1. HISTORIQUE
Le pont suspendu de Groslée, destiné à remplacer un bac à traille établi de longue date, est construit à partir de 1910, pour relier Groslée (Ain) à Brangues (Isère) (BROCARD, p. 107).
Brocard résume les vicissitudes qui ont précédé l'édification du pont suspendu (idem, p. 107). Dès le début du 19e siècle, il existait un projet de pont sur le Rhône à Groslée, qui était autorisé par décret de l'Empereur en 1807. Le projet n'aboutit pas, faute de moyens financiers en ces temps de guerres impériales.
En 1842, une Compagnie parisienne (Dupan ?), sollicite l'autorisation d'établir, par voie de concession de péage, un pont suspendu sur le Rhône en remplacement du bac de Groslée (AD Ain, 2S 88 et AD Isère, 1S4/9).
Au milieu du 19e siècle, vers 1845, le projet de construction émerge à nouveau mais est ajourné à cause des élections législatives, et c'est finalement Evieu (commune de Saint-Benoît), à 5 km en aval, qui hérite d'un pont. Le projet refait surface à la fin du 19e siècle, lorsqu'en 1896, Joseph Pochon, président du Conseil général de l'Ain, instaure une commission interdépartementale Ain-Isère pour étudier la question (PV des délibérations du Conseil général, annexe n° 2). Des difficultés administratives et financières ainsi que des mouvements hostiles mettent fin au projet (BROCARD, p. 107).
Ainsi, en janvier 1898, l´agent voyer de l´arrondissement de la Tour-du-Pin mentionne toujours le bac à traille de Groslée pour franchir le Rhône entre les ponts d´Evieu et de Briord (AD Isère, 15S 13).
Le projet de construction d´un pont interdépartemental est approuvé par le Conseil général de l´Isère le 22 août 1905. Au départ, le pont avait été prévu "rigide", capable de supporter une ligne de tramway, mais le coût étant trop lourd, on lui a préféré un pont suspendu (AD Isère, 7553W 114).
Fin août 1907, le Conseil général de l´Ain adopte le principe de la construction du pont de Groslée. Mais on a du mal à s'entendre sur la dépense qui devait être répartie ainsi : 3/5 pour l´Ain et 2/5 pour l´Isère (AD Isère, 15S 13).
En septembre 1907, M. Blanc, conseiller général du canton de Lhuis, relance le projet, et en août 1908, un compromis financier est finalement trouvé. Le devis de construction s'élève alors à 300 000 F (répartis ainsi : Etat 152 500 F ; département et communes de l'Ain 50 000 F et 32 500 F ; département et communes de l'Isère 35 000 F et 30 000 F). La commune de Groslée bénéficie de 5 000 F légués par le châtelain Pierre Rousseau (selon volonté testamentaire), et par don de sa veuve, Thérèse Triol (BROCARD, p. 107 ; MARREY, 2004, p. 92) ; donation qu'une pancarte scellée sur l'arc d'entrée du pont de la rive droite perpétue (annexe n° 1).
La première pierre de l'ouvrage est posée le dimanche 24 avril 1910, sous l'autorité du sénateur de l'Ain, président du Conseil général, M. Bérard.
Son inauguration, le 17 août 1913, par Pierre Baudin, ministre de la Marine, donne lieu à une véritable fête (BROCARD, p. 107-108)
Le pont a été construit par Les anciens établissements Marion de Bellegarde (Ain) (pour la partie métallique selon BROCARD, p. 108 ; MARREY, 1990, p. 281 ; sur les plans d'Arnodin selon MONTENS, p. 125 ; MARREY, 2004, p. 92).
En 1920, il faut remplacer un culot en fonte rompu et les deux étriers assemblant un câble d´amarrage au chariot de dilatation du pylône amont de la rive gauche (AD Isère, 7093W 77 et 7553W 114).
En septembre 1920, il est projeté d´établir une ligne de transport d´énergie électrique à haute tension entre Brangues et Groslée, sur le pont suspendu de Groslée, ce qui ne fait pas d'objection (AD Isère, 7553W 114).
En 1939, l'ouvrage éprouve des dégâts de l´armée française lors de l´avance allemande. En septembre, des travaux de première urgence sont en cours ; ils ont été confiés à Daubard, ingénieur-constructeur à Lyon (établissements Daubard et Cie), spécialiste des travaux de construction et de réparation des ponts suspendus. Ces travaux comprennent : la reprise de l´ensemble des câbles de retenue sur culots de tête et de pied, avec remplacement des étriers sur chariots de dilatation ; le redressement et réglage en tête du pont des appareils d´appui ; le relèvement et réglage de la suspension du tablier. Le nettoyage, graissage et hydrofugeage de l´ensemble des nappes de câbles est opéré en octobre 1939 (AD Isère, 7093W 77, Chemise sur les réparations 1939).
Pendant le seconde guerre, le pont de Groslée, un des rares ouvrages franchissant Rhône épargné par la destruction de juin 1940, par fausse manoeuvre, devient un lieu stratégique pour les Allemands (COGOLUENHE, livre 2, p. 76 et BROCARD, p. 108).
Ces derniers dynamite l'ouvrage en septembre 1944, lors de leur retraite, et on réinstalle alors un bac à traille à Groslée (COGOLUENHE, livre 1, p. 36 et livre 2, p. 76).
Dans les années 1970, le trafic routier de plus en plus dense, nécessitait le renforcement et l'allègement du pont, dont la charge était limitée à huit tonnes (4 tonnes par essieu). En 1977, il est décidé de procéder uniquement à la réfection de la charpente métallique du tablier et des câbles porteurs, qui étaient alors en mauvais état, tout en conservant les massifs d'ancrage, les culées et les pylônes en bon état. Pour le tablier on opte pour une structure mixte aluminium et béton (Bulletin AFPC, p. 293 ; BROCARD, p. 108 ; MARREY, 2004, p. 92)
Ces travaux de restauration sont réalisées, sous la responsabilité de l'ingénieur Cohas, par l'entreprise Arnodin (pour la charpente métallique) et les Grands Travaux de l'Est (pour le Génie civil). Le pont est remis en service au mois de septembre 1977 (Bulletin AFPC, p. 295 et p. 296 ; MARREY, 1990, p. 281 ; MARREY, 2004, p. 92).
La réception provisoire de l'ouvrage, le 13 juillet 1977, a lieu en présence de l´ingénieur divisionnaire des TPE, Louis Convert, qui en a été chargé, et de l'entrepreneur (ou les représentants des Etablissements Arnodin et Cie). Plusieurs modifications sont à exécuter : notamment les gargouilles non conformes sont à refaire et la chape d'étanchéité à corriger.
Le 11 août 1977, lors des épreuves provisoires (effectuées avec deux camions de 30 tonnes), bien qu'aucune anomalie n'ait été constatée, il est décidé d´étudier les mesures nécessaires pour renforcer la stabilité des pylônes, avant d´effectuer les essais définitifs, le 16 septembre, avec quatre camions de 30 tonnes, et d´ouvrir le pont à toute circulation. Le pont suspendu est livré ce même mois.
Lors de la réception définitive (procès-verbal du 13 juillet 1978) ont été levées les réserves faites lors de la réception provisoire, sauf en ce qui concerne la chape d´étanchéité (AD Ain, 178W 33, Groslée, Sous-dossier 2).
"L'étude de son renforcement se fit au moment où Pechiney [groupe industriel français produisant de l'aluminium], à la suite des Canadiens, s'intéressa au marché des ponts. Le pont de Groslée est devenu un témoin rare d'usage d'aluminium, les métallurgistes de l'aluminium ayant abandonné les ponts" (MARREY, 2004, p. 92).
2. DESCRIPTION
Le pont de Groslée est un pont suspendu à travée unique de 174 m (177,20 m selon les sources) de portée.
Les massifs d'ancrage, les culées et les pylônes sont en maçonnerie (pierre de taille).
L'ancien ouvrage était à tablier métallique en acier, platelage en bois et suspension en fil de fer.
Depuis la réfection de 1977, qui n'a pas affecté l'aspect général de l'ouvrage d'art, le tablier offre une structure mixte à charpente d'alliages d'aluminium, du type poutres treillis et entretoises sous chaussée, et dalle en béton de granulats légers. Sa hauteur hors tout, dalle comprise, est de 2,60 m. Il porte une voie de circulation de 5 m de large et deux trottoirs de 0,90 m, soit 6,80 m entre les garde-corps.
La structure est entièrement boulonnée.
Chaque nappe de câbles est constituée par quatre câbles porteurs - continus d´un ancrage à un autre - de 9 mm de diamètre composés d'un monotoron en fils ronds galvanisés, recouvert d'une couche de fils Z en acier galvanisé et d'une dernière couche de fils Z en acier inoxydable. Les suspentes sont constituées par des monotorons en acier inoxydable .
(AD Ain, 178W 33, Groslée, Sous-dossier 2 ; Bulletin AFPC, p. 293-294 et Le savoir-faire français en matière d'ouvrages d'art, p. 328-329).