratoire et un évaporateur au bain-marie. En 1865, le site prend le nom d´Etablissement des eaux minérales de La Bauche. Un hôtel et un bâtiment pour la pratique des soins thermaux sont construits, en 1877, sur le domaine du château pour compléter l´offre touristique. Les curistes se baignent dans un bassin aménagé au niveau de la source et les soins sont prodigués dans le bâtiment proche du Château. La façade de ce dernier bâtiment témoigne encore aujourd´hui des soins qui yétaient réalisés. Il est en effet possible de lire l´inscription « Bains-Douches-Piscine-Massages ». Les thermes de La Bauche rayonnent rapidement à l´échelle régionale, nationale mais timidement au niveau européen. La renommée se fait en partie grâce aux pastilles et à l´eau conditionnée sur place : 10 000 bouteilles en 1870, 65 000 en 1874 et 150 000 à la fin du siècle. L´essor des thermes est facilité par la suppression des barrières douanières suite à l´annexion de la Savoie à la France en 1860. Les thermes sont desservis par un système de voiture à partir de Chambéry, des Echelles, de la gare de Lépin-le-Lac. Cependant, une lente perte d´intérêt des thermes de La Bauche s´amorce au début du XXe siècle annonçant sa fermeture. Les curistes préfèrent les stations d´Aix-les-Bains ou de Thonon-les-Bains, mieux desservies par les trains et équipées de casinos et de grands hôtels. Les atouts des thermes de la Bauche, parmi lesquels son environnement et ses paysages, ne suffisent pas à maintenir son attrait. Les thermes ferment en 1936.
La Source Germaine, une histoire d´eau à court terme
En novembre 1777, une source sulfureuse est découverte sur la commune de Saint-Pierre-d´Entremont, le long du torrent du Guiers entre le chef-lieu et le hameau de Saint-Même. Après une étude de la composition de l´eau, il est décidé de la commercialiser, au regard des ses qualités chimiques notamment dépuratives. Le père Juglar, prieur de la paroisse de Saint-Pierre en Dauphiné, assure sa commercialisation dans les premières années. Un peu plus d´un siècle après la découverte de la source, en 1893, la « Société des Eaux Minérales de Saint-Pierre-d´Entremont » est créée pour l´exploitation de la source baptisée « Germaine ». Entre ces deux dates, l´histoire de la source est inconnue. Le promoteur du projet de la Source Germaine, un certain Monsieur Poche(r) un industriel parisien (?) entreprend, grâce à un habitant de Saint-Pierre-d´Entremont, les premiers travaux d´aménagement de la source, à savoir l´étanchéité et la mise hors d´eau. Il acquiert 12 hectares de terrains à proximité de la source pour développer un complexe thermal. Le projet d´établissement balnéaire de Saint-Pierre-d´Entremont imaginé par l´architecte Franck Defoug, en 1894, est ambitieux. Il prévoit des équipements modernes : des douches laryngiennes, pharyngiennes et nasales, une salle de pulvérisation, des bains, des douches et un espace d´hydrothérapie complet. Un hôtel-casino de 15 chambres est envisagé pour compléter les services offerts aux curistes. Ce projet architectural ne verra pas le jour car il est en concurrence avec les thermes de Challes-les-Eaux qui dispose de la même nature d´eau. De plus, l´environnement et les équipements de Challes-les-Eaux sont plus attrayants pour les curistes désireux d´une vie sociale et festive parallèle aux soins. La Source Germaine a été tout de même exploitée avec la commercialisation de bouteilles. Ainsi, seuls les premiers aménagements de la source ont été réalisés avec deux fosses équipées de robinets pour remplir les bouteilles estampillées Source Germaine. Nous ne connaissons pas la durée de l´exploitation des eaux de Saint-Pierre-d´Entremont, le peu d´historiographie et de témoignages sur le sujet laisse à penser à une période limitée probablement entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
Aujourd´hui, ce passé thermal est fragile, les Bauchois, les habitants de Saint-Pierre-d´Entremont, comme les savoyards, connaissent peu ce patrimoine. L´inventaire du patrimoine de l´eau des Pays de Savoie a pour vocation de faire connaître l´histoire de ces sites appartenant au patrimoine de la Savoie.
Un projet de valorisation de la Source Germaine
La commune de Saint-Pierre-d'Entremont souhaite valoriser et projette d´aménager un sentier pédestre partant du chef-lieu, longeant le torrent du Guiers-Vif, jusqu´au site de la source. Une étude architecturale est actuellement menée pour aménager les abords et rendre visible les deux fosses où se trouvent les résurgences de la source Germaine.
De l´eau, des eaux en Savoie
En Savoie, quatre types de sources sont présentes : les eaux sulfureuses, ferrugineuses, salines et alcalines. Voici une liste non exhaustive des sources découvertes en Savoie au cours du XIXe siècle : La Caille, Challes, Aix-les-Bains, source du torrent de Saint-Gervais (type sulfureuse); La Bauche, La Marclaz (Thonon) (type ferrugineuse) ; Brides, Salins, L´Échaillon, sources Gontard et de Mey à Saint-Gervais (type saline) ; Evian, La Léchère, La Versoie à Thonon, Coise (type alcaline).
Bains ou établissement thermal ?
L´histoire du thermalisme peut aussi s´analyser au travers des appellations. A l´époque romaine et jusqu´au XVIIIe siècle, les équipements thermaux étaient appelés des « bains ». Avec l´essor du thermalisme au XIXe siècle, les installations de soins prennent le nom d´ « établissement thermal » car il englobe l´ensemble des fonctions des soins : douches, bains, inhalations,
Bibliographie
* M. Boyer, Le thermalisme dans le grand Sud-Est de la France, Presses universitaires de Grenoble, 2005.
* J. Pénez, Histoire du thermalisme en France au XIXe siècle, Economica, 2004.
* P. Pasqualini, Le thermalisme en Savoie, L´histoire en Savoie, n°86, juin 1987
* V. Barbier, La Savoie thermale et minérale, monographie des eaux minérales des deux départements de la Savoie et de la Haute-Savoie, Imprimerie Savoisienne, 1878
* C. Gauchon, Thermalisme et tourisme en moyenne montagne deux stations des préalpes : Choranche et La Bauche, CTHS, 1992