ANNEXE 2
Une résidence comtale savoyarde : les travaux et les aménagements de Saint-Hippolyte d´après les comptes de châtellenie (1309-1357), par Romain Saffré, élève à l´Ecole nationale des Chartes, 19 mars 2012
Introduction
Les Archives Départementales de Savoie conservent un ensemble très important de rouleaux de comptes établis pour l´ensemble des châtellenies du comté, puis du duché. Ils sont conservés sur une période allant de la fin du XIIIe au début du XVIe siècle (1). Ce fonds est tout à fait exceptionnel en France et sa préservation s´explique facilement par le rattachement tardif de la Savoie à la France. Au sein de cette comptabilité, trente six rouleaux portent sur la châtellenie de Saint-Hippolyte.
Saint-Hippolyte était un prieuré situé à l´est d´Aix-les-Bains, en face des nouveaux thermes de la ville. A côté du prieuré, s´élevait un château comtal qui, par chance pour nous, subit de très lourdes destructions et reconstructions dans la première moitié du XIVe siècle, période durant laquelle les comptes de cette châtellenie sont conservés. En effet, les rouleaux ne subsistent pas pour l´ensemble des châtellenies sur toute la période et, dans notre cas, ils courent du 20 février 1308 au 12 février 1359 (2), non sans six coupures d´un an et deux de quelques mois, qui ne constituent pas un véritable obstacle à la compréhension du lieu, tant sont riches les informations que l´on peut avoir par ailleurs. Mouxy de Loche (3) rapporte que la châtellenie avait été inféodée avant 1338, mais il se contredit lui-même en donnant la transcription d´un acte conservé, selon lui, aux archives du château de Musin, daté du 22 mars 1359 et d´après lequel Aymar de Seyssel obtient en fief du comte de Savoie le château ou maison-forte de Saint-Hippolyte-sur-Aix, ce qui explique tout naturellement l´arrêt de la série de comptes de la châtellenie de Saint-Hippolyte.
Des fouilles archéologiques ont eu lieu sur le site lors de la construction des thermes Chevalley, mais aucun vestige de la maison forte ne fut trouvé, laissant ainsi penser qu'elle se situait sous la villa Chevalley, juste à l´ouest, seule zone non fouillée du petit plateau qui domine la ville d´Aix-les-Bains. Les quelques datations effectuées à partir d´échantillons organiques de la cave de l´actuelle villa se sont révélées bien trop imprécises pour en tirer des conclusions, mais n´excluent pas totalement que les fondations remontent à une date aussi ancienne que le début du XIVe siècle. L´étude de Saint-Hippolyte comporte aujourd'hui un intérêt plus particulier, car, la villa Chevalley est menacée d´une ruine imminente. Une représentation de ce bâtiment dans le Theatrum Sabaudiae (4) permet de se faire une idée grossière de l´aspect général du bâtiment en 1674 et cette représentation ne semble pas différer grandement de l´aspect actuel, malgré sa grande banalité serait-on tenté de dire. Ceci ne prouve rien, mais il est, en revanche, parfaitement assuré que les façades ont été très largement remaniées depuis l´origine. Le crépi très abîmé des murs laisse voir de très nombreux changements dans les ouvertures ; de nombreuses fenêtres ont été murées et d´autres ouvertes. On peut même dire que la plus grande partie des ouvertures actuelles n´est pas d´origine. L´édifice premier devait donc présenter un aspect tout différent de celui que l´on peut voir de nos jours et c´est pourquoi un relevé, même rapide, des maçonneries pourrait être d´un grand intérêt pour la compréhension du lieu. Les comptes nous donnent un nombre minimum de fenêtres et de portes, comme celui des escaliers ; on connaît, grâce à eux, l´emplacement des cheminées dans les différentes pièces et leur hauteur par rapport au toit, ainsi que les matériaux employés, mais, toutes ces informations restent difficiles à raccorder les unes aux autres, car il est très rare que les comptes précisent l´emplacement relatif des pièces. Il manque un plan qui nous permette de remettre chaque élément à sa juste place et c´est pourquoi l´étude de ce site pourrait offrir une occasion unique de confronter une source écrite particulièrement riche à la réalité archéologique.
1. Le Cadre de production des rouleaux de comptes
Pour mieux comprendre la nature des informations fournies par les rouleaux, quelques explications s´imposent sur leur origine administrative. Les châtellenies sont des circonscriptions administratives de dimension très variable par leur taille ou leur poids économique, qui ont été mises en place dès le milieu du XIIe siècle et leur organisation varia peu jusqu'au début du XVIe siècle. Elles étaient dirigées par des châtelains salariés et nommés par le comte pour une durée limitée. La variabilité du temps d´exercice est reflétée par les comptes, qui peuvent ne couvrir qu´une période de quelques mois ou de deux ans, ce qui se répercute, bien entendu, sur la longueur des rouleaux, qui peuvent mesurer une dizaine de mètres. Les châtelains étaient recrutés le plus souvent parmi les nobles de l'entourage du comte ou étaient des simples clercs locaux. Ainsi, à Saint-Hippolyte, on trouve aussi bien le curé de Mouxy que le juge D. Raymond de Soliers (5). Le châtelain était avant tout le gardien du château et était, pour cette raison, doté de pouvoirs militaires. D´une manière plus générale, il était le représentant du comte, dans sa circonscription et levait les taxes comtales, réglait les dépenses et exerçait certains droits de justice (6). Ses comptes étaient soumis à la vérification de la Chambre des comptes, dont le premier règlement date de 1351, mais dont les rouages remontent au XIIIe siècle.
Les comptes du châtelain ne sont donc pas tant les comptes de gestion, que des pièces justificatives établies en vue de recevoir de la Chambre des comptes quittance pour son administration. Deux sortes de comptes étaient alors produites, ceux de subsides et ceux de châtellenie. Les premiers répertoriaient la levée des subsides extraordinaires, les seconds, qui nous intéressent ici, enregistraient l´ensemble des dépenses et recettes. Pour ce faire, le châtelain remettait l´ensemble de ses papiers, comptes et pièces justificatives. Celles-ci sont parfois, si ce n´est toujours, mentionnées dans les rouleaux, que ce soient les instruments notariés pour l'affermage de certaines recettes, les mandats de paiement du comte ou les quittances, pour ne citer qu´eux. Les receveurs, également appelés scribes, mettaient au net le compte final, celui aujourd'hui conservé aux archives.
Les comptes sont rédigés sur des rouleaux de parchemin, composés de feuilles cousues bout à bout. Cette forme rappelle les "Pipe Rolls" de l'administration comptable anglaise. L´usage du rouleau paraît, cependant, un peu archaïque pour l´époque et la plupart des administrations européennes étaient passées à l´usage du registre, dont les avantages sont évidents, mais, qui n´est employé en Savoie qu´à partir de 1480. L´organisation générale des comptes ne varie guère d'une gestion à l'autre. Les seules véritables différences sont dues à la variabilité du temps de gestion. Quand un rouleau couvre moins d´un an, il est normal que certaines entrées annuelles ne s´y retrouvent pas. A cette réserve près, l´organisation des différentes parties suit toujours le même ordre ; les comptes s´ouvrent par une introduction stéréotypée rappelant le nom du châtelain et les dates extrêmes, avant de décrire par le menu l´ensemble des recettes, rassemblées par catégories : farine, blé, avoine, châtaignes, noix, vin... Pour plus de commodité, les titres de parties sont reportés dans la marge de gauche, ce qui permet de se mouvoir facilement dans le rouleau tant que la marge n´a pas été rongée. Les rentes en nature sont inscrites en premier, suivies des recettes en argent, puis des dépenses. Celles-ci se distinguent selon qu´elles sont effectuées directement par le châtelain (expense) ou sur ordre du comte ou de l´administration financière (librate) (7). A la clôture du compte, enfin, on établit le bilan en calculant "l´arrearagium" (8).
L´une des sources de dépenses principale est justement celle qui nous occupe ici, à savoir, celle des constructions et de l´entretien du château de Saint-Hippolyte avec ses annexes agricoles : moulin, pressoir, étables... Le parti pris de l´organisation interne est des plus intéressantes pour l´historien. Les comptes comprennent à la fois les achats de matériaux et les salaires des ouvriers payés pour le transport et la mise en oeuvre. Ces catégories ne se sont pas rassemblées entre elles mais sont inscrites selon l´ordre des opérations effectuées ; ainsi, pour les poutres, les comptes mentionnent dans l´ordre leur achat à Hautecombe, leur acheminement jusqu´au lac, leur transport sur le lac, leur transport jusqu´à Saint-Hippolyte, puis les charpentiers chargés de les mettre en place. Après cette description, les comptes passent aux autres matériaux. Cette disposition gagne en intérêt historique ce qu´elle perd en facilité comptable ; elle permet de mettre en relation les opérations les unes avec les autres et de comprendre parfaitement leur logique.
2. Les Bâtiments
En l´absence de vestiges archéologiques connus, les comptes sont les seuls à nous fournir des indications sur les constructions de Saint-Hippolyte, grâce aux travaux d´entretiens, mais, surtout, grâce aux travaux qui suivirent les destructions majeures subies par le site. De fait, l´histoire du château est marquée par trois grandes phases de travaux durant la première moitié du XIVe siècle : de 1309 à 1316, au début des comptes, de 1321 à 1322, après un incendie dû à la guerre, puis une dernière, entre 1353 et 1357, suite à un autre grave incendie d´origine inconnue et qui détruisit totalement les bâtiments. C´est donc une demeure à peine reconstruite qu´obtint Aymar de Seyssel en 1359. A côté de ces mouvements majeurs, le vent du nord (borea) est une cause de destructions et de réparations fréquentes. Encore faut-il relativiser sa violence, ce que font les comptes eux-mêmes en précisant que les destructions sont le fait du vent et de la vétusté.
Voici, pour résumer, les grandes phases de travaux :
1309-1316 : grands travaux
1321-1322 : logis (domus), incendie à cause de la guerre ; suit une reconstruction complète la même année
1324-1325 : toit de l´étable, à cause du vent
1326-1327 : fenêtres de la maison, vent
1338-1339 : fenêtres de l´aula, vent
1342 : toit du logis (domus), vent
1342-1344 : toit de la garde robe, vent
1346-1347 : toit de la cuisine, incendie
1353-1357 : château totalement détruit par l´incendie, suit une reconstruction complète
1356, août : toit de la garde robe, vent
La destruction mentionnée en 1321-1322 se rattache difficilement aux épisodes guerriers connus, mais il n´est pas inutile de les rappeler brièvement. Toute la période concernée est régulièrement troublée par les guerres des comtes de Savoie contre le Dauphiné et le comté de Genève. En 1313, une paix éphémère s´établit entre les deux belligérants, rapidement enfreinte par de petites escarmouches. En 1320, le comte de Savoie parvient à prendre et incendier le château de Genève, mais les annales ne répertorient rien qui puisse correspondre à la destruction de celui de Saint-Hippolyte. En revanche, en 1326, le siège d´Hermerance est arrêté par une tempête, qui pourrait être celle ayant contraint à changer les fenêtres du logis.
Ce sont les seules interférences repérables avec l´histoire du comté et le rappel des grandes étapes de construction, qui ne lui sont qu´en partie liées, ne doit pas non plus dissimuler la réalité. Entre 1322 et 1353, il y eut de nombreuses mises en chantier dues aux nécessités de l´entretien, quand ce n´était pas pour des améliorations du château, parfois notables, comme l´arrivée de l´eau courante. De fait, tous ces travaux semblent prouver que les comtes avaient souhaité y résider. On a, cependant, mention de travaux explicitement réalisés pour le séjour de la comtesse Blanche, en 1346/1347 et pour la comtesse Jeanne en 1351/1352, qui laisse entendre qu´il s´agit d´exception. Dans le premier cas, il est dit que la cuisine est restaurée suite à un incendie pour la venue de la comtesse, dans le second, il est fait état de dépenses particulières réalisées pour l´hébergement de Jeanne de Bourgogne. Cela laisse supposer que le comte ne devait guère résider à Saint-Hippolyte ou vraiment très peu de temps, malgré ou à cause de la proximité de Chambéry et d´autres résidences plus agréables. Il faut également reconnaître que les intervalles laissés entre les chantiers ont été relativement courts et que le logis ne fut pas souvent habitable au XIVe siècle.
Le Logis (domus) :
Il est temps de rentrer dans le détail des constructions. Les bâtiments étaient en petit appareil avec des chaînages d´angle de pierre de taille. Les rouleaux mentionnent des dépenses réalisées pour remplacer certaines de ces pierres, qui étaient particulièrement exposées aux intempéries. Il en allait de même pour les escaliers, pour lesquels on emploie parfois de la pierre de taille. Les comptes mentionnent un certain nombre de bâtiments, le logis (domus), une garde robe, des latrines, l´église, une chapelle, une grange, une bouteillerie, des écuries, un pressoir et des moulins (9). Il n´est pourtant pas toujours aisé de comprendre comment s´articulent ces différentes constructions. Comme les résumés de ci-dessus le montrent, les travaux portent essentiellement sur les toitures. Dans certains cas, ces travaux portent sur le toit du logis en général, celui de la garde robe, de l´écurie ou du moulin ce qui suggère que les différentes fonctions du château étaient réparties dans divers bâtiments. Pourtant, il est aussi question du toit de la chambre vieille ou de celui de la grande salle (aula), comme si ces pièces constituaient des bâtiments à part entière, des tours ou des ailes distinctes, or, tout suggère une construction plutôt simple et massée. De toute manière, l´espace au sol est trop exigu pour envisager de grands développements.
Les dispositions intérieures :
L´un des éléments les plus intéressants concerne la description du logis même. Les comptes citent pêle-mêle une salle neuve, une chambre neuve, une chambre vieille, une salle basse, une salle inférieure et une supérieure, une chambre et une ou deux grandes salles (magna sala et aula). Il est évident à la lecture de cette liste, que ces dénominations se recoupent plus ou moins, sans que le texte permette réellement de faire la part des choses. On peut néanmoins en déduire que le bâtiment possède au moins un étage et qu´il ne devait guère être plus haut, sinon les comparatifs supérieurs et inférieurs n´auraient guère de sens. La chambre vieille et la neuve avaient chacune leur propre escalier, malheureusement, on ignore quel était leur point de départ. Un autre escalier permettait d´atteindre la grande salle (magna sala) depuis la cour. On mentionne aussi une porte donnant accès à la salle (sala) sous la chambre vieille. Si à tout cela on ajoute la mention au sein de la même phrase des termes de salle et de chambre, qui prouve qu´au moins eux deux recouvrent des réalités diverses, on peut affirmer qu´au rez-de-chaussée et au premier étage, on trouvait une grande salle, et au moins deux chambres, l´ancienne et la nouvelle, soit un plan plutôt simple et habituel. On ne peut guère aller plus loin dans la description du plan en l´absence d´autres sources.
Les aménagements intérieurs sont plus clairs que la disposition des pièces. Les comptes en mentionnent trois types : huisseries, cheminées et mobilier.
Les portes et fenêtres :
Les fenêtres subissent de très nombreuses réfections en 1310-1316, 1320-1322, 1326-1327, 1346-1347, 1353-1357, ce qui pour trois des cinq intervalles correspond aux grandes phases de travaux. Ceux-ci ne portent pas tant sur les menuiseries que sur les éléments de fer. Quelques portes et fenêtres sont créées et leur cadre maçonné en pierre de taille. On a mention de travaux sur celles de l´église, de la salle du comte, de la chapelle, du cellier et du logis d´une manière plus générale. Une mention intéressante concerne celles de l´église, pour laquelle ont fait réaliser deux fenêtres françaises du côté des vignes et deux fenêtres croisées du côté d´Aix (vers l´ouest). Les termes ne sont pas parfaitement clairs, mais on peut supposer que le deuxième type correspond à une fenêtre à meneaux simple et le premier à un type plus complexe en comprenant au moins deux, si ce n´est le contraire, c'est-à-dire aucun. Pour ces travaux, il est fait mention à au moins un endroit de bois, mais ce sont surtout des barres, des clous, des goujons, des verrous et d´autres éléments de fer indéterminés que l´on met en oeuvre. Les clous sont achetés par milliers, comme pour la charpente ; les barres sont systématiquement disposées par deux sur les portes et les fenêtres, généralement en liaison avec un goujon qui devait servir à les fixer. Il ne s´agit donc vraisemblablement ni de barreaux fixés dans la maçonnerie ni de barres de fermetures, mais bien d´éléments destinés à renforcer soit les meneaux, soit, plutôt, les volets. De fait, on n´a aucune mention du système de cloisonnement, papier ou verre, même après les incendies, ce qui est assez singulier.
Toute une autre série de termes est formée sur le radical ferrum : ferroillieria, ferreyll ferri, ferramenta, fenestra de ferro ferrata. Les deux premiers sont des verrous. Le terme ferramenta désigne le fer en gros que l´on met en oeuvre sur place et sa mention est assez rare. Quant à la dernière expression, elle ne signifie sans doute rien de bien défini, si ce n´est que l´on y a appliqué des éléments en fer.
Les cheminées :
Chaque pièce possède sa cheminée, mais, tous les travaux (1309-1316) sont antérieurs au premier incendie ce qui suppose que leur structure n´a pas été réellement endommagée, car il paraît inenvisageable de se passer d´un tel élément à l´époque et dans cette région, sauf ne fréquenter le château qu´en été. Des travaux sur les cheminées sont mentionnés pour une chambre indéterminée, pour la nouvelle salle, pour deux autres salles non précisées et dans la chambre du côté vigne. La cheminée inachevée d´une chambre est même détruite entre 1314 et 1315 faute de pouvoir l´achever et c´est l´une des dernières opérations enregistrées. Les différents éléments mentionnés de la cheminée sont un canal, le conduit (borna), le chevêtre (capistrum), l´ouverture (les espiranz), une barre de retenue de la longueur de la cheminée installée pour consolider la structure (ligatorium pro ligare et stringere), un élément en fer placé au sommet du conduit pour retenir le pommellum qui reste à identifier. La cheminée de la salle basse, enfin, est blanchie au mortier. Trois passages se révèlent particulièrement intéressants.
- Uno charforio facto de novo in sala nova et borna charforii camere inferioris elonganda et junggenda [...] dicti charforii sale superioris in tanto quod dicti duo charforii sunt in una et eadem borna (10) :
Ce passage permet de comprendre le sens de borna, ce qui n´est pas négligeable, ainsi que la disposition relative de deux pièces.
- Quatuor ligatoriis de ferro positis in dictis duobus charforiis et uno alio magno ferro ligatorio posito in buca dict(e camere) superioris de longitudine ipsius charforiorum ad lingandum et stringendum ipsum charforium et in uno alio ferro pos(ito) summitatis dicti charforii ad retinendum pommellum (11) :
Ce passage indique que les cheminées étaient renforcées. Le texte ne le précise pas, mais il semble vraisemblable que les trois cheminées aient reçu des barres de fer pour soutenir leur hotte. C´est intéressant, car à aucun autre endroit, sauf peut-être pour les fenêtres, il n´est question du fer comme un élément architectural structurel.
- Liberavit Theobaldo lathomo, de tachia sibi data, nomine domini, per G(uidonem) de Saissello de faciendo uno charforio de novo in cameram a parte vinearum et uno alio cha(rforio qui) est in sala bassa amortando et ipsum facere exire foris domificium supra tectum et bornam [...] a parte boree prope ecclesiam levare supra tectum per duos pedes (12) :
Le principal intérêt de la mention est de nous donner la hauteur de la souche dépassant du toit : deux pieds, soit environ soixante centimètres. Préciser la hauteur est d´autant plus important ici, que le toit est recouvert d´essentes de bois, donc particulièrement inflammable. Il faut, cependant, reconnaître que c´est bien peu.
- Et una canali posita in (cha)rforium sale nove et pro coperiendis les espiranz dicti charforii (13) :
Ce travail est réalisé par des charpentiers, ce qui laisse entendre qu´il s´agit d´un canal en bois, comme pour les adductions d´eau. Les espiranz doivent être une arrivée d´air de la cheminée où la partie supérieure de la souche, mais cela reste assez obscur.
Le mobilier :
Du mobilier est acquis à trois occasions : avant la phase de travaux préliminaires, juste après la première grande destruction, puis quelques années plus tard. Il s´agit d´une typologie basique destinée à s´asseoir, s´attabler et ranger. Il n´y a donc rien de plus ordinaire dans une résidence médiévale. Il aurait été plus surprenant d´en trouver d´avantage.
La première fois, on acquiert :
- 14 bancs de 2 toises de long, certains plus long, d´autres moins, faits de neuf pour le prieuré
- 4 tables de 2 pieds de large et 2 toises de long,
- 1 douzaine de tréteaux, outre les tables et les tréteaux qui se trouvaient déjà là,
- 3 dressoirs, dont 2 de chêne dans la cuisine et 1 de sapin dans la salle supérieure,
- 1 chevecier de neuf,
- 1 coffre à réparer,
- 4 bancs de chêne,
- construction d´un mur (en bois) pour conserver le vin dans la cour suite à la destruction du cellier,
- 1 coffre pour le linge liturgique et les autres choses nécessaires,
- 1 ciboire,
- 1 coffre de sapin pour le blé,
- des [pyscsiones] pour le cellier, de 6 toises de long (14)
En 1321-1322, on paie des charpentiers pour cinq bancs, 4 astanz et deux tables (15).
En 1326-1327, ce sont seulement des charpentiers pour réparer des tables, les fenêtres et les catonz (16) pour la venue du comte le premier mars (17).
La plus grande partie du mobilier mentionnée est donc celui du prieuré et, pour le logis proprement dit, il n´y a que trace de tables, bancs et coffres, mais cela signifie que le lieu était meublé en permanence, chose rare dans une résidence secondaire. C´est pourquoi il faut sans doute y voir le mobilier employé par le châtelain lui-même plus que celui du comte, pour qui il aurait été parfaitement insuffisant.
L´approvisionnement en eau :
Le plus grand luxe du lieu est l´eau courante. Aix est bien entendu connue pour ses eaux thermales, mais il s´agit ici de l´eau potable du ruisseau. De nombreux travaux d´entretiens prouvent que l´eau était conduite par des tuyaux de bois suspendus, appelés bourneaux, jusqu´à la cuisine du château et à une fontaine. En 1312-1314, on rétablit les conduites (aqueductus) sur sept toises, soit environ 13 m, pour conduire l´eau sous (infra) la cuisine (18). On aimerait savoir si ce « sous » signifie que l´accès à l´eau se faisait directement par la cuisine ou s´il se faisait en contrebas. Cependant, l´expression serait d´une imprécision bien étrange dans ce dernier cas et, tant qu´à transporter l´eau sur plusieurs centaines de mètre, pourquoi ne pas la faire arriver dans la cuisine. S´il en était ainsi, il s´agirait d´un véritable luxe, rare dans l´Europe du temps, y compris chez les puissants. En 1320-1321, juste avant le premier incendie, on bâtit 140 toises (ca 250 m) de bourneaux, perforés précise le texte (19). La distance est bien supérieure à la précédente, ce qui suggère que le système précédent était hors d´usage et qu´il dut être remplacé en grande partie. On fit appel pour l´occasion à six charpentiers et quarante ouvriers, deux chiffres qui ne se retrouvent jamais dans le reste des comptes, car il est déjà rare d´avoir plus de deux ou trois hommes en même temps. Le nombre de personnes permit de réaliser l´opération en un jour, soit que l´on attendait la venue du comte, soit que la solidité de la canalisation n´ait requit de tout achever en un jour. Déjà F. Mugnier dans son introduction aux comptes de la Balme (20) signalait l´emploi de seize à quatre-vingt charpentiers pour réaliser l´ouvrage en un seul jour, or, il paraît difficile de faire travailler autant de personnes ensemble sur un espace restreint comme peut l´être une charpente. Dans le même temps, il est souvent précisé que le travail est fait « comme s´il » (quasi) l´avait été en tant de jours, ce qui revient à faire de la journée une unité de mesure indépendante du levé et du couché du soleil. La précision introduite par l´emploi du terme quasi indique une équivalence en temps de travail, ce qui laisse entendre, au contraire, que son absence marque un temps réel d´une ou plusieurs journées. Il n´en serait pas moins beaucoup plus hasardeux de supposer que les comptes auraient également réduit d´une manière abstraite le temps de travail de tant de personnes sur tant de jour à un nombre de personnes travaillant sur un seul jour.
En 1349-1350, trois ans avant la destruction finale, on se décide à restaurer les canalisations pour faire parvenir l´eau à la fontaine du château, pas attestée par ailleurs, l´eau n´y arrivant plus. Aucun bourneau n´est acheté pour l´occasion, on se contente de récupérer les anciens. Il faut donc croire que le précédent système avait en grande partie survécu tout en étant hors service, si étonnant que cela puisse paraître. L´année suivante, des travaux sont à nouveaux engagés pour réparer et curer l´ensemble. Il est en effet probable que de telles canalisations supportaient mal l´hiver et devaient dont être réparées chaque année, ce qui est loin d´être les cas sur le demi-siècle de comptes conservés. Cet exemple est particulièrement révélateur de l´entretien que demande une résidence de ce type et de sa très grande irrégularité à Saint-Hippolyte. Des aménagements sont signalés à divers moments, mais la plupart n´a pas coexisté, sans même que les guerres ou les accidents en soient la cause.
Ces quelques remarques n´ont nullement vocation à épuiser la matière de ce texte très riche en enseignements. Un grande nombre d´éléments ont été volontairement laissés de côté, que ce soit un certain nombre d´aménagements et notamment tous ceux qui ne concernent pas directement le logis, comme le souterrain (suturnum), les étables ou la grange, mais aussi toute la charpenterie, qui occupe pourtant la plus grande partie des dépenses, que ce soit la main d´œuvre avec sa hiérarchie (magister, carpentator, latomus, terralio, rassiator, manoperator, valetus, homo, mulier, natonerius, bubulcus, quadrigarius) ou que ce soit le prix des matériaux et leur acheminement. Le but de ces quelques remarques préliminaires est d´introduire un texte fort intéressant, transcrit pour l´Inventaire de la Région Rhône-Alpes dans la perspective d´une possible étude de la villa Chavalley. Ces éléments devraient bien révéler tout l´intérêt qu´elle présenterait (21).
Notes :
1. Les Archives Départementales de Savoie (ADS) ont mis en ligne l´intégralité de ce fonds, auquel on peut accéder gratuitement par leur site internet. Il a déjà fait en partie l´objet de recherches.
2. ADS SA 10 245 à SA 10 270
3. Jules de Mouxy de Loche, 1897
4. Pietro Gioffredo, 1682
5. P. Paillard et A. Duperray, 1996, pp. 482-483
6. id., p. 3
7. id., p. 4
8. id.
9. Les travaux sur les deux derniers n´ont pas été transcrits faute de temps, mais ils sont aussi fréquents que les autres.
10. ADS SA 10 246, mardi 22 février 1312 - lundi 17 mars 1314 ; traduction : pour une cheminée faite de neuf dans la salle neuve pour allonger le conduit de la cheminée de la chambre inférieure et le joindre à celui de lad. cheminée de la chambre supérieure, de telle sorte que les deux cheminées n´aient qu´un seul et même conduit.
11. ADS SA 10 246, mardi 22 février 1312 - lundi 17 mars 1314 ; traduction : pour quatre traverses [ligatoria] de fer posées dans lesd. deux cheminées, pour une grande traverse de fer posée dans l´ouverture de lad. cheminée supérieure, de la longueur de la même cheminée, afin de lier et retenir la même cheminée, et pour un fer posé au sommet de lad. cheminée pour retenir le [pommellum]
12. ADS SA 10 245, 7/8 mars 1310 - mercredi 15 juin 1311 ; traduction : a été payé au maçon Thibault, pour la tâche qui lui été confiée au nom de notre sire par Guy de Saisselle, de faire une cheminée de neuf dans la chambre du côté des vignes, de couvrir de mortier une autre cheminée, qui se trouve dans la salle basse, et de la faire sortir hors de la construction, au-dessus du toit et d´élever le conduit [...] du côté nord, près de l´église, deux pieds au-dessus du toit.
13. ADS SA 10 245, mercredi 16 juin 1311 - mardi 21 février 1312 ; traduction : et pour un canal posé dans la cheminée de la salle neuve et pour couvrir les espiranz de lad. cheminée.
14. ADS SA 10 246, mardi 22 février 1312 - lundi 17 mars 1314
15. ADS SA 10 249
16. Terme non identifié
17. ADS SA 10 252
18. ADS SA 10 246
19. ADS SA 10 249
20. cf. F. Mugnier, 1981, pp. 8-9
21. Je tiens à remercier chaleureusement Viviana Pivetti pour son aide attentive à la relecture de la transcription, Marie-Pierre Feuillet, conservateur au Service Régional de l´Archéologie, pour m´avoir apporté sa connaissance du vocabulaire très spécialisé des comptes, à Marie-Reine Jazé-Charvolin, Ingénieur de recherches à l´Inventaire général du patrimoine en région Rhône-Alpes, et à Joël Lagrange, directeur des Archives communales d´Aix-les-Bains, pour leur aide attentive dans le cadre de mon stage à l´Inventaire de la Région Rhône-Alpes.