1. HISTORIQUE
"Pendant très longtemps, il n'y eut sur ce point du Rhône [entre Lucey et Massignieu-de-Rives] qu'un simple bac à traille permettant de simples échanges entre les habitants des deux rives" (BROCARD, p.93).
En 1908, une commission interdépartementale est constituée afin d'étudier un projet de construction d´un pont sur le Rhône entre l´Ain et la Savoie, qui doit se situer entre le pont de La Loi (Culoz) et celui de Yenne. La commission propose deux endroits pour cette traversée : entre Massignieu-de-Rives (Ain) et Lucey (Savoie), où existe alors un bac à traille, et/ou entre Lavours (Ain) et Chanaz (Savoie) (AD Ain, 3S 1149).
L'idée ne semble pas aboutir, mais réapparaît vingt-cinq plus tard, dans les années 1930, époque à laquelle un projet de pont-route interdépartemental sur le Rhône entre Lucey et Massignieu est lancé sur concours. On conserve aux archives départementales de Savoie une soumission de Ch. Rangeard & fils, entrepreneurs de travaux publics à Paris, d'octobre 1934, au prix de 2 077 455,20 F.
Dans le devis-programme du concours, le pont projeté, de type bow-string à trois travées indépendantes, doit donner passage à une double voie charretière de 5,50 m de largeur, flanquée de 2 trottoirs de 0,75 m. Selon Pierre, le type de l´ouvrage était laissé à l´initiative des concurrents ainsi que la nature des matériaux, seul un ouvrage économique mais d'aspect agréable, était préconisé, pour ne pas nuire au site (AD Savoie, S 1222 ; PIERRE, p. 95).
Le pont de Lucey, sur la R.D. 37A - R.D. 210, devait, d'après Brocard, assurer une liaison depuis la Savoie vers Belley (situé à moins de 10 km de distance de Lucey) ; ce qui fut le cas jusqu'à ce que cette commune ne soit desservie par le pont de la R.D. 1504, franchissant le canal de dérivation du Rhône (1981) (BROCARD, p. 93).
Les concurrents sont nombreux, plus d´une trentaine de dossiers sont présentés. C'est l´un des projets étudiés par l´Entreprise Bollard qui est retenu (PIERRE, p. 95).
L'ouvrage, qui n'adopte pas le type bow-string mais un profil en arc, est réalisé par cette entreprise parisienne à partir de janvier 1936 et terminé au printemps 1938, date à laquelle il est mis en service (AD Savoie, 1210 W 37 ; PIERRE, p. 99 ; BROCARD, p. 93 ; MARREY, p. 68 ; MONTENS, p. 151).
Il n'aura qu'une très courte existence puisque le 20 juin 1940, l'armée française, afin de gêner la progression des troupes allemandes, dynamite le pont, entraînant la destruction des deux travées et de la culée de la rive droite (AD Savoie, 1210 W 41 ; PIERRE, p. 100 et BROCARD, p. 93).
La stabilité des trois travées subsistantes s´est trouvée telle qu'il fut possible d'enlever toutes les parties effondrées de l´ancien tablier qui prenaient plus ou moins appui sur la deuxième pile, sans réaliser aucun dispositifs complémentaire d´étaiement (PIERRE, p. 100).
Très rapidement, en août 1940, il est fait état du projet de rétablir l'ouvrage dans son état primitif (AD Savoie, 1210 W 41 ; BROCARD, p. 93). La reconstruction apparaissait en effet urgente pour l'Administration des Ponts et Chaussées, car alors plus un pont n'existait sur le Rhône sur une quarantaine de kilomètres (BROCARD, p. 93).
Le 23 mai 1942, un marché est passé entre Pietri, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et Levrat, représentant de l´entreprise Bollard. Cette dernière s'engage à exécuter les travaux de reconstruction du pont de Lucey, moyennant 186.380 F (AD Savoie, 1210 W 37 et AD Savoie, 1210 W 41). Ils sont achevés cette même année (PIERRE, p. 100).
En juin 1946, l'ingénieur en chef, nommé Chary, certifiait que l'entreprise Bollard a satisfait à la reconstruction du pont de Lucey (AD Savoie, 1210 W 37).
L´architecture générale de l´ouvrage est due à M. Bollard et les conceptions techniques à M. Pierre, directeur de l´entreprise Bollard, qui a aussi dirigé les travaux, aidé de M. Curtet, conducteur de travaux.
Les travaux de premier établissement ont été exécutés sous la direction de M. Gex, inspecteur général des Ponts et Chaussées de la Savoie, M. Lehanneur, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la Savoie et M. Lagier-Bruno, ingénieur des TPE.
La reconstruction s'est faite sous la direction de M. Pietri, ingénieur en chef, M. Rollet, ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, assisté de M. Lagier-Bruno (PIERRE, p. 100).
2. DESCRIPTION
Après 1940, le pont est reconstruit dans son état primitif, soit un ouvrage de 238 m de long, comprenant cinq arcs en béton armé, de 40,38 m, 47,20 m, 52 m, 47,20 m et 40,38 m d´ouverture respective, supportant un tablier en béton armé par l´intermédiaire de potelets prenant appui sur les arcs, deux culées et quatre piles en rivière. Le tablier de 7 m de large porte une chaussée de 5,50 m (AD Savoie, 1210 W 37 et 1210 W 41 ; PIERRE, p. 96 ; BROCARD, p. 93 ; Base CNR/Oasis).
Chaque travée comporte deux arcs, qui sont encastrés sur les piles et les culées.
Leur "cintrage a été réalisé par un simple étaiement prenant appui sur une passerelle sur pilots battus à l´avancement".
"Les piles en rivière étant hautes, on aurait été conduit à dimensionner très fortement leurs fondations si on n´avait pas pris la précaution d´entretoiser ces piles en tête par un tirant", c'est ce qui constitue un des caractères originaux de l´ouvrage.
Ces piles ont été fondées dans le lit du Rhône à 6 m approximativement de profondeur au-dessous de l´étiage, par l'utilisation d'une enceinte en palplanches métalliques.
L´ouvrage a été commencé par la rive droite. Les différents travaux des piles, des arcs et des tabliers, ont été exécutés à l´avancement. Un contrebutement provisoire de chacune des piles, à l´aide de pilots et fers, a dû être réalisé.
Le tablier en béton armé est constitué par un hourdis, un quadrillage de longerons et de pièces de pont. De chaque côté du tablier, dissimulé sous les trottoirs et posé sur des petites consoles en béton armé a été réalisé un tirant en béton armé complètement indépendant du tablier et scellé aux têtes des quatre piles et aux deux culées.
"La décoration de l´ouvrage fut réduite au minimum. [...] Le fût inférieur des piles est habillé en moellons têtués et couronné de pierre de taille".
(Notes descriptives extr. de PIERRE, p. 96-100).