HISTORIQUE
La tradition rapporte que l'église a été fondée au 5e siècle par saint Eucher pour servir de recluserie (sorte d´ermitage urbain) sous le vocable de Sainte-Marie-aux-Bois. En 798, l´archevêque Leitrade rend compte à Charlemagne des églises reconstruites par son prédécesseur Adon, dont une dédié à Saint-Marie (SAINT-OLIVE, p. 35). La date de création de la paroisse de la Platière n´est pas connue contrairement au prieuré fondé par l'archevêque Gebuin (1077-1082) qui le confie aux chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Ruf (MARTIN, p. 141-142), donation confirmée en 1092 par l'archevêque Hugues (AD Rhône : 2 H 2). Les religieux sont alors au nombre de neuf et l´un d´eux, le sacristain, assure les fonctions de curé (VACHET, p. 511). On en compte plus que six en 1157 (RUBELLIN, p. 318). En 1245, lors du concile assemblé à Lyon par le pape Innocent IV, une octave de la Nativité de la Vierge est instituée dans l´église. C´est peut-être à ce moment qu´est fondée la confrérie de la Nativité qui, d´après une chronique anonyme de 1736, fait édifier dans les dernières années du 13e siècle une chapelle Notre-Dame-de-Lorette (MARTIN, p. 143-145). En 1407 est mentionnée la chapelle du Saint-Esprit, puis en 1409 celle de Saint-Eustache (AD Rhône : 2 H 1, vol. 5, n° 3 et 4).
Au milieu du 16e siècle, l´établissement passe sous le régime de la commende (SAINT-OLIVE, p. 60). Avant 1554, une partie du jardin du prieuré est vendue à Jean-Antoine Gros, valet de Chambre du roi (Carte adaptée à Lyon, parroisse de la Platière [...] faite sur les terriers de Challes, Ridadi et Poncet ; cf. Ensemble d'édifices derrière façade 2 à 4, quai de la Pêcherie). En 1562 le prieuré est ravagé par les protestants. Vers 1563, le prieur, Etienne de Rivoire, dresse un état des lieux pour obtenir réparation, les religieux et prêtres séculiers attachés à l´église étant alors au nombre de dix-huit : " Que devant la maison du prieuré, à costé de la rue allant à la Pescherie [rue de la Platière], il existait une chapelle sous le vocable de saincte Madeleine, où l´on venait en grande dévotion et une autre chapelle chaspelle du côté de vent qui estait desdiée à sainct Laurent. Au chevet de l´église, du costé de l´orient et de la rue Lanterne, existait le cimetière clos de murs. Le clocher était meublé de six cloches, tant grosses que petites. L´avant-dernier jour d´avril 1562, les protestants s´emparèrent de l´église et de tous ses ornemens, papiers et diverses maisons appartenant au prieuré. Ils établirent le poids de ville dans l´église, emportèrent les cloches, brisèrent la grande porte qui était en bois de noyer, abbattirent les murs de clôture du cimetière, les chapelles de Sainct-Laurent et de Saincte-Madeleine et diverses boutiques et simultanément la maison du sacristain-prieur. Celui-ci ayant faict rétablir les portes et fenestres pour célébrer le service divin, elles ont été abbattues pendant la nuict une seconde fois " (cité par VACHET, p. 513). Les grandes réserves en bois, céréales de différentes sortes, vin, cuve et pressoir ont été pillées. La supplique d´Etienne de Rivoire étant resté sans suite, le 28 mai 1598, Guillaume Manuel, abbé générale de l´ordre de Saint-Ruf, procéda lui-même à une visite. Les ornements sont pauvres et le seul calice est en étain. Il y a une chapelle de Notre-Dame-de-Grâce " estant proche et au-dessous du grand autel ", une chapelle Saint-Laurent, une autre de Notre-Dame-de-Lorette et une troisième de Saint-Anne (MARTIN, p. 146).
Au-devant des murs du cimetière, rétablis après les démolitions de 1562, des boutiques s´étaient appuyées sans permission de la Ville. Celle-ci en ordonne la démolition le 18 novembre 1604 (AD 69 : 2 H 1, vol. 3, n° 6). En 1614, le compte des modifications réalisées dans l´église est établi à la demande du prieur de Villard : " il existait anciennement dans le choeur et la nef un portail avec deux autels à droite et à gauche, lequel portail fut démoli. On fit des consoles taillées pour le grand autel, et l´on répara quatre marches à la place des deux vieux autels (...). On fut obligé, par suite de cette suppression, de restaurer les piliers qui portent l´arc du clocher " (cité par VACHET, p. 514). Autrement dit il existait une clôture de sanctuaire, peut-être un jubé, entre la nef et la travée sous clocher. En 1615, le clocher est restauré : il est renforcé par un cerclage de fer, la pierre du sommet de la flèche est remplacée et une croix et un coq y sont fixés (MARTIN, p. 149). En 1633, le prieur Humbert Louis Du Puget lotit la partie du cimetière longeant la rue Lanterne : elle est divisée en cinq parcelles vendues à des particuliers qui y font construire des maisons, le prieur s'en réservant une sans doute à usage de maison de rapport ; une allée est également ménagée pour accéder au prieuré et à la partie restante du cimetière (Plan de l'îlot du prieuré [...]). En 1635, Claude Combet, capitaine du quartier de la Pêcherie, fait faire le tabernacle du maître-autel. Le 1er août de la même année la toiture en fer blanc de la tour d´escalier de la cour d´entrée est fortement endommagé par un ouragan, puis est restaurée aussitôt : « on l´a ressindé et diminué » (journal de Pierre Millet, curé de la Platière de 1629 à 1651, cité par MARTIN, p. 149). Le 21 septembre 1637, Du Puget concède la chapelle autrefois appelée Saint-Maurice aux gantiers et parfumeurs. Elle deviendra la chapelle Saint-Anne et le prieur s´engage à la faire lambrisser (MARTIN, p. 148). En 1641, un calvaire, oeuvre du sculpteur Antoine Perrier est posé à l´entrée du choeur liturgique, le crucifix en surmontant la porte. La même année la chapelle Notre-Dame de Lorette est déplacée à l´endroit « où estoit l´entrée et principalle portte de laditte église ». Ces embellissements sont principalement l´oeuvre du prieur Humbert Louis Du Puget, mort en 1649. La même année toute l´argenterie de l´église est dérobée. Le 25 mars 1650, a lieu la bénédiction de chapelle Notre-Dame-de-Pitié construite pour Jean-Mathieu Dupuis (journal de Pierre Millet, curé de la Platière de 1629 à 1651, cité par MARTIN, p. 149). Le 10 septembre 1661, le prieur vend les deux bâtiments sis à l´ouest dans la cour d´entrée (à savoir écurie et grange surmontées d´une fenière, et trois chambres sur une cave) à Jean Mathieu Dupuis (AD Rhône : 2 H 1, vol. 6, n° 7). Le 5 mai 1664, le prieur s´engage à reconstruire à neuf le portail d´entrée. En 1665, les mouliniers de soie obtiennent une chapelle dont le vocable n´est pas connue et que le prieur fait disposer à ses frais (SAINT-OLIVE, p. 52, 70). En 1741, Clapasson (p. 134-135) signale que « le sanctuaire a été embelli sur le dessein de Blanchet, qui a peint les cinq tableaux qui s´y voient », travail qui doit se situer à la fin du 17e siècle, après la description de 1675 par Bombourg qui ne mentionne pas ce décor. (C´était la paroisse du peintre Thomas Blanchet et il s´y est marié en 1672, GALACTEROS DE BOISSIER, p. 351). En 1693, le rez-de-chaussée du grand bâtiment séparant la cour d´entrée du cloître est occupé par des boutiques (AD Rhône : 2 H 33). En 1754, les cloches sont augmentées tant en nombre qu´en poids (VACHET, p. 516).
En 1771, un bref prescrit les procédures relatives à l´extinction de l´ordre de Saint-Ruf et à la sécularisation de ses membres, acte confirmé par une bulle en 1773 (VACHET, p. 517). Le 2 août 1788, l´archevêque délivre un décret portant suppression et extinction du titre de prieuré, qui reste sans exécution (AD Rhône : 2 H 17). Toutefois, au moment de la Révolution, les bâtiments ne sont plus occupés que par les desservants de la paroisse (curé, vicaires, marguilier). Un procès-verbal de visite de l´église est dressé le 19 septembre 1790 et des autres bâtiments du prieuré le mois suivant (AD Rhône : 1 Q 80, pce 299, 300 ; cf. annexes). Le 1er octobre 1791, l´ensemble est mis sous scellés, puis divisé pour être vendu en trois lots le 14 janvier 1792 (AD Rhône : 1 Q 329, pce 289, 299 et 300). Les trois nouvelles parcelles sont celles qui figurent encore sur le cadastre de 1831. La première (parcelle 215) comprenait l´église et ses annexes, la partie sud du préau du cloître avec la moitié de sa galerie orientale et enfin le petit cimetière. La deuxième (221, 222) renfermait la moitié nord du préau du cloître avec sa galerie nord et la moitié de celle à l´est, l´aile au nord du cloître et la maison donnant sur la rue Lanterne. Le troisième lot (212 à 214) rassemblait la cour d´entrée et les bâtiments la bordant ainsi que la galerie occidentale du cloître, la cour arrière et les bâtiments attenants.
Seuls les bâtiments du troisième lot ont été conservés. L´église a très vite fait place à un immeuble qui devint l´hôtel de voyageurs de l´Ecu de France (cf. dossier). Un partie de l´abside, « un reste circulaire de vieille muraille », réapparut à la suite de la démolition des immeubles attenants au milieu du 19e siècle (SAINT-OLIVE, p. 35). Leur destruction au début de l´année 1869 a donné lieu à une brève description par Vingtrinier (p. 168) : « Les dernières traces de l´église (...) viennent de disparaître par suite de la démolition des restes de l´abside (...) ; les amateurs des vieux souvenirs, pendant que l´on mettait à bas ces antiques murailles de forme semi-circulaire, ont put facilement observer les petites ouvertures à plein cintre (...) ».
CONCLUSIONS
En se référant aux vues de l´église données par le plan scénographique et par la vue de Simon Maupin en 1625, tous les auteurs ont fait remonter sa construction à l´époque romane, en particulier en raison de la parenté de son clocher avec celui de l´abbaye d´Ainay. Ils la situent au tournant des 11e et 12e siècle, à la suite de la création du prieuré. Se basant sur les inventaires du 16e et de l´époque révolutionnaire, Martin (p. 142-143) a restitué les grandes lignes de son plan : une nef unique, un carré sous clocher et une abside. Celle-ci était de plan semi-circulaire comme nous le prouve les descriptions faites au moment de sa destruction (cf. supra) et non polygonal ainsi que la dessine Simon Maupin. Le plan scénographique paraît indiquer la présence d´un transept sous forme de deux appendices couverts en appentis. En l´absence de plan, il est difficile de restituer la position des chapelles. Disons qu´avant les guerres de religions, elles paraissent avoir été plutôt placées du côté sud de la nef et peut-être autour du chevet. A la suite de cet événement d´autres se sont établies au nord, sans doute au détriment de la galerie sud du cloître. Les descriptions révolutionnaires nous apprennent que ces dernières étaient sur montées d´un étage à usage de logement (cf. annexe 1).
Les bâtiments conventuels se répartissaient autour d´une cour d´entrée et d´un cloître, un jardin occupant l´arrière. Le cloître, qui s´étendait au nord de l´église, est connu par un plan et une description de 1775 : « les trois côtés du cloître [forment] des arcs en tiers point avec un étage au-dessus dans le pourtour » (AD Rhône : 1 B 6). Les galeries étaient donc constituées d´une suite d´arcs brisés reposant sur des piliers composés dessinant un quadrilobe en plan. Les angles étaient renforcés par des contreforts en biais. Ces éléments en faisaient un cloître caractéristique de l´époque gothique, sans pouvoir préciser s´il remontait au 13e, 14e ou 15e siècle.
Le bâtiment principal du prieuré (1) est encore debout. Il bordait l´aile ouest du cloître, le séparant de la cour d´honneur et se retournait sans doute le long de l´aile nord (4). Un autre bâtiment (2) se trouvait entre la cour d´honneur et le jardin. Ces deux corps sont les mieux préservés. L´escalier principal se trouve dans l´angle. Avant les surélévations du 19e siècle, les estimations révolutionnaires nous apprennent que le logis 1 avait deux étages carrés, le deuxième étant peut-être à surcroît, car il est qualifié « sous le toit », et le logis 2 comprenait deux étages carrés et un comble sans doute à surcroît. Le logis 1 faisait saillie sur le jardin (3) où il était desservi par un escalier en équerre très remanié et difficilement datable (il figure sur le plan de 1755). Compte tenu de ces hauteurs, la tour d´escalier devait dépasser de manière considérable les autres constructions. Les élévations sont caractéristiques de la fin du 15e et du début du 16e siècle. Une porte dans la cour d´entrée, donnant accès à une pièce longue et étroite voûtée en berceau plein-cintre qui devait servir de couloir d´accès au cloître, porte les armes de la famille de Rivoire. Or il y a eu plusieurs prieurs portant ce nom durant cette période, l´un, Antoine de Rivoire, est mentionné en 1488 (AD Rhône : 2 H 1, t. 1, n° 7), l´autre Etienne de Rivoire aurait été, d´après Tricou (AM Lyon : fonds Tricou, 2 mi 21, fiche 364), prieur de 1502 à 1558. Avant leur vente en 1661 au voisin, deux autres bâtiments, l´un à usage de logement, l´autre d´écurie et grenier à foin, bordaient le côté gauche de la cour d´honneur.
Le jardin qui s´étendait à l´arrière, en coeur d´îlot, a été considérablement réduit ensuite : on sait qu´il s´étendait à l´emplacement de la cour arrière de l´immeuble 3, quai de la Pêcherie, avant la vente de cette partie à un particulier autour de 1554 (cf. supra). Le jardin figure encore, entouré de tonnelles, sur le plan scénographique (milieu du 16e siècle).
Le cimetière paroissiale occupait la partie orientale, le long de la rue Lanterne jusqu´à l´angle avec la rue de la Platière ainsi que le montre le plan scénographique.
Au 17e siècle une grande campagne de transformation est engagée, en particulier par le prieur Humbert Louis Du Puget. Il fait lotir en 1633 la partie du cimetière longeant la rue Lanterne et c´est sans doute à ce moment que, pour compenser cette perte, il transforme le préau du cloître en cimetière. D´après les terriers, il semble qu´il ait vendu les parcelles nues (Plan de l'îlot du prieuré [...]). Toutefois, une inscription figurant sur la maison conservée par le prieur (cf. Lotissement, rue Lanterne) indiquait que celui avait fait construire plusieurs maisons (has domus, anno M.DCXXXIII, suis sumptibus aedificandus curavit). Le doute demeure donc. La maison qui jouxtait le choeur de l'église, à l'angle des rues Lanterne et de la Platière fait probablement partie du lotissement de 1633, ce qui ferait un ensemble de 6 parcelles créées à cette époque. Cette maison jouxtait " le choeur de l'église de la Platière ensemble la sacristie et chapelle de St-Maurice de soir et bize " (Plan de l'îlot du prieuré (...)). Sous la 5e maison une allée commune est réservée pour former une entrée secondaire au prieuré. Après avoir traversé cette première parcelle, elle se poursuivait entre la partie du cimetière conservée et la cour de la nouvelle maison de rapport au nord, construite en 1633 pour le prieur. D´après les estimations révolutionnaires, cette partie de l´allée était surmontée d´étages contenant des cabinets desservant les pièces du corps sur rue de la maison locative. Du côté sud, une tour d´escalier en vis (6) a été ajoutée pour desservir les appartements établis dans l´étage construit au-dessus des galeries du cloître, le tout probablement à la même époque. La maison locative construite rue Lanterne et conservée par le prieur comprenait deux corps de logis, le deuxième bordant la galerie nord du cloître, reliés par un escalier et des galeries établis contre le côté nord de la cour.
Dans la cour d´entrée une terrasse a été appliquée au 17e siècle contre le rez-de-chaussée du bâtiment 2 et un balcon au niveau du 2e étage. La terrasse abritait vraisemblablement des boutiques au rez-de-chaussée. Une autre terrasse est signalée contre le bâtiment 1 dans les inventaires révolutionnaires, avec remise au-dessous (cf. annexe 3). Celle-ci, ne figurant pas sur le plans de 1755, datait peut-être de la seconde moitié du 18e siècle.
Après la vente des bâtiments à gauche de la cour d´entrée en 1661, qui abritaient entre autre écuries et grenier à foin, ces fonctions furent transférées dans un bâtiment au fond du jardin (5). Le jardin (IV) dut devenir alors cour des communs : c´est sous le nom de cour qu´il apparaît sur le plan de 1755.
Après la disparition de l´ordre de Saint-Ruf, les bâtiments du prieuré furent utilisés par la paroisse. Ainsi, d´après les estimations de 1791, le deuxième étage du grand bâtiment 1 était réservé aux logements du vicaire, le curé paraissant occupé tout le premier étage. Ces logements se prolongeaient vraisemblablement dans l´aile 2 et, au premier étage, au-dessus de la galerie ouest du cloître et des chapelles nord de l´église. Le marguillier occupait un logement à l´étage des galeries nord et est du cloître, accessible par l´escalier en vis 6. Enfin, la remise au rez-de-chaussée du bâtiment 2 était devenue une pièce destinée à la distribution des aumônes, tandis qu´au fond de la cour IV les écuries (5) avaient fait place, « il y a peu d´années », à un bâtiment d´un étage et comble à surcroît également destiné aux pauvres.
Chercheur au service régional de l'Inventaire Rhône-Alpes jusqu'en 2006.