Les établissements Grammont sont créés en 1849 à Pont-de-Chéruy par Etienne-Claude Grammont. Il installe en effet des ateliers de tréfilage, fonderie, laminage à froid et à chaud sur les bords de la Bourde. En 1890, Alexandre, son fils, de retour des Etats-Unis est associé et développe la fabrication de matériels électriques. Dès 1916, une vague de migration arrive avec des Grecs de Turquie en 1916, puis des Grecs chassés d´Asie mineure par les Turcs, les Arméniens arrivent également à Pont-de-Chéruy entre 1923 et 1928, la cité du Réveil est construite à ce moment-là, ce bâtiment d'une grande longueur rythmé par une série de lucarnes, rappel l'architecture de bâtiment conventuel comme les chartreuses.
En 1914, la Première Guerre mondiale offre l´occasion d´un développement spectaculaire de ces établissements en raison de l´effort de guerre. Cette entreprise créée en plein espace rural, va voir arriver à partir de 1916 une grande vague d´immigrés. Une nouvelle cité ouvrière est alors construite en 1916. Elle est localisée en périphérie de la commune. Appelée la cité du Réveil, le bâtiment du « Réveil » est un immeuble collectif dédié aux Grecs avec une annexe composée d’une église et d’une école grecque accolée. Le bâtiment d’habitation de la cité compte 80 logements similaires de 25 m² (ZERVUDACKI C. opus cit. p. 61), pièce unique avec terrasse intérieure permettant le dédoublement de l'espace habitable, selon un module simple répété dans tout le bâtiment. Assez rapidement sera prévu deux bâtiments supplémentaires destinés à l'équipement collectif - une cuisine et un lavoir - respectivement en août et novembre 1916. Un seul bâtiment a été construit celui du Réveil fonctionne de manière un peu autarcique, en surplomb des usines qui attire de nouveaux arrivants. La population l'a adopté et a fait de cette ébauche de quartier, un morceau de ville à part entière. De l'importance accordée à fonder rapidement un lieu de culte puis une école d'apprentissage de la langue grecque, interroge encore aujourd’hui. Le bâtiment longiligne semble être "posé" dans un espace rural desservi par le chemin de Villette d'Anthon à Pont-de-Chéruy, il n'en opère pas moins une centralité. A Charvieu/Pont-de-Chéruy, soit on ignore cette entité qui demeure un peu lointaine, soit on en parle comme d'une "enclave" grecque en terre du nord-Isère.
Des Grecs de Turquie en 1916, puis des Grecs chassés d´Asie mineure par les Turcs ainsi que des Arméniens et des Russes arrivent également à Pont-de-Chéruy entre 1923 et 1928, auxquels s´ajoutent des Italiens, des Espagnols puis des Polonais qui vont également être recrutés par des bureaux d´embauche dans leur pays même. Puis dans les années 1950-65, ce sont les Grecs venus de Macédoine et des grecs venus également des pays industrialisés et également des Maghrébins en majorité Algériens.
De 1920 à 1927 s'édifient une série de villas destinées aux cadres et à la maîtrise de l'usine, logements individuels isolés ou jumelés avec jardins. Quel était le projet de Grammont en matière d'urbanisme (ZERVUDACKI C. opus cit. p. 37). le projet de Grammont comporte peut-être une dimension "fondatrice" : ce patron d'industrie est également maire de sa commune et entend offrir à ses ouvriers et employés un cadre de vie qui soit de nature à les fixer en ce lieu (ZERVUDACKI C., opus cit. p. 59). La cité du Réveil est invisible d'en bas et manifestement conçu à l'écart du reste de la commune.
Valorisation des archives
Un projet de l'agglomération de Pont-de-Chéruy pour la valorisation du patrimoine industriel est un exemple intéressant. En effet, ce projet émerge parce qu'à la fin des années 1980 un ouvrier, Jean-Yves Saintsormy, affilié à la Confédération Générale des Travailleurs (CGT) de l'entreprise Tréfimétaux (ancienne société Grammont), est préoccupé par la disparition de la mémoire de cette usine : entre autres choses des documents type plaques photographiques et des archives papier de grande qualité. Avec d'autres collègues de la CGT, choisis par le comité d'entreprise, ils s'adressent dans un premier temps à l'Écomusée Nord Dauphiné, situé à trente kilomètres de la commune et fondé au début des années 1980. L'Écomusée va réaliser à partir de ces archives, trois expositions temporelles (1986, 1988, 1990) et quatre films. Le premier « Le patrimoine dans des affiches » était ambulant et montrait les images résultant des archives de la fabrique Grammont. Ce qui a permis aux anciens ouvriers de l'entreprise de retrouver et de transmettre une mémoire de cette entreprise. Le deuxième « Les Champs et des sirènes » a été projeté dans le château de Grammont ; il présentait les transformations sociales et économiques de l'agglomération pendant les 150 dernières années. Le troisième film, « Sur le fil de la connaissance » rendait compte des secteurs distincts d'activité dans l'agglomération d'aujourd'hui. Enfin, le dernier film "Boulevard des tréfileries" se rapportait aux mémoires des migrants par rapport au développement industriel de l'agglomération.
En 2002, monsieur Jean-Yves Saintsorrny, toujours salarié de la société Tréfimétaux qui est sur le point de fermer, faisant partie également du comité d´entreprise, contacte le service de l´inventaire, pour l´informer qu´il reste dans cette usine une collection de plaques de verre photographiques (environ 2000) ainsi que des archives concernant les fichiers du personnel. Une première rencontre est organisée en février à laquelle se joignent les archives départementales du Rhône et un chercheur au Cnrs du centre Pierre-Léon. Une très belle collection de plaques de verre qui nous renseigne sur les années 1915 à 1925 est répertoriée. Il est intéressant de voir comment ces archives racontent à la fois le souci de la mémoire et de la valorisation médiatique d´une politique sociale d´avant-garde de la société Grammont. Le fichier du personnel est tout aussi riche d´informations. Des fiches d´embauche correspondant à chaque personne recrutée par la société Grammont dès les années 1916, avec une photographie d´identité sur la plupart des fiches. Ce fichier rappelle le fichier du personnel du Creusot sur lequel a travaillé Thierry Bonnot ; cela correspond également à la même période, effort de guerre, avec venue de main-d´oeuvre étrangère (asiatique dans le cas du Creusot). Aujourd´hui une partie de ces archives du Creusot se trouve à l´Ecomusée Le Creusot-Montceau (Saône-et-Loire) et une autre partie à la fondation Bourdon. Avec l´accord de monsieur Jean-Luc Marchand, chef des établissements Tréfimétaux, une autorisation de dépôt aux archives du département du Rhône est décidée, sous le numéro de série 158 J. La mémoire de l´immigration de cette agglomération, unique par sa richesse est sauvegardée et consultable par tous.
[1] ZERVUDACKI (C.), Religion et urbanisme : à propos de la communauté grecque de Pont-de-Chéruy, Terrain n° 7, pp. 45-53, oct. 1986, p. 45-80.
Photographe au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, site de Lyon