Les premiers projets d'ouverture du boulevard Fleury, en 1913 et 1914, le nomment boulevard sud ou boulevard de ronde sud. Il est la première étape à la constitution d'un réseau de contournement s'éloignant de la planification de la fin du XIXe siècle dont le projet était de raccorder l'avenue d'Italie à l'avenue des Paulines afin d'opérer une jonction à la hauteur du boulevard Duclaux (via les boulevards Gergovia et Pasteur). Le boulevard Fleury ne traverse qu'une seule vaste parcelle alors occupée par des jardins (terrains Chomette). L'opération, même si elle connaît un délai de réalisation sans doute dû à la Première Guerre mondiale, est donc simplifiée. Le propriétaire lotit le terrain après l'ouverture du boulevard, à partir de 1921, en mettant en œuvre une contrainte contractuelle à laquelle les acquéreurs sont censés se soumettre. Cette volonté d'exercer un contrôle sur la production du paysage urbain s'apparente à une démarche utopiste.
I. Création d'un paysage urbain
Le paysage n'avait à l'origine rien d'urbain. L'avenue des Paulines était bordée au nord par la caserne Gribeauval (actuel lycée Blaise-Pascal, dossier IA63002577), au sud par des entrepôts de stockage ou des ateliers d'artisans (bois et charbons du ferronnier Romeuf, ébéniste, dépôt de matériel de construction), enfin, au carrefour de la rue de l'Oradou par les ateliers de la manufacture de caoutchouc Fritisse et Nourry (dossier IA63002786). L'espace, alors occupé par les jardins du terrain Chomette, était longé par un bras de la Tiretaine et délimité par la tranchée de la voie de chemin de fer (voir l'image IVR84_20246300364NUCA, la Tirtaine est le tracé souligné en bleu, à l'heure actuelle son cours se lit encore dans l'allée de desserte du n°8 rue de l'Oradou1, et voir image IVR84_20246300338NUCA avec la ligne de chemin de fer). Ainsi l'idée de lotir ce terrain afin d'en faire une sorte de faubourg de villégiature bourgeoise contrevient au premier mouvement d'occupation de ce secteur. Aussi bien, le projet ne se réalisa qu'imparfaitement.
Quel est donc ce projet de lotissement du terrain Chomette? Il se matérialise par un contrat accompagnant l'acte notarié que signe l'acquéreur de la parcelle à construire (extrait versé en annexe). Il y a donc un engagement de la part du nouveau propriétaire. Ainsi se cristallise une adhésion commune sous la forme d'un respect du recul d'alignement (qui sera réactivée lors de la demande d'empiéter sur la bande de reculement en 1955, voir dossier IA63002790), recul occupé par un jardinet d'agrément clos d'un muret surmonté d'une grille, de l'édification d'habitation avec façade orientée vers le boulevard tandis que l'installation de dépendance (remises ou garages) doit se faire en fond de parcelle, d'une absence de commerce ou d'industrie (ce qui n'est pas anodin au vu de l'occupation des alentours à l'origine), avec toutefois la possibilité d'y exercer une profession libérale (d'où les immeubles à rez-de-chaussée indépendant, dossiers IA632787 et IA2788). Le nouveau propriétaire peut aussi s'en arranger. Ainsi, se marque, à contrario, un refus de la norme sociale imposée : la hauteur maximum de trois étages est parfois excédée, les édifices de type cottage ou villa qui devaient exclusivement garnir les rives prennent parfois la forme d'immeubles, qui peuvent n'avoir aucune composition architecturale spécifique (voir image IVR84_20246300421NUCA). Enfin on note un cas d'édification de garage sur la rive qui entraîne une rupture de la ligne des murets de jardinet (au n°13) (voir image IVR84_20246300383NUC4A, le garage et la rupture d'alignement sont au premier plan à droite, voir image ). On ne peut incriminer un phénomène de dilution des règles au fil du temps puisque certains immeubles sont érigés au début de la période d'édification (les n°17 à 11 dans la première moitié des années 1920) et à l'inverse certaines villas correspondant au modèle sont construites à la fin de cette période (les n°20, 1 et 1bis au début des années 1930). La présence d'immeubles frustes logeant des appartements modestes (les n°12 et 9, édifiés en vis-à-vis selon les mêmes plans, ainsi que vraisemblablement le n°19 appartenant au même propriétaire) s'écarte résolument du modèle social présent en filigrane du contrat d'occupation des parcelles. On pourrait interpréter les allégations de certains habitants comme une persistance du modèle d'origine : ils soulignent que le boulevard était planté d'arbres et pourvu de bancs, ce qui en faisait une promenade bourgeoise2; ils affirment que des édifices de fond de parcelle servaient d'écurie, alors qu'ils furent dès l'origine édifiés pour abriter des voitures. L'idée persiste de la chose idéale qui aurait été abîmée par le temps et les usages, cela n'est qu'en partie vrai.
Il n'en reste pas moins que le respect global de l'engagement contractuel entre individus (puisque la Ville n'est en rien concernée par ce règlement) a créé une forme urbaine d'autant plus homogène qu'elle se déploie sans carrefour ou débouché de rue. Seule la rue Michalias débouche sur la rive ouest du boulevard et semble moins interrompre une séquence que la clore, les deux immeubles (dossier IA63002791 et IA63002792) situés après ce débouché étant davantage intégrés à l'aménagement du carrefour avec le boulevard Lafayette qu'au boulevard Fleury proprement dit. L'expression architecturale des maisons s'individualisent cependant que leur alignement en recul régulier suscite un effet d'ordre. L'architecture de composition indépendante est en effet plus spécifiquement dévolue aux maisons (du n°1 au 3), à la séquence parfois entrecoupée d'un immeuble (du n°14 au n°20). Les cas de collocation3, produit par l'homogénéité de façade des immeubles, sont particulièrement nombreux (voir figure IVR84_20246300335NUDA). Les immeubles placés aux carrefours forment, malgré leur rupture d'échelle, des ensembles cohérents : à l'angle nord-est l'immeuble dit résidence Les Paulines s'adapte au gabarit de son mitoyen (dossier IA63002786) ; à l'angle sud-ouest, les n°22 et 24 (dossier IA63002791 et IA63002792) constitue à eux seuls un front d'îlot. Les immeubles de rives (du n°6 au 12, du n°5 au 9 et du n°13 au 19), à l'exception de l'immeuble du n°11 (dossier IA63002789) qui s'individualise tant dans sa forme que dans sa taille, pourraient être monotones s'ils ne se singularisaient pas par leur décor. Le seul cas d'hétérogénéité architecturale pour une séquence d'immeuble provient d'une adaptation malaisée au découpage parcellaire de carrefour (du n°2 au n°4)
II. Typologie des séquences d'édification
Le découpage parcellaire en lot régulier et relativement égaux, disposant chacun d'un devant de parcelle sur rive du boulevard, engendre une configuration cadastrale que l'on pourrait qualifier d'arête de poisson. Le boulevard forme une sorte d'épine dorsale commandant aux parcelles taillées en éventails (voir figure IVR84_20246300339NUDA). Un pré-découpage a été effectué par le propriétaire et les parcelles sont vendues par la suite sans connaître de modification d'emprise. Le plan de numérotage de 1925 figure déjà la partition actuelle, à l'exception d'une fragmentation affectant les n°1 et 2 d'où l'attribution de bis pour ces deux numéros (voir figure IVR84_20246300337NUCA). On peut considérer que le boulevard Fleury présente une unité de plan4. Si l'on excepte l'extrémité sud-ouest du boulevard rendue autonome par la césure de la rue Michalias, les deux rives sont édifiées entre 1922 et 1933, soit en une dizaine d'années. Le mode d'édification dominant est le damier (voir définition dans l'annexe Détermination des types d'édification et vocabulaire associé) traduisant le fait que les premiers acquéreurs privilégient des parcelles sans édifice mitoyen. Les suivants, à partir de 1925, s'établissent dans les dents creuses (voir figure IVR84_20246300334NUDA). Une séquence linéaire en chronologie s'établit du n°13 au 19 entre 1922 et les années 1930. L'édification de la partie située sur le carrefour avec l'avenue Lafayette, plus tardif, est en rupture d'échelle mais constitue une sorte d'isolat (puisque le front d'îlot est ici très réduit). Le seul cas de substitution concerne la parcelle de carrefour nord-est qui ne quitte sa destination industrielle qu'en 1997 pour devenir une résidence. Ainsi, la cristallisation rapide et la pérennité des constructions concourent à l'homogénéité urbaine de ce court boulevard.