Les parcelles de la rive nord du boulevard Lavoisier comprises entre les carrefours des rues de Montjuzet, à l'est, et Ernest-Picard, à l'ouest, présentent une forte inclinaison nord-sud, propice à l'implantation de la vigne. Dans ce secteur la subdivision parcellaire s'opère selon cet axe nord-sud par découpage de lanières comprises entre le boulevard et une impasse de desserte privée. Le bâti s'établit tout d'abord selon un axe oblique par rapport au boulevard. La rive nord du Boulevard est soit fermée par des clôtures à porte piétonne sans couvrement soit par des rez-de-chaussée (garages ou commerces) parfois surmontés d'un étage qui s'établissent dans les années 1930. D'étroits escaliers permettent l'accès aux maisons d'habitation.Escalier étroit partant du boulevard et menant au corps d'habitation
La construction d'une résidence sur l'emprise des parcelles LN96 et 498 entraînera, comme pour le n°105 boulevard Lavoisier (IA63002704), la disparition de vastes jardins. Le phénomène de modification de morphologie urbaine par substitution du bâti d'origine mise en évidence au n°8 rue Montaigne (IA63002759) est d'autant plus valable pour les n°64 et 66 du boulevard Lavoisier. Enfin, le système de collocation1 s'en trouve transformé.Elévation du n°64 sur le boulevard Lavoisier
I. Modification d'implantation de l'habitat
Jusqu'au début des années 1930, le bâti s'implante selon un axe oblique qui, du n°62 au n°72, s'éloigne de la rive du boulevard au point d'être positionné en travers de parcelles, à mi-pente (figure IVR84_20236300863NUC4A, où l'on voit les élévations principales des n°70 (détruit) et 72 en surplomb du boulevard) . De premiers bâtiments annexes, des garages, sont construits à l'alignement de l'axe du boulevard (figure IVR84_20236300825NUDA). Entre les années 1930 et les années 2000, des habitations s'établissent en retrait d'alignement, poursuivant la ligne de bâti des années 1920 (au n°62 bis, parcelle LN 93 en 1958, R. Vialon, architecte ; au n°74, parcelle LN 101, en 1935, André Verdier architecte). Une double ligne de construction s'affirme par l'implantation de garages en devant de parcelles, dont celui du n°68 surmonté d'un niveau d'habitation (parcelle LN99, 1930, Jean Guillot architecte, voir figure IVR84_20236300834NUC4A). Ainsi se constitue un alignement régulier par ajout d'éléments sur la rive du boulevard (figure IVR84_20236300826NUCA et figure IVR84_20236300854NUC4A, photographie aérienne avant 2007). La tendance à l'alignement sur le boulevard s'accentue entre 2007 et nos jours par la construction de résidences aux n° 68-70 et aux N°74-76 (les bâtiment A de ces deux projets s'élèvent en devant de parcelle). Le projet actuel qui verra la substitution des maisons des n°64 et 66 fera de l'alignement régulier la nouvelle norme (figure IVR84_20236300827NUDA). La notice descriptive du permis de construire insiste d'ailleurs sur la préservation d'un "axe végétal Est-Ouest dans la continuité d'une trame verte déjà existante qui traverse le cœur d'ilot", existence qui, en fait, n'est jamais que le résultat de l'urbanisme par comblement remontant à une petite dizaine d'années.
II. Modification de l'homogénéité urbaine
Les premières constructions sont édifiées dans les années 1920 (n°72, Guillaume Maschat architecte; n°70, Channeboux architecte; n°66, Charbonneaux architecte; n°64, Guillaume Maschat architecte; n°62, 1929 Lanquette architecte). Elles forment une ligne discontinue surplombant le boulevard et si on ne peut les dire en stricte collocation, elles partagent des traits communs en terme d'enveloppe, de gabarit et d'échelle. En 1958, l'édification de l'immeuble du n°62 bis (M. Vialon architecte), occupant l'interstice entre le n°62 et le n°64 ne modifie pas le type d'alignement: retrait opérant une liaison entre ses deux mitoyens préexistants suivant la préconisation du permis de construire spécifiant qu'il "devra se trouver à un mètre quatre vingt dix en retrait de l'alignement contigu est", ce qui indique l'intention de s'inscrire dans l'oblique du retrait. Il renforce la collocation de la séquence édifiée entre le n°62 et le n°66 (pas de rupture d'échelle dans l'enveloppe des bâtiments, régularité de la hauteur des niveaux et du nombre des travées, traitement en volume de l'élévation principale et animation spécifique du dernier niveau, voir la figure IVR84_20236300824NUCA, à droite se trouve le n°62, à gauche le n°64, le n°62bis au centre cale ses niveaux par rapport à son mitoyen droit). Dans les années 1930, les bâtiments du n°68 et n°74 introduisent une variation: le premier en bord de rive, le second en avancée du retrait des maisons des années 1920 ; tous deux d'un étage sur niveau de soubassement. Ils agissent, au sein de la séquence étudiée, comme des ponctuations.
Les résidences construites à partir de 2007 rompent les mitoyennetés: les bâtiments A du n°68 -70 et du n°74 sont en avant des maisons des n°66 et 72, les bâtiments B en retrait de ces deux maisons (figure IVR84_20236300828NUC4A où l'on voit la maison du n°72 entre les deux immeubles des n°74 et 76). Il en résulte des élévations aveugles d'autant plus perceptibles que ces bâtiments sont en rupture d'échelle par rapport aux constructions des années 1920. Elévation aveugle et pignon du n°74 vus depuis le boulevard Lavoisier Ils perfectionnent l'alignement régulier à l'aplomb du trottoir. Cependant, le n°74 (2013) introduit une variante d'orientation, son élévation principale est exposée à l'ouest2, sur une allée de desserte élargissant une rupture du bâti de rive. Le pignon présenté sur le boulevard revêt un aspect austère tandis que son élévation postérieure, visible depuis la voie, est seulement percée de jours de souffrance. Ces édifices concourent à une morphologie urbaine très peu homogène. Ces résidences se substituent aux constructions des années 1930. Par conséquent, elles oblitèrent l'effet de ponctuation pour le remplacer par des cassures de rythme. Elévation sur le boulevard Lavoisier, n°68-70
Le projet de construction aux n°64 et 66 comprend deux bâtiments totalisant 40 logements dont huit sociaux ainsi que 33 places de stationnement couvert en rez-de-chaussée sur le boulevard et sous-sol en milieu de parcelle. Il reprend le dispositif d'implantation des bâtiments du n°68-70 et le modèle également adopté par le n°74-76 d'un rez-de-chaussée composé de larges trumeaux s'intercalant entre des entrées de locaux techniques et des passages pour les voitures. Préfiguration de l'élévation sur le boulevard n°64 et 66. Phénomène de rez-de-chaussée aveugles.Ainsi, les rez-de-chaussée donnant sur le boulevard forment une muraille opaque. Le modèle des pièces de réception, salon et salle à manger, ouvrant sur un jardin surplombant la voie disparaît presque totalement (le n°72 résiste encore).
III. Evolution de la perception architecturale
Reconduction, bâtiment au n°74 bd Lavoisier en 2007, le même en 2023Essayons de reconstituer ce qu'un piéton du début des années 2010, pouvait percevoir de cette séquence en rive nord du boulevard Lavoisier. Il devait constater l'austérité des garages semi-enterrés et des murs talutant les jardins en contre-haut. Ici, nous pensons plus spécifiquement au bâtiment édifié par l'architecte Jean Guillot: si les plans offrent la claire régularité et l'équilibre des volumes qui prévalent dans les années 1930 (voir figure IVR84_20236300833NUCA), le béton vieillit que montrent les vues d'état des lieux du dossier de démolition fait de cette façade un objet quelque peu désagréable au regard. Reconduction, bâtiment au n°68 bd Lavoisier en 2007, le même en 2023À travers les grilles de ferronnerie encadrées de piliers à l'architecture soignée fermant l'accès à d'étroits escaliers, notre piéton sentait que la scène se déployait là haut. Le théâtre de la ville était implicite. Levant les yeux, il apercevait les sommets d'arbres et de façades à toits brisés, lucarnes-pignons ou niveaux de combles à décor de pans de bois. La substitution de ce dispositif par les résidences entraîne la disparition de l'implicite. Les élévations se dressent à l'alignement de la chaussée, oblitérant la pente et ne laissant rien deviner de l'arrière-plan. On imagine, à raison, que le dispositif postérieur n'est que répétition de ce qui est déjà dévoilé. Superposition de deux vues arrière des n°68 et 70 bd Lavoisier, état des lieux et projet en 2007
Conservatrice du patrimoine. Responsable de l'unité Ressources du Service Patrimoines et Inventaire général de la région Auvergne-Rhône-Alpes.