Chronologie du site archéologique de Sainte-Eugénie
L´ancien village de Moingt, uni aujourd´hui à Montbrison, est connu de longue date par ses sources thermales, son théâtre sommairement fouillé en 1882, les thermes mis en évidence par Dulac et d´abondantes découvertes de substructions monumentales et de fragments de décors en marbre. Le premier état des lieux des thermes est dressé par l´architecte J.-B. Dulac chargé des travaux de transformation des bâtiments en 1876. D´autres fouilles seront menées par Rochigneux Th. En 1885. Dès le milieu du 19e siècle, le site est identifié par Vincent Durand à l´antique station thermale d´Aquae Segetae figurée sur la table de Peutinger, le long d´une des branches d´Aquitaine. Réalisé en 1265 par un moine de Colmar et constitué de 11 parchemins hauts d'environ 34 cm qui, bout à bout, totalisent une longueur de 6,74 m., ce document a été découvert en 1494 par Conrad Meissel alias Celtes et remis en 1507 à un antiquaire d'Augsbourg, Conrad Peutinger.
Suite à deux années de fouilles sur le site du Clos Sainte-Eugénie, réalisées sous la direction du service régional de l´archéologique (Direction régionale des affaires culturelles en Rhône-Alpes) et achevées en 1992, une cartographie des vestiges montre l´extension réduite du site (environ 15 ha), dont les édifices publics semblent constituer la majeure partie ; il s´agirait d´un vaste ensemble cultuel et thermal. Au cours de ces travaux, les traces d´un sanctuaire semblent avoir été identifié, édifice nécessairement associé à ce type d´ensemble.
Concernant l´édifice thermal primitif, la partie conservée en élévation des vestiges forme un bâtiment allongé de 59m X 12 dont la chapelle constitue l´extrémité ouest. Les recherches archéologiques ont permis de cerner l´emprise générale de la construction antique et l´essentiel de son plan (sa partie connue couvre 1488 m², mais pourrait atteindre 1850 m² compte tenu des vestiges enfouis sous la route. La fonction de plusieurs de ses pièces a pu être déterminée par la découverte d´hypocaustes, de bassins et d´ouvertures diverses conservées dans les parties en élévation...
La deuxième occupation connue des lieux est celle d´un prieuré médiéval. Le couvent du Palais (« Domus de Palatio ») est fondé au 11e : l´abbé de la Chaise-Dieu Ponce de Tournon est appelé en 1096 à Lyon par l´archevêque Hugues (BNF ms Fr 930 - Pouillé mss Descamps, vol. coté Abbayes, 104. A. Vachez, Les familles chevaleresques, p. 8) qui lui donne l´église de Modon près de Montbrison. Ponce établit un prieuré conventuel à Modon pour 12 cloîtriers, qui nomme aux prieurés simples de Chalin, Valfleurie, Boisset et le Comtal. D´autres sources archivistiques précisent que la Domus de Palatio est acquise par l´abbaye de la Chaise-Dieu qu´en 1254. La Chaise-Dieu achète à des laïcs la seigneurie du Palais ; c´est essentiellement une dîmerie laïque de montant à 1120 lb...et portant pour moitié sur des vignes utiles aux moines (de 1254 à 1405 l´abbaye achète la dîme sur les terres et vignes exemptes de cette tâche, mais enclavés parmi les fonds relevant du Palais). Elle bâtit une église au Palais et confisque à Savigneux le patronage de Moingt (Guichard G (sous la direction de). Chartes du Forez antérieures à 1301, J.E. Dufour, 1933 - 1943, Mâcon, 9 vol., chartes T XV). L´achat porte sur la seigneurie du Palais, essentiellement une dîmerie laïque. C´est probablement à cet établissement qu´il faut rattacher les vestiges d´une modeste installation qui fut détruite lors de la construction de la chapelle ; le matériel provenant de la couche de démolition est, selon l´étude archéologique, caractéristique de la deuxième moitié du 13e siècle, confortant ainsi la datation proposée pour la construction de la chapelle Sainte-Eugénie (limite 13e siècle, 14e siècle). Cette construction intervient dans le cadre d´autres travaux conduisant à l´établissement d´un prieuré, détruisant, ou transformant de fait certaines parties antiques. Les nouveaux bâtiments sont établis en U autour d´une cour étroite fermée à l´ouest par un grand portail ; les ailes sud et est réutilisent les murs antiques ou prennent appui dessus. (THIRION, Philippe, BLIN, Olivier, HURTIN, Stéphanie, LE BARRIER, Christian. Les thermes antiques d´Aquae Segetae et le prieuré médiéval de Sainte-Eugénie à Montbrison - Moingt (Loire). DRAC, SRA, Lyon, 1993 (rapport de fouilles))
Ainsi la chapelle à deux travées couvertes de voûtes d´ogive est constituée de deux murs antiques hauts d´une douzaine de mètres et de deux murs médiévaux construits en deçà de murs antiques arasés sur lesquels sont assis des contreforts. On y pénètre depuis l´ouest par un remarquable portail ogival surhaussé qui donnait autrefois accès, par une volée de quatre marches au sol de la nef, établi en contrebas. Le chevet plat était probablement surélevé de deux degrés et communiquait, par une petite porte ogivale, avec le reste de l´aile sud.
Après 1500 le prieuré bénédictin décline et vend la totalité de ses rentes en 1691. Les bâtiments sont vendus comme bien national à la Révolution : 30 décembre 1790, estimation du palais de Moingt dépendant des Bénédictins de la Chaise-Dieu. Désignation des biens : « ...Un bâtiment situé eu lieu appelé le Palais composé d´une cuisine, d´une cave voûtée, trois petites chambres, un grenier, deux celliers, deux cuvages, une écurie, une fenière, un pigeonnier, un chapit, une cour où il y a un puits, un petit jardin y attenant, une chapelle, une petite place au devant d´icelle, le tout joignant le grand chemin de Montbrison à Saint-Antelme d´occident, estimé à 2 000 lb. Les bâtiments et terrains attenants sont adjugés le 19 septembre 1791 à Mathieu Pugnet notaire à Montbrison (AD 42, Q 180 et Q 160/1-n°577)
Les moniales de Sainte-Claire, les Clarisses, installées depuis 1500 par Pierre d´Urfé, perdirent leur couvent de Montbrison en 1792 qui fut vendu en 1795 comme bien national. Elles découvrirent à Moingt la maison vétuste de Sainte-Eugénie, ancien couvent des Bénédictines. Elles s´y installent le 24 septembre 1804, elles furent 15 au départ puis rejointes par onze autres soeurs, et le quittèrent en 1821 pour aller s´installer dans l´ancien monastère des Capucins. Elles entreprirent de grandes réparations : construction d´un étage supplémentaire au logis (relevés Christian Le Barrier, 2001), et restauration de la chapelle et de son choeur. (CHAPERON, Henri. Histoire des Clarisses de Montbrison. In Village de Forez, n° 22, avril 1985)
La section A2 du cadastre ancien de 1809 (AD 42 côte 1682VT12_38), indiquent clairement l´intitulé du lieu : Palais de Moingt, et le statut des bâtiments : Couvent Sainte-Claire. Cependant les matrices cadastrales précisent que le propriétaire des lieux est M. Goutorbe Hilaire Benoît, lequel possède une terre (parcelle n° 428), trois jardins (n° 429, 430, 432bis), deux maisons (n° 430bis, l´aumônerie, et n° 433, maison et cour), une église (n° 431) et une place ou aisance (n° 432).
Après le départ des Soeurs, en 1824, un incendie se déclare dans la chapelle, alors propriété de M. Goutorbe qui l´utilise pour entreposer des tonneaux d´eaux-de-vie. Après l´abandon de toute vie conventuelle le site revient à des particuliers. « L´église est brûlée à mon bien grand regret ; c´est une vraie perte pour les amateurs d´antiquités... » écrit-il à M. de la Bâtie, un correspondant. (HURTIN, Stéphanie. Le prieuré de Sainte-Eugénie. Mémoire de maîtrise sous la direction de J.-F. Reynaud, Université Lumière-Lyon 2, 1994.)
Au cours du premier semestre 1851, un atelier de tissage est installé dans le vieux prieuré qui est alors la propriété de M. Goutorbe. M. de Jussieu fait confectionner sur place 12 métiers battants, dans l´espoir d´en quadrupler le nombre. On installe des métiers Jacquard probablement sous les voûtes de la chapelle. M. de Jussieu entend fabriquer des rubans simples d´un placement assuré. Une petite exploitation horticulturale est attenante au petit domaine. La situation de la rubanerie se détériore dès 1856, puis marasme et chômage s´installent jusqu´en 1870. Le tout nouvel atelier disparaîtra donc rapidement, victime de la crise. (BAROU, Joseph. 1851 : quand les métiers battaient à Sainte-Eugénie (Moingt), In Village de Forez n° 87-88 octobre 2001). De nombreuses fenêtres sont alors percées dans la façade du logis qui seront rebouchées lorsque la famille de Neufbourg s´établira dans la place.
Les bâtiments, acquis en 1865 par M. Sirventon, passent par mariage aux époux de Neufbourg-Sirvanton qui entreprennent d´en transformer l´aile sud en demeure bourgeoise. En 1882 la chapelle est transformée en remise, étable et fenil. Les dépendances formant l´aile nord sont démolies.
La propriété est par la suite vendue à la famille Boudot qui l´habite de 1926 à 1989 (1929, incendie de cheminée / 1928 (M. Jay) : installation de l´électricité : extérieur, vestibule, cuisine, bureau, salon, chambre, cabinet de toilette, chambre, lingerie, vestibule, WC, petite cuisine, chambre, chambre institutrice supérieure, salle à manger, chambre bonne / 1927 (J.-B. Pratta, platerie peinture, vitrerie à Montbrison) : plafonds en volige bâti et enduit, enduit des murs, galandage bâti et enduit, destruction ancienne cheminée. (Archives SRA Rhône-Alpes, Mémoire des travaux exécutés pour le compte de Monsieur Boudot Propriétaire du château Ste Eugénie à Moingt, de 1926 à 1967)
La ville de Montbrison est propriétaire depuis le 14 novembre 1989. La chapelle Sainte-Eugénie et les anciens bâtiments conventuels situés à Montbrison (section AH 113) inscrits sur l´inventaire supplémentaire des monuments historiques le 19 avril 1988, puis classés monument historique le 14 décembre 1992. Après avoir failli être vendu en 2007 à une société foncière pour y aménager des logements, le site attend...(AC Montbrison, délibération du 06 novembre 2007)
« Ce site présente le cas exceptionnel d´un édifice monumental antique occupé pendant près de deux mille ans et dont les affectations successives (cinq au minimum) ont abouti à la réalisation d´un véritable patchwork archéologique et architectural résumant son histoire.
Quelle que soit la période considérée, son intérêt archéologique est évident, et ce d´autant plus, pour la période antique, qu´il s´agit d´un site d´étape figuré sur une des rares cartes antiques connue et qui s´inscrit dans une problématique très actuelle d´étude d´une série d´ensembles therme-sanctuaire-théâtre qui paraît propre à la Gaule Lyonnaise.
D´un point de vue patrimonial, son originalité réside dans cette intrication des réaménagements opérés au fil des siècles. Ces murs constituent une sorte de palimpseste architectural que les travaux futurs devraient permettre de décrypter et de rendre lisible au public. [Le palimpseste est un manuscrit écrit sur un parchemin préalablement utilisé, et dont on a fait disparaître les inscriptions pour y écrire un nouveau texte]
Il reste à donner une nouvelle affectation à ce bâtiment, ce serait là rester dans la logique de son histoire. » (THIRION, Philippe (sous la direction de). Les thermes antiques d´Aquae. Montbrison - Moingt (Loire). 1991. DRAC, SRA, Lyon (rapport de fouilles))