Scize, Pierre. Lyon dans les chaînes, Lyon, 1945, lithographies de Julien Pavil. Extraits cités dans GARDES, Gilbert. Le voyage de Lyon : regards sur la ville. Lyon : Horvath, 1993, p. 309-310.
Le 27 juillet, à l'heure de l'apéritif méridien, une voiture d'Allemands s'arrête devant le café du Moulin-à-Vent, place Bellecour. Ce n'est pas pour y boire du vermouth. Ils font descendre du camion bâché de vert des hommes enchaînés qu'éblouit la clarté du jour. Ils sont cinq, qui viennent de Montluc où ils ont passé de longues semaines. On les aligne devant l'établissement qui, la veille, a été saccagé par une bombe. Laquelle bombe, il faut le dire, n'a fait aucune victime. On leur tient un petit discours moral. Thème : "Voyez ce que les vôtres ont fait! Vous n'êtes pas honteux!"
Beaucoup de monde autour pour regarder la scène. C'est l'heure où l'on sort des bureaux, des magasins. Les tramways passent, bondés. il y a là des femmes, des jeunes filles. Des badauds. Qu'est-ce que ces sacrés Fritz ont encore inventé ? Oh c'est très simple. Cela manque de subtilité. L'un d'eux s'approche du premier prisonnier. Il a un revolver à la main. C'est une blague pensent les badauds. C'est pour lui faire peur. Le coup part, le prisonnier s'écroule. C’était donc sérieux ! Une balle, une autre, une autre. Comptez-vous cinq. C'est fini. Les Allemands remontent en carrosse et s'en vont déjeuner. Défense de toucher aux cadavres. Ils tiennent peu de place d'ailleurs, sagement écroulés les uns sur les autres. L'un d'eux a roulé jusqu'au ruisseau. On dirait des pantins disloqués. Du sang se caille sur l'asphalte, en minces rigoles.