Dossier thématique IA63001227 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, pentes de la commune de Thiers
Demeures en site de pente
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    Auvergne

Maison bâties parallèlement à la pente, rue des Forgerons.Maison bâties parallèlement à la pente, rue des Forgerons.

Grands chantiers de voirie et ouvrages d’art sont sans conteste des éléments d’aménagement plus complexes à mettre en œuvre en zone de relief qu’en terrain plat ; tout y prend des proportions plus grandes, volumes de déblai et de remblai, constructions de soutènement, franchissements de vides ou au contraire creusements, etc. Construire un habitat de pente, même le plus ordinaire, nécessite aussi une adaptation. À ce titre, la pente, qu’elle soit naturelle ou construite, peut être considérée comme un "événement architectural" à part entière, presque aussi structurant que les murs ou l’escalier 1. Et la question se pose de construire "avec" ou "contre" la pente et donc de modifier plus ou moins fortement le site d’origine.

Pendant de nombreux siècles, les problèmes de la construction sur les pentes, à Thiers comme ailleurs, n’ont pas été formulés ni même ressentis comme aujourd’hui. L’approche de la pente vécue comme une contrainte, elle-même source d’innovation et de recherche, serait assez récente (peut-être pas antérieure au milieu du 19e siècle) 2. Une certaine acceptation du relief a abouti le plus souvent à une adaptation empirique aux conditions naturelles existantes. La pente semble ne pas avoir été "vue", pendant très longtemps, comme un élément conduisant à une réflexion architecturale innovante. On se serait contenté de reproduire sur le terrain dont on disposait, quel qu’en soit le relief, des techniques éprouvées quant à la stabilité, la résistance des matériaux, etc.

Ainsi, pour la plupart des édifices recensés, quelle que soit d’ailleurs leur époque de construction (du moins entre le Moyen Age et le 19e siècle), l’option choisie, sans doute la plus immédiatement logique, a été de reproduire des maisons à l’organisation traditionnelle et à rattraper le dénivelé en étayant, en quelque sorte, les niveaux supérieurs par un ou plusieurs étages de soubassement - semi-enterrés, donc. Si l’on entre par le niveau "haut", rien ne permet a priori de distinguer ces maisons de pente de leurs homologues de plaine. Il ne s’agit pas de supprimer la pente : elle est la plupart du temps seulement partiellement creusée et l’organisation utilise les nouvelles possibilités apportées par ce contexte particulier ; l’objectif est plutôt d’utiliser un terrain donné sans changer fondamentalement des façons de construire, bien maîtrisées par ailleurs, avec cependant un éventail de variations permettant des ajustements selon les cas de figure.

Elévations postérieures de maisons à étages de soubassement, rue de Lyon.Elévations postérieures de maisons à étages de soubassement, rue de Lyon. Maisons à étage de soubassement entre la rue de Paris et la rue de Barante.Maisons à étage de soubassement entre la rue de Paris et la rue de Barante.

Ces variations interviennent plutôt dans les modes de circulation à l’intérieur même de l’habitation et dans ses relations avec l’extérieur, circulations plus complexes parce qu’offrant plus de possibilités que dans les maisons de terrain plat : multiplicité des accès en particulier. À Thiers, l’ajustement au terrain est essentiellement sensible dans l’utilisation des étages de soubassement, dominante de l’habitat assez vite identifiable lorsqu’on se déplace dans la ville. Ces niveaux intermédiaires entre ligne de pente et horizontalité de la construction ont pour caractéristique de modifier, voire d’inverser totalement les modes de circulation habituels. Un tel type d’organisation induit d’abord, le plus souvent dans le cas d’une implantation entre deux voies de communication, la présence de deux entrées au minimum, l’une au niveau de terrain le plus haut, l’autre dans la partie basse semi-enterrée. À celles-ci peuvent éventuellement s’ajouter des entrées latérales, mais le cas est assez peu fréquent dans le tissu dense à murs mitoyens du centre ancien et donc plutôt réservé aux villas isolées sur leur parcelle. Le phénomène de double entrée va de pair avec celui de double façade qui, dans le cas d’immeubles construits entre deux rues, donne l’illusion de bâtiments différents, l’un de hauteur plus modeste, l’autre à un ou deux étages supplémentaires (plus parfois, dans le cas de très fortes déclivités). On en trouve des exemples entre les rues Gambetta (voir dossier IA63001220) et Anna-Chabrol puis rue d’Alsace (voir dossier IA63002327) ; c’est aussi le cas entre les rues des Grammonts (voir dossier IA63002360) et François-Mitterrand (voir dossier IA63002358), entre la rue des Docteurs-Dumas (voir dossier IA63002325) et la rue de Barante (voir dossier IA63002324), etc.

Le recensement du nombre d’étages dans le périmètre du secteur sauvegardé a fait apparaître qu’environ 35% des bâtiments étaient construits sur un ou plusieurs étages de soubassement (31% du total à un étage et 4% à deux voire, exceptionnellement, à trois étages de soubassement).

L’une des premières questions qui se pose pour construire une habitation est celle des fondations et du traitement du terrain dont découle l’implantation même du bâti : faut-il araser, aplanir la pente au maximum, la terrasser en plusieurs niveaux de replat, laisser le relief en l’état ? Parallèlement, un choix est à faire parmi les différents modes "de contact" entre sol et construction : suivre la pente, s’y nicher ou s’en éloigner par divers moyens comme les pilotis, les porte-à-faux ou les passerelles d’accès. Ces problèmes ont été résolus à Thiers, dans une grande majorité de cas et quelle que soit l’époque, par un encastrement plus ou moins important, en calant le bâtiment dans une découpe du relief (à l’image de l’habitat troglodytique, mais sans atteindre le stade du complet enfouissement).

Les deux autres modes principaux d’adaptation au terrain, c’est-à-dire détacher la construction du sol ou suivre le mouvement naturel de la pente par des niveaux successifs en "cascade", ont été très peu mis en œuvre, finalement, dans l’exemple thiernois, même si quelques constructions du 20e siècle ont utilisé le pilotis (ce qui génère souvent des volumes inutilisés assez considérables), mais avec assez peu d’inventivité.

Maison sur pilotis, avenue Etienne-Guillemin.Maison sur pilotis, avenue Etienne-Guillemin.

En terrain pentu, le positionnement des constructions par rapport au périmètre de la parcelle est lui aussi soumis à des choix : selon l’implantation - en haut, en bas ou au centre du terrain - les implications ne sont pas les mêmes sur l’orientation des prises de vue de chaque élévation, sur le jeu entre parties amont et aval, ni sur les modes de circulation extérieurs et intérieurs. En outre, la position des voies de communication par rapport à la parcelle est importante (voir ci-dessus l’exemple des maisons ouvrant sur deux rues). Dans le noyau le plus ancien de la ville, le parcellaire étroit, où les constructions se jouxtent et occupent souvent l’ensemble du terrain disponible, ne favorise pas les variations typologiques et la principale originalité est celle des parcelles occupées à l’arrière par un jardin suspendu.

Les différents cas de figure thiernois jouent plutôt sur l’orientation de l’implantation par rapport aux courbes de niveau : l’organisation des habitations varie selon qu’elles sont implantées sur une voie parallèle ou perpendiculaire à la pente et selon le côté de la rue.

Coupes sur rues parallèle, perpendiculaire, ou à la fois parallèle et perpendiculaire à la pente.Coupes sur rues parallèle, perpendiculaire, ou à la fois parallèle et perpendiculaire à la pente.

Un bâtiment installé le long d’une rue perpendiculaire à la pente (sans grande déclivité donc, puisqu’elle suit les courbes de niveau), peut bénéficier, s’il est en contrebas de la rue, d’un d’éclairage optimal sur sa façade arrière, la plus haute. C’est pourquoi de nombreux ateliers de coutellerie ont été installés dans ce type de configuration. Cette réalité a été confirmée par un dépouillement des annuaires professionnels du début du 20e siècle 3 : 18 des 24 entreprises installées rue Gambetta dans les années 1930 possèdent des locaux ouvrant sur la plaine, à l’arrière ; seules 6 sont donc établies de l’autre côté de la rue. Les maisons situées en vis-à-vis ont leur élévation la plus haute en façade principale sur rue : l’éclairage est donc généralement moins important. Cependant cela leur donne l’avantage d’avoir leurs locaux commerciaux ou artisanaux (installés dans les étages de soubassement) ouvrant directement sur rue et parfois d’avoir à l’arrière, face au talus - plus ou moins proche - accès à de petits espaces verts : c’est ainsi que l’on peut, à Thiers, monter dans les étages pour se rendre à son jardin, voire, lorsqu’il y a creusement de ce talus, "monter à la cave". Dans l’exemple des habitations de l’avenue Pierre-Guérin appuyées à la pente (voir dossier IA63001247), l’étage principal est généralement le premier étage sur rue, les pièces du rez-de-chaussée faisant plutôt fonction de garage, atelier ou entrepôt. Place Duchasseint, les façades des immeubles de l’extrémité ouest, correspondent aux étages inférieurs des maisons ouvrant également sur la rue Victor-Hugo, au-dessus (voir dossier IA63001276).

Maison, 8 rue Grenette : vue de l'élévation antérieure.Maison, 8 rue Grenette : vue de l'élévation antérieure. Maison, 8 rue Grenette : vue de l'élévation postérieure.Maison, 8 rue Grenette : vue de l'élévation postérieure.

Maison, 8 rue Grenette : schéma d'implantation et coupe.Maison, 8 rue Grenette : schéma d'implantation et coupe. Maison, 68 rue Durolle : schéma d'implantation et coupes.Maison, 68 rue Durolle : schéma d'implantation et coupes.

Un autre cas de figure est celui des constructions bâties le long de voies suivant la pente (les plus déclives donc, puisqu’elles sont tracées perpendiculairement aux courbes de niveau). Si les deux fronts de façade sont ici a priori de même hauteur, la distinction entre élévations principale et postérieure est plus nette que dans l’exemple précédent : le phénomène de double façade y est moins marquant, sinon inexistant ; dans le cas où les parcelles sont longées de part et d’autre par deux rues, on constate que celles-ci peuvent généralement être classées en rue principale et rue secondaire. Dans les autres cas, lorsqu’une seule rue longe les bâtiments, elle donne de facto le statut d’élévation principale aux façades, les arrières, sur cour ou sur jardin, étant alors traités comme tels.

Ces bâtiments présentent par ailleurs un aspect asymétrique, puisqu’ils suivent la pente de la rue (et généralement du trottoir, en ville) : les solins partent "en pointe" pour rattraper l’horizontale et les accès à des rez-de-chaussée légèrement surélevés se font par quelques marches, pour la même raison ; il s’agit parfois aussi de dégager un peu plus le sous-sol. En effet, dans cette typologie, les maisons peuvent être dotées de caves semi-enterrées, plus que de véritables étages de soubassement, avec quelquefois un accès direct depuis l’extérieur. Elles présentent aussi fréquemment des replats maçonnés permettant un accès "plan" à la porte d’entrée et formant de longs gradins étirés le long des façades. Ce système de rachat de la pente est particulièrement usité dans les ruelles en escalier ne bénéficiant pas de trottoirs et peut donner naissance dans certains cas à de mini-terrasses parallèles à la rue et fermées par des garde-corps.

Aménagements de la pente à l'avant des maisons, rue des Forgerons.Aménagements de la pente à l'avant des maisons, rue des Forgerons. Aménagements de la pente à l'avant des maisons, rue de Lorraine.Aménagements de la pente à l'avant des maisons, rue de Lorraine.

Les îlots construits selon ce modèle semblent dévaler la pente et offrent une succession de pignons s’échelonnant en un gigantesque escalier, perspective familière dans le vieux Thiers donnant à l’ensemble un aspect particulièrement dynamique.

Echelonnement des toitures, rue Gambetta.Echelonnement des toitures, rue Gambetta.

Les distinctions entre les deux typologies des pentes thiernoises évoquées ci-dessus ne sont cependant pas toujours aussi tranchées et nombreux sont les cas d’implantation jouissant d’une double pente, et donc combinant les propriétés des deux types. Il s’agit des voies installées de biais par rapport aux courbes de niveau et présentant à la fois un dénivelé entre amont et aval, mais aussi entre côtés droit et gauche. Cette implantation n’est pas toujours perceptible de prime abord, les deux fronts de rue étant souvent plus ou moins de même hauteur ; il faut alors contourner le site ou passer à l’arrière des maisons pour retrouver une vision correcte du relief. Les habitations présentent dans ce cas un mélange des principaux traits vus précédemment : rez-de-chaussée d’inégale hauteur nécessitant souvent une ou plusieurs marches pour aménager une entrée plane ; étages de soubassement s’ancrant dans la pente et créant des espaces semi-enterrés, aux aspects différents selon l’élévation considérée, antérieure ou postérieure.

Maisons sur double pente, rue des Papeteries et petite rue Saint-Roch.Maisons sur double pente, rue des Papeteries et petite rue Saint-Roch. Maisons sur double pente rues Victor-Hugo et Patural-Puy.Maisons sur double pente rues Victor-Hugo et Patural-Puy. Maison, 44 rue Durolle : schéma d'implantation et coupe.Maison, 44 rue Durolle : schéma d'implantation et coupe.

Très sensible dans le paysage thiernois, la présence de nombreux petits jardins "suspendus", dont une grosse majorité crée une ceinture verte aux limites sud et sud-est du secteur sauvegardé de la ville constitue une autre implication de ces modes d’investissement des pentes. Leur implantation se fait traditionnellement à l’arrière des parcelles traversantes, entre deux axes de circulation de niveaux différents et souvent dans la partie basse de la pente – en aval de l’habitation, en quelque sorte. Contrairement aux jardins ordinaires, ils ne "glissent" pas simplement le long du dénivelé entre les deux rues mais sont contenus par des murs de soutènement, parfois imposants. Une adaptation très spécifique à ce type de jardins est d’avoir créé, dans un souci évident de commodité, des systèmes de passage entre chemin bas, jardin, atelier - le cas échéant -, élévation arrière des édifices et rue haute. Il s’agit la plupart du temps d’une petite porte ouvrant dans le mur de soutènement et donnant sur un escalier creusé dans le remblai, aboutissant au jardin ; de là, on accède ainsi facilement à l’étage de soubassement de la maison et à son entrée secondaire, ainsi qu’aux ateliers fréquemment installés à ce niveau, sans l’obligation de contourner tout l’îlot d’habitation. Ceci offrait un avantage incontestable aux ouvriers, qui pouvaient ainsi arriver indifféremment par le haut ou par le bas.

Très souvent un petit réservoir d’eau et une tonnelle, couverte de vigne ou de roses, y sont aménagés. On y trouve quelquefois un arbre fruitier.

Jardins suspendus, rue des Murailles.Jardins suspendus, rue des Murailles. Jardin suspendu, rue de la Fraternité.Jardin suspendu, rue de la Fraternité. Jardin suspendu, avenue des Etats-Unis.Jardin suspendu, avenue des Etats-Unis. Jardins suspendus en terrasse, avenue Pierre-Guérin.Jardins suspendus en terrasse, avenue Pierre-Guérin. Une villa et son jardin suspendu, avenue Joseph-Claussat.Une villa et son jardin suspendu, avenue Joseph-Claussat. Une maison et son jardin suspendu, rue Terrasse.Une maison et son jardin suspendu, rue Terrasse.

Quelques exemples, fonctionnant sur le même principe, diffèrent un peu par leur aménagement. C’est en particulier le cas d’un grand jardin accolé latéralement à la maison du 15 rue Terrasse, organisé comme un petit parc surplombant la rue : ici pas d’atelier de coutellerie ni de potager mais un bel espace aux essences choisies, ouvert sur la plaine et adapté au terrain, fortement remanié dans le secteur. Aux mêmes contraintes ont été apportées ici à peu près les mêmes réponses que dans les autres quartiers : grand mur de terrassement, accès depuis différents niveaux - mais la petite porte sur rue, en partie basse, est aujourd’hui condamnée. Certaines villas de la première moitié du 20e siècle ont aussi adopté les jardins surélevés et les niveaux de terrassement successifs, comme au faubourg de la Vidalie ou encore sur l’avenue Joseph-Claussat (voir dossier IA63001247).

Un des secteurs les plus typiques de cette particularité thiernoise est celui des rues Mancel-Chabot (voir dossier IA63002336) et des Murailles et, dans une moindre mesure, les quartiers Saint-Jean et des rues Gambetta (voir dossier IA63001220) et Anna-Chabrol. De tels jardins existent, plus ponctuellement, dans d’autres quartiers de la ville, voire dans les villages alentour.

Carte des jardins suspendus - ou de leurs vestiges - présents dans le périmètre du secteur sauvegardé.Carte des jardins suspendus - ou de leurs vestiges - présents dans le périmètre du secteur sauvegardé.

1REPIQUET, Jacques. Construire et habiter la pente", op. cit., page 85 : "(...) si la topographie du sol naturel impose de diviser, de décaler les plans, la pente construite les réunit, les relie : elle se fait rampe (...)".2La pente était considérée "comme un incident naturel, esquivé ou exploité sans interférer avec les lois régissant le projet" : voir ROUILLARD, Dominique. Construire la pente – Los Angeles, 1920-1960. Paris, École d'architecture Paris-Villemin, 1984, page 13.3HENRY, Anne. Thiers, une exception industrielle (Puy-de-Dôme). Clermont-Ferrand, EPA, 2004, collection Images du patrimoine, n° 229.

Bibliographie

  • ROUILLARD, Dominique. Construire la pente - Los Angeles, 1920-1960. Paris : Ecole d'architecture Paris-Villemin, 1984.

    Région Auvergne-Rhône-Alpes, SRI, site de Clermont : ARC.411
    p. 13
  • HENRY, Anne. Thiers, une exception industrielle (Puy-de-Dôme). (Images du Patrimoine ; 229). Clermont-Ferrand : Etude du patrimoine auvergnat, 2004.

    Région Auvergne-Rhône-Alpes, SRI, site de Clermont : CDP COLL, 63.301
    p. 18

Périodiques

  • REPIQUET, Jacques. Construire et habiter la pente. Architectures à vivre, 2005, n° 25.

Date(s) d'enquête : 2008; Date(s) de rédaction : 2013
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