Texte de l'itinéraire du patrimoine n° 130, paru en 1997 : Marie-Reine Jazé-Charvolin, (autrice Inventaire général)
HISTORIQUE
En 1910, Marius Berliet décide de se faire édifier une demeure en rapport avec sa situation sociale et familiale. L´usine de Monplaisir est alors en plein essor. Il habite, depuis peu, dans le quartier limitrophe de Montchat, rattaché à la ville de Lyon depuis 1852 seulement et encore à peine urbanisé.
La maison que la famille Berliet occupe, rue Viala, devant être détruite pour permettre l´implantation de l´hôpital Grange-Blanche, Marius choisit un terrain voisin, proche à la fois de son usine actuelle et de celle qu´il projette secrètement d´implanter dans la plaine de Vénissieux. Il refuse la proposition qui lui est faite de s´implanter boulevard des Belges, en bordure du parc de la Tête-d´Or, où s´élèvent alors des hôtels particuliers cossus destinés à une riche clientèle.
L´emplacement adopté pour la nouvelle construction forme l´extrémité sud-est d´un vaste terrain appelé « Clos Chaussagne », que la Société Anonyme Coopérative de constructions d´habitations à bon marché, dite Coopérative du Parc Chaussagne, a entrepris de lotir. A l´exception de l´avenue Esquirol, les rues qui le sillonnent sont des voies privées, rattachées à la voirie urbaine en 1928 (doc. 3).
Les deux parcelles acquises par Marius Berliet, le 24 décembre 1910 et le 30 octobre 1912 ; sont sans commune mesure avec celles sur lesquelles la coopérative érige « de petites maisons avec cour et jardin à l´usage d´une seule famille ». L´ensemble couvre près de 8000 m2 et occupe la totalité d´un îlot. Il est complété par la location aux Hospices civils de Lyon, de 4212 m2 situés de l´autre côté de la rue, destinés à la plantation d´un potager et à l´aménagement d´aires de jeux.
L´architecte lyonnais Paul Bruyas, chargé de la construction de la villa, dépose le permis de construire le 20 mars 1911 (doc. 5 et 6) ; les travaux, exécutés par l´entreprise de maçonnerie Tauty Frères, sont terminés un an plus tard tandis que la décoration et l´agencement intérieur, confiés à Louis Majorelle et Jacques Gruber, se prolongent jusqu´à la fin de l´année. Celle-ci voit également l´achèvement des « garage et conciergerie » commencés en juin 1912 (doc. 7 à 9).
La tradition veut que Marius Berliet, affecté par la mort de sa fille et de sa mère, se soit désintéressé de l´aménagement de sa nouvelle demeure. Cependant, plusieurs architectes sont sollicités entre 1913 et 1916, pour parfaire l´édifice. Divers dessins, intégrant dans un même alignement porche, jardin d´hiver et garage, cherchent à substituer une façade monumentale au simple mur clôturant la propriété le long de l´avenue Esquirol. Le lyonnais Paul de Monclos propose un ensemble classique avec bossages continus en table, toit brisé, baies en plein-cintre et grille de style Louis XV (doc. 24 et 25) ; le cannois Alexandre Arluc fait, quant à lui, diverses propositions qui vont de la simple serre en verre et métal à l´architecture néo-rurale, avec des encadrements en briques et toits en pavillon (doc 26 à 34).
C´est également le style régionaliste, et plus particulièrement normand, qui inspire le paysagiste Joseph Linossier et à nouveau Alexandre Arluc, pour la construction d´un bâtiment destiné à abriter, au fond du jardin, un garage, une écurie et une buanderie (doc. 35 à 47). Chacun d´eux présente plusieurs esquisses ; le premier conçoit un bâtiment en rez-de-chaussée à toit en forte pente, lucarne-pignon et façade traitée en damiers de brique et de pierre ; le second, des élévations sur deux niveaux, dont une avec faux pans de bois et de ciment. Ni l´écurie, ni le jardin d´hiver ne voient le jour.
En revanche, une extension de l´habitation, rendue nécessaire par l´agrandissement de la famille, en effectuée en 1928. Les premiers projets, dus à l´architecte Arluc et daté de 1919, prévoient une aile en retour dans l´angle nord-est du corps principal : le rez-de-chaussée est réservé à une salle de travail et une salle de jeux tandis que l´étage abrite trois chambres. L´élévation sur le jardin est calquée sur les façades existantes, mais l´introduction de décrochements, et d´une balustrade en rompt la régularité (doc. 12 à 16). C´est, en fait, l´architecte lyonnais Paul Senglet qui réalise cette aile, neuf ans plus tard. Il dépose le permis de construire le 7 avril 1928 et reprend, dans sa construction les dispositions prévues par son prédécesseur en les simplifiant (doc. 17 à 23).
Les architectes :
Le maître d´oeuvre de la villa, Paul Bruyas, est né à Lyon en 1873. Il fait ses études à l´école des beaux-Arts de la ville où il remporte plusieurs prix, et parfait sa formation dans les cabinets des architectes lyonnais Roux-Spitz puis Clermont.
Installé à son compte à partir de 1900, il a rapidement une importante activité. Membre de la Société Académique d´architecture de Lyon et de plusieurs autres associations professionnelles, nationales ou régionales, il va devenir architecte-conseil de plusieurs sociétés immobilières. Il est l´auteur de nombre d´usines et d´ateliers, d´immeubles et de plusieurs villas. La Villa Berliet doit revêtir une certaine importance dans sa production, puisqu´elle est sélectionnée pour illustrer la notice nécrologique que lui consacre l´Académie d´Architecture en 1936.
Les raisons du choix de cet architecte par Marius Berliet ne sont pas connues, pas plus que celles de son retrait après 1912. Peut-être est-ce l´intervention de Joseph Linossier pour l´aménagement du jardin, qui fait s´écarter Bruyas des projets et travaux suivants. L´architecte-paysagiste, Joseph Linossier, installé à Tassin-la-Demi-Lune, commune limitrophe de Lyon, semble jouir alors d´une sérieuse réputation, comme l´indique sa mention dans le Tout-Lyon-Annuaire de la haute société de la région lyonnaise. Son entreprise de « création et restauration des parcs et jardins, canalisation et distribution d´eau, culture générale de végétaux, fruitiers et ornements » est déjà citée dans l´Indicateur Henri de 1892 sous la raison sociale « Linossier fils ». Lorsque Marius Berliet fait appel à lui, il travaille à l´aménagement du parc du château de Vaurenard, dans le Beaujolais. Quelques années plus tard, il conçoit, pour l´industriel Henri Marrel, le parc du manoir de Châteauvieux à Sainte-Catherine-sous-Riverie, dans le Rhône. Ces trois réalisations, les seules connues à ce jour, laissent entrevoir la richesse et la diversité de son oeuvre.
Il dresse les plans des constructions qui ornent ses jardins, telles que les fabriques et le poulailler de l´avenue Esquirol, et doit même être l´auteur de bâtiments plus importants, comme le montrent ses projets d´écuries à construire au nord de la propriété. Pour ce programme, il est mis en concurrence avec l´architecte cannois Alexandre Arluc dont la correspondance et les archives montrent ses liens étroits avec la famille Berliet. Arluc gère l´ensemble de ses biens immobiliers sur la Côte d´Azur et à Béziers. Il construit plusieurs succursales dont celles de Marseille et de Nice, ainsi que l´usine de Courbevoie. En revanche, aucune de ses études, tant pour la villa de Lyon que pour un hôtel de voyageurs au sein de l´entreprise de Vénissieux, ne sont réalisées.
Pour l´édification d´une façade monumentale sur l´avenue Esquirol, Marius Berliet s´adresse non seulement à Arluc mais également à un lyonnais, Paul de Monclos. L´oeuvre de cet architecte chevronné est fortement marquée par l´architecture classique. Sa proposition de porche et de jardin d´hiver s´harmonise mal avec l´architecture de la villa ; mais c´est sans doute son départ pour Voiron, vers 1914, qui l´amène à renoncer à ce projet.
En fait, c´est un jeune lyonnais, Paul Senglet, installé comme architecte depuis 1927 seulement qui se voit confier, en 1928, l´agrandissement de la villa. Entré à l´Académie d´Architecture la même année, il en devient trésorier en 1936, date de la mort de ses aînés, Paul Bruyas et Paul de Monclos.
Les décorateurs :
Pour la décoration et l´aménagement intérieur, Marius Berliet fait appel à deux artistes nancéiens de renom, Louis Majorelle et Jacques Gruber. Le premier conçoit le décor et fournit le mobilier et les luminaires, le second crée les vitraux. Mais l´unité de l´ensemble témoigne de leur étroite collaboration.
C´est sans doute son amour de la nature qui oriente l´industriel vers cette Ecole de Nancy, constituée en 1901, et qui puise une grande partie de son inspiration dans l´environnement naturel. Il a de nombreux contacts en Lorraine ; il se rend fréquemment aux fonderies de Pont-à-Mousson, fréquente la famille Cavallier chez qui il a probablement rencontré les frères Majorelle. Ceux-ci ouvrent, en 1908, un magasin à Lyon, 28 rue de la République ; ils y présentent des ensembles, des meubles et des objets conçus et fabriqués à Nancy. La maison Majorelle assure aussi le service après vente et possède ses propres ateliers de tapisserie et d´installation électrique.
Louis Majorelle (1859-1928) est l´auteur de l´ornementation et des meubles Art Nouveau et sans doute également de ceux de style Louis XVI, comme semble l´indiquer la présence d´une « table Majorelle salon » dans la liste du mobilier vendu en mars 1960 ; cet artiste n´a jamais cessé, en effet, de produire des copies de styles antérieurs. On ignore quels sont les rapports entre l´architecte et le décorateur mais ce dernier a scrupuleusement respecté les plans initiaux.
Ses créations lyonnaises sont des oeuvres de maturité. Il s´agit d´un Art Nouveau sans extravagance formelle inutile, avec une parfaite convenance de situation et aux goûts du commanditaire.
Il travaille en étroite collaboration avec Jacques Gruber (1870-1936). Ce dernier appartient à l´équipe de collaborateurs dont s´entourent les frères Daum en 1894. Son activité artistique s´exprime d´abord dans l´ébénisterie puis s´oriente progressivement vers la création de vitraux d´appartement qu´il renouvelle totalement. Il travaille avec l´ensemble des architectes et décorateurs nancéiens. Ses réalisations, par leur perfection technique et leur adaptation totale au cadre architectural, tiennent une place de choix dans la décoration de la villa Berliet.
La destinée de la villa
Résidence principale de la famille Berliet jusqu´en 1944, date de son occupation par le commandement de l´armée américaine, la villa n´a plus retrouvé, depuis, sa destination initiale. Elle est louée, avec tout le mobilier, au consulat d´Angleterre puis à celui d´Italie, avant d´être intégrée dans le patrimoine de l´entreprise en 1956. Elle sert alors de centre de formation et d´accueil.
Depuis 1982, elle est le siège de la Fondation de l´automobile Marius Berliet, créée conjointement par la famille et Renault Véhicules industriels, pour sauvegarder et valoriser le patrimoine automobile de la grande région lyonnaise et l´histoire du camion français ; elle prolonge ainsi l´oeuvre de son premier occupant.
La villa a été inscrite à l´Inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté du 31 juillet 1989, moins d´un an après le classement du camion Berliet type M de 1910, représentant la première génération de véhicules utilitaires. Ces deux mesures de protection lient ainsi symboliquement les deux pôles de la vie de Marius Berliet, consacré entièrement à sa famille et à l´automobile.
Malgré ses destinations successives, l´édifice n´a subit aucune transformation importante. Cependant, l´adjonction d´une aile au rez-de-chaussée entre la villa et la maison du gardien et la simplification du jardin modifient la perspective d´ensemble. Nombre d´arbres n´ont pas été remplacés ou l´ont été par des essences plus communes ; une pelouse s´est substituée aux différents massifs et aux éléments construits et les plans d´eau ont été comblés. Ce cadre de verdure reste, néanmoins profondément évocateur de la sensibilité naturaliste de Marius Berliet.
Les modifications intérieures - suppression de la cuisine, de l´office et des salles de bains, condamnation de l´accès au belvédère - n´affectent pas le parti général de l´édifice. En revanche, à l´exception du bureau, les pièces ont été vidées de leurs meubles d´origine. Seuls subsistent le mobilier fixe et le décor porté dont l´incontestable qualité et la conservation exceptionnelle, en font l´un des rares et des plus précieux témoins de l´Art Nouveau à Lyon.
DESCRIPTION
La villa s´élève sur une parcelle trapézoïdale, longée sur ses quatre côtés par des voies de circulation. Elle en est séparée par de hauts murs qui font place, le long de l´avenue principale, à un muret surmonté de grilles. L´édifice, accessible par un portail et une porte piétonne (fig. 8 et 9), occupe l´angle sud-est du parc Chaussagne (Pl. I et doc. 3).
La maison de maître
La villa proprement dite se décompose en cinq corps de bâtiment de hauteurs différentes sur lesquels se greffent les volumes annexes du porche, de l´escalier de service, du bow-window et de la véranda. L´aile postérieure et le garage, en retour d´équerre sur la façade antérieure, délimitent une petite cour de service, fermée à l´est par le mur de clôture (Pl. II). L´ensemble, dominé par la tour-belverdère, conçue ici comme un élément décoratif, n´en conserve pas moins un caractère compact et régulier que seul rompt l´enchevêtrement des toitures (Pl. IV). Le jeu des toits en pavillons ou à croupes, couverts de tuiles ou en écaille et sommés d´épis de faîtage, devient ainsi un élément fondamental de la composition.
Lorsqu´il dépose le permis de construire, le maître d´oeuvre demande « l´autorisation d´édifier avenue Esquirol entre rue Montaigne et Pascal, une villa troisième catégorie, rez-de-chaussée maçonnerie et étage mâchefer ». Ces catégories, instituées en 1901, sont destinées à fixer les taxes municipales sur les constructions nouvelles ; la troisième correspond aux habitations les plus modestes sans sous-sol, avec rez-de-chaussée en maçonnerie et un seul étage en mâchefer.
Avec une emprise au sol de 650 m2, un sous-sol et une tour-belvédère à quatre niveaux, la construction n´est pas réellement conforme à la catégorie déclarée, pas plus que ne le sont les matériaux utilisés. En effet, les photographies prises au cours des travaux (doc. 50 à 54) montrent des murs en moellons équarris sur un soubassement en pierre de taille à bossage rustique. Des éléments en béton pré-moulé se mêlent à la pierre calcaire, pour les supports en surplomb des balcons et certains encadrements. Les élévations ont reçu, dès l´origine, un crépi ocre qui contribue à l´unité formelle de l´édifice. Il met en valeur le calcaire blanc des encadrements et des garde-corps à balustres et le calcaire gris du soubassement et du porche.
Le traitement des élévations sur jardin s´oppose à celui des élévations sur rue et suggère la distribution intérieure. Les premières ouvrent largement le salon, la salle à manger et les principales chambres du premier étage sur le parc, grâce à un bow-window et une véranda surmontés de balcons, et à de larges baies, doubles ou triples, disposées en travées (fig. 13 à 15). Les secondes, orientées à l´est et au sud et partiellement masquées par le mur de clôture, correspondant essentiellement aux pièces de service et de travail. La façade principale, précédée d´un porche étroit (fig. 16 et 17), est austère ; seules l´animent les baies en plein-cintre et les colonnes galbées de la tour-belvédère (fig. 1 à 4). A l´inverse, l´élévation orientale présente de multiples décrochements et une grande diversité d´ouvertures (fig. 5 à 7) ; une fenêtre rampante, en plein-cintre, signale l´emplacement de l´escalier d´honneur.
Le décor extérieur est réduit au minimum ; il n´est présent que sur les pilastres en gaine à glyphes du porche et sur les piédroits, légèrement incurvés et nervurés, des baies sur jardin. Une large frise de mosaïque court sur tout le pourtour de l´édifice, à hauteur des avant-toits (fig. 23 et 24) ; ses branches d´orangers reliés par un motif de grecque, apportent une note de couleur vive, à laquelle font écho des panneaux de mosaïque couronnant le porche et les baies de la tour (fig. 18).
La distribution intérieure est classique : le sous-sol, partiellement dégagé pour prendre jour en façade, est réservé aux locaux techniques et aux pièces de service, le rez-de-chaussée surélevé à la réception et à la cuisine, le premier étage aux chambres et salles de bain, et l´étage de comble au logement des domestiques.
Le plan massé exprime avec clarté la destination des espaces (Pl. III). Le maître d´oeuvre les a répartis symétriquement suivant leur fonction : la partie gauche de la demeure accueille les pièces consacrées à la vie familiale, la droite celles destinées au service. Le vestibule, dans l´axe de l´édifice, distribue d´un côté le bureau de Marius Berliet, séparé ainsi nettement des pièces à vivre, de l´autre le vestiaire (fig. 29). Il ouvre sur un vaste hall autour duquel s´articule toute la maison. L´escalier d´honneur, qui s´appuie sur l´un de ses côtés, dessert uniquement le premier étage ; un escalier de service, en pierre, dans un cage fermée, donne accès à l´étage de comble.
Dans ces volumes bien proportionnés, conçus dans un souci de confort, les décorateurs ont réalisé un ensemble d´une grande qualité qui, malgré la diversité des choix stylistiques, reste homogène et s´intègre parfaitement à l´architecture. Le rez-de-chaussée reçoit un décor Art Nouveau, mais il s´agit d´un Art Nouveau assagi, qui cohabite aisément avec le style Louis XVI du salon et de l´étage.
La présence dans chaque pièce de lambris aux lignes légèrement incurvées, de verrières en imposte, parquet à bâtons rompus et plafond stuqué contribue à l´unité de l´ensemble, encore renforcée par la déclinaison d´un thème ornemental unique dans des matériaux divers.
Le vestibule (fig. 25 et 26), malgré ses petites dimensions, n´en présente pas moins un décor raffiné. Il s´ouvre par une large porte au vantail en fer forgé. Les stucs qui ornent les angles adoucis se prolongent au plafond pour encadrer une verrière zénithale (fig. 27). Le sol en mosaïque et les vitraux des portes latérales reprennent, en le stylisant, le décor végétal de la porte d´entrée (cf. dossiers). Ce dernier représente une ombellifère, la berle, allusion au nom de Berliet ; cette plante figure déjà en 1903, sur le premier logo de l´entreprise. Son utilisation dès l´entrée est nettement symbolique.
Le bureau (fig. 30 à 33) est la seule pièce de la villa à avoir conservé son mobilier d´origine en acajou. Les deux bibliothèques reliées par un meuble bas, les miroirs, le bureau plat et son fauteuil, version simplifiée d´un modèle créé par Majorelle en 1907, constituent avec les lambris et la cheminée, un ensemble cohérent et sobre. Seuls les mouvements sinueux des poignées en bronze animent les surfaces. Les appliques et les suspensions en pâte de verre et bronze, souvent reproduites dans les catalogues de la maison Majorelle, sont représentatives de leur meilleure production (cf. dossiers).
Le hall (fig. 34 à 37) occupe, au coeur de la maison, un vaste volume se développant sur la hauteur du rez-de-chaussée et du premier étage. La qualité de son aménagement dans lequel le bois et le vitrail tiennent une place prédominante, est remarquable. Le thème choisi pour le décor est celui de la pomme de pin. Il est complété par la représentation symbolique d´écureuils sur les panneaux stuqués, disposés en frise au sommet des murs ; écureuil se disant « esquirol » en provençal, il est probable que Marius Berliet ait voulu évoquer ainsi l´adresse de sa maison.
L´escalier tournant à deux volées suspendues, réalisé en chêne, se prolonge au niveau de l´étage par une coursière en surplomb distribuant les chambres. Le départ de rampe en acajou s´épanouit dans un mouvement curviligne pour faire corps avec la main courante (fig. 38). La structure très simple de la rampe est agrémentée de petits panneaux sculptés repris sur les lambris d´appui.
La cheminée en acajou à ébrasement en laiton martelé, placée sous l´escalier, constitue avec une armoire-vitrine, le seul mobilier fixe du hall. Elle est la réplique d´un modèle présenté par Majorelle en 1904, lors de la grande exposition de l´Ecole de Nancy ; seule diffère la partie supérieure où une niche remplace le bas-relief initial (cf. dossiers). Les vitraux, signés Jacques Gruber, garnissent l´ensemble des ouvertures : la fenêtre en plein cintre de l´escalier, les impostes de chacune des portes, l´encadrement en anse de panier de la porte du salon et la verrière zénithale qu´encadrent quatre étonnantes suspensions, modèles uniques de l´atelier Majorelle. Ces verrières, aux motifs d´aiguilles et de pommes de pins réparties sur le pourtour, filtrent la lumière et créent une ambiance de demi-jour, subtilement colorée. Cet effet est obtenu par l´utilisation conjointe d´une grande diversité de verres, américains, cathédrale, opalescents, chenillés, ondés ou marbrés, et de procédés techniques divers en particulier la gravure à l´acide et la superposition. Les vitraux de la porte du salon présentent ainsi quatre verres gravés, adossés deux à deux pour être vus à la fois du salon et du hall (cf. dossiers).
La salle à manger (fig. 44 à 46) ouvre largement sur le jardin par un bow-window et une véranda demi-circulaire qui augmente sa clarté. Elle communique avec le salon par une large porte vitrée aux verres biseautés. Sa décoration prolonge celle du grand hall. Le bois y tient une grande place ; il encadre les ouvertures et garnit la base des murs de lambris de demi-revêtement, la partie supérieure étant, à l´origine, tendue de soie verte. Le plafond stuqué s´orne d´un motif d´algue repris sur la cheminée, sur les plaques de propreté en laiton repoussé et martelé, et même sur les poignées de fenêtre (cf. dossiers). La cheminée en acajou blond, placée entre les deux portes vitrées de la véranda, est traité comme un véritable meuble haut avec niche dans sa partie supérieure. Le foyer, surmonté d´une plaque ornée en laiton repoussé et martelé, est encadré de carreaux de céramique bleu-vert dans lesquels sont intégrés des motifs en pâte de verre caractéristiques de la production d´Antonin Daum et souvent utilisés par Majorelle à partir de 1909 (cf. dossiers).
Le salon (fig. 39 à 42) qui donne sur le jardin par de grandes fenêtres cintrées, a reçu un décor de style Louis XVI, sans rapport avec la décoration Art Nouveau du rez-de-chaussée. Mais les vitraux de la porte de communication avec le hall assurent la transition. Ils sont conçus pour être vus des deux pièces et la signature de Gruber est apposée côté salon (fig. 41). Les lambris de hauteur, ornés de chutes de feuilles, de rubans et de rinceaux, la cheminée en marbre blanc, au trumeau garni d´un miroir en plein-cintre, et le plafond mouluré à adoucissement se répètent à l´étage dans la chambre de Marius Berliet. Cette dernière, aux vastes proportions, se prolonge à l´extérieur par un balcon et une terrasse (fig. 50 à 53).
La conciergerie (doc. 7 à 9)
Elle est traitée comme une véritable maison à deux niveaux avec une tour d´escalier plus élevée et entrée indépendante sur la rue Pascal. Le rez-de-chaussée est entièrement réservé aux garages. Les façades (fig. 10 et 11), protégées par des toits en pavillon largement débordants, mêlent baies en plein-cintre et rectangulaires ; de petits balcons en bois animent les élévations sur jardin et une frise de cabochons en pâte de verre, bleu-vert, provenant sans doute de la fabrique de Daum, court sur tout le pourtour, à mi-hauteur des fenêtres de l´étage (fig. 11*).
Le jardin (complément Nadine Halitim-Dubois)
Marius Berliet a toujours porté un grand intérêt à l´environnement naturel. « Si vous chercher des formes efficaces, copiez la nature... la courbe d´un essieu avant, l´élasticité d´un ressort sont inscrits partout dans la nature » répète-t-il aux dessinateurs de l´usine. Un dessin du jardin est joint à la demande de permis de construire de la villa, montrant ainsi d´emblée toute l´importance qui doit lui être donné (doc. 1).
Le plan proposé par l´architecte Paul Bruyas nivelle le sol autour de la construction et rachète la pente du terrain par une série d´escaliers et de degrés convergeant vers un parterre ou un bassin circulaire placé en contrebas. Il n´est pas possible, faute de documents, de dire si ce projet est réalisé dans sa totalité, mais des arbres et des massifs sont plantés dès 1911, comme le montrent les photographies prises régulièrement au cours du chantier.
La propriété, close de murs, couvre alors une surface de 4837 m2. L´achat de la seconde parcelle d´environ 3000 m2, au nord, permet de réaliser un véritable parc. L´acte notarié précise d´ailleurs, que le vendeur devra utiliser la terre arable pour remblayer la carrière de sable ouverte, à cet endroit, pour les besoins de la Coopérative du Parc Chaussagne.
L´architecte-paysagiste Joseph Linossier crée un jardin paysager tout en courbes, où des allées sinueuses contournent des pelouses et des bassins aux tracés irréguliers (doc. 2 et fig. 12). Il utilise la pente naturelle du terrain, sud-nord et est-ouest, pour ouvrir la perspective sur trois plans d´eau ornés de rocailles. Une terrasse plantée d´arbres relie la villa à la maison du gardien ; elle domine une roseraie au tracé régulier en hémicycle, bordée au nord d´une allée couverte. La lisière arborée qui longe le mur d´enceinte, se creuse d´un exèdre, de salles d´ombrage et de repos ; elle longe le poulailler à clocheton, élevé dans l´angle nord-ouest de la propriété (doc. 61 et 62) et s´interrompt dans l´angle opposé, pour faire place à une fabrique en belvédère, réalisée en treillage (doc. 60). D´après ses biographes, Marius Berliet surveille de près l´aménagement de ce jardin d´agrément qui nécessite l´achat d´importantes quantités de terre végétale. Il choisit lui-même les arbres et mêle à des essences indigènes telles que marronniers, sapins, acacias, cèdres, saules et frênes pleureurs, des arbres fruitiers et espèces décoratives comme les micocouliers, séquoïas ou magnolias (doc. 48). Des massifs de fleurs et des aloès plantés autour des bassins et dans les pelouses complètent l´ensemble.