La maison du n°8 rue Montaigne, édifiée à partir de 1914, fut construite avant l'ouverture de la portion du boulevard Lavoisier reliant le carrefour de l'ancien chemin rural n°96 (aujourd'hui converti en allée desservant la rue Eugène-Pelletan) à celui de la rue Saint-Alyre. Depuis la fin des années 1930, elle domine le carrefour en Y que forment le boulevard et les rues Eugène-Pelletan et Montaigne (figure IVR84_20236300712NUCA, 1929, où l'on voit les bâtiments du N°8 rue Montaigne et l'actuel n°90 bis boulevard Lavoisier en fond de parcelles donnant sur la placette en projet d'aménagement). Le devant de parcelle est occupé par un vaste jardin visible depuis cette placette sise sur la rive nord du boulevard. Le projet d'édification d'une résidence fera bientôt disparaître ce jardin, à l'instar de ce qui est advenu au n°105 du boulevard Lavoisier (IA63002704). La résidence "Le Montaigne" modifiera l'implantation du bâti de rive du boulevard, de la même manière que pour les n°64 et 66 situés au nord-est sur la même rive du boulevard Lavoisier (IA63002761).
I. Modification de la morphologie d'une rive de boulevard
À partir de 1926, un premier état du bâti de la rive nord du boulevard entre les numéros 88 et 94 (actuel n°8 rue Montaigne) fait apparaitre une ligne de retrait oblique par rapport à l'axe du boulevard, retrait occupé par de vastes jardins. Le premier édifice constitutif de cette ligne, l'actuel n°90 bis, est établi avant 1890 puisqu'il est figuré sur le premier plan d'alignement du boulevard (figure IVR84_20236300758NUCA où l'on voit un détail du plan d'alignement du boulevard nord en 1890. Au milieu du dessin la maison du n°90 bis est figurée: un corps de bâtiment flanqué de ses terrasses). L'implantation du n°8 de la rue Montaigne à partir de 1914, à l'ouest de ce premier édifice, puis celle à l'est du n°88 à partir de 1926, complète ce dispositif d'urbanisme en retrait irrégulier (figure IVR84_20236300710NUDA, schéma d'implantation du bâti de rive à partir de 1926, morphologie urbaine en retrait irrégulier, voir également la figure IVR84_20236300763NUCA où l'on voit un détail d'une photographie aérienne de l'IGN, datée de 1947, sur laquelle les trois bâtiments implantés en fond de parcelles et dominant des jardins font face aux bâtiments industriels de l'entreprise Baud).
Le bâtiment du n°90 bis est remanié et agrandi en 1952 par l'architecte Marquet. Deux ans plus tard, en 1954, une demande de permis de construire d'un immeuble sur le devant de parcelle est déposée qui aura pour effet d'occulter le bâtiment antérieur et d'engendrer une allée de desserte modifiant la morphologie urbaine de la rive: partant d'un édifice constitué d'une maison d'habitation en retrait irrégulier précédé d'un jardin, on aboutit à un bâtiment dont la forme rectangulaire épouse mal celle du devant de parcelle formant un angle au débouché de la rue Eugène-Pelletan (figure IVR84_20236300757NUDA, schéma d'implantation du bâti de rive au milieu des années 1950 voir également la figure IVR84_20236300764NUCA où l'on voit un détail d'une photographie aérienne de l'IGN, datée de 1981, sur laquelle le front de bâti du n°90 est modifié par l'implantation d'un immeuble occultant l'édifice d'origine, en face les entreprise Baud on cédé la place à l'immeuble de bureaux de France Télécom).
Cette modification sera complétée par le comblement de la parcelle du n°8 rue Montaigne. La résidence Le Montaigne (Sinhsay Nachampassak architecte, Wabi Sabi paysagiste, promoteur immobilier Edouard Denis) s'implantera en léger retrait de l'élévation aveugle du n°90. Une discontinuité persistera afin de desservir le n°90 bis alors cerné par le bâti. À la persistance de l'élévation aveugle se joindra l'irrégularité des volumes de l'élévation de la résidence, en angle droit formant retrait par rapport au pan coupé de la parcelle (voir figure IVR84_20236300756NUDA schéma de projection de la nouvelle implantation du bâti de rive, 2022).
II. Modification d'orientation du bâti
Le plan d’origine du bâtiment du n°8 rue Montaigne figure une construction rectangulaire. L’entrée principale s’ouvrait à l’origine dans le pignon oriental et donnait accès à l’escalier et au couloir de distribution (figure IVR84_20236300711NUCA, dessin daté de 1914, par un architecte à la signature illisible, des élévations et des plans du corps de bâtiment). À l’heure actuelle, l’entrée se fait par un bâtiment en prolongement et en retrait de l’édifice principal. Elévation sud du bâtiment d'entrée Elle conduit, via un vestibule, à l’escalier et au couloir de distribution des pièces du rez-de-chaussée. Cette extension, si l’on excepte le toit plat et l’avant-toit dépourvu d’aisselier, offre une similarité avec la façade principale (même traitement des encadrements de baies avec linteau à crossettes, frises de briques vernissées et de briques à talon, poutrelles métalliques ornées de cache rivet en rosette…). Elle est figurée sur le plan de numérotage des immeubles du boulevard Lavoisier daté de 1925 au même titre que l’appentis au nord de la maison logeant un garage et une extension de la cuisine qui sera ainsi dotée d’ouvertures sur l’espace extérieur ouest transformé en terrasse (figure IVR84_20236300759NUCA où l'on voit un détail du plan de numérotage de 1925 sur laquelle les corps de bâtiments d'entrée et arrière sont figurés). Là encore, le parti a été pris d’user des mêmes éléments décoratifs pour les ouvertures (hormis une vaste porte fenêtre de facture contemporaine). Ces aménagements semblent donc s’effectuer entre 1914 et 1925. Ils ont pour conséquence de modifier l’orientation de l’entrée de la maison. En 1914, alors que le boulevard n’existait pas encore cette entrée donnait sur le chemin privé qui deviendra la rue Montaigne; en 1925 l’entrée regarde vers le boulevard, au sud. Cette orientation sera confirmée par le dégagement de l’îlot séparant le débouché de la rue Montaigne du boulevard à partir de 1929. La vue de la façade depuis le boulevard est à présent masquée par les arbres du jardin. Cependant, le jardin observable sur les vues aérienne de l’IGN de 1947 et 1981 revêt un aspect bien plus dégagé, une haie de pourtour encadrant deux allées se coupant à angle droit. On peut donc imaginer que l’élévation principale ornée de ses briques émaillées sur le trumeau ou en encadrement des baies était librement tournée vers le boulevard. Les pièces parquetées en chêne se trouvent à l’avant tandis que les espaces de distribution, les toilettes et la cuisine sont rejetées à l’arrière : attrait du jardin s’étendant au sud ou du boulevard au-delà ?
Détail du pilier de la porte piétonne sans couvrementL’architecte de la résidence « Le Montaigne » qui doit être édifiée en lieu et place de cette maison propose de remployer les piédroits en pierre de Volvic de la porte piétonne sans couvrement pour marquer l’ouverture piétonne principale au bas de la rue Montaigne. La grille de clôture du jardin montée sur un muret construit avec les pierres de taille du soubassement de la maison sera replacé en limite sud de parcelle. L’ouverture piétonne tournée vers le boulevard sera supprimée. Le projet annexé à la demande de permis de construire propose de remployer le motif de croix et le cabochon en briques émaillées ainsi qu’un encadrement de fenêtre non plus en position originale sur une façade qui n’aura plus rien de commun avec l’existant mais dans le hall du bâtiment A (voir figure IVR84_20236300765NUCA, coupe du bâtiment A avec le remploi des décors, permis de construire, 2022. Les plans présentent deux bâtiments aux élévations principales donnant sur la rue Montaigne et n’offrant plus au boulevard qu’une élévation étroite et une entrée de parking souterrain. L’architecture contemporaine reviendra donc à la situation d’autonomie par rapport au boulevard qui présida à la première construction sur cette parcelle. L’aimantation du boulevard perceptible à partir de 1925 s’efface par conséquent. Les édifices projetés occupent l’ensemble de la parcelle, contrairement à l’édifice d’origine, ils se déploient par conséquent sur le plus côté qui longe la rue Montaigne. La morphologie de la parcelle joue davantage que la présence d’une large voie de communication dont le caractère prestigieux, s’il fut jamais avéré, n’existe a fortiori plus de nos jours.
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Conservatrice du patrimoine. Responsable de l'unité Ressources du Service Patrimoines et Inventaire général de la région Auvergne-Rhône-Alpes.