Dossier d’œuvre architecture IA63002686 | Réalisé par
Laurent Christophe (Rédacteur)
Laurent Christophe

Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-

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  • opération ponctuelle, Patrimoine XXe siècle
La Tour de la Biche à Super-Besse
Œuvre monographiée
Auteur
Copyright
  • © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton aire d'étude de la région Auvergne-Rhône-Alpes
  • Commune Besse-et-Saint-Anastaise
  • Lieu-dit Super-Besse
  • Adresse 15 rue Marcel-Gauthier
  • Cadastre 2021 AB 45

Résumé chronologique :

21 décembre 1961 : ouverture officielle de la station de ski de Super-Besse ;

18 juillet 1970 : délivrance du permis de construire initial de la Tour de la Biche ;

15 mai 1971 : ouverture du chantier de construction de la Tour de la Biche ;

décembre 1973 : livraison des premiers appartements de la Tour de la Biche.

Historique

1 - La naissance et le premier développement de Super-Besse

La petite ville de Besse[1] est en droit de revendiquer son rôle pionnier pour la pratique du ski de fond en Auvergne. C’est en effet l’abbé Jean-Baptiste Blot, curé de Besse, qui au début du XXe siècle introduisit dans le massif du Sancy ce moyen de déplacement[2]. Dès 1906, des stations « primitives » accueillirent au Mont-Dore (nord du massif du Sancy) et au Lioran (massif du Cantal) les adeptes du ski nordique de loisir et de sport. Leur desserte par le train fut un élément essentiel de leur développement. Le Mont-Dore profita aussi de son statut de ville thermale bien équipée en hôtels et restaurants (fig. 1).

Expérimenté dans les Alpes dès 1878, le ski de piste ne se développa qu’à partir des années 1930 avec la construction de dispositifs mécaniques pour la montée artificielle de la pente. Les premiers téléphériques français furent construits à Megève (1933) et Morzine (1934). La mise en service, le 17 janvier 1937, du téléphérique reliant la station du Mont-Dore à l’un des contreforts du puy de Sancy (1885 mètres), consacra le Mont-Dore « comme grande station de sports d’hiver du Centre de la France »[3]. Une clientèle assez aisée venue notamment de Paris (20 594 voyageurs lors de l’hiver 1937-1938) fit le succès de la station mont-dorienne. Située à l’est du massif du Sancy, desservie uniquement par la route, Besse ne profita guère de ce premier engouement.

Après la Seconde guerre mondiale, les pouvoirs publics relancèrent la politique initiée par le Front populaire d’ouverture de la montagne à la jeunesse française. En 1946, la première « super-station » d’altitude implantée ex nihilo vit le jour : Courchevel 1850. Avec le début de l’essor du « tourisme de masse » et la relative démocratisation des vacances d’hiver, d’autres stations alpines de même type furent lancées, notamment Flaine (1960), Avoriaz (1963) et Arc 1600 (1964)[4]. Dans le cadre du IVe plan quinquennal (1962-1966), l’État mit en place un « Plan neige » destiné à encourager la création de stations de sports d’hiver en haute altitude.

Le développement du ski dans les Alpes n’échappa pas à l’attention des skieurs et des édiles auvergnats. Or, seuls les équipements du Mont-Dore permettaient de pratiquer le ski de piste et ils étaient quasi obsolètes. Dans les années 1950, des passionnés de ski prospectèrent le massif du Sancy afin de trouver des sites favorables à l’installation de nouvelles remontées mécaniques. En février 1959, à la suite de diverses discussions, le rédacteur en chef du quotidien régional La Liberté écrivit sur le sujet une série d’articles[5]. Il exposa un avant-projet « d’aménagement global des monts Dore » comprenant des remontes pentes, des « télébennes » et un « téléférique [sic] » au sud-ouest et au sud-est du massif (fig. 2). Ces équipements devaient être reliés à ceux du versant nord par une liaison au niveau du puy Ferrand. Le secteur sud-est, avec l’installation d’une remontée mécanique entre le cirque de la Biche (au pied du puy de Chambourguet) et le puy de la Perdrix, était considéré comme « la pièce maîtresse » de cet aménagement. Mais si, dans ces articles, le succès des stations alpines de Courchevel, Méribel et les Allues était évoqué, l’avant-projet présenté ne prévoyait pas la création d’une nouvelle station dans le Sancy : les capacités hôtelières du Mont-Dore et de la Bourboule paraissaient suffisantes.

Les articles de La Liberté eurent un large écho. Des responsables sportifs et des personnalités politiques réagirent. Le préfet du Puy-de-Dôme survola en hélicoptère le massif pour se rendre compte des possibilités d’aménagement. Début mars 1959, la préfecture du Puy-de-Dôme annonça la mise à l’étude officielle de cet avant-projet[6].

Alfred Pipet, maire de Besse depuis mars 1956, avait son avis sur la question. Constatant que le tourisme allait pouvoir stimuler l’activité économique de la cité bessarde en été comme en hiver, il ambitionnait d’attirer spécialement la clientèle venue de Clermont-Ferrand. Le 17 mars 1959, deux jours après sa réélection à la tête du conseil municipal, il présenta publiquement un projet de construction d’une télécabine reliant Le Gelat (lieu-dit à 4 kilomètres à l’ouest de Besse) et le sommet du puy de Chambourguet[7]. L’emplacement avait l’avantage d’être au plus près du bourg tout en étant voisin du lac Pavin, très fréquenté par les touristes. En outre, il était desservi par une route existante et assez facilement déneigeable. Mais le projet porté par Alfred Pipet ne coïncidait pas avec celui des partisans de « l’aménagement global » du massif. Ceux-ci, dans le secteur en question, voulaient relier le cirque de la Biche au sommet du puy de la Perdrix. Ils désiraient ainsi ouvrir aux skieurs des pentes à une altitude plus haute (de 1350 à 1824 m) que celle du site Gelat-Chambourguet (de 1168 à 1520 m).

Approuvé par le conseil municipal de Besse du 16 mai 1959, la réalisation du projet Gelat-Chambourguet fut lancée[8]. Le 8 octobre suivant, les élus bessards votèrent l’achat par la commune du domaine des Rioubes (55 hectares sur les pentes du puy de Chambourguet) afin de construire la télécabine[9].

Toutefois, dans les mois qui suivirent, Alfred Pipet changea d’avis, entre autres à la suite de discussions avec Germain Gauthier[10]. Ce dernier exploitait, près du cirque de la Biche, le domaine agricole des Ribages. Skieur chevronné, plusieurs fois champion d’Auvergne de ski de fond, Germain Gauthier se rendait fréquemment dans les Alpes. Ayant particulièrement étudié les pentes orientales du massif du Sancy, conscient des « merveilleuses possibilités pour le ski »[11] qu’elles offraient, il était l’ardent promoteur du projet de liaison entre le cirque de la Biche et le puy de la Perdrix.

Bien que le choix du cirque de la Biche présentât des risques et des investissements beaucoup plus considérables, Alfred Pipet n’hésita pas davantage. Le 13 mai 1960, le conseil municipal de Besse[12] décida l’acquisition par la commune du domaine de Chambourguet (200 hectares) « situé à proximité des champs de neige les plus convenables et les mieux exposés pour les sports d’hiver ». Cet achat était fait « en raison de l’extension du projet d’aménagement de la station de Besse en station de sports d’hiver ». Il ne s’agissait plus simplement de construire des remontées mécaniques : le projet était désormais de créer ex nihilo une nouvelle station dans le cirque de la Biche[13].

Dans les mois suivants, d’autres achats et accords permirent à la commune de Besse de s’assurer de la maîtrise foncière des terrains nécessaires à l’implantation, au cœur du cirque de la Biche, des remontées mécaniques et de la nouvelle station[14]. Une société privée nommée Société Pavin-Sancy fut créée pour construire et exploiter les installations de la station. Des notables (industriels, commerçants, médecin, expert-comptable, etc., pour la plupart domiciliés dans la région clermontoise) se répartirent le capital de la société. Une convention, signée par le maire bessard et le directeur de la société le 14 juin 1960, fixa les conditions du partenariat. Le projet bénéficia dans une certaine mesure de l’appui et des compétences des services de l’État. L’acquisition du domaine de Chambourguet fut ainsi déclarée d’utilité publique par arrêté préfectoral du 13 juillet 1960. Au début d’octobre 1960, la Direction départementale du Puy-de-Dôme du ministère de la Construction et l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées commencèrent l’étude d’aménagement de la station. Jean Roose, un urbaniste parisien, reçut peu après la commande d’un « Plan d’urbanisme de détail » de la station, complément au « Plan d’urbanisme directeur du bourg de Besse » en gestation depuis 1959[15].

Le premier obstacle à surmonter était la création d’une route d’accès entre le Gelat et le fond du cirque de la Biche. L’entreprise de travaux publics Olivier et Lentrua eut la charge de ce chantier, mené non sans difficultés de septembre 1960 à juillet 1961. La construction de la télécabine « de la Perdrix » (équipée de cabines en forme d’œuf à deux places) débuta peu après. L’ouverture officielle de la station de Super-Besse eut lieu le 21 décembre 1961. À cette date, hormis la gare de départ de la télécabine et trois burons d’estive isolés (de la Biche, de Vassivière et de Chambourguet), le site demeurait vierge de toute construction.

Par ses enjeux économiques et paysagers, le développement urbain et immobilier de la nouvelle station représentait un enjeu régional majeur (fig. 3 et 4). Le nouveau préfet du Puy-de-Dôme, René Chopin, sollicita les conseils de l’ingénieur Maurice Michaud et du champion de ski Émile Allais, deux figures essentielles de la création de Courchevel 1850. Ensemble, ils survolèrent en hélicoptère le site de Super-Besse afin que Michaud et Allais puissent donner leur avis sur les premières installations[16]. Mais la nouvelle station auvergnate ne pouvait avoir l’ampleur des grandes réalisations alpines. Le potentiel du site et les moyens mis en œuvre n’étaient pas comparables. Conscient des limites du contexte auvergnat, les commanditaires de Super-Besse et les services de l’État firent preuve de modération.

Daté du 18 décembre 1961 (fig. 5), le Plan directeur d’aménagement de Super-Besse dessiné par l’urbaniste Jean Roose témoigne de cette prudence[17]. Organisé parallèlement aux courbes de niveau et de part et d’autre de l’axe principal formé par la route d’accès, ce plan prévoyait la création de secteurs constructibles et de voies secondaires en boucle. Une zone destinée à un centre commercial, une salle de spectacles et des services publics se trouvait au plus près de l’arrivée des pistes. Un lac-patinoire bordé par une zone non constructible occupait le bas du site (il préfigurait le lac des Hermines, créé en 1965-1967). Les zones d’habitation s’étendaient sur les pentes nord-est du cirque de la Biche et du puy de Chambourguet, en partie face à la vue vers les monts du Cantal. Elles devaient être occupées par deux « groupes de studio en gradins » (près des pistes) et par des lotissements de chalets (au sud-est, de part et d’autre de la route principale). Enfin, à l’extrémité sud-est du site, deux emplacements étaient réservés pour l’implantation d’un village de vacances et d’une école de neige. Cependant, l’essentiel de la surface à urbaniser se voyait divisé en lots de quelques centaines de mètres carrés destinés à des chalets (un type d’habitation totalement étranger à l’architecture rurale des montagnes auvergnates). La priorité n’était donc pas donnée à la construction d’immeubles de logements.

Les élus municipaux bessards approuvèrent le 3 février 1962 le Plan directeur dessiné par Jean Roose ainsi que le plan du premier lotissement. Le 22 juillet suivant, ils firent de même pour les cahiers des charges d’un lotissement pour hôtels et d’un lotissement « de chalets préférentiels »[18]. En 1963, le premier grand bâtiment de la station sortit du sol près de l’arrivée des pistes et du parking central. Il s’agit de l’hôtel-restaurant Le Sabrina (8 rue Marcel-Gauthier), aujourd’hui toujours en activité.

Le Plan directeur dressé par Jean Roose servit de cadre général pour le développement de Super-Besse. Mais très rapidement, il fut débordé par le succès assez inattendu de la station. La principale entorse fut l’implantation, en dehors du périmètre du Plan directeur, d’un vaste « village de vacances familiales »[19]. Mis en service en 1965, les bâtiments de ce VVF s’étagent sur le flanc sud-ouest du puy de Chambourguet. Ils sont l’œuvre de l’architecte Jean Percillier (né à Clermont-Ferrand en 1928, auteur de nombreux VVF partout en France)[20].

Un rapport de la Direction départementale de la Construction détaille, à la date du 20 août 1965, les opérations foncières et immobilières en cours ou projetées à Super-Besse[21]. Puisque la commune de Besse était propriétaire de la totalité des terrains, ces opérations étaient réalisées sous la forme de lotissements communaux. Ceux-ci comprenaient 228 lots pour des pavillons individuels, 5 lots pour des bâtiments collectifs (studios), un lot pour 23 « chalets de club », 6 lots destinés à des hôtels et des maisons meublées, 32 lots pour la réalisation d’une galerie marchande. En outre, un avant-projet d’un nouveau lotissement comportant 76 lots pour des pavillons individuels avait reçu un accord de principe. À cette même date, 60 permis de construire avaient été délivrés concernant notamment le VVF, cinq hôtels, une galerie marchande et 44 chalets (dont 21 suivis d’une ouverture de chantier).

Pour répondre à la forte demande immobilière, la décision fut prise d’étendre vers le sud-est le secteur à urbaniser. Jean Roose eut la charge de dessiner les plans d’extension. Dans le même temps, plusieurs projets de construction d’immeubles de logements virent le jour dans le secteur proche de l’arrivée des pistes. Deux promoteurs immobiliers clermontois jouèrent un rôle considérable dans ces opérations, d’une part Claude Fournol, d’autre part Henri Chambon (directeur général de la Socri, Société centrale de réalisations immobilières), fils d’Albert Chambon (ce dernier à la tête des Établissements Chambon, grosse entreprise auvergnate de bâtiment, travaux publics et exploitation de carrières). De même, la plupart des immeubles concernés furent dessinés par l’agence d’architecture chamalièroise dirigée par les architectes Paul Faye et Michel Tournaire.

Actifs à partir du milieu des années 1950, Paul Faye et Michel Tournaire étaient déjà auteurs de réalisations importantes, entre autres des immeubles à Chamalières (résidence Californie, résidence Plein ciel). Ils avaient aussi conçu des édifices pour les zones de montagne, par exemple les hôtels Le Panorama et Gran Carlina au Mont-Dore. À Super-Besse, l’hôtel-restaurant Sabrina achevé depuis peu était leur œuvre. De 1965 à 1973, toujours pour Super-Besse, ils dessinèrent notamment les plans des résidences Studio 1350 (11 rue Marcel-Gauthier), La Forêt (13 rue Marcel-Gauthier), Les Grands horizons (8 rue de l’Écu d’or), Les Gentianes (3 rue Marcel-Gauthier), ainsi que ceux de l’hôtel Gergovia (1 rue Marcel-Gauthier) et du Centre de vacances du Ccas (Caisse centrale des activités sociales d’Edf-Gdf, 3 route de Chambourguet). À ce palmarès déjà riche, ils purent bientôt ajouter La Tour de la Biche, conçue et construite de 1969 à 1973.

2 - Le projet de la Tour de la Biche

La Tour de la Biche s’élève à l’extrémité nord-ouest de la station, au creux du cirque naturel, un peu au-dessus de l’arrivée des pistes. Par sa position, sa grande hauteur et ses proportions élancées, elle domine Super-Besse. Visible de loin, elle constitue un repère dans le panorama, mais elle est aussi omniprésente dans le paysage urbain (fig. 6 à 12). Son importance, sa situation, son impact visuel lui confèrent un statut à part, à la fois remarquable et remarqué. L’on pourrait donc croire qu’elle fut prévue dès l’origine du projet d’urbanisme, dont elle aurait constitué l’acmé. Il n’en est rien. Si l’on se réfère au Plan directeur dessiné en 1961 par Jean Roose, la tour occupe un emplacement réservé à l’un des lotissements de chalets.

Selon le témoignage[22] d’André Gay (qui fut adjoint au maire de Besse à partir de 1971 puis maire de Besse de 1985 à 2012), la naissance de la tour résulta de discussions entre Alfred Pipet, Henri Chambon, Albert Chambon et les dirigeants de la société Pavin-Sancy. Des visites dans les stations des Alpes en cours de réalisation avaient montré l’exemple de tours. De même, le projet de la station de Super-Lioran, élaboré à partir de 1962, comportait des immeubles hauts (tours et barres). L’un d’eux, la Tour de la Sumène, fut d’ailleurs construit en 1970-1971 suivant les plans de l’architecte Jean-Marc Legrand, connu pour son rôle dans l’Atelier d’architecture de Courchevel. « Pourquoi pas chez nous ? » aurait affirmé Alfred Pipet. « Après plusieurs discussions, la décision [fut] prise de construire [la tour] tout à fait au bout [de la station] pour que tous les autres immeubles coulent au pied de cette tour ». L’emplacement désigné avait aussi l’avantage d’être au plus près du départ des remontées mécaniques. Par ailleurs, les nombreux logements de l’immeuble allaient renforcer l’offre d’hébergement dans le cœur de la station, là où se concentrait l’activité commerciale.

Les architectes Paul Faye et Michel Tournaire participèrent probablement aux discussions. Ils avaient achevé depuis peu, juste à côté de l’emplacement désigné, la résidence La Forêt (fig. 13). Avec Henri et Albert Chambon (promoteur et constructeur), ils venaient également de mettre en chantier la résidence Les Gentianes située un peu plus loin (fig. 13 et 14)[23]. Dans la continuité de ces opérations, mais aussi en raison de leurs concepts architecturaux et urbains, ils étaient les architectes tout désignés pour concevoir la tour.

Henri Chambon prit en charge le projet immobilier. Sa société, la Socri, créa la Société civile immobilière La Tour de la Biche[24]. La formule adoptée fut celle de la copropriété avec vente sur plans des locaux. Le 11 janvier 1970, les élus municipaux bessards acceptèrent la demande d’achat formulée par Henri Chambon pour une parcelle de 3 213 m2 située « à la suite des studios La Forêt, en bordure de la route en cours d’aménagement prolongeant la route des hôtels »[25]. Un mois auparavant, le 12 décembre 1969, Henri Chambon et l’agence Faye et Tournaire avaient déposé en mairie de Besse une demande de permis de construire pour la tour, demande à laquelle Alfred Pipet avait donné un avis favorable le 20 décembre suivant. Le 18 juillet 1970, après consultation des services de l’État, le permis de construire fut accordé.

L’édifice projeté (dont témoigne une première série de plans dessinés par l’agence Faye et Tournaire de septembre 1969 à janvier 1970, fig. 16 à 21) devait abriter une brasserie, 172 logements, un logement de concierge et quatre garages individuels. Il se composait d’une tour de 23 niveaux visibles flanquée à l’est, selon un angle de 45°, d’une aile de trois niveaux. En raison de l’implantation sur un terrain en assez forte pente, l’immeuble était semi-enterré du nord-est au nord-ouest. Par rapport au fût de la tour, de plan rectangulaire, les trois premiers niveaux de la tour formaient des avancées vers l’ouest et le sud-est. Ils possédaient ainsi un plan en losange (fig. 17). L’un des sommets du losange, celui orienté vers le sud et le centre de la station, abritait au rez-de-chaussée la brasserie. Face à l’est et au sud-est, les élévations des trois premiers niveaux de la tour et de l’aile orientale constituaient un « V » très ouvert permettant d’épouser le virage de la voie desservant l’édifice. En outre, par leurs volumes horizontaux, ces niveaux et l’aile composaient une sorte de piédestal pour le fût de la tour. Ainsi, l’effet « d’écrasement » produit par la grande hauteur de l’édifice sur l’espace alentour était amoindri. Le rôle de ce piédestal était d’autant plus important que le terrain de la tour, situé entre 1332 et 1343 mètres d’altitude, dominait déjà de 20 mètres le cœur de la station.

De toute évidence, la hauteur de la tour fut définie pour rester juste en deçà des règles fixées par le décret du 15 novembre 1967[26]. Ce décret réglementait la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d’incendie. Selon ce texte, un immeuble de grande hauteur à usage d’habitation était un « corps de bâtiment dont le plancher bas du dernier niveau [était] situé, par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable par les engins des services publics de secours et de lutte contre les incendies, à plus de 50 mètres ». En conséquence, pour la Tour de la Biche, la distance entre la plate-forme d’accès des véhicules des pompiers (située à l’est à côté de l’entrée principale de l’édifice) et le plancher du 21e étage de la tour fut fixée à 50 mètres[27]. Il convient de préciser ici un détail : la tour compte 22 étages, mais le 22e est un étage très partiel qui abrite la partie supérieure d’un appartement en duplex situé à l’angle sud-ouest de la tour. Ce duplex, accessible depuis le 21e étage, dispose évidemment d’un escalier intérieur desservant son niveau supérieur (le 22e étage). En conséquence, le plancher de référence pour la hauteur à ne pas dépasser selon le décret du 15 novembre 1967 était bien celui du 21e étage (considéré comme le dernier niveau habitable complet).

Les travaux de la Tour de la Biche débutèrent le 15 mai 1971 (selon la date de la déclaration d’ouverture du chantier) avec les Établissements Chambon comme entrepreneur principal. Cependant, le projet initial fit l’objet de deux modifications importantes. La première concerna la suppression de l’aile orientale, probablement pour des raisons de rentabilité insuffisante. La seconde conduisit à un déplacement-pivotement vers le sud de l’implantation de la tour et à la réduction de la surface réservée à la brasserie. En effet, l’implantation originellement prévue allait entamer profondément le relief à l’arrière de l’édifice. Du coup, ces décaissements empiéteraient sur l’emprise de la piste de luge passant à cet endroit, amputation contre laquelle Alfred Pipet s’était vigoureusement opposé[28]. Le déplacement-pivotement et la réduction de la surface de la base permettaient d’une part de réduire les terrassements en descendant la tour vers la partie moins pentue du terrain, et d’autre part de préserver les vues latérales de l’immeuble voisin (la résidence La Forêt).

Le 18 novembre 1971, les commanditaires et les architectes de la tour déposèrent une demande de permis de construire modificatif. La suppression de l’aile orientale (qui réduisait à 166 le nombre de logements, y compris celui du concierge) et le changement du mode de chauffage motivaient la demande. Cependant, en instruisant ce dossier, les services de la Direction départementale de l’Équipement se rendirent compte du déplacement-pivotement de la tour, lequel n’avait pas fait l’objet d’une demande d’autorisation. Or, ce déplacement aggravait les servitudes de prospect[29] sur la résidence La Forêt (fig. 22).

Plusieurs notes rédigées en août et septembre 1972 par le directeur et le directeur départemental de la Dde décrivent précisément les aspects réglementaires de cette affaire[30]. Elles éclairent également les réticences des services de l’État vis-à-vis du projet de la tour. Comme l’indiquent ces documents, l’instruction du permis de construire demandé le 12 décembre 1969 avait été conduite en application du Règlement national d’urbanisme. En effet, le Plan d’urbanisme directeur de Super-Besse (celui étudié entre autres par Jean Roose) n’ayant été ni publié ni approuvé, par défaut le Rnu était la référence légale. Selon le Rnu, le « prospect sur voie », c’est-à-dire la distance séparant la base de la tour de l’immeuble voisin, devait être égale à la hauteur de la tour (55,45 mètres mesurés au sommet du 21e étage). Toutefois, en raison d’une dérogation au Rnu, le permis de construire accordé le 18 juillet 1970 prescrivait une distance de 39,5 mètres. Patatras, à la suite du déplacement-pivotement – et comme les mesures sur place permirent de le constater – la tour en construction ne se trouvait qu’à 37,5 mètres de l’angle nord-est de la résidence La Forêt !

Ce constat et ses conséquences (il s’agissait d’une infraction passible de sanctions) firent l’objet d’échanges et de correspondances entre les services de la Dde, Jacques Millot (préfet du Puy-de-Dôme), Henri Chambon, Alfred Pipet, Paul Faye et Michel Tournaire. Henri Chambon, qui avait eu vent de « quelques difficultés » à obtenir le permis modificatif, avait dès le 12 juin 1972 demandé à Alfred Pipet d’intervenir après du ministère de l’Équipement afin d’avoir « satisfaction dans les meilleurs délais »[31]. Mais, conformément aux indications de la Dde, le préfet fut d’avis de ne pas accorder le permis modificatif et de prescrire l’arrêt du chantier. Le 14 août 1972 il informa Alfred Pipet de sa décision par lettre privée[32].

Apprenant « avec la plus grande stupéfaction » la position du préfet, Henri Chambon lui adressa le 22 août suivant une lettre pour lui faire part de sa « profonde inquiétude »[33]. Le moindre retard dans le planning des travaux, « compte tenu des conditions atmosphériques particulièrement difficiles » de Super-Besse, risquait d’avoir « des conséquences financières catastrophiques » alors que l’immeuble devait être livré aux acquéreurs en décembre 1973. Si, poursuivait Henri Chambon, le chantier devait être arrêté définitivement, alors la dénonciation des marchés avec les entreprises et le remboursement des acquéreurs ayant déjà régularisé leur achat risquaient d’être fatal à sa société. Alors, ajoutait-il, « cette affaire deviendrait, à coup sûr, un krach régional retentissant, car entraînant avec lui tous les participants ». Enfin, rappelant que sa société avait « livré à la clientèle 273 appartements » à Super-Besse, Henri Chambon estimait avoir « participé en grande partie au développement spectaculaire de la station ».

En septembre 1972 eurent lieu plusieurs rencontres entre les protagonistes du dossier[34]. Les discussions portèrent sur la distance exacte séparant la tour et la résidence, sur l’influence de la pente du terrain sur le calcul de la « hauteur absolue » de la tour, sur l’imprécision du plan d’implantation fourni dans le dossier original de demande de permis de construire. L’enjeu principal était de définir la hauteur finalement admissible de la tour, dans le respect des règles de prospect et des dérogations accordées. Les premiers calculs avaient fait apparaître la nécessité de réduire de trois étages cette hauteur, ce qui risquait évidemment d’avoir de lourdes conséquences financières. Finalement, un compromis fut trouvé : la hauteur des parties les plus élevées de la tour dut être abaissée de 1,36 mètre. Cet abaissement s’ajouta à celui de 1,45 mètre déjà présent sur les plans déposés pour le permis modificatif par rapport à ceux fournis pour le permis de construire original[35]. Grâce à l’accord conclu, l’administration renonça à arrêter les travaux.

L’on pourrait s’étonner de la faiblesse des mesures imposées. Toutefois, les services de la Dde n’étaient guère en position d’aller au-delà. La conclusion d’une note[36] rédigée le 28 septembre 1972 par le directeur adjoint de la Dde le montre bien. D’une part, les plans acceptés par l’administration pour le premier permis de construire « étaient d’une précision insuffisante pour définir correctement l’implantation » de la tour. D’autre part, un « arrêt du chantier prononcé en septembre 1972, alors que le dossier d’avis bis avait été déposé en novembre 1971, aurait mis la Socri en droit d’ouvrir une action contentieuse et d’exiger de l’État des indemnités substantielles pour préjudice commercial, d’autant que l’imprécision des documents de départ lui aurait vraisemblablement permis de mettre l’administration en porte à faux ». Enfin, « l’arrêt du chantier aurait porté un coup très sévère au développement de la station de Super-Besse et déclenché des réactions de tous ordres qui auraient porté préjudice aussi bien à l’administration préfectorale qu’à notre direction départementale ».

Après des explications fournies à l’administration centrale du ministère de l’Équipement, après l’avis favorable – « à titre de régularisation » – donné le 20 décembre 1972 par la Commission permanente du permis de construire, après encore quelques mois d’instruction, le permis de construire modificatif fut accordé le 27 août 1973.

Trente-deux mois après le commencement du chantier, en décembre 1973, les premiers copropriétaires emménagèrent dans la tour. Paul Faye et Michel Tournaire signèrent la déclaration d’achèvement des travaux le 12 février 1974.

Notes

[1] Besse désigne communément Besse-et-Saint-Anastaise, commune née de la fusion en 1973 de Besse-en-Chandesse (nom porté depuis 1961) et de Saint-Anastaise.

[2] Pierre J. Capelle, «  Essai sur l’origine de la pratique du ski en Auvergne, 1894-1904 », Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, t. 84, 1970, p. 297-307 ; Pierre-André Chauvet, Le ski en Auvergne, à Besse dès 1902, éditions Créer, 2001, 47 pages. Selon Pierre J. Capelle, le premier skieur auvergnat fut Eugène Pellet, vers 1894-1895, sur les sommets du Forez. Mais le mérite de la première diffusion du ski en Auvergne revient incontestablement à Jean-Baptiste Blot.

[3] « L’inauguration de téléférique [sic] du Sancy », Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 18 janvier 1937. L’inauguration eut lieu en présence de Madeleine Weiller, épouse de Léo Lagrange.

[4] Voir à ce sujet Maryannick Chalabi et Jean-François Lyon-Caen, Stations de sports d’hiver Rhône-Alpes, urbanisme et architecture, Lyon, Région Rhône-Alpes, éditions Lieux-dits, 2012 (2e édition revue et corrigée en 2014), 272 pages.

[5] Sous la plume de Jean Dousse, dans le journal La Liberté, voir les articles suivants : « Les montagnes d’Auvergne, champ de neige de Paris » (15e année, n° 4659, 11 février 1959), « Nos monts Dore possèdent des pistes magnifiques » (n° 4660, 12 février 1959), « L’équipement de nos montagnes est un problème régional » (n° 4661, 13 février 1959), « L’aménagement des monts Dore » (n° 4665, 18 février 1959), « Tout aménagement du massif du Sancy sera accueilli très favorablement autant au Mont-Dore qu’à La Bourboule » (n° 4666, 19 février 1959), « Une opinion autorisée sur l’aménagement du Lioran » (21 février 1959), « L’aménagement des monts Dore, des lettres, des encouragements » (n° 4671, 24 février 1959), « Le versant ouest du Sancy ne restera pas à l’écart » (n° 4673, 26 février 1959).

[6] « À la suite d’une importante réunion tenue à la préfecture du Puy-de-Dôme, le projet d’aménagement du massif du Mont-Dore tel qu’il a été suggéré par La Liberté va être mis en œuvre », La Liberté, 15e année, n° 4677, 4 mars 1959.

[7] « La commune de Besse est décidée à construire une remontée mécanique qui irait de la route du Pavin au puy de Chambourguet », La Liberté, 15e année, n° 4690, 19 mars 1959.

[8] Archives municipales de Besse, Registre des délibérations du conseil municipal 1959-1965, délibération n° 67.

[9] Idem, délibération n° 98.

[10] Jean Lutinier, « Germain Gauthier, l’homme qui inventa Super-Besse », Auvergne magazine, n° 111, décembre 1977, p. 4-6. D’après les propos de Germain Gauthier rapportés par Jean Lutinier, Germain Gauthier exposa dès 1951 ses idées à Alfred Pipet, alors conseiller général du canton de Besse : « Un jour de l’hiver 1951, à l’hôtel des voyageurs de Besse, je rencontrais notre jeune conseiller général que je connaissais depuis longtemps. Je lui exposai mon projet. Ne me parle pas de ski, me dit-il, ça ne m’intéresse pas, et d’ailleurs ça n’intéresse personne ».

[11] L’avis de Germain Gauthier est mentionné comme celui d’un expert par Jean Dousse dans son article « Nos monts Dore possèdent des pistes magnifiques » (La Liberté, 15e année, n° 4660, 12 février 1959),

[12] Archives municipales de Besse, Registre des délibérations du conseil municipal 1959-1965, délibération n° 155.

[13] Le même jour, le conseil municipal décida de revendre le domaine des Rioubes (Archives municipales de Besse, Registre des délibérations du conseil municipal 1959-1965, délibération n° 157).

[14] Sur la naissance de Super-Besse (encore peu étudiée), voir Martine Maucout, « Naissance d’une station de sports d’hiver : Super-Besse », Revue d’Auvergne, t. 82, n° 431, 1968, p. 51-56 ; Marie Léger, Super-Besse, 1961-2011, 50 ans d’histoire, préface par André Gay, mairie de Besse-et-Saint-Anastaise, 2011, 98 p. ; Marc Prival, L’isolement hivernal dans les monts d’Auvergne, Sancy, Cézallier et Cantal, éditions de la Flandonnière, 2018 ; Christian Izalguier, Besse Super-Besse, cité touristique et historique, éditions Italique, 2019, 547 p.

[15] Les informations présentées dans ce paragraphe proviennent des dossiers 1709 W 470 et 1709 W 173 conservés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme.

[16] Marie Léger, Super-Besse, 1961-2011, 50 ans d’histoire, préface par André Gay, mairie de Besse-et-Saint-Anastaise, 2011, 98 pages. Les éventuelles suites de ces contacts n’apparaissent pas dans les archives consultées.

[17] Archives municipales de Besse, plans non cotés. Des pièces écrites liées à cette étude existent probablement, mais elles ne sont pas répertoriées. Une recherche plus complète sur ce sujet précis permettra sans doute de mettre au jour ces éléments.

[18] Idem, Registre des délibérations du conseil municipal 1959-1965, délibérations n° 293, 312, 338 et 339.

[19] Idem, délibération n° 347, 21 juillet 1962.

[20] Alma Smoluch et alii, L’Aventure des VVF, éditions du Patrimoine, 2017, 176 p.

[21] Direction départementale de la Construction, rapport de B. Thuaud, directeur départemental adjoint, au préfet du Puy-de-Dôme, 20 août 1965, Archives départementales du Puy-de-Dôme, 1709 W 470.

[22] Rémi Pironin, « La tour de la Biche, l’autre sommet de Super-Besse dans le Sancy », La Montagne (quotidien régional), 30 mars 2019. Les citations suivantes proviennent également de cet article.

[23] Achat du terrain accepté par le Conseil municipal de Besse le 16 janvier 1969 (Archives municipales de Besse, Registre des délibérations du conseil municipal 1965-1971, délibération n° 337).

[24] Actes enregistrés les 11 et 12 mai 1971 par Claude Deteix, notaire à Clermont-Ferrand.

[25] Archives municipales de Besse, Registre des délibérations du conseil municipal 1965-1971, délibération n° 436.

[26] Décret n° 67-1063 du 15 novembre 1967, Journal officiel de la République française, 99e année, n° 283, p. 11882 à 11894. Pour les autres usages (autres que l’habitation), la hauteur à partir de laquelle un corps de bâtiment entrait dans la catégorie des « immeubles de grande hauteur » était de 28 mètres (distance entre la plate-forme des véhicules de secours et le plancher du niveau supérieur). Le classement dans la catégorie des « immeubles de grande hauteur » introduisait des contraintes supplémentaires dans la conception et la construction. Ces dispositions généraient forcément des surcoûts importants. Par exemple, un immeuble de grande hauteur ne pouvait être construit à plus de trois kilomètres d’un centre principal de secours et de lutte contre les incendies. Il devait être divisé en compartiments dont les parois ne devaient pas permettre le passage du feu d’un compartiment à l’autre en moins de deux heures. En outre, chaque compartiment devait disposer d’au moins deux escaliers. Pour d’autres détails, voir le décret (téléchargeable sur le site Légifrance).

[27] Selon les plans conservés aux Archives municipales de Besse-et-Saint-Anastaise et aux Archives départementales du Puy-de-Dôme. La hauteur hors tout de la tour est de 61,30 mètres environ. Il s’agit donc de l’une des plus hautes tours d’habitation d’Auvergne (peut-être même la plus haute).

[28] Voir, aux Archives municipales de Besse, la lettre de Faye et Tournaire adressée à Henri Chambon le 22 août 1972, conservée dans le dossier du permis de construire de la Tour de la Biche (non coté). La lettre est signée par Paul Faye, agissant pour « Messieurs Faye et Tournaire ».

[29] Prospect (anglais « perspective ») : en urbanisme, règle organisant les volumes de la ville, se fondant sur des considérations comme les ouvertures visuelles ou les apports de lumière dans la rue ; distance minimale à respecter entre deux bâtiments, mais aussi règle définissant les hauteurs des bâtiments (recouvre en ce cas la notion de gabarit).

[30] Voir les documents du dossier à la fois fourni et lacunaire conservé aux Archives départementales du Puy-de-Dôme, 1841 W 28. Voir également le dossier du permis de construire conservé aux Archives municipales de Besse. Le croisement des documents et des informations nous a permis de reconstituer autant que possible, malgré les lacunes de ces dossiers, le déroulement des faits. Il n’est cependant pas improbable que de nouveaux détails puissent apparaître un jour grâce à l’exploitation d’autres fonds d’archives.

[31] Lettre d’Henri Chambon à Alfred Pipet, 12 juin 1972, Archives municipales de Besse, dossier du permis de construire de la Tour de la Biche, non cotée.

[32] Lettre de Jacques Millot à Alfred Pipet, 14 août 1972, idem. La lettre précise que la décision du préfet sera adressée par voie administrative « dans les jours qui viennent ». Les archives et autres sources consultées n’ont pas livré d’exemplaire de cette « annonce officielle ». Était-ce une « suspension temporaire des travaux » plutôt qu’un véritable arrêté préfectoral imposant l’arrêt du chantier ? Nous penchons pour la seconde hypothèse. Il est probable que le préfet, qui demanda dans les jours suivants de nouvelles précisions aux services de la Dde, décida de différer sa décision.

[33] Lettre d’Henri Chambon au préfet du Puy-de-Dôme, 20 août 1972, idem. Les citations à la suite proviennent de la même lettre.

[34] Les informations présentées dans ce paragraphe se fondent sur une note rédigée à l’attention d’André Benne, directeur de la Dde du Puy-de-Dôme, par Pierre Guithaux, directeur départemental adjoint de la Dde, datée du 28 septembre 1972 (Archives départementales du Puy-de-Dôme, 1841 W 28).

[35] Les calques conservés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme portent la trace de « repentirs grattés » au niveau des parties supérieures de la tour (22e étage et sommet des cages des ascenseurs). Il est probable que ces modifications sont le fruit des abaissements demandés. Le dessin en pente de la couverture du 22e étage pourrait aussi résulter du compromis trouvé.

[36] Ibidem.

  • Période(s)
    • Principale : 3e quart 20e siècle , daté par source
  • Dates
    • 1969, daté par source
    • 1973, daté par source
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      FAYE Paul
      FAYE Paul

      Paul Faye (Laon, 22 mars 1928, Lyon, 2021), architecte Dplg le 15 novembre 1962, fils de l’architecte chamalièrois George Faye (1893-1964). Associé à l'architecte Michel Tournaire (agence Faye et Tournaire, Chamalières et Paris).

      Paul Faye et Michel Tournaire étudièrent l’architecture à l’École des beaux-arts de Clermont-Ferrand et à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Paul Faye se forma également auprès de son père l’architecte Georges Faye. Paul Faye et Michel Tournaire s’associèrent vers 1960 pour former l’agence Faye et Tournaire, installée d’abord au n° 7 rue Baudry (adresse de l’agence de Georges Faye). Ils connurent rapidement le succès : leur agence prit de l’ampleur et reçut des commandes importantes, en Auvergne et dans le reste de la France. De nombreux étudiants architectes auvergnats se formèrent dans cette agence et quelques-uns, tel Jacques Moinard, devinrent « architectes collaborateurs ». En 1968-1972, Paul Faye et Michel Tournaire jouèrent un rôle important dans la transformation de « l’Atelier régional d’architecture » de l’École des beaux-arts de Clermont-Ferrand en Unité pédagogique d’architecture et d’urbanisme de Clermont-Ferrand.

      Les œuvres de l’agence Faye et Tournaire sont très nombreuses. Le fonds d’archives de l’agence a été versé en plusieurs fois aux Archives départementales du Puy-de-Dôme (Fonds 51018). Le répertoire (établi par Solange Gauvin) présente près de 300 références d’opérations de tous types (architecture publique et privée, domestique, commerciale, aménagements urbains, etc.). Le fonds est toutefois lacunaire et un certain nombre de réalisations de Faye et Tournaire n’y sont pas documentées. Aucune étude d’ensemble n’a été entreprise à ce jour.

      Le département du Puy-de-Dôme concentre de multiples opérations. L’agence Faye et Tournaire a notamment conçu des immeubles résidentiels à Clermont-Ferrand, Chamalières et Royat (parmi lesquels les résidences Plein Ciel, Californie, France, Europe, la Source Vive, etc.). Des dizaines d’œuvres se trouvent également à Super-Besse, le Mont-Dore et la Bourboule (chalets, hôtels, résidences, etc.). Outre le centre CCAS de Super-Besse, Faye et Tournaire sont les auteurs de nombreux villages vacances : Prade-Haute (Le Mont-Dore), Savines (Hautes-Alpes), Corrençon-en-Vercors (Isère), Saint-Jean-de-Sixt (Haute-Savoie), Pleaux (Cantal), Plouezec (Côtes-du-Nord), etc. Dans un tout autre domaine, il convient de citer également l’église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours (Clermont-Ferrand, 1969-1973).

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    • Auteur :
      TOURNAIRE Michel
      TOURNAIRE Michel

      Michel Tournaire (Béziers, 13 avril 1929, Chamalières, 15 janvier 2018), architecte Dplg le 9 mars 1961. Associé à Paul Faye, agence Faye et Tournaire (Chamalières et Paris).

      Paul Faye et Michel Tournaire étudièrent l’architecture à l’École des beaux-arts de Clermont-Ferrand et à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Paul Faye se forma également auprès de son père l’architecte Georges Faye. Paul Faye et Michel Tournaire s’associèrent vers 1960 pour former l’agence Faye et Tournaire, installée d’abord au n° 7 rue Baudry (adresse de l’agence de Georges Faye). Ils connurent rapidement le succès : leur agence prit de l’ampleur et reçut des commandes importantes, en Auvergne et dans le reste de la France. De nombreux étudiants architectes auvergnats se formèrent dans cette agence et quelques-uns, tel Jacques Moinard, devinrent « architectes collaborateurs ». En 1968-1972, Paul Faye et Michel Tournaire jouèrent un rôle important dans la transformation de « l’Atelier régional d’architecture » de l’École des beaux-arts de Clermont-Ferrand en Unité pédagogique d’architecture et d’urbanisme de Clermont-Ferrand.

      Les œuvres de l’agence Faye et Tournaire sont très nombreuses. Le fonds d’archives de l’agence a été versé en plusieurs fois aux Archives départementales du Puy-de-Dôme (Fonds 51018). Le répertoire (établi par Solange Gauvin) présente près de 300 références d’opérations de tous types (architecture publique et privée, domestique, commerciale, aménagements urbains, etc.). Le fonds est toutefois lacunaire et un certain nombre de réalisations de Faye et Tournaire n’y sont pas documentées. Aucune étude d’ensemble n’a été entreprise à ce jour.

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    • Auteur :
      MOINARD Jacques
      MOINARD Jacques

      Jacques Moinard (Massiac, 22 avril 1942), architecte Dplg le 21 janvier 1969.

      Jacques Moinard entra dans l’agence Faye et Tournaire en juillet 1962, à l’âge de 20 ans. Il la quitta à la fin de l’année 1971 pour ouvrir son propre cabinet. Au sein de l’agence Faye et Tournaire, il s’occupa notamment du dossier de la Tour de la Biche (témoignage recueilli le 5 mai 2021). À Clermont-Ferrand, dans les années 1970, il a par exemple conçu les immeubles n° 71 avenue Anatole-France et n° 8 rue d’Aguesseau.

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1 - L’architecture de la tour

La Tour de la Biche présente une architecture relativement simple (fig. 23 à 32). Le fût de l’immeuble s’élève au-dessus du « piédestal » formé par l’avancée au sud-ouest et au sud-est des trois premiers niveaux (fig. 33 à 35). Les façades sud-ouest et sud-est du piédestal sont rythmées horizontalement par les garde-corps en bois des terrasses et des balcons, ainsi que par les renfoncements qui protègent les baies. Verticalement, les élévations du fût alternent pans de murs aveugles et parties garnies de balcons (fig. 36 et 37). Les pans aveugles étaient revêtus à l’origine d’un bardage en aluminium laqué de couleur blanc cassé (fig. 38). Le bardage créait des lignes verticales continues de la base au sommet du fût. Voici une quinzaine d’années, il a été remplacé par un bardage en matériau composite de couleur grise. Ce nouveau bardage comporte des bandeaux horizontaux blancs qui soulignent les niveaux. Le rythme horizontal ainsi créé et le changement de coloris ont modifié la perception de la tour : elle semble un peu plus massive aujourd’hui.

Les groupes de balcons forment des avancées en biais par rapport aux pans de murs aveugles. Les garde-corps en bois[1] dessinent des horizontales qui contrebalancent la verticalité du fût. Les renfoncements qui précèdent les baies créent une zone d’ombre, laquelle contrastait fortement avec le blanc cassé du bardage d’aluminium. Chaque balcon s’apparente à une sorte d’alvéole. La variation du nombre de ces « alvéoles » est un autre moyen d’animation des élévations. La façade nord-ouest compte deux alvéoles par étage, la façade sud-est trois, la façade sud-ouest quatre. Enfin, la façade nord-est ne possède que deux alignements de petites fenêtres et une longue ouverture verticale partiellement obturée par des lames d’aluminium. Globalement, malgré l’emploi des mêmes éléments constitutifs, chaque façade de la tour se révèle différente (fig. 31 à 33 et 36 à 38).

Les plans des niveaux de la tour (fig. 24 à 30) font apparaître une trame orthogonale régulière de 3,20 mètres de largeur (3,42 m d’entraxe). Cette dimension correspond notamment à la distance séparant les murs de refend. En effet, le gros-œuvre de la tour est une « structure à murs porteurs en béton armé ». Ce type de structure résulte de l’utilisation de « coffrages-tunnels Outinord ». Le procédé industriel « Outinord » se caractérise par l’emploi de coffrages métalliques réutilisables. Les sections (appelées « demi-coquilles ») des coffrages sont constituées d’une partie verticale correspondant à la hauteur du mur et d’une partie horizontale correspondant à la moitié de la largeur du plancher. L’assemblage, côte à côte et face à face, de plusieurs « demi-coquilles » forme des coffrages continus qui permettent de couler en une seule fois les murs et les planchers. Le procédé offre notamment d’importants gains de productivité. Sur le plan architectural, il s’avère particulièrement adapté aux constructions tramées dans lesquelles un même module est souvent répété.

Justement, les logements de la tour obéissent à un même module. La dimension de 3,20 mètres déjà mentionnée correspond ainsi à la largeur des pièces principales des studios et des appartements. Les murs de refend sont orientés soit nord-ouest/sud-est, soit nord-est/sud-ouest. Ces orientations coïncident avec celles des logements qui font face soit au sud-est, soit au sud-ouest, soit au nord-ouest. Les baies principales de chaque logement ouvrent donc vers les vues sur le panorama, sur la station et sur les pistes. Très logiquement, aucun logement n’est tourné vers le nord-est, là où s’élève le flanc de la montagne. La disposition des logements selon les trois directions indiquées a permis de placer au centre de la tour les ascenseurs et les couloirs de distribution. L’escalier (évidemment peu utilisé, même par les plus sportifs des habitants) est situé dans l’angle nord-est.

La tour abrite cinq types principaux de logements, auxquels s’ajoutent cinq variantes. La plupart sont des studios, des deux pièces (séjour et chambre) et des trois pièces (séjour et deux chambres). Deux appartements possèdent quatre pièces (séjour, salon, deux chambres). Un seul appartement est en duplex (fig. 29 et 30). Tous possèdent des locaux sanitaires (salle d’eau et toilettes séparées), un espace cuisine (cuisine ouverte ou kitchenette) et un séjour (servant aussi de chambre pour les studios). Une vaste baie fixe éclaire le séjour. Dans le prolongement de la baie, une porte donne accès au balcon. En outre, la tour possède des locaux et des aménagements spécifiquement liés à son site. Dans les trois niveaux du « piédestal » se trouvent 165 petites pièces aveugles destinées au stockage des skis (fig. 24 à 26). Ces locaux sont directement accessibles depuis les pistes. Par ailleurs, le hall d’entrée principal est équipé de banquettes pour que les usagers puissent s’asseoir et retirer leurs chaussures de neige ou de randonnée (fig. 39 à 43).

2 - Une analyse « sitologique »

Incontournable, omniprésente, la tour de la Biche ne laisse pas indifférent. Ce n’est finalement pas son style architectural qui concentre les critiques, mais bien son impact visuel dans le paysage de Super-Besse. Or, cet impact, cette présence, relève d’une incontestable volonté d’insertion dans le site. Même si les enjeux mentionnés précédemment (densification du centre de la station, proximité avec le départ des pistes, rentabilité immobilière) ont bien sûr pesé, le souci de compléter – voire de parachever – la composition urbaine a beaucoup compté. Quoi que l’on pense du résultat de ce dessein, il faut admettre que les protagonistes du projet voulurent « bien faire ». En particulier, les architectes Paul Faye et Michel Tournaire purent avancer des arguments issus de leur approche « sitologique » (une méthode d’analyse des sites naturels visant à mieux y inscrire les nouveaux bâtiments).

Il convient aussi de souligner que dès l’origine du projet, la tour ne fit pas l’unanimité. Une note rédigée en 1972 par le Directeur départemental de la Dde du Puy-de-Dôme en témoigne : « Cette construction […] n’a jamais été jugée souhaitable par la Direction départementale de l’Équipement qui a été très réservée lors de la présentation du dossier à la Conférence permanente du permis de construire. Le premier projet déposé a fait l’objet de la part de l’architecte-conseil : 1°) d’un avis défavorable le 20 février 1970 (densité trop élevée, problème des parkings non résolu, architecture « parachutée ») ; 2°) d’un avis très favorable, le 6 mars 1970, sous réserve d’examen du projet précédent ; 3°) d’un avis favorable, sans réserve, le 24 mars 1970 »[2].

Les archives consultées n’ont pas livré de documents éclairant les discussions préparatoires au « dessein paysager ». Toutefois, une lettre de Faye et Tournaire à Henri Chambon apporte de précieuses informations. Cette lettre, datée du 22 août 1972, comporte un passage relatif à l’hypothèse de réduction de trois étages de la hauteur de la tour :

« Vous nous posez […] le problème de supprimer éventuellement un certain nombre de niveaux à la tour. Nous nous reportons, pour vous donner une réponse, à l’étude critique du site : celui-ci se présente comme un site sans dominante particulière. Les constructions édifiées jusqu’à présent laissent percevoir une composition d’ensemble de grandes horizontales. L’édification de la tour avait pour but d’apporter un point d’orgue, une dominante à ce site qui n’en possédait pas. […] le projet a donc pris sa forme actuelle, où le souci de créer une plastique essentiellement étirée et allongée a été prédominant. Dès lors, il paraît très difficile d’amputer le projet en hauteur sans risquer d’abâtardir la composition d’ensemble en présentant, en dominante d’horizontales, une construction massive et aussi haute que large. Nous pensons donc qu’il est nullement souhaitable de modifier le projet »[3].

Un site « sans dominante particulière », la volonté de lui apporter « un point d’orgue, une dominante », en contrebalançant les « grandes horizontales » par une « plastique essentiellement étirée et allongée » : ces arguments relèvent de la « sitologie ».

Paul Faye et Michel Tournaire élaborèrent cette « théorie appliquée » dans les années 1960. Ils l’exposèrent de manière détaillée en 1974 dans le livre Sites et sitologie, comment construire sans casser le paysage[4]. À partir du constat de la fréquente dégradation des sites par les constructions humaines récentes, l’ouvrage proposait une méthode « scientifique » pour y remédier. La démonstration se fondait d’abord sur des connaissances physiologiques (les mécanismes de la vision et de la perception). Les caractéristiques physiques générales (géomorphologie, typologie, orientation, couverture végétale, etc.) composant les sites étaient ensuite rappelées, puis les auteurs abordaient la « gestalthéorie »[5] ou « théorie de la psychologie des formes ». Deux chapitres étaient consacrés à « l’étude du mécanisme harmonique » et à « la structure harmonique ». Un « essai de méthodologie » constituait la dernière section.

Les arguments avancés par Faye et Tournaire pour la Tour de la Biche renvoient à leur notion de « structure harmonique ». La structure d’un paysage (comme celle d’un objet, d’une œuvre d’art) résulte de son principe d’organisation (qui lui-même ordonne les éléments constitutifs). Elle correspond principalement à l’agencement des axes de la composition et elle détermine le jeu de correspondances entre les parties. L’analyse « sitologique » permet de distinguer des paysages « à structure faible » et des paysages « à structure forte ». Plus la structure du paysage est affirmée et plus l’architecture à insérer doit être composée en fonction de cette structure. De même, une architecture à structure forte peut faire devenir fort un paysage à structure faible. L’approche sitologique conduit donc à l’instauration de rapports dialectiques « harmonieux » entre paysage et architecture. Ces rapports se veulent dynamiques car un paysage doit être vivant : pour cela, il faut que les éléments architecturaux introduits soient suffisamment différenciés. Dans le cas d’une égalité entre les éléments, le paysage présentera un aspect inerte, monotone.

Si l’on reprend les termes de l’analyse « sitologique », le cirque de la Biche présente une structure « assez faible ». Les lignes « de crête » qui le dominent directement possèdent des ondulations assez douces (fig. 7 à 9). Seul le puy de Chambourguet, un peu à l’écart, crée un modeste accent. Des lignes plus structurantes, constituées par les pistes bordées de bosquets, convergent vers le centre du cirque (fig. 9). D’autres lignes, essentiellement horizontales car suivant grosso modo les courbes de niveau, apparaissent en s’approchant : les rives du lac des Hermines, les alignements discontinus de chalets puis ceux plus denses des premiers immeubles (fig. 8). Ces lignes conduisent également le regard vers le creux du cirque. Enfin, aux abords même de la tour, la résidence La Forêt développe une composition très horizontale. Cette composition s’abaisse peu à peu, inversement au relief, en approchant de la tour (fig. 13). Pour donner un contrepoint dynamique à ces éléments structurants, la tour se dresse en un lieu stratégique et selon une forme verticale étirée (fig. 44 et 45). Architecture « à structure forte », elle donne de la force au « paysage à structure assez faible ». L’un et l’autre composent une « structure harmonique ».

Pour introduire des éléments de comparaison, il est intéressant de reproduire ici l’avis de Faye et Tournaire sur deux réalisations contemporaines de Super-Besse : les stations de Flaine et d’Avoriaz. Cet avis figure dans un article paru en juillet 1972 (sous la plume de Michel Allain) : voici les « blocs de Flaine, pourtant dus à l’une des gloires du Bauhaus, l’architecte Breuer ; son travail ne tient aucun compte de la découpure des monts et de la dominante boisée : rupture d’échelle, de forme, de couleur et de matière ». Au contraire, puisque « l’intégration complète au paysage ne s’impose que dans les sites très forts, […] les « maisons-rochers » d’Avoriaz sont un exemple type de mimétisme sans camouflage »[6].

Paul Faye et Michel Tournaire fréquentaient les Alpes. Par leurs séjours, par la consultation des publications sur l’architecture de montagne, ils connaissaient bien sûr les stations en cours de réalisation. Leur désir était de développer, entre autres en Auvergne, une architecture de montagne de qualité et de se placer ainsi au niveau des meilleures réalisations alpines. La mention « Centre d’architecture et d’urbanisme de montagne » qui figure sur le cartouche de leurs plans témoigne de cette ambition[7]. Si les bâtiments qu’ils réalisèrent à Super-Besse n’ont pas tous la même richesse architecturale, la composition formée par la tour de la Biche, la résidence La Forêt et le site lui-même constitue indéniablement l’embryon d’un parti urbain et paysager qui, s’il avait été poursuivi, aurait sans doute pu prétendre à la comparaison avec les stations alpines les plus remarquables.

Mais l’étude exhaustive de l’histoire urbaine et architecturale de la station bessarde reste à écrire. Elle permettra sans doute de comprendre pourquoi Super-Besse, qui avait à l’origine certaines des caractéristiques les plus intéressantes des « stations intégrées » (un site vierge, la priorité au ski alpin, une maîtrise foncière totale par un seul acteur) n’a finalement pas réussi à se doter du type d’urbanisme et d’architecture homogènes propres à ces stations.

Notes

[1] Le « caractère montagnard » de la tour doit beaucoup aux garde-corps en bois de ses balcons. Ce matériau n’aurait pas été utilisé pour une tour similaire dans un contexte urbain. Il est d’ailleurs intéressant de relever que sur le premier projet de la tour, les garde-corps étaient prévus en béton armé.

[2] Rapport d’André Benne, Directeur départemental de la Dde, au préfet, 11 août 1972 (Archives départementales du Puy-de-Dôme, 1841 W 28). Nous n’avons malheureusement pas retrouvé les avis de l’architecte-conseil, ni les comptes rendus des séances de la Commission permanente des permis de construire. Nous ne connaissons donc pas le détail des arguments qui ont été présentés pour ou contre le projet, et nous ne savons pas non plus pourquoi l’architecte-conseil a changé d’avis en moins de quinze jours. Par ailleurs, l’un des reproches formulés (l’absence de parkings pour les 166 logements de la tour) reste aujourd’hui d’actualité.

[3] Lettre de Faye et Tournaire adressée à Henri Chambon le 22 août 1972, conservée dans le dossier du permis de construire de la tour de la Biche (Archives municipales de Besse, non coté). La lettre est signée par Paul Faye, agissant pour « Messieurs Faye et Tournaire ». Dans l’argumentation exposée, il faut bien sûr tenir compte d’une certaine exagération des conséquences d’un abaissement de la tour.

[4] Paul Faye, Bernard Faye, Michel Tournaire, Alain Godard, Sites et sitologie, comment construire sans casser le paysage, Paris, éditions Jean-Jacques Pauvert, 1974, 160 pages.

[5] D’après l’ouvrage de Marcel Baugniet, Essai sur la psychologie des formes, éditions La Maison du Poète, 1964, 67 pages.

[6] Michel Allain, « Environnement. Construire sans casser le paysage », Réalités (revue), juillet 1972, p. 50-56. Un exemplaire de ce numéro est conservé dans le dossier du permis de construire de la Tour de la Biche (Archives municipales de Besse, non coté). Je remercie Marie Léger, en charge du Patrimoine culturel de Besse-et-Saint-Anastaise, pour la communication de ce document.

[7] Cette appellation renvoie directement à celle de l’Atelier d’architecture en montagne initié dans les Alpes notamment par l’architecte Denys Pradelle.

  • Murs
    • béton béton armé
  • Plans
    plan régulier
  • Étages
    17 étages carrés
  • Élévations extérieures
    élévation à travées
  • Typologies
    architecture domestique
  • État de conservation
    bon état
  • Précision dimensions

    Dimensions hors tout : 26 x 28,50 m environ à la base, hauteur totale 61,20 m environ. Immeuble de 23 niveaux visibles composé d’un corps de bâtiment bas surmonté par une tour.

  • Statut de la propriété
    propriété privée, Immeuble en copropriété
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler

Etude SRI : architecture XXe - Modernisation et mutations de l’Auvergne, 1945-1985 : dix réalisations architecturales et urbaines emblématiques - Étude pour le Service Patrimoines et Inventaire de la Région Auvergne-Rhône-Alpes - Christophe Laurent, historien du Patrimoine, 3 mars 2021 (suivi scientifique Nadine Halitim-Dubois chercheure Inventaire général)

Annexes

  • Références documentaires
Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2022
© Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
Laurent Christophe
Laurent Christophe

Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-

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