En 1901, Charles Albert Keller s'associe avec Henri Leleux pour fonder les « Établissements Keller et Leleux ». Dans leur usine de Kerousse (Morbihan), alimentée par une petite chute d'eau, ils fabriquent au four électrique du carbure de calcium qui constitue à l'époque la seule source connue d'acétylène, gaz d'éclairage alors très employé. L'ingénieur Keller présente ses résultats au premier congrès de la Houille blanche à Grenoble, en 1902, l'année où il découvre et achète une usine de carbure de calcium abandonnée, à Livet, dans la vallée de la Romanche dans l'Isère. Cette industrie devient stratégique avec la Première Guerre mondiale au vu des besoins militaires et de l'indisponibilité des usines du Nord et de l'Est. Les besoins en énergie électrique et les nécessités militaires expliquent le développement d'un véritable empire industriel. La force de l'eau de la Romanche (la houille blanche) est utilisée pour alimenter les nombreuses centrales hydroélectriques de cette vallée autour de la commune de Livet-et-Gavet. Cette force électrique alimente de nombreuses usines dans la vallée et en contrebas. La centrale hydroélectrique principale des Vernes construite par la société Keller et Leleux, monumentale et théâtrale dans son architecture est classée monument historique en 1994 et elle est toujours en activité.
La maison, bureaux et logements des ingénieurs de Charles Albert Keller dénote dans cette vallée par son architecture singulière. Il s'agit d'un immeuble de quatre étages, doté d'un toit à pans coupés, construit en pierre avec une inscription en façade « Établissements Keller et Leleux » où se trouvaient plusieurs logements dont celui des Keller. Sur l'arrière une extension en béton armé, est construite sur de grands pilotis où se trouvait le bureau de Charles-Albert Keller. Le tombeau familial se trouve dans le cimetière de Livet (cf photo et desc). Un vitrail de l’église de Livet représente le village ainsi que l’usine et la centrale de Livet réalisée par un peintre verrier de Grenoble « A. F. BERNARD, 1927 » (date portée).
Dans une maison en face de l'église de Livet, en rez-de-chaussée se trouvait une coopérative alimentaire appelée "la Ruche", "j'ai moi-même (entretien de madame Théveniau) connu cette endroit lorsque j'étais petite, elle était dans une petite rue en montant à droite vers l'église à côté du cinéma construit tout comme la Ruche par Keller. Je venais passer mes vacances d'été aux Clavaux chez ma cousine et à Livet chez mes grands-parents. Ma cousine habite à Jarry aujourd'hui".
Deux entretiens oraux réalisés entre juin et juillet 2023 nous renseignent à la fois sur la centrale de Bâton (entretien de madame Théveniau épouse Cavassa) et sur la présence d'une communauté Russe assez importante qui travaillait à l'usine Péchiney de Rioupéroux (entretient madame Bestier). Cette communauté Russe était regroupée sur le versant du "Clos" à Rioupéroux où se trouvait leur lieu de culte réalisé dans un ancien hangar agricole/bâtiment avec un couloir qui amenait à une grande salle. Il était localisé sous le rocher, ce culte a perduré jusqu'en 1946. Madame Bestier se rappelle de ce pope habillé en blanc avec un bonnet rond très spécifique qui l'intriguait enfant. Après guerre, les orthodoxes sont allés à Grenoble pour exercer leur culte. Le quartier du clos un peu en hauteur était un lieu de promenade pour les habitants. Ils échappaient aux fumées d'usine. Madame Bestier se rappelle que dans la cour de l'école entre 1946 et 1950, certains jours les fumées étaient si épaisses et denses que les enfants ne se voyaient plus.
Photographe au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, site de Lyon