Issu d´un milieu modeste du quartier des Terreaux à Lyon, Claude Martin s´engage au sein des armées de la Compagnie Française des Indes, dont il démissionne en 1760, après les défaites de la Compagnie contre les Anglais. Claude Martin rejoint les rangs de la Compagnie anglaise, qui contrôle l´Inde méridionale et occidentale.
Il s´installe à Lucknow, capitale après la chute de Dehli, des nawabs de l´Awadh, où il réside pendant 25 ans. Selon Rosie Llewellyn-Jones (Une cour royale en Inde Lucknow 18e-19e siècle, Editions de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais, Paris, 2011, p. 55-67.), "Martin était un homme extraordinairement doué, un esprit universel capable d´exercer ses talents dans les domaines les plus variés. Il cultivait l´indigo dans sa propriété de Najafgarh, près de Cawnpore, gérait l´armurerie du nawab, faisait fondre canons et cloches, se livrait à des expériences électriques et faisait voler des montgolfières. Architecte amateur inspiré, il faisait également office de banquier et de prêteur, aux services duquel le nawab était le premier à recourir, et il exportait des marchandises en Europe. Il était à l´époque l´Européen le plus riche de l´Inde, statut qui contribua sans doute en partie à l´image déplorable que beaucoup de ses contemporains - eux-mêmes très désireux d´engranger le maximum de profits - se faisaient de lui (...). Sa fortune était pourtant pour l´essentiel le fruit d´un travail acharné. Il entretenait un vaste réseau de contacts qui achetaient pour lui des marchandises de luxe venues d´Europe et transitant par Calcutta. (...)
Par son comportement, Martin était un pur produit des Lumières. On en veut pour preuve la quantité et la qualité des ouvrages que renfermait sa bibliothèque, la manière rationnelle dont il gérait le personnel travaillant sur ses domaines, son scepticisme religieux et sa philanthropie. Il légua ainsi Constantia, la résidence qui ne fut achevée qu´après sa mort, afin qu´elle devienne une école ouverte aux enfants "de toute religion". L´influence architecturale de Constantia fut du reste considérable sur les édifices de style européen qui furent ensuite construits par les nawabs. Les statues qui ornent les parapets de Constantia, moulées dans l´argile locale par les artisans indiens, furent abondamment reprises dans le décor des bâtiments les plus variés (...) comme le montrent les photographies prises après la révolte des Cipayes [1857]. (...) Autre trait distinctif des constructions de Martin, les tours octogonales apparaissent dans maints édifices plus tardifs, comme le palais d´Alam Bagh et le Khurshid Manzil. Dans ce dernier cas, l´architecte écossais de Saadat Ali Khan reprit également à son compte la douve qui entourait, à l´origine, la résidence du français et qui était alimentée par la Gomti [fleuve qui arrose Lucknow] (...).
Peu apprécié par la communauté anglaise, Martin se lie véritablement d´amitié avec deux continentaux : le suisse Antoine-Louis Polier, colonel, et le général comte de Boigne, originaire de Chambéry. (...) Les trois hommes entretenaient chacun un harem, pratique qui, dans l´Inde du 18e siècle, était assez courante parmi les Européens non mariés. Epouses et maîtresses issues de la population locale étaient désignées du nom de bibi.
Martin avait 8 jeunes concubines, 7 Indiennes et une Anglo-Indienne. Boulone était sa favorite, et Girl Sally, qui n´avait que 13 ans lorsqu´elle intégra sa maison, jouissait également d´une position privilégiée. (...) On ne critiquait guère, dans les cercles européens de ce 18e siècle finissant, un usage aussi largement répandu. Soustraites aux regards extérieurs, tenues à l´écart de la société des hommes, les bibi étaient traitées comme des femmes musulmanes de haut rang. Quant aux hommes qui entretenaient ce type de relations avec de jeunes Indiennes, ils y trouvaient une occasion unique de se familiariser intimement avec la culture, les coutumes et les langues locales. Martin et Polier étaient tous deux capables de dicter des courriers en persan, langue de cour utilisée pour les correspondances officielles jusqu´à la mort du dernier nawab en 1887.
(...) Claude Martin consacrait une partie de sa fortune à la constitution d´une collection de médailles et de gravures reçues d´Angleterre, qu´il ouvrait à la curiosité de ses contemporains dans sa résidence de Lucknow, par la suite dénommée Farhat Baksh. Elle était décrite comme un « véritable musée ». Il commanda une série de dessins d´histoire naturelle à des artistes indiens, faisant importer pour ses peintres le papier nécessaire à leurs travaux ainsi que des "crayons chinois". (...)
Il fut également commandé à Claude Martin des bâtiments de type occidental : Bibiapur, Barowen et vraisemblablement Asafi Kothi, ainsi qu´à d´autres européens architectes, tels Polier (qui fut brièvement architecte officiel d´Asaf al-Daulau), le capitaine Marsack et le capitaine Duncan McLeod (Khurshid Manzil)."
Le 1er janvier 1800, Claude Martin rédige son testament en hindi et en anglais, dans lequel il « lègue la somme de 2000 sicka rupée, pour être déposées dans les fonds à intérêt les plus sûrs de la ville de Lyon, en France, et régie par les magistrats de cette ville, sous leur protection et contrôle. L´intérêt doit servir "à établir une école pour instruire un certain nombre d´enfants des deux sexes". En Inde quatre collèges étaient ouverts à son initiative : deux à Lucknow et deux à Calcutta. La Martiniere Calcutta comprend deux écoles privées séparées, l´une pour les garçons, l´autre pour les filles, fondées en 1836 sur décision de la cour suprême. A Lucknow, La Martiniere Boys´ College fut créée en 1845 et La Martiniere Girls´ College en 1869 seulement.
Selon Stephen Markel (Une cour royale en Inde Lucknow 18e-19e siècle, Editions de la Réunions des musées nationaux et du Grand Palais, Paris, 2011, p. 199-225), Claude Martin possédait une abondante collection d´objets en pierres dures. L´inventaire après décès, établi par ses deux exécuteurs testamentaires, Hamilton et aberdeen, en mai 1800, avant la vente publique qui se tint à Calcutta en janvier 1801, en témoigne. Les auteurs de l´inventaire tendant à utiliser, pour la majorité des objets en pierres dures, le terme « agate » ; mais il semble bien, pour deux raisons essentielles, que les pièces ainsi désignées étaient en jade. Les types en sont, tout d´abord, extrêmement variés. On trouve ainsi une « poignée de tulwar (épée) en agate offerte par Shujah Dowlah [shuja al-Daula] ». Par ailleurs, si l´on se fonde sur le corpus des objets en pierres dures existant en Asie du Sud, la corrélation entre la très grande variété des typologies et la taille des pièces les plus grandes laisse penser que le jade fut utilisé plus fréquemment que l´agate. En toure, à l´époque où fut dressé l´inventaire après décès de la collection Martin, le mot « agate » était, semble-t-il, le terme générique utilisé par la langue anglaise pour traduire le mot persan yashm, qui désigne le jade. Cet inventaire nous offre donc des preuves de la présence d´objets en jade dans la collection personnelle de Martin ainsi que dans la collection du nawab. L´attribution aux ateliers de Lucknow de la poignée en jade de l´épée de Claude Martin sur laquelle fut gravée l´inscription se trouve de la sorte confortée. Cette pièce constitue ainsi un témoignage essentiel sur l´art du jade à date tardive en Asie méridionale.
Une découverte récente confirme le rôle de collectionneur, voire de mécène, de l´artisanat du jade tenu par Claude Martin. Un revers de miroir en néphrite verte à décor floral émaillé polychrome et or, aujourd´hui conservé dans les collections du musée des Arts Islamiques de Malaisie (inv.2008.1.14), porte une inscription finement gravée précisant l´identité du propriétaire de l´objet : « Colonel Claud[e] Martin, Lucknow, 1782 ». Il est tentant d´associer à ce miroir inscrit ou à tout le moins, à un pièce similaire une référence figurant dans l´inventaire Martin : « Miroir avec cadre d´agate [sic] ». Le miroir inscrit de la collection Martin ainsi que les poignées d´épée et de dague déjà évoquées attestent de manière tangible l´existence à Lucknow d´un travail du jade de très haut niveau, et de la présence dans la ville d´amateurs pour cette production.
Les termes admiratifs par lesquels est décrite, dans l´inventaire après décès de Claude Martin, une tapisserie de la collection, seraient tout aussi appropriés pour évoquer nombre d´autres superbes créations contemporaines : « L´extrême brillance des couleurs et la richesse du dessin sont sans égales et rien de semblable n´a été vu en ce pays. On ne saurait en décrire la beauté ».
Chercheuse indépendante depuis 2003 auprès des services régionaux de l'Inventaire et de collectivités. A réalisé ou participé en tant que prestataire aux opérations suivantes : " Patrimoine des lycées " (avec la collaboration de Frederike Mulot), 2010-2015, " 1% artistiques ", 2019-2020 (avec la collaboration de Valérie Pamart), " Inventaire topographique de deux communes de l'ancien canton de Trévoux " (Pays d'Art et d'Histoire Dombes Saône Vallée, pour la communauté de communes Dombes Saône Vallée), 2019.