Entretien réalisé par Nadine Halitim-Dubois et Alice Giacovelli (stagiaire) au café de la gare à Vénissieux et à l'extérieur en visitant la commune de Vénissieux en présente d'Alain un ami de Liliane (nés vers 1934) membres de l'association Véniciacum le mercredi 18 mai de 14h à 18h.
Liliane : Je suis rentrée chez Maréchal tout à fait par hasard !
Mon père travaillait à la SNCF et il avait été nommé au dépôt de Vénissieux, donc nous avons déménagé de Lyon. J’ai travaillé quelques temps, à peine un an, dans un service de comptabilité à Lyon. Mais les trajets entre Lyon et Vénissieux n’étaient pas simples et très fatigants à l’époque.
C’est mon père qui m’a encouragé à postuler chez Maréchal. Nous n’avons pas eu l’occasion de repartir habiter à Lyon et je suis restée chez Maréchal.
J’ai travaillé pendant 40 ans dans l’entreprise Maréchal, qui est devenue Vénilia et enfin Véninov. J’ai commencé en 1956 au service commercial, puis j’ai évolué sur différents postes dans l’entreprise. J’ai passé les 23 dernières années au service des achats des matières premières, puis de matériels (gros matériel pour le bureau d’études, ateliers, machines, grosses pièces …). Je travaillais avec l’ingénieur technique et notre service des achats dépendait de la Direction.
Je me suis mariée en 1963 et mon mari, qui venait d’Alès dans le Gard, travaillait à la comptabilité également. Il a débuté dans le service informatique de Maréchal.
Nous habitions le nouveau quartier de Parilly, dans un bâtiment qui fait l’angle du boulevard Irène Joliot Curie et Julienne. Nous avions acheté lors de la construction et c’était bien situé pour toute la famille. Nous n’avions pas de problème de transport ou de frais liés aux déplacements, c’était appréciable. Nous y sommes restés de 1963 à ma retraite en 1996.
Ma sœur travaillait à la SIGMA dans le secteur de l’hydraulique. Il y avait deux types d’activités : l’hydraulique et l’injection.
Par la suite, l’entreprise a été séparée en deux entités distinctes : REXROTH pour l’hydraulique et BOSCH pour l’injection. Même la cantine a été séparée suivant ces deux entités.
Liliane était la 144e personne à partir en 1996.
*L’ancienne cheminée qui dégageait des vapeurs d’huile de lin sentait très mauvais, dans l’usine ainsi que dans tout le quartier.
Les employés craignaient beaucoup les dégagements de polluants, notamment le toluène.
Beaucoup de personnes ont eu des cancers et des maladies graves liés aux vapeurs de plastiques.
Maréchal – Le travail de Liliane dans l’entreprise
Liliane : Durant ces années chez Maréchal, j’ai connu l’histoire de la toile cirée, qui a été produite de 1957 jusqu’en 1966 puis l’évolution induite par l’arrivée du plastique. Il y avait des calandres qui déjà faisaient des feuilles plastiques et il y en avait au service impression, en grainage, puisque parfois on donnait du grain […]. A l’époque, j’étais commerciale donc je connaissais cette technique et j’ai travaillé au service exportation. Pourtant, mon métier initial était comptable, je sortais d’une école de comptabilité !
J’ai également participé au montage du prototype d’une machine très sophistiquée pour imprimer les nappes plastifiées. Les travaux ont duré un certain temps avant que la machine ne soit mise au point. Elle permettait d’imprimer avec des encres vinyliques à base de méthyl éthyle cétone.
Le groupe Solvay a ensuite vendu cette machine à une entreprise du Brésil. Notre équipe s’est occupée de commander toutes les pièces pour effectuer son montage à l’étranger depuis Vénissieux.
Les motifs à imprimer étaient choisis par un service spécialisé de l’entreprise, qui sélectionnait des toiles cirées selon les modes et les collections. Les commerciaux choisissaient les collections à distribuer dans les grands magasins.
L’usine fabriquait également des doses de javel, de savon, … Ces sous-produits sont moins connus que les feuilles industrielles (nappes et toiles).
Dans les dernières années de l’usine, il n’y avait plus qu’une douzaine de personnes qui faisaient plutôt de la manutention de mini-rouleaux, de 20m par 45 cm de largeur qui étaient roulés. Il n’y avait plus de machines pour la production.
Ils ont été licenciés quand l’entreprise a fermé. Certains ont eu du mal à retrouver un travail, surtout ceux qui n’étaient pas très diplômés.
Maréchal – L’ambiance de travail
Liliane : Chez Maréchal, les employés travaillaient beaucoup, mais il y avait une ambiance très familiale. Nous fêtions souvent les grands évènements, comme par exemple les départs en retraite, les anniversaires… Le déjeuner était servi à la cantine, dans un bâtiment situé dans l’enceinte de l’entreprise, en face de la Maison du Peuple, rue Eugène Peloux.
Les célibataires de certains ateliers venaient déjeuner à la cantine avant de prendre leur service et les employés avaient un service décalé. Cela permettait de croiser les personnes sur ce lieu
Il y avait un atelier qui s’appelait la Cuite, en rapport avec la cuisson de l’huile de lin
Note : [Dans les sucreries, les ateliers de cuisson des betteraves s’appellent également La Cuite.]
Une fois par mois, un petit document circulait, comme un petit journal interne. Il parlait de l’ensemble des usines. Il n’était pas distribué pour tout le monde. On y trouvait des articles sur les autres entreprises, les autres productions, des entretiens des employés.
Maréchal – Les grèves et syndicats
Liliane : Il y avait différents syndicats chez Maréchal : quand je suis rentrée il y avait la CFTC , FO et la CGT. Par la suite, il n’y avait plus personne à FO mais il y avait CFDT, CGT, etc.
Il y a eu de nombreuses grèves, très suivies et certaines ont été très dures. Cela faisait partie du quotidien. Nous avons vécu 3 semaines de grèves très dures en 1968. L’usine était occupée et les ateliers étaient fermés.
Alain : En 1968, je travaillais avec les entreprises lyonnaises qui construisaient le boulevard Joliot-Curie qui prolonge le Boulevard des Etats-Unis à partir de l’Avenue Viviani et jusqu’au Boulevard Ambroise Croizat.
Liliane : A cet endroit, il y avait une butte où l’on allait cueillir les champignons !
Alain : Le secteur des travaux publics n’étaient pas en grève. Dans la rue, les employés des industries Berliet, SIGMA,… défilaient.
Ils nous ont demandé de quitter notre lieur de travail, pendant 4 semaines ! La grève chez SIGMA a duré encore plus longtemps, environ 6 semaines. Nous n’avons jamais vraiment compris pourquoi cette grève avait duré plus longtemps, ils n’étaient probablement pas satisfaits des accords salariaux !
A l’époque les syndicats étaient très puissants et virulents. Il y avait de nombreux ouvriers qui s’impliquaient.
En 1968, ma femme a vécu les 6 semaines de grèves qui ont eu lieu à l’imprimerie BROCHEX. Cette entreprise était à Lyon puis s’est installée à Vénissieux.
Maréchal – Quelques dates clés de l’histoire de l’usine
1874 : Création de l’usine Maréchal
1956 : Création des adhésifs
1960’ : Effectif d’environ 1200-1260 employés
1961 : L’usine est renommée « La Cellophane »
1965 : Puis elle reprend le nom de Maréchal
1966 : Fin de la fabrication de la toile cirée (à l’huile de lin) à Vénissieux et passage aux produits plastifiés Vénilia (tous les produits avec des noms commençant par Véni…)*
1970’ : La production d’adhésif a été transférée à Boëkelo, un village situé aux Pays-Bas
1973 : Griffin-Maréchal (c’est encore marqué sur le portail)
1991-2001 : Vénilia
2001 : Véninov
2011 : Fermeture de Véninov