Dans son testament, Claude Martin, décédé à 65 ans sans enfants, fonde en Inde comme à Lyon des établissements pour l´instruction des enfants des deux sexes. Quand bien même la Ville de Lyon accepte les termes du legs dans leur totalité, elle prend du temps pour ouvrir la section féminine de la Martinière. Les jeunes filles se voient attribuer en 1872 un local 20, rue Royale, dont les conditions s´avèrent très rapidement insuffisantes et insalubres.
Les salles de cours, aménagées aux 4e, 5e et 6e étages de l´immeuble, sont exiguës, mal éclairées et dépourvues de cour et de préau ; les 110 élèves doivent traverser les étages occupés par un industriel apprêteur, utilisant à longueur de journée un brasier dégageant des gaz toxiques´ (Rapport de Marie Challaye, sous-directrice de la Martinière des Filles, le 7 mars 1885, à la Ville de Lyon. AC Lyon 454 WP 005). Les élèves sont très vites incommodées, 84 souffrent ou ont souffert de cet état des lieux, qui rend plus difficile l´enseignement et la réussite.
C'est pourquoi la Ville et le Conseil d´administration de la Fondation Martin recherchent une solution pour accueillir dignement les élèves féminines de la Martinière. Le quartier de la paroisse Saint-Vincent, à proximité de l´ancien couvent des Carmes, fait l´objet d´un important remaniement urbain : les îlots sont redessinés, des voies nouvelles sont percées, conduisant à la destruction de bâtiments, dont l´ancien couvent des Carmes. C´est à cet emplacement que la Ville acquiert l´îlot qui accueillera le nouveau bâtiment de la Martinière des Filles, grâce à un legs de la veuve de Cuzieu (1795-1884), l'une des bienfaitrices de l'institution. Ce legs, d'un montant de 2.650.000 francs, permit à la Commission de voter le budget pour l'édification de la Martinière des Filles. Le bâtiment construit en 1897 rue des Augustins lui est également dédié.
Le bâtiment Art nouveau
Le projet est confié aux architectes lyonnais François Clermont (1857-1930) et Eugène Riboud (1860-1909). Au sein de la Compagnie immobilière du 1er arrondissement, dont il est le créateur, François Clermont s'est déjà vu confier par la Ville de Lyon la réalisation du nouveau quartier de la Martinière, conçu entre 1896 et 1898 (comm. écrite D. Lang, 6.10.2015 ; AC Lyon, 1419 WP 054-067), commencé en 1900, quasiment achevé en 1904. Le permis de construire le nouvel établissement est accordé le 12 octobre 1904 (AC Lyon 314 WP, No 344 WP 017 PCA19040648), les travaux sont réalisés entre 1906 et 1907 sur une parcelle de 700 m2, à l´angle des rues de la Martinière et Louis-Vitet.
Se jouant de l´espace exigu, les architectes créent un édifice élégant, dont les ailes ouvertes en trapèze forment comme deux bras accueillants ouverts sur une petite cour donnant sur la rue. Ils utilisent avec bonheur pierre de taille et poutrelles métalliques, et usent, à l´extérieur comme à l´intérieur, du vocabulaire architectural et ornemental de l´Art nouveau alors en vogue. Les deux ailes rectangulaires, largement ouvertes sur la place Tobie-Robatel, sont organisées de part et d'autre d'un escalier central distribuant 5 étages. Un petit escalier secondaire a été construit à l'extrémité de l'aile débouchant sur la rue Louis-Vitet, côté Salle Rameau (construite en 1909 par les mêmes architectes). La cour principale accuse un plan en forme de V ; une partie de sa surface est occupée par deux talus en béton ajourés éclairant le sous-sol. Au centre, la façade de l'escalier, dont le perron est protégé par une large marquise en verre formant éventail, est éclairée, au rez-de-chaussée, par une double porte et des jours latéraux ; un fronton semi-circulaire est orné de bouquets de fleurs ; au-dessus s'élèvent trois niveaux ouverts sur de larges baies. Cette façade se termine à l'étage d´attique, par une galerie ouverte comprenant trois baies rythmées par des colonnes à chapiteaux enroulés ornés de trois boules de cuivre vert. Au-dessus, le cadran de l´horloge trône dans l´édicule faîtier. La toiture du pavillon de l'horloge est à trois niveaux, largement débordante, en bois et cuivre et couverte de tuiles creuses.
Les deux façades sur cour sont identiques : elles sont à 4 travées s'élevant sur 4 niveaux et un supplémentaire au-dessus de la corniche. Celle-ci est soulignée par une frise de carreaux émaillés vert et bleu, dessinant un double carré timbré d'une fleur de lotus, alternant par trois avec le chiffre de La Martinière : LM. Les ornementations de la corniche s'inspirent de l'architecture antique, particulièrement par l'emploi de modillons groupés par 6. Au-dessus de la corniche, les eaux sont évacuées par 6 conduites ornées d'une large corbeille végétale. Les 1er et 2e étages sont soulignés par une frise de lotus. Le chiffre LM est répété entre les arcs du rez-de-chaussée.
Le métal a largement été utilisé dans la construction : linteaux, montants et traverses métalliques s'observent sur les fenêtres des façades sur la cour. Cette dernière est fermée par une porte flamande (étudiée) et clôturée par une grille posée sur un soubassement en pierre de taille. Les luminaires, à l'origine fonctionnant au gaz, sont identiques à ceux utilisés pour éclairer le Pont de l'Université (AC Lyon 454 WP 005, courrier du directeur de la Martinière au maire de Lyon, 1er décembre 1906), alors récemment terminé.
La façade de l'aile orientale, donnant sur la rue Louis-Vitet, est large d'une travée. Au centre, une mosaïque figure une ruche sous un figuier, dans le soleil levant, accompagnés de la devise du Major Martin. Deux plaques au chiffre LM et un carré à fleur de lotus soulignent l'ensemble, répétés à l'étage d'attique par des plaques émaillées à ornements végétaux. Le rez-de-chaussée est éclairé par une imposte fermée par une grille en fer forgé au chiffre LM, dans le pur style 1900.
La façade de l'aile ouest, donnant sur la rue de la Martinière, est large de trois travées soulignées par trois arcades identiques à celles de la cour. La mosaïque au-dessus reprend les armes de la Ville de Lyon, un lion dressé couronné et la devise dans un ; en dessous, un cartouche rappelle le rôle de Madame de Cuzieu.
Les panneaux de mosaïque ont été réalisés par Bertin, d'après des cartons de Louis Bardey conservés aux archives municipales de Lyon.
L´escalier 1900
L'architecture de l'escalier comme son ornementation est typique des années 1900 : au sol, une mosaïque de pierre souligne les lignes fluides. Des bandes colorées de gris, deux tons de jaune, deux tons de rouge relient entre elles des roses épanouies, isolées ou en bouquet ; l'espace central est uniformément gris. La rampe de l'escalier est en fer forgé, les mains courantes - rampe (dessinée par le serrurier Martin) et contre le mur - sont en bois ; le départ de la rampe est souligné par une pomme en cuivre. L'escalier est régulièrement interrompu par des demi-paliers dans les angles et dessert chaque niveau par un palier continu. L'éclairage naturel est assuré par les baies en façade et par des fenêtres ménagées sur la cour intérieure ; la baie du rez-de-chaussée est aveugle. Récemment a été ajouté un garde-fou, pour répondre aux normes de sécurité actuelles.
Vers la nationalisation
La nouvelle école est inaugurée en grande pompe par le président de la République Armand Fallières (1841-1931) le 19 mai 1907.
A l´instar de la Martinière des garçons, la Martinière des filles est rapidement saturée ; en 1930, la directrice installe 258 élèves au 33, rue de la Martinière et 296 au 7, rue des Augustins. Elle demande au Conseil d´administration comme à la Ville de Lyon d´examiner l´agrandissement de l´école actuelle par l´aménagement de l´immeuble municipal contigu qui pourrait dégager 5 ateliers et 1 classe (AC Lyon 95 WP 031 1). La décision d´agrandir est prise par la Ville de Lyon dès les années 30 ; les plans des architectes Streichenberger et Sautour sont approuvés le 1er mai 1931, soit 5 ans avant la loi de nationalisation du 25 juillet 1936 (AC Lyon 963 WP 090). Mais les travaux ne sont pas mis en oeuvre.
La nationalisation de l´Ecole pratique de jeunes filles de la Martinière (loi du 25 juillet 1936) dégage la Ville de Lyon du poids financier de l´opération. C'est donc l´État qui va engager les travaux d'agrandissement en commençant par la démolition des immeubles de la rue Terme. Un délai de 6 ans est fixé pour l'exécution de ces travaux, faute de quoi le terrain ferait retour à la Ville de Lyon (extrait du registre des délibérations du CM de Lyon, 18 octobre 1937, AC Lyon 95 WP 031 1. La portion des immeubles nécessaire à l´agrandissement de l´école représente une superficie de 510 m2).
Les immeubles des 14 et 16, rue Terme sont expropriés puis démolis lors de la percée du prolongement de la rue de la Martinière. Les terrains hors alignement situés dans l´angle nord ouest de cette voie et de la rue Terme sont toujours affectés à l´agrandissement de l´ENP des Jeunes Filles de la Martinière (AC Lyon 966 WP 028). L´architecte parisien Michel Cuminal propose un projet en 1939 (A.D. Rhône, Fonds Dupin, 1 T 2276). Pendant la seconde guerre mondiale, les réfectoires sont transformés en abri ; l´établissement, comme la plupart des immeubles du quartier, subit de nombreux dommages lors de l´explosion des ponts de la Saône en 1944. Michel Cuminal, rétabli dans ses fonctions d´architecte en chef de l´école nationale professionnelle, met en oeuvre les travaux de restauration (AC Lyon 523 W 39 : M. Cuminal a repris ses fonctions d´architecte de l´établissement depuis le 27/12/1946).
Mais la construction envisagée depuis 1931 n´est toujours pas sortie de terre. Le 20 avril 1950, le service immobilier des services techniques de la Ville de Lyon signe un rapport indiquant que la superficie à construire à l´angle des rues Terme et de la Martinière est de 370 m2. Le terrain est toujours maintenu à son affectation première : l´agrandissement de l´école de la Martinière des Filles (AC Lyon 966 WP 028).
Les travaux commencent en 1950, sur les projets de Michel Cuminal, qui a intégré l'aile Ouest du bâtiment de Clermont et Riboud dans l'extension. Cette dernière est bâtie sur la totalité de la parcelle, sur 6 niveaux. Une rotonde centrale génère un puits de lumière régulier jusqu'à une verrière en béton ajourée, close par d'épais carreaux de verre. La desserte des niveaux est assurée par un ascenseur et un escalier au sud. L'actuelle issue de secours, rue Terme, avait été profilée pour devenir l'entrée principale du lycée. A l'angle de la rue de la Martinière et de la rue Terme, marquant la jonction entre l'ancien bâtiment et l'extension de Cuminal, est placé un haut-relief du sculpteur Georges Salendre (1890-1985), 'les Couturières'.
A l´instar de l´ensemble des Ecoles nationales professionnelles, les Martinière des filles et des garçons deviennent, en 1960, Lycée Technique d´État. Deux ans plus tard, de nouveaux bâtiments d´externat et d´internat sont construits à la Duchère ; cet établissement devient entièrement autonome en 1979 en se séparant de la maison-mère.
Chercheuse indépendante depuis 2003 auprès des services régionaux de l'Inventaire et de collectivités. A réalisé ou participé en tant que prestataire aux opérations suivantes : " Patrimoine des lycées " (avec la collaboration de Frederike Mulot), 2010-2015, " 1% artistiques ", 2019-2020 (avec la collaboration de Valérie Pamart), " Inventaire topographique de deux communes de l'ancien canton de Trévoux " (Pays d'Art et d'Histoire Dombes Saône Vallée, pour la communauté de communes Dombes Saône Vallée), 2019.