1. HISTORIQUE
A La Balme, le service des Ponts et Chaussées se préoccupe rapidement de reconstruire l´ancien ouvrage en béton armé détruit en juin 1940, compte tenu de l´importance croissante de cet itinéraire reliant Chambéry à Paris (PIERRE, 1946, p. 65 et BROCARD, p. 97).
"Cependant il apparut vite que les travaux seraient longs à cause de l´importance de la brèche et de la nécessité d´améliorer l´ancien tracé des voies d´accès [...] l´Administration para au plus pressé en faisant reconstruire d'urgence le pont de Lucey situé à 13 km à l´amont. Entre-temps, elle mit au concours la construction à La Balme d´un nouvel ouvrage" (PIERRE, 1946, p. 65).
L´emplacement du nouveau pont est fixé à environ 450 m en amont de l´ancien en béton armé, "dans la gorge même de Pierre-Châtel, à un endroit où la largeur du Rhône se rétrécit à 62 m" (PIERRE, 1946, p. 65 ; BROCARD, p. 97 et MARREY, 1995, p. 128).
L'emplacement choisi, qui correspondrait approximativement à celui de l'ancien pont en pierre construit au 13e siècle par les comtes de Savoie (PIERRE, 1946, p. 65 et LAGIER-BRUNO, p. 24), devait répondre aux exigences de la navigation et au plan d´aménagement hydroélectrique du fleuve (LAGIER-BRUNO, p. 1).
Le nouvel ouvrage sans tonnage devait également satisfaire aux besoins du trafic routier et améliorer la circulation. Ainsi l'axe du pont se trouve de biais par rapport au fleuve, pour diminuer le rayon de courbure des voies d´accès (Conseil Général de la Savoie. Direction des routes et des ouvrages d´art. Cahier Reconstruction du pont ; PIERRE, 1946, p. 65).
La pénurie de ciment et d´acier de l'époque, de même que la proximité de carrières de pierre de qualité, justifient le choix d'un ouvrage en pierre de taille, d'autant que sa portée se trouve réduite par rapport à l'ancien pont (PIERRE, 1946, p. 65 ; LAGIER-BRUNO, p. 2 ; GRATTESAT, p. 115 et MARREY, 1995, p. 127-128 ; MARREY, 2004, p. 91).
Ce choix de la maçonnerie permettait également d'édifier un ouvrage en harmonie avec le cadre naturel dans lequel il s'inscrit. Sa forme générale fut ainsi déterminée à partir de dessins exécutés sur un agrandissement photographique des gorges, précédant la réalisation d'une maquette en bois à l´échelle 1/200 (LAGIER-BRUNO, p. 3).
Le programme du concours lancé par le Service des Ponts et Chaussées de la Savoie prévoyait une arche en pierre de taille de 64 m de portée, construite au moyen d'un cintre retroussé afin d'éviter les les appuis en rivière, et une chaussée de 7 m, bordée par deux trottoirs de 1 m (PIERRE, 1946, p. 65-66 et MARREY, 1995, p. 128).
Le projet de l´Entreprise parisienne Bollard, qui diffère légèrement du projet initial dressé par les ingénieurs, répondait cependant parfaitement aux dispositions d'ensemble et fut retenu (PIERRE, 1946, p. 66 ; LAGIER-BRUNO, p. 4).
Le marché en soumission, montant à 4 239 000 francs, passé le 12 septembre 1941 avec l'entrepreneur est approuvé le 12 mars 1942.
Plusieurs avenants seront toutefois nécessaires. Un avenant portant notamment sur la modification de certains prix par suite du départ de la main d´oeuvre, en conséquence du retrait des prisonniers de guerre allemands (Conseil Général de la Savoie. Direction des routes et des ouvrages d´art. Cahier Reconstruction du pont).
Un vaste chantier, naturellement conditionné par l'approvisionnement et le stockage de la pierre, est mis en place. L'entrepreneur assure lui-même la taille des blocs à la carrière de calcaire dur de Rocheret, située à Parves, à moins de 3 km, à vol d´oiseau, du nouvel ouvrage. Acheminés par camion par une route de montagne, les blocs sont distribués sur le chantier par un grand téléphérique installé sur la falaise. Un blondin (petit téléphérique) distribue quant à lui les pierres sur le pont (PIERRE, 1946, p. 67-68 ; LAGIER-BRUNO, p. 5 et 6 et MARREY, 1995, p. 128).
Les matériels de chantier, ainsi les blondins, ont été réalisés par Haulotte, de Chambéry, sur les indications de l´Entreprise Bollard (PIERRE, 1946, p. 68).
Le chantier débute par les terrassements et les fondations. Des charges de dynamite permettent de déblayer le rocher où viennent s'encastrer les culées. Le premier coup de mine pour la culée de la rive gauche est donné le 28 mars 1842. Les fondations, reposant sur du rocher, sont descendues à 1 m au-dessous du niveaux des eaux. Un petit mur en béton armé, bâtardeau, est construit.
La première pierre de la culée est posée le 20 juin suivant par le maire de La Balme.
Les culées construites en béton armé, servent d´appui aux deux grandes voûtes constituant l'arche du pont.
Le cintre est constitué de deux arcs entretoisés et contreventés, en madriers de sapin, numérotés et maintenus ensemble par des boulons. Il est construit en deux parties : une partie, mise en place par basculement à l'aide d'un treuil et des câbles d'amarrage, est dressée sur chaque rive ; la partie centrale du cintre est posée par éléments (PIERRE, 1946, p. 68 et LAGIER-BRUNO, p. 7-12).
Le cintre en bois retroussé est terminé le 31 décembre 1942 (LAGIER-BRUNO, p. 23). C'est sur le plancher de ce pont provisoire que sont disposées les pierres. 1.100 pierres par arc seront nécessaires (idem, p. 12 et 13).
Pour ne pas surcharger le cintre, chaque arc est construit en trois rouleaux, en procédant à leur clavage provisoire (PIERRE, 1949, p. 23).
Les deux arcs sont construits un à un. Le premier arc est achevé le 26 octobre 1943 et le second presque exactement un an plus tard, le 20 octobre 1944 (LAGIER-BRUNO, p. 23).
Le décintrement se fait par la manoeuvre de vérins.
Une dalle en béton armé est coulée, puis du mortier et une couche d´asphalte posée à chaud, pour protéger la maçonnerie de dessous. Un nivellement est opéré avant de mettre en place le revêtement de bitume et gravillons. De chaque côté un trottoir et un parapet parachève l'ouvrage (idem, p. 19-21).
Des pilastres soutiennent les murs courbes à l´arrivée des routes d´accès (idem, p. 17). La dernière pierre du pont est posée au parapet du pilastre amont, en rive droite, le 10 novembre 1945 par le maire de Virignin. Les routes d´accès terminées, le nouvel ouvrage est livré à la circulation le 1er mai 1946 (PIERRE, 1946, p. 69 ; LAGIER-BRUNO, p. 22 et 23 et BROCARD, p. 97).
L´ouvrage fut soumis, malgré lui, à une épreuve de résistance lorsqu´il livra passage aux transformateurs géants de l´usine de Génissiat [1947], le convoi constituant un véritable train routier de 75 m de long dont le poids total dépassait 350 tonnes. Aucune flèche ne fut alors constatée (PIERRE, 1949, p. 23).
Les arcs du pont de la Balme sont exécutés entièrement en maçonnerie, constituant la principale originalité du pont. Cette solution adoptée apparaît certes moins économique mais techniquement meilleure qu'une construction en béton à revêtement de pierre de taille (PIERRE, 1949, p. 24-25).
Pour l´exécution des joints vibrés de la maçonnerie, nécessitant la vibration interne du béton-mortier de joint, est conçu un outil nouveau, le vibroscillateur (idem, p. 23 et p. 26). Le béton vibré des joints offre une résistance excellente à l´écrasement et présente des avantages sur les joints en béton coulé ordinaire, ou encore les joints matés (idem, p. 25).
Les travaux du pont de La Balme, dont la dépense s'est montée à 45 millions de francs 1945, soit 6 à 700 millions (LAGIER-BRUNO, p. 23), commencés en 1942 "ont pu être poursuivis pendant l´occupation, malgré les nombreuses difficultés rencontrées à l´époque sur tous les chantiers qui n´intéressaient pas l´économie du Reich" (PIERRE, 1946, p. 69).
120 m3 de bois et 1,750 m3 de pierre ont été nécessaires à sa construction (LAGIER-BRUNO, p. 23).
Les travaux ont été exécutés sous la direction de l´Inspecteur général Gex, de l´ingénieur en chef Pietri, dont l´impulsion fut essentielle, puis de son successeur Chary, des ingénieurs des Ponts et Chaussées Rollet puis Michaud, et de Lucien Lagier-Bruno, ingénieur des Travaux publics de l'Etat, dont seul le nom est gravé sur la plaque d'inscription scellée sur le parapet du refuge à l'entrée du pont en rive gauche, côté droit (voir annexe n° 1).
Du côté de l´entreprise adjudicataire Bollard et Cie [5 rue des Reculettes, Paris 13], l´architecture générale est due à V. Bollard, les études à M. Merle et les conceptions techniques principales à B. Pierre qui a dirigé les travaux avec André Curtet, chef de service (PIERRE, 1946, p. 69 et LAGIER-BRUNO, 2e de couverture). Seul Marrey donne le nom de l'architecte G. Leconte (MARREY, 2004, p. 91).
Une centaine d´ouvriers ont participé à sa construction (LAGIER-BRUNO, p. 24).
Cet ouvrage constitue l'un des derniers grands ponts en maçonnerie construits en France (PRADE, p. 225 et MONTENS, p. 79). Sa "conception générale s´inspire de la tradition la plus classique du pont en pierre, [mais] s´en écarte cependant par sa technique moderne de construction, tant en ce qui concerne les méthodes d´études, que la nature de la maçonnerie et des joints, et que la constitution du cintre" (PIERRE, 1946, p. 69).
2. DESCRIPTION
Le pont routier de La Balme présente une unique travée de 64 m de portée entre les culées, une flèche de 12,80 m et offre un poids total de 4 000 tonnes.
La voûte est constituée de deux arcs parallèles de type encastré, de 3,50 m de large et d'épaisseur variant de 2,20 m aux naissances à 1,40 m à la clé. L'intervalle de 2 m qui les sépare est comblé par des petites voûtes transversales.
Sur ces arcs prennent appui quatre ouvertures voûtées, dites voûtes d'élégissement, de chaque côté du pont. Destinées à alléger la structure maçonnée de l'ouvrage, elles supportent le tablier du pont.
La dalle de béton coulé formant tablier porte une chaussée de 7 m encadrée de chaque côté par un trottoir de 1 m de large en dalles de pierre, que borde un garde-corps (mur bahut) également en pierre de taille
(Conseil Général de la Savoie. Direction des routes et des ouvrages d´art. Cahier Reconstruction du pont, annexe n° 2 ; PIERRE, 1946, p. 66, voir annexe n° 3 ; voir aussi PIERRE, 1949, p. 23 et LAGIER-BRUNO, p. 19, 21 et 23).
La caractéristique principale de l'ouvrage réside dans l'emploi exclusif de pierres de taille, jointoyées au béton mortier, pour les deux arcs de la voûte.
Le pont s´apparente ainsi aux ouvrages classiques en pierre de taille de Séjourné, et en particulier au pont Adolphe de Luxembourg (PIERRE, 1946, p. 66, voir annexe n° 3).
Le parement des pierres constitue une autre originalité. Tous les parements du pont, sont traités de façon rustique, apparaissant généralement à bossages grossiers sans ciselure (PIERRE, 1946, p. 66-67 ; PIERRE, 1949, p. 23 et MARREY, 1995, p. 128).