Dossier d’œuvre architecture IA03000595 | Réalisé par
Laurent Christophe (Rédacteur)
Laurent Christophe

Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-

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  • opération ponctuelle, Patrimoine XXe siècle
Le lotissement de Bressolles à Domérat
Œuvre monographiée
Auteur
Copyright
  • © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Auvergne-Rhône-Alpes
  • Commune Domérat
  • Lieu-dit Bressolles
  • Adresse boulevard du président Allende , rue Elsa Triolet , rue Pablo Neruda , impasse Georges Bizet , impasse Frédéric Chopin , impasse Vincent Scotto , impasse Eugène Delacroix , impasse Jean Cocteau , impasse Robert Desnos , impasse Paul Eluard
  • Cadastre 2021 ZV

Historique (résumé chronologique)

31 mars 1969 : lancement du Concours international de la Maison individuelle (CIMI) par le ministre Albin Chalandon.

27 juin 1969 : premier contact entre un promoteur-conseil et le maire de Domérat Albert Poncet.

20 décembre 1970 : le conseil municipal de Domérat vote l’achat du terrain de Bressolles.

7 décembre 1972 : un premier permis de construire pour le lotissement est accordé.

18 mai 1973 : cérémonie de pose de la première plaque préfabriquée d’une maison.

9 novembre 1973 : cérémonie d’inauguration du pavillon témoin.

7 janvier 1975 et 3 juillet 1975 : déclarations d’achèvement des travaux pour les 262 maisons construites de 1973 à 1975.

Historique

Le 31 mars 1969, Albin Chalandon, ministre de l’Équipement et du Logement[1], lança le Concours international pour la maison individuelle (CIMI). Le 27 juin suivant, Albert Poncet, maire de Domérat[2], reçut une lettre d’un promoteur-conseil lui proposant de réaliser sur la commune domératoise, dans le cadre du CIMI, un « ensemble village » de 250 maisons[3]. Ainsi furent posés les premiers jalons d’un projet qui aboutit à la construction, de 1973 à 1975, du lotissement de Bressolles (fig. 1 et 2).

Le CIMI, à l’origine des « Chalandonnettes »

Le CIMI avait pour principal objectif de promouvoir la construction d’un grand nombre de maisons individuelles à bas coût dans des lotissements comprenant plusieurs centaines de pavillons. Albin Chalandon voyait dans la maison en série sinon « un remède », au moins une alternative, à la construction des grands ensembles d’HLM. Il voulait « proposer aux Français de choisir et non plus de subir le type de logements auxquels ils aspirent ». Il s’agissait donc de rendre la maison individuelle accessible « à tous les Français » afin d’éviter la ségrégation entre « les gens riches dans les villas » et « les ouvriers dans les collectifs HLM ». La maison individuelle « devait devenir ce qu’elle n’était pas, c’est-à-dire le logement des travailleurs, des jeunes ménages, au même titre que celui des personnes plus aisées plus âgées »[4]. Pour cela, une véritable industrie de la construction individuelle devait être créée, de façon à ce que 80 % des maisons soient réalisées en série dans le cadre de groupements concertés, alors que 80 % des maisons étaient à l’époque réalisées au coup par coup sur des terrains dispersés ou isolés. Des modèles de maisons livrées « clef en main » devaient permettre à la fois une variété de formes architecturales (y compris en fonction des régions d’implantation) et une normalisation - standardisation, ceci afin de faciliter l’industrialisation des composants et des méthodes de fabrication[5].

L’ambition du ministre s’étendait aussi au domaine de l’urbanisme. D’une part, les groupements de maisons individuelles devaient créer « une nouvelle forme de village ». D’autre part, hormis des sites et des espaces à protéger, le territoire français était considéré comme constructible même dans les zones rurales. Il s’agissait de faciliter la mise sur le marché de terrains pour bâtir en masse des maisons individuelles, y compris en dérogeant à la réglementation existante.

Le CIMI s’adressait à des groupements d’entreprises et d’organismes publics et privés réunissant des promoteurs, des sociétés d’HLM, des architectes. Chaque groupement devait s’engager à construire au moins 7 500 maisons entre 1970 et 1972, dans le cadre d’opérations comptant au minimum 250 maisons. Les modèles de maisons proposés devaient répondre à des normes architecturales et techniques ainsi qu’à des conditions de coût. Des prix étaient fixés, différents pour la région parisienne et la province. En province, tout confondu (terrain, équipement, construction, charges annexes), au moins 50 % des maisons construites ne devaient pas dépasser un prix de vente de 720 F au m2, 40 % devaient coûter entre 720 et 950 F au m2, et 10 % pouvaient avoir un prix libre. La volonté était d’abaisser de 30 à 40 % les prix pratiqués habituellement. Les financements étaient assurés et facilités par la présence d’organismes HLM dans les groupements ainsi que par des mesures spécifiques accordées par l’État. Les maisons ainsi construites allaient être vendues à des particuliers, notamment par le moyen de la « location-attribution[6] ». Un slogan résumait la proposition commerciale : « Devenez propriétaire pour le prix d’un loyer ».

Le 16 janvier 1970, sept groupements furent déclarés lauréats du concours. Des projets de lotissements furent bientôt lancés dans toute la France. Plusieurs dizaines de milliers de maisons issues du CIMI sortirent de terre entre 1971 et 1976. Très rapidement, elles reçurent le surnom de « Chalandonnettes ». Très vite également, elles suscitèrent des critiques. Des lotissements avaient été implantés sur des zones inconstructibles et parfois quasi insalubres, les équipements collectifs faisaient souvent défaut, la densité du bâti les apparentaient à des « HLM horizontales ». Par ailleurs, certaines maisons présentaient une médiocre qualité de construction, les finitions laissaient souvent à désirer, l’isolation phonique et thermique s’avérait presque inexistante. Certaines réalisations comportant d’importantes malfaçons conduisirent à des contentieux. Des propriétaires s’unirent en collectifs et manifestèrent. Les dernières de ces affaires ne furent réglées qu’au milieu des années 1980. Globalement, le concours CIMI eut un bilan contrasté. Certes, les « Chalandonnettes » permirent à des ménages peu aisés d’accéder à la propriété d’une maison individuelle implantée dans un cadre relativement naturelle, mais elles contribuèrent à diffuser un modèle urbain, architectural et social problématique, celui du « lotissement pavillonnaire ».

La genèse du lotissement de Bressolles

En 1968, la commune de Domérat était peuplée de 5 725 habitants. Elle connaissait depuis une quinzaine d’années une importante mutation économique et sociale. Depuis longtemps à dominante rurale (en particulier viticole), elle évoluait vers un statut périurbain à la fois résidentiel et commercial. La raison de ce phénomène était la proximité de la ville de Montluçon. Comptant 57 871 habitants en 1968 (son apogée démographique), Montluçon possédait encore, malgré des signes d’essoufflement, un puissant secteur industriel. À cette époque, les usines de Dunlop, la SAGEM et Landis et Gyr comptaient à elles seules près de 8 400 employés. Outre les salariés résidant à Montluçon, de nombreux ouvriers domiciliés dans les communes rurales limitrophes venaient travailler dans ces usines. Des services de transport en commun leur étaient proposés, notamment les fameux autobus bleu nuit de la société Dunlop. Certains ouvriers conservaient encore une double activité en exploitant des terres et des vignes. Ainsi, bien des Domératoises et Domératois occupaient un emploi à Montluçon.

Une évolution socio-économique prenait de l’ampleur, celle de la « société de consommation » engendrée par une hausse quasi générale du niveau de vie. L’ouverture au cours de l’été 1970 sur la commune de Domérat, à la limite de Montluçon, d’un supermarché Mammouth, en fut localement l’une des manifestations. Autre phénomène de fond lié à cette évolution, l’accroissement du nombre d’automobiles facilitait les trajets domicile-travail. Vivre à la campagne tout en travaillant en ville devenait pour beaucoup « un rêve » accessible (fig. 3). Corollairement, la demande de location ou d’achat de maisons se fit plus forte.

Comme bien d’autres communes voisines d’une grande ville, Domérat commença à être touchée par la périurbanisation dès la fin des années 1950. La municipalité fut souvent sollicitée par des particuliers à la recherche de terrains à bâtir. Afin de répondre à la demande tout en limitant les coûts des équipements à créer (réseaux d’eau potable, d’eau usée, d’électricité, de téléphone, voiries, circuits de collecte des ordures ménagères), la commune et des promoteurs privés créèrent des lotissements. Les premiers lotissements communaux domératois, notamment « Les Coupances », furent aménagés à partir de 1965 environ.

Albert Poncet (membre du Parti communiste français) et sa majorité municipale désiraient « satisfaire, du mieux qu’ils le [pouvaient], les besoins de la population en matière d’urbanisme et de logement ». En répondant positivement, le 27 juin 1969, à la sollicitation du promoteur conseil pour un projet de lotissement dans le cadre du CIMI, ils eurent le « souci d’aider et de maintenir un habitat accessible aux travailleurs »[7].

Le projet envisagé en juin 1969 nécessitait de trouver un terrain de 15 à 20 hectares situé en zone rurale. Il fallait toutefois que ce terrain soit assez proche d’une route ainsi que des réseaux d’eau potable et d’électricité. Un vaste bien-fonds retint bientôt l’attention, celui du terroir de Bressolles. D’une superficie de 27 hectares presque d’un seul tenant, il se trouvait dans la campagne à 700 mètres au nord-ouest du bourg de Domérat. Constitué lors d’une opération de remembrement, il était la propriété de la SAFER Auvergne (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Le 20 décembre 1970, le conseil municipal décida d’acquérir le terrain de Bressolles[8].

Les archives consultées n’ont pas livré de documents sur le déroulement précis des discussions au cours de l’année 1971. Dans son discours prononcé le 18 mai 1973, Albert Poncet affirma avoir « fait connaissance avec M. Darnault, le sympathique directeur de L’Abri populaire - Berry Logement à Bourges »[9]. Cette rencontre – dont la date n’est pas connue – permit au projet de rebondir. La société d’HLM L’Abri populaire - Berry Logement était membre du Groupement coopératif pour la maison individuelle (GCMI), émanation de la Fédération nationale des coopératives HLM. Par l’intermédiaire de ce groupement, L’Abri populaire - Berry Logement avait participé au Concours international pour la maison individuelle. Or, le GCMI avait été l’un des lauréats du concours : le projet de Bressolles put donc être reconnu comme une opération issue du CIMI. La société L’Abri populaire - Berry Logement se chargea notamment du financement de l’opération et de la maîtrise d’ouvrage.

En février 1972, Robert Darnault et le président de L’Abri populaire - Berry Logement vinrent à Domérat pour examiner le site de Bressolles. Le mois suivant, Albert Poncet et ses collaborateurs visitèrent dans la région de Bourges des maisons individuelles réalisées par la société berrichonne. Des contacts furent pris avec le ministère de l’Équipement et du Logement et la Direction départementale de l’Équipement de l’Allier. Le projet put enfin se concrétiser.

Le 24 septembre 1972, le conseil municipal de Domérat approuva la création d’un lotissement de 250 maisons comprenant une première tranche de 60 logements. Les élus votèrent la cession à L’Abri populaire - Berry Logement de 19 hectares du terrain précédemment acquis auprès de la SAFER, le reste étant réservé à l’aménagement d’espaces verts publics. Ils décidèrent aussi que la commune assumerait diverses dépenses, dont celles de l’aménagement d’une voie d’accès au terrain[10]. Enfin, ils chargèrent le maire d’examiner la question des équipements scolaires à prévoir en raison de l’afflux prochain de nouveaux habitants[11]. Par la suite, en janvier, mars et mai 1973, la commune accepta également d’apporter sa garantie aux emprunts contractés par L’Abri populaire - Berry Logement pour financer l’opération[12].

Le projet urbain et architectural du lotissement fut confié à Marius Depont, architecte-urbaniste originaire du Berry et domicilié à Châteauroux (19 rue du général Ruby). Marius Depont avait déjà travaillé pour L’Abri populaire - Berry Logement. Le 7 décembre 1972, un permis de construire fut accordé pour la première tranche. Un autre suivit le 11 avril 1973 pour 190 logements. Enfin le 20 décembre 1973, un dernier permis de construire modificatif fut accordé pour 201 logements. Le lotissement compta finalement 262 maisons.

Les travaux de viabilisation débutèrent en janvier 1973[13]. Le 18 mai 1973 eut lieu la cérémonie de pose de la première plaque préfabriquée du mur d’une maison (fig. 4). Le 9 novembre suivant se déroula l’inauguration d’un pavillon témoin[14]. En octobre 1974, 131 logements étaient déjà occupés (fig. 5 et 6). Le 7 janvier 1975, Robert Darnault signa la déclaration d’achèvement de travaux de 119 logements, et le 3 juillet 1975 celle de 143 logements (fig. 7).

En 1976, Berry Logement envisagea de lancer une troisième tranche de 70 maisons sur la partie sud-est du terrain de Bressolles[15]. Mais, sans doute en raison de la fin des mesures gouvernementales liées au CIMI, de difficultés de commercialisation et de l’apparition de contentieux sur quelques-unes des maisons achevées, ce projet n’eut pas de suites.

À partir de 1981 et jusqu’en 1992, en trois phases, une nouvelle opération immobilière se déroula sur l’emplacement susmentionné. Quatre petits immeubles et 55 maisons HLM ou en accès à la propriété furent construits[16]. Cependant, par ses caractéristiques économiques, techniques et architecturales, cette réalisation ne peut pas être confondue avec celle du lotissement de Bressolles.

Notes

[1] Albin Chalandon (1920-2020), plusieurs fois ministre de 1968 à 1978 puis de 1986 à 1988, fut ministre de l’Équipement et du Logement du 12 juillet 1968 au 6 juillet 1972.

[2] Albert Poncet (10 janvier 1907 - 13 décembre 1975), maire de Domérat de 1959 à 1975.

[3] Archives municipales de Domérat, 4 W 73, Discours d’Albert Poncet pour la cérémonie de pose de la première plaque d’une maison, le 18 mai 1973 ; Registre des délibérations du conseil municipal, 1956-1970, 9 W 38, séance du 13 juillet 1969. D’après le discours d’Albert Poncet du 18 mai 1973, le promoteur conseil se nommait Caillot et représentait la société cannoise Euroburo.

[4] Pour l’origine des citations de ce passage, voir le Règlement pour le Concours international de la maison individuelle (Paris, ministère de l’Équipement et du Logement, 1969, 23 p.), et le texte de la conférence-débat d’Albin Chalandon, Une nouvelle politique de l’urbanisme : place et rôle de la maison individuelle (Paris, Chambre de commerce et d’industrie, 7 mai 1969, 16 p.).

[5] Le CIMI procéda en partie des expériences de « Villagexpo » réalisées dans les années 1965-1968. Il s’agissait là aussi de promouvoir, par des expositions de prototypes groupés, la maison individuelle « industrialisée » et les opérations concertées. Les entreprises de promoteurs-constructeurs (dites de « pavillonneurs ») prirent leur essor au début des années 1970.

[6] Les contrats de « location-attribution » étaient un dispositif d’accession à la propriété. Ils étaient proposés par des sociétés d’habitation à loyer modéré. Ils conféraient le droit à la jouissance d’un logement et le droit à son attribution ultérieure en toute propriété après paiement intégral du prix de revient définitif de ce logement. Le « locataire-attributaire » devait verser un premier apport – aussi limité que possible – avant l’entrée dans les lieux. Il devait ensuite rembourser à la société HLM le montant des amortissements des emprunts contractés et acquitter une redevance comprenant les intérêts des emprunts contractés. Voir le Code de la construction et de l’habitation, Livre IV, Titre II, Section 6.

[7] Citations extraites du Bulletin municipal de Domérat, n° 9, 1972, non paginé.

[8] Archives municipales de Domérat, Registre des délibérations du conseil municipal, 1970-1975, 9 W 39, séances du 7 octobre 1970 et du 20 décembre 1970. L’acte de vente est signé le 3 mai 1971. Des acquisitions complémentaires avec échanges de terrain seront réalisées en 1973 (voir les délibérations du 23 mars 1973, 21 mai 1973, 22 juillet 1973 et 20 octobre 1973).

[9] Archives municipales de Domérat, 4 W 73, Discours d’Albert Poncet (op. cit. note 3). La société HLM L’Abri populaire - Berry Logement était établie à Bourges, 12 rue Émile-Martin. Robert Darnault fut président de la Fédération nationale des sociétés coopératives d’HLM de 1977 à 1983.

[10] Archives municipales de Domérat, Registre des délibérations du conseil municipal, 1970-1975, 9 W 39, séance du 24 septembre 1972. Le 28 janvier 1973, le conseil municipal décida d’aliéner le terrain (d’une surface portée à 20 hectares) au profit de L’Abri populaire pour la somme de 842 000 francs, somme couvrant l’achat du terrain auprès de la SAFER et le coût des travaux d’aménagement pris en charge par la commune. En janvier 1993, les parcelles des voies de circulation du lotissement ont été revendues à la commune par la société L’Abri Populaire.

[11] Pendant quelque temps, la construction d’une école maternelle fut envisagée sur une partie du terrain de Bressolles conservée dans le domaine public.

[12] Voir les délibérations du conseil municipal des 28 janvier, 23 mars et 21 mai 1973 pour la garantie d’emprunts s’élevant à 3,63 millions de francs et à 12 millions de francs.

[13] Déclaration d’ouverture de chantier datée du 3 janvier 1973.

[14] D’après les photographies aériennes visibles sur le site internet remonterletemps.ign.fr, il pourrait s’agir de la maison n° 10 boulevard du président Allende.

[15] Archives municipales de Domérat, « Bressolles-Chantoiseau », 16 W 30.

[16] Cette opération a connu plusieurs avant-projets. Les bâtiments mentionnés se trouvent le long de la section sud-est de la rue Pablo-Neruda et impasse Anatole-France.

  • Période(s)
    • Principale : 4e quart 20e siècle
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      DEPONT Marius
      DEPONT Marius

      Marius Depont (Vicq-sur-Nahon, Indre, 15 décembre 1926 - Châteauroux, Indre, 12 août 2017) a étudié à l’École spéciale d’architecture (Paris). Actif à partir de 1953, il a fondé avec Claude Le Goas et Serge Lana une agence d’architecture à Paris. Lié au Parti communiste français, il a travaillé principalement en Seine-Saint-Denis, dans l’Ouest et le Centre de la France (plus spécialement dans le Berry). Architecte de la ville de Bobigny, il a construit sur cette commune l’hôtel-de-ville (1969-1974), le collège République et l’église Saint-André. Il est l’auteur d’une brochure titrée Logement individuel (Paris, imprimerie PPI, 1965, 26 p.) et de Notes brèves sur l’art, l’architecture, la ville (Éguzon, éditions Points d’Aencrage, 1997, 61 p.). Marius Depont s’est également adonné à la sculpture.

      Sources : fiche biographique de la BnF ; catalogue SUDOC ; In Situ, n° 34 - 2018 ; notice biographique « Claude Le Goas » consultée sur Archiwebture ; blog « Marius Depont ».

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      architecte urbaniste attribution par source

Description

1. Urbanisme

Dans le Bulletin municipal de Domérat de 1972 fut présenté un plan de développement urbain intégrant le projet de Bressolles (fig. 8)[1]. Ce plan comportait notamment la création de deux routes : au nord-ouest du bourg un boulevard de contournement, au nord-est du bourg une déviation de la nationale 714 (actuelle D 916 se dirigeant vers Huriel). Ces voies (la section nord-est du boulevard Victor-Hugo et l’avenue de Bressolles) furent aménagées de 1972 à 1974. La déviation de la nationale permit d’accéder au site de Bressolles par son abord sud. En débouchant sur cette route, l’entrée principale du lotissement se trouva à seulement quelques centaines de mètres du centre ancien de Domérat.

Le plan publié en 1972 comportait aussi des projets d’implantation de bâtiments publics. Ces projets se concrétisèrent de 1971 à 1980. Situés entre le bourg et le lotissement de Bressolles, ils contribuèrent à solidariser les parties anciennes et nouvelles de l’agglomération. Le Centre municipal Albert-Poncet (principalement une salle des fêtes) et un bureau de poste furent construits le long du boulevard Victor-Hugo. L’école maternelle Françoise-Dolto et le collège Louis-Aragon furent bâtis rue du 8 mai 1945 et avenue de Bressolles. Depuis leur mise en service, ces établissements ont été fréquentés par de nombreux enfants domiciliés au lotissement de Bressolles.

Pour implanter les zones d’occupation, les voies et les maisons du lotissement (fig. 9 à 13), l’architecte-urbaniste Marius Depont prit en compte la géomorphologie du site. Globalement, vu depuis l’avenue de Bressolles, le lieu est un creux. Il s’agit de l’extrémité d’une large et peu profonde vallée orientée sud-ouest / nord-est. Un ruisseau coule en direction du nord-est. Les reliefs sont doux et le dénivelé faible (220 m d’altitude dans la vallée, 232 m au nord-ouest, 241 m au sud-est où le coteau s’avère plus pentu). Le terrain du lotissement (sans le secteur bâti après 1980) est de forme hexagonale irrégulière. Il mesure environ 630 m du sud-ouest au nord-est et 460 m du nord-ouest au sud-est. Il couvre un peu plus de 20 hectares. Les maisons sont implantées sur les pentes du terrain. Elles entourent un parc public de trois hectares qui occupe le centre du site.

Selon un schéma couramment utilisé pour cette typologie urbaine, le lotissement est desservi par une voie principale en boucle (le boulevard du président Allende[2]). Ce tracé épouse le relief du site et entoure le parc. Une seconde boucle plus petite est constituée au sud-est par une partie du boulevard Allende et la rue Elsa-Triolet. Une troisième rue (Pablo-Neruda) relie au sud-est le boulevard Allende et l’avenue de Bressolles. Cependant, si le tracé de cette rue a bien été conçu en 1972, seule la section la plus proche du boulevard Allende a été aménagée en même temps que les autres voies du lotissement (1973-1975). Il est intéressant de noter qu’aucun élément urbain ne hiérarchise réellement la voie primaire et les voies secondaires (fig. 14 à 17). En particulier, le gabarit du boulevard Allende n’affirme pas son statut d’axe majeur et rien ne souligne l’entrée principale du lotissement.

Sur le boulevard et les rues du lotissement se greffent huit impasses qui comportent chacune une, deux ou trois branches (fig. 9). Chaque branche se termine par une placette (appelée « raquette de retournement » en urbanisme). De l’ouest au sud-est, six impasses (Georges-Bizet, Frédéric-Chopin, Vincent-Scotto, Eugène-Delacroix, Pablo-Picasso, Jean-Cocteau) se développent sur le pourtour de la boucle formée par le boulevard Allende. L’impasse Paul-Éluard dessert le centre de la boucle secondaire. L’impasse Robert-Desnos s’inscrit entre le boulevard et le parc. Quelques allées piétonnes relient certaines voies (par exemples les impasses Eugène-Delacroix et Vincent-Scotto ou la rue Elsa-Triolet et l’avenue de Bressolles, fig. 18). Des « percées vertes » (fig. 19 et 20) ménagent des passages vers le parc (fig. 21 et 22) depuis la rue Elsa-Triolet ainsi que depuis l’ouest et le nord-est du site. Face à la « percée nord-est » se trouve un chemin allant vers la campagne.

Hormis ce chemin et la « percée ouest », le lotissement est refermé sur lui-même. Alors que ses limites nord-ouest et nord-est sont matérialisées par des chemins ruraux, aucun passage piéton ne relie ces chemins aux impasses aménagées juste à côté. La campagne environnante est omniprésente, mais son accès depuis le lotissement n’a pas été privilégié par le plan d’urbanisme. Du caractère « fermé » du lotissement procèdent aussi deux caractéristiques majeures. La première est l’absence de circulation automobile « de transit » : globalement, il s’agit d’un cul-de-sac, d’une « poche ». La seconde est la quasi impossibilité d’extension du lotissement, sauf à sacrifier quelques maisons pour pouvoir prolonger des voies et perforer les limites du terrain.

Le lotissement comporte 262 parcelles occupées par des maisons individuelles (fig. 13). La grande majorité des parcelles a une surface variant entre 350 et 400 m2. La plus petite ne couvre que 225 m2, la plus grande 831 m2. La forme de parcelle la plus répandue est le rectangle, avec l’un des petits côtés donnant sur la voie de desserte. Des biens-fonds situés à l’angle des rues ou en limite du lotissement possèdent des formes trapézoïdales irrégulières.

Les maisons sont implantées en recul de quelques mètres par rapport à la voirie. Elles occupent généralement la partie avant de la parcelle, mais certaines se trouvent au centre de la propriété. D’autres sont décalées à gauche ou à droite et bordent l’une des limites mitoyennes. En effet, si la grande majorité des maisons se dressent isolément sur leur parcelle, certaines sont jumelées. De nombreuses maisons sont également réunies deux par deux grâce à des garages-abris contigus.

Toutes les maisons s’élèvent sur un plan rectangulaire (sauf une qui possède un plan en « L »)[3]. Les longs côtés de ce plan rectangulaire sont parallèles à la voie publique ou légèrement en biais. Ainsi, les façades principales font face à la voirie publique et donc à l’abord.

Près de 70 % des maisons n’ont qu’un rez-de-chaussée de plain pied. Elles sont implantées sur des parcelles plates ou peu pentues. Environ 30 % des maisons ont deux niveaux : un sous-sol semi-enterré et un étage (de plain pied sur au moins l’une de ses faces). Ces dernières occupent des parcelles à plus forte dénivelée : avec leurs deux niveaux, elles s’insèrent mieux dans le relief.

Puisqu’elles obéissent aux divers axes directionnels matérialisés par les rues et les impasses, les orientations des maisons sont multiples. La plupart des maisons disposent pourtant d’une exposition favorable sud-est / nord-ouest. Mais quelques-unes (notamment impasses Eugène-Delacroix et Frédéric-Chopin) ont leur façade principale tournée vers le nord.

En concevant le plan masse du lotissement, Marius Depont a voulu éviter tout effet d’alignement ou de damier similaires à ceux produits par une cité de type « coron » ou une cité-jardin ouvrière « traditionnelle ». Le parti qu’il a adopté génère des dispositions variées. Les groupements en nombre limité des maisons, notamment ceux desservis par les impasses, ne produisent ni rigidité ni linéarité excessives. Le front urbain le plus régulier est celui des maisons de deux niveaux qui se dressent du côté sud-est de la rue Elsa-Triolet (fig. 16), mais il conserve un aspect ouvert. Globalement, même si la densité du bâti est relativement dense, les maisons sont bien réparties dans un agencement assez dispersé.

Le lotissement de Bressolles possédait un règlement rédigé par Marius Depont[4]. Comme pour bien d’autres opérations concertées, il s’agissait d’insuffler et de préserver une unité d’ensemble, gage d’une certaine harmonie urbaine et architecturale. Selon ce règlement, les parties des parcelles situées entre les voies publiques et les maisons devaient être engazonnées. Des clôtures pouvaient être créées. En bordure des voies, il fallait clôturer avec des poteaux et des lisses en béton peint en blanc (clôture dite « normande » ou « paddock ») sans excéder une hauteur de soixante centimètres. Entre les propriétés mitoyennes, il était possible d’utiliser le même système ou un mur bahut surmonté d’un grillage, le tout mesurant un mètre de hauteur. Des arbustes ornementaux pouvaient compléter les clôtures sans toutefois s’élever à plus d’un mètre de hauteur.

Évidemment, ces consignes très normatives n’ont résisté ni aux usages ni à l’usure du temps. De nos jours, les dispositifs de clôture s’avèrent très variés, mais les haies de type « muraille végétale » restent rares. Par ailleurs, les arbres de haute tige sont nombreux et le lotissement regorge de jardins potagers luxuriants.

2. Architecture

Les maisons du lotissement de Bressolles résultent d’une conception optimisée. L’objectif était d’obtenir un coût d’exécution aussi bas que possible tout en atteignant une qualité technique et architecturale convenable. Pour cela, il fallait employer des procédés de préfabrication et de montage industrialisés. Le processus de production en série se fondait sur la rationalisation, la normalisation et la standardisation des plans et des composants.

Les plaques (fig. 4) qui constituent l’essentiel des façades des maisons sont le fruit primordial de cette démarche[5]. Il s’agit de panneaux en béton armé à âme creuse présentant des faces extérieures et intérieures lisses prêtes à recevoir directement la peinture de finition. Ces panneaux ont été préfabriqués dans l’usine de l’entreprise montluçonnaise Tabard[6] puis assemblés sur place. Les planchers des rez-de-chaussée au-dessus des vide-sanitaires sont également formés de plaques préfabriquées. En revanche, les murs des sous-sols ont été construits en béton banché et en parpaings de ciment.

D’autres éléments du gros-œuvre ont été produits industriellement. Les charpentes sont ainsi constituées de fermettes en sapin du Jura, des tuiles en ciment teinté couvrent les toits, des plaques en ciment-amiante ferment les pignons. L’essentiel du second-œuvre se fonde aussi sur la production en série, notamment les « blocs portes » et les menuiseries extérieures. Les séparations intérieures sont fabriquées avec des cloisons sèches de 5 centimètre d’épaisseur (il n’y a pas de mur de refend) et les plafonds sont constitués de plaques de plâtre fixées aux fermettes.

Le lotissement comporte trois modèles de maisons nommés « Rubis 4 », « Rubis 5 » et « Aronde » (fig. 23 à 36). Les modèles Rubis 4 et Rubis 5 constituent la quasi totalité des maisons construites (261 sur 262). Les maisons Rubis 4 et Rubis 5 possèdent deux variantes selon qu’elles s’élèvent sur un vide-sanitaire ou sur un sous-sol semi-enterré abritant un garage (fig. 24, 26, 29, 33 et 34). Les variantes avec sous-sol de Rubis 4 et Rubis 5 comprennent deux sous-variantes : la porte de garage ouvre soit en façade avant soit en façade arrière (fig. 33 et 34)[7]. En outre, ces variantes peuvent présenter des différences de détail. L’on trouve ainsi quelques maisons avec un balcon devant l’ensemble de la façade avant ou seulement devant la grande baie du séjour, des maisons avec un sous-sol équipé d’une fenêtre ou d’une porte supplémentaire (et parfois des deux). Par ailleurs, une ou deux maisons se singularisent par leur porte de garage placée en façade latérale. Cette adaptation permet de mieux répondre aux contraintes du site.

Les modèles Rubis 4 et Rubis 5 sont très similaires (fig. 24 et 28). Le modèle Rubis 4 (type F 4) possède une surface habitable de 78 m2. Il comprend un vestibule, un dégagement, une cuisine, un cellier avec porte ouvrant vers l’extérieur (suivant les versions), une salle de bains, des toilettes, un séjour doublé d’une chambre ouverte, une grande chambre avec rangement et une petite chambre. Le séjour se trouve toujours du côté de la façade avant.

Le modèle Rubis 5 (type F 5) dispose d’une surface habitable de 94 m2. Par rapport à Rubis 4, il se distingue essentiellement par la présence d’une chambre supplémentaire avec cabinet de toilette.

La distribution intérieure des deux modèles est structurée par l’entrée et le dégagement. Ces deux espaces se trouvent sur l’axe de symétrie longitudinal de la maison et dans le prolongement de la porte d’entrée principale qui ouvre en façade latérale. Dans une disposition très rationnelle et très habituelle, la cuisine et le séjour sont de part et d’autre du vestibule. Les chambres occupent la partie de la maison la plus éloignée de l’entrée. Les pièces possèdent des formes régulières, leurs surfaces s’avèrent assez généreuses. Le séjour et la chambre ouverte sur lui couvrent ainsi 23,5 m2 dans le modèle Rubis 4 et 27,25 m2 dans le modèle Rubis 5.

Une dernière particularité mérite d’être soulignée. Puisque les maisons Rubis 4 et Rubis 5 ont leur entrée principale en façade latérale, les maisons jumelées (quelles que soient leurs variantes et sous-variantes) s’élèvent sur des plans inversés droite-gauche. En effet, leurs distributions intérieures sont permutées symétriquement l’une par rapport à l’autre (comme si l’on retournait un calque).

Les maisons sur vide-sanitaire sont équipées d’un garage-abri de 18 m2 accolé à la façade latérale où s’ouvre l’entrée principale. Les maisons sur sous-sol disposent dans celui-ci, outre le garage, d’espaces facilement aménageables en pièces d’habitation. Dans les variantes sur sous-sol, un escalier intérieur situé à l’emplacement du cellier relie les deux niveaux.

Selon le plan de masse du lotissement daté du 1er décembre 1972 (fig. 12), le modèle Aronde (fig. 35 et 36) devait représenter 10 % des 250 pavillons prévus. Ces maisons auraient dû être implantées sur des parcelles plus grandes que celles des maisons Rubis 4 et 5, et donc souvent sur des emplacements situés à l’intersection de voies ou dans l’angle de « raquettes de retournement ». Mais, sans doute en raison d’un prix plus élevé, ce modèle n’eut pas de succès. Il ne fut construit qu’à un seul exemplaire (n° 50 boulevard du Président Allende).

Avec son plan en « L » et son toit à croupes, le modèle Aronde revendique une apparence plus cossue que les maisons Rubis 4 et 5. Il n’existe qu’en version sur vide-sanitaire. Sa surface habitable (95,58 m2) est à peine supérieure à celle du modèle Rubis 5. Il possède cependant plusieurs particularités qui affirment son statut « supérieur ». Le séjour doublé d’une chambre ouverte mesure 29 m2, l’enchaînement entre le vestibule et le séjour est un peu plus solennel, la séparation entre les espaces de jour (« de réception ») et de nuit (plus intimes) s’affirme plus nettement que dans les modèles Rubis 4 et 5.

Globalement, les maisons du lotissement ressemblent à des archétypes du pavillon « de pavillonneur ». En effet, les impératifs économiques, techniques et fonctionnels du programme n’ont pas laissé beaucoup de liberté de création à Marius Depont. L’architecture des modèles Rubis 4, Rubis 5 et Aronde est très sobre, très épurée : presque rien ne semble en trop ! Mais la composition, le dessin et les proportions des volumes, des façades et des baies sont équilibrés. Les maisons présentent une volumétrie parallélépipédique simple, soulignée à l’origine par le crépi blanc des élévations. Les toits à longs pans (Rubis 4 et 5) et à croupes (Aronde) sont à pente douce (30° environ). L’aspect général s’avère harmonieux bien qu’un peu monotone.

Seules les baies et les contrevents (ou « volets extérieurs ») apportent un peu d’animation (fig. 30 à 32). Les baies s’insèrent dans un léger renfoncement qui se prolonge jusqu’à la naissance du toit. De larges portes-fenêtres à trois vantaux éclairent les séjours. Inversement, des fenêtres hautes et étroites se remarquent en façade arrière. Les fenêtres des chambres et des cuisines sont composées de deux vantaux et d’une allège vitrée dans sa partie supérieure. Sur les plans d’origine, les contrevents de ces baies – comme ceux des portes-fenêtres – ferment tout l’espace du sol au linteau. Ce dispositif, encore visible sur de nombreuses maisons (fig. 34), constitue la seule véritable entorse à l’économie drastique qui modèle l’architecture. Par leur hauteur régulière, identique devant les fenêtres et les portes-fenêtres, les contrevents confèrent une plus grande prestance aux façades avant et arrière des maisons.

3. D’hier à aujourd’hui, quelques constats généraux

La comparaison du lotissement de Bressolles à d’autres réalisations de Marius Depont et à d’autres opérations de Chalandonnettes permettrait d’en approfondir l’analyse, mais le cadre restreint de notre étude ne l’autorise pas. Une note conservée aux archives municipales de Domérat apporte cependant des informations générales[8]. Datée du 17 octobre 1974, elle a été rédigée par le Directeur départemental de l’Équipement de l’Allier à l’attention du Secrétaire d’État chargé du Logement. Elle indique notamment des montants prévisionnels de 79 000 francs pour un pavillon Rubis 4 sur vide-sanitaire et de 95 500 francs pour un pavillon Rubis 5 de même type (ces montants correspondant au terrain et aux frais d’acquisition, de construction et de dépenses annexes). Compte tenu de l’inflation, ces prix restaient voisins de ceux fixés par le programme du Concours international de la maison individuelle. Le directeur de la DDE affirme également sur ce document que « les prestations […] dans le domaine de la qualité technique et architecturale des logements réalisés […] sont conformes à ce qui avait été prévu ». Selon lui, le site du lotissement a été « très bien choisi ». L’opération « a été favorablement accueillie par la majorité de la population de la commune et des communes périphériques ». Elle a démontré, « à la fois par la rapidité d’exécution et par la qualité des ouvrages, ce que l’on peut obtenir d’une opération industrialisée ».

Tous les aspects du lotissement ne témoignent pas d’une complète réussite ! Ainsi, probablement dès la commande de leur pavillon, des « locataires-attributaires » voulurent modifier les modèles proposés. Ces « adaptations » furent certainement à l’origine des différences « de détails » (baies supplémentaires des sous-sols, balcons, etc.) signalées plus haut. De même, l’exiguïté du garage-abri et la nécessité – par exemple – d’abriter des outils de jardin poussèrent les habitants à bâtir des extensions utilitaires. En raison de ces nombreux travaux supplémentaires réalisés sans permis de construire, la Direction départementale de l’Équipement refusa pendant plusieurs années d’accorder des certificats de conformité[9].

D’autres difficultés surgirent dès 1976. Quelques maisons eurent des infiltrations d’eau souterraine ou de l’humidité sur les murs (phénomène sans doute lié à la condensation et à une ventilation défectueuse). Des critiques portèrent aussi sur la faible isolation thermique des pavillons. Ces désordres et insuffisances conduisirent à des contentieux entre des habitants du lotissement et la société Berry-Logement. Le Tribunal de Grande Instance de Montluçon fut appelé à se prononcer. Berry-Logement entreprit dès 1978 des travaux d’isolation thermique supplémentaires[10].

Autre aspect à souligner, le lotissement de Bressolles ne concrétisa pas le dessein affiché par Albin Chalandon de créer des « néo-villages ». Aucun lien typologique n’existe entre l’urbanisme du lotissement et les formes urbaines historiques des villages. Plus spécifiquement, aucun lien n’existe avec l’architecture rurale traditionnelle de l’ouest du Bourbonnais. Par ses voies de circulation, par son étalement sur une très vaste surface, par l’implantation et la forme de ses maisons, et surtout par l’inexistence de rapports de production avec le terroir environnant (et donc de bâtiments liés à l’exploitation agricole), le lotissement n’a rien d’un village.

En revanche, par son urbanisme et la qualité de son site, le lotissement de Bressolles affirme son caractère résidentiel. L’on peut même ajouter que ce caractère résidentiel l’apparente à des réalisations d’un niveau socio-économique plus élevé. En quelque sorte, il s’agit d’un lotissement de maisons pour la classe ouvrière implantées dans un cadre et selon une forme urbaine ordinairement proposés à la petite et moyenne bourgeoisie. À l’appui de cette thèse, l’on peut à nouveau souligner la forte présence de la nature sur l’ensemble du site et plus spécialement en son centre. Mais l’on peut aussi relever une autre caractéristique (encore non mentionnée) qui renforce l’aspect résidentiel : les réseaux de distribution de l’électricité et du téléphone ont été dès l’origine enterrés. En France, au début des années 1970, bien des lotissements ou des quartiers socialement plus aisés ne bénéficiaient pas d’un cadre et d’un niveau d’équipement comparables.

Notes

[1] Bulletin municipal de Domérat, n° 9, 1972 (n. p.). Voir aussi les différentes versions du Plan d’urbanisme directeur de Domérat, architecte urbaniste M. Lasry. Ce plan modifié fut adopté avec des réserves par le Conseil municipal le 14 décembre 1969 (Registre des délibérations du conseil municipal, 1956-1970, 9 W 38) et approuvé le 28 juin 1971. Le plan classait le site de Bressolles en « zone opérationnelle se prêtant à l’urbanisation avec réservation d’espaces verts ».

[2] Les noms des voies du lotissement furent attribués à la fin de 1973 ou au début de 1974. Le nom du boulevard principal est un hommage militant au président chilien Salvador Allende, mort le 11 septembre 1973 en luttant contre un coup d’État militaire.

[3] Voir ci-après la description architecturale.

[4] Règlement de lotissement, dossier du permis de construire, 19 octobre 1972, Archives municipales de Domérat, 9 W 70.

[5] Les caractéristiques exposées dans notre étude proviennent des descriptifs des maisons conservés aux Archives municipales de Domérat (9 W 70 et 4 W 73).

[6] L’entreprise Tabard était installée à Prémilhat et Montluçon. Dans le projet de Bressolles, elle fut « entreprise pilote » et non « entreprise générale » (d’autres entreprises intervinrent, notamment pour le second-œuvre).

[7] Le plan masse de 262 logements daté du 2 avril 1973 (fig. 13) indique les chiffres suivants : Rubis 4 sur vide-sanitaire : 79 ; Rubis 4 sur sous-sol entrée de garage avant : 26 ; Rubis 4 sur sous-sol entrée de garage arrière : 10 ; Rubis 5 sur vide-sanitaire : 99 ; Rubis 5 sur sous-sol entrée de garage avant : 42 ; Rubis 4 sur sous-sol entrée de garage arrière : 5 ; Aronde : 1. Seul un inventaire maison par maison permettrait de valider ou de corriger ces chiffres.

[8] Archives municipales de Domérat, 4 W 73.

[9] Voir à ce sujet la lettre de la DDE de l’Allier au Directeur de l’Abri populaire, datée du 25 mars 1980 (Archives municipales de Domérat, 16 W 30). La lettre et la note annexée font état de modifications et ajouts qui ne respectent pas le règlement du lotissement. Il s’agit notamment de clôtures non conformes, de portes posées aux garages-abris (les plans de Marius Depont n’en prévoyaient pas), de 67 agrandissements de garages-abris, de création d’une dizaine d’annexes, et même de la construction de vérandas et « d’arcade en maçonnerie ». Des certificats de conformité « globaux » furent délivrés le 21 avril 1980 et le 7 juillet 1982 (Archives municipales de Domérat, 16 W 28).

[10] Voir à ce sujet la lettre de Berry-Logement au maire de Domérat datée du 2 mai 1978, et la délibération du conseil municipal du 9 juin 1978 (Archives municipales de Domérat, 4 W 73 et 9 W 40). Des documents sur ces contentieux sont conservés aux Archives nationales (cote 19840592/252 ; C 6832 et 19980220/2, voir le répertoire cité en annexe). Dans le cadre restreint de la présente étude, ces documents n’ont pu être consultés.

  • Murs
    • béton pan de béton armé
  • Toits
    béton en couverture
  • Plans
    plan rectangulaire régulier, plan régulier en L
  • Étages
    en rez-de-chaussée, sous-sol
  • Couvrements
  • Couvertures
  • Typologies
    architecture domestique (4e quart 20e siècle)
  • Précision dimensions

    Lotissement d’une superficie totale d’environ 23 hectares, comprenant 262 maisons partiellement préfabriquées construites en série selon trois types différents et des variantes.

  • Statut de la propriété
    propriété privée, Ensemble de maisons individuelles privées.
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler

Etude SRI : architecture XXe -

Modernisation et mutations de l’Auvergne, 1945-1985 : dix réalisations architecturales et urbaines emblématiques - Étude pour le Service Patrimoines et Inventaire de la Région Auvergne-Rhône-Alpes - Christophe Laurent, historien du Patrimoine, 2021-2022 (suivi scientifique Nadine Halitim-Dubois chercheure Inventaire général)

Intérêt patrimonial de niveau régional. Aucune protection patrimoniale.

Annexes

  • Références documentaires
Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2022
© Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
Laurent Christophe
Laurent Christophe

Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-

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