Le couvent des Augustins
Le couvent des ermites de Saint-Augustin de Saint-Pierre d'Albigny est fondé par Jean de Miolans en 1380 (Mermet et Naz, d'après l'Armorial de Savoie, t. 4, p. 38) ou 1381 (Morand). Son mariage avec Agnès de Roussillon lui a en effet apporté les moyens financiers suffisants pour agrandir son château (voir IA73004468) et fonder ce couvent. En 1388 l'église est commencée, puisque la comtesse de Savoie Bonne de Bourbon donne 6 veissels de froment aux "frères de l’ordre des Ermites de Saint-Augustin, construisant leur église de Saint-Pierre-d'Albigny" (Bernard). Au début du 15e siècle, Jacques Ier de Miolans donne au couvent trois "saintes épines de la couronne du Christ", prestigieuse relique rapportée de Palestine. La construction de l'église s'étend sur la fin du 14e siècle et le début du 16e : en 1405 (Naz) ou 1408 (Mermet) François de Gruffy fait une donation pour la construction du chœur et en 1459 l'église n’est pas encore achevée (Bernard) ; le clocher aurait été élevé en 1512 (Legay).
L'église abritait les caveaux de familles nobles des environs, au premier chef celui de ses fondateurs, dans le choeur, mais aussi celui des Lescheraines : dès 1386 Pierre de Lescheraines lègue 200 florins (auxquels son frère Humbert ajoute plus tard 100 florins) pour la fondation d'une chapelle dans l'église, établie "sous la colonne de l'église des Augustins" par son fils Jean (Morand, p. 247). Cette chapelle est désignée sous le vocable de Notre-Dame de la Consolation lorsque Pierre de Lescheraines y fait voeu de sépulture dans la 2e moitié du 15e siècle (p. 250). Les armoiries de la famille de Lescheraines sont sculptées sur une dalle funéraire et sur deux culots aux retombées de voûtes des chapelles du côté est (les armoiries du culot le plus au sud ont été identifiées par C. Mermet comme parti de Crescherel et Ravoire, soit relatives à la famille de Lescheraines mais postérieures au milieu du 18e siècle).
C. Mermet indique que la fondation prévoyait l'entretien de six religieux ; ils sont 14 en 1405 selon J.-P. Leguay, et l'effectif tombe à 3 dans la 2e moitié du 18e siècle (Naz). L'implantation de l'église est dessinée sur la mappe sarde (AD Savoie, C 4282, mappe 288, vers 1730), à la lettre A du plan (le couvent et la cour sont sous le n° 3342 ; le couvent possède également dans la paroisse une maison au Mas, n° 3578, des champs, jardin, bois, prés et surtout un peu plus de 2 ha de vigne).
Les descriptions du couvent avant le 18e siècle sont quasi inexistantes. L'acte de donation de François de Gruffy en 1405 ou 1418 mentionne la logia qui servait de réfectoire et dominait le ruisseau de la Trise (Gargot). En 1634 les religieux demandent l'autorisation de quêter pour "reconstruire leur église et couvent ruinés" (Naz), mais il peut s'agir d'une exagération servant à appuyer la demande. Un document de 1788 mentionne la réédification du du "mur de façade de la maison des R. P. Augustins et de leur clos qui furent abattus pour passer la grande route (...) sur le grand chemin de Tarentaise pour favoriser le passage des grandes voitures (Brocard).
Le devenir de l'église et du couvent après la Révolution
Les biens des Augustins sont confisqués le 26 octobre 1792 et le citoyen Jérôme Berthet est invité à transmettre l'inventaire de leurs biens au district. Ceux-ci (meubles, biens agricoles et bâtiments) sont vendus entre 1794 et 1796. Le 1er fructidor an IV (18 septembre 1796) Jean-Baptiste Martin, de Chambéry, achète le couvent et ses dépendances, dont l'expertise est réalisée par l'architecte Bernard Trivelly, pour le département, et le charpentier Claude Henriquet, pour l'acheteur. Le couvent se compose alors de trois ailes :
- au nord, face à la rue, cinq boutiques dont deux avec cheminée et une avec chambre au-dessus, les quatre autres avec galetas ; une écurie sans plancher, une grande cave voûtée "dont la moitié du vuide se trouve sous ladite rue, et un petit cellier, le tout sous lesdites boutiques"
- l'aile du levant consistait en "un grand magasin à grain à gauche de la porte d’entrée, et à droite d'icelle quatre membres, soit celliers, le tout au rez-de-chaussée ; et au-dessus, à droite de l'escalier, un corridor, quatre petites et une grande chambre avec cabinet de latrines et le passage qui communique au clocher, sacristie et église ; à gauche du susdit escalier trois membres au premier et trois au-dessous d'iceux"
- l'aile du côté du midi consistait en une cuisine, un réfectoire, une dépense au rez-de-chaussée, une cour au-dessous, un corridor et six chambres dessus, avec galetas sous le toit
L'église est divisée en "deux nefs". La description mentionne le clocher, "la cour existante entre l'église et l'aile du couvent, part du levant", "le placeage au-devant de l'église part du midi, et celui dénommé les Meuriers, confinant au ruisseau, du couchant". L'ensemble est prisé 10 800 F, l'église et le clocher 4500 F ; la faible estimation est justifiée par les experts par le mauvais état des bâtiments : les boutiques sur rue sont en très mauvais état, l'immeuble est inhabitable à cause de la caducité du couvert et des dégradations consécutives à l'enlèvement des fermetures des portes et des fenêtres, le couvert d'une des nefs est tombé en ruine, le couvert de l'autre nef exige d'urgentes réparations. L'ensemble adjugé 24 100 F (AD Savoie, Q73 n°1012, d'après Naz).
Le clocher est démoli en vertu de l'arrêté d'Albitte du 7 pluviôse an II (26 janvier 1794) : le 10 prairial an II (29 mai 1794) Claude Henriquet reçoit 131 £ 4 sols pour avoir abattu les clochers de la paroisse.
Le plan du cadastre napoléonien établi en 1808-1812 (Ad Savoie, L 1008, section A1) permet de supposer que l'emprise du couvent correspond aux parcelles 1127 à 1140, sans doute issues de la revente par Jean-Baptiste Martin à des habitants du bourg sauf les n°1129 à 1132 (dont les maisons 1130, correspondant à l'aile sud du couvent, et 1132, maison isolée au nord-ouest qui ne semble pas décrite en 1796) qu'il conserve encore sur l'Etat de classement ou numéros suivis du cadastre établi en 1812 (AD Savoie. L 943). Pour l'emprise de l'église, la plus grosse parcelle bâtie (n°1143), correspondant à la majeure partie de l'actuelle mairie, est la propriété de Pierre Berthet, hormis l'angle nord-ouest composé de la maison n° 1142 sur rue (propriété de Jean Jeandet) et derrière du n° 1141, escalier partagé par moitié entre Pierre et François Berthet. Ce dernier possède la maison n° 1140, à l'angle de la rue et du Gargot, avec la place 1140 bis. Pierre Berthet possède aussi le jardin n° 1123 et François le n° 1126, au sud de leurs maisons. Enfin les bâtiments en limite ouest de la clôture, dessinés sur le Gargot, appartiennent à Pierre Sonnet (cellier n° 1139), Suzanne Berthet femme Verdun (maison n° 1128) et Jean-Baptiste Martin (maison n° 1127), alors qu'en limite sud se trouve le cellier de Suzanne Berthet (n° 1124).
La mention du "placeage au-devant de l'église part du midi" dans l'estimation de 1796, et la nature de jardin pour la parcelle n°1123 en 1812 tendraient à laisser supposer que l'emprise de la nef de l'église correspondait dès sa construction à celle de l'actuel "caveau des Augustins". La partie sud de la parcelle A de la mappe, lavée en rose, était peut-être une cour ou cloître, bordé de galeries sur son côté nord (devant l'église, correspondant à la travée sud du caveau) et est, où ses vestiges seraient encore visibles.
En 1864, le projet d'utilisation du site pour abriter l'école de garçons, la mairie et la justice de paix donnent un état des lieux des vestiges de l'église avant sa dernière transformation. Un procès-verbal d'expertise établi par l'architecte Joseph Samuel Revel le 3 août 1864 (2O 2690), accompagné d'un plan (voir illustrations), indique la répartition des propriétés des parcelles et leur nature avant leur acquisition par la commune :
- n°1123, 1124, 1125, 1143 et portion de 1140 : bâtiment, cour, terrasse et passage, appartenant à Ulysse et Jules Berthet, frères
- n°1140 bis et portion de 1141 : passage, appartenant en indivis à Ulysses et Jules Berthet, frères, et Jérôme Berthet et frères hoirs de feu François
- n°1142, portion de 1140 au 1er étage au-dessous de l’immeuble de Jérôme Berthet : bâtiment, à Joseph Pajean l’oncle
- Portion du n°1141 : bâtiment, Jérôme Berthet et frères hoirs de feu François.
Jérôme Berthet souhaite conserver le 1er étage de l’immeuble Pajean 1140, situé au-dessus de son "magasin" (on retrouve ici la fonction de boutique de cette partie du bâtiment). La vente prévoit la cession à la commune des immeubles et des droits de passage.
Le projet d'appropriation de l'immeuble établi par le même architecte le 30 novembre 1864 (2O 2690) décrit la "maison" des frères Berthet comme une "ancienne église Moyen Âge" avec dépendances et indique : "De très belles caves occupent tout l’étage en sous-sol" dont la ville pourrait louer la partie nord (la partie sud étant affectée aux écoles). Le bâtiment est divisé en deux par un mur de refend est-ouest. Le plan du projet de Revel du 30 novembre 1864 (2O 2690, voir illustrations) montre que les murs extérieurs de la partie nord l'église (abside, travée de choeur et deux travées de nef) et du clocher (lavés en noir) existaient encore en élévation jusqu'au 2e étage. Il n'y a malheureusement pas de plan des caves, qui correspondent au niveau du sol de l'église.
La transformation en mairie
En 1862, l'architecte Joseph Samuel Revel donne un projet d'école de garçons (la commune loue le bâtiment où celle-ci est alors établie) comprenant trois classes et trois logements d'instituteurs (cahier des charges et devis estimatif, plan, coupe et élévation du 13 septembre 1862 ; plan non reproduit). Ce bâtiment est localisé à l'écart du village, au sud de la rue du Pré de la Cure, et le projet subit des oppositions. En 1864 la commune change de projet avec la proposition faite par les frères Berthet de lui céder le site de l'ancienne église des Augustins (voir paragraphe précédent), en plein coeur du village et presque en face de la maison commune existante. Le projet de Revel du 30 novembre 1864 (2O 2690, reproduit) investit ainsi l'immeuble existant : dans la partie nord, le projet prévoit d’affecter le rez-de-chaussée à une salle pour la justice de paix et le cabinet du greffier et le 1er étage à la salle de mairie et secrétariat, le dernier étage étant provisoirement une pièce de retirage où on pourrait créer un logement pour le greffier. Un escalier construit à neuf donne accès à cette partie de l’édifice depuis la rue principale. Dans la partie sud, le rez-de-chaussée accueillerait une salle d’école pour 100 élèves, le 1er deux salles d’école pour 60 et 40 élèves, le 2e étage les 3 logements d’instituteurs. Le 1er étage est desservi par un escalier construit à neuf depuis la cour de l’école, le 2e par la poursuite de cet escalier dans la tour au-dessus du secrétariat. Un bâtiment en bon état au sud de la cour pourrait être affecté à la bibliothèque communale. Le hangar aux pompes occuperait une remise à voiture située au-dessus de ce dernier bâtiment. Le décret impérial autorisant l'acquisition de l'immeuble est signé le 22 février 1865 (138 Edépôt 257).
Un procès-verbal d'adjudication des travaux est donné le 27 mai 1865 à Gabriel Pluyaud, entrepreneur à Aiguebelle, mais le 4 novembre ce dernier propose de résilier son entreprise (il a déjà commencé les travaux) et Claude Mollard, entrepreneur domicilié à Saint-Pierre-d’Albigny, s’engage à continuer et achever le chantier. Puis le 26 mars 1867, le préfet approuve un nouveau "devis d’appropriation d’un bâtiment pour servir de mairie, école de garçons, justice de paix et remise de pompe à incendie", toujours de Revel, pour lequel soumissionne François (sic) Mollard. Le montant des travaux passe de 17 393,91 F à 73 735,82 F (138 Edépôt 257). Ce second devis (non conservé dans les cotes consultées) correspond peut-être à l'état actuel du bâtiment, dont les élévations ont a été totalement reconstruites, contrairement au 1er projet qui prend appui sur les murs anciens. Dès l'été 1867 des voisins écrivent des lettres de plaintes concernant l'implantation des nouveaux aménagements (la veuve Chiron indique qu'on a construit une rampe (pour l'accès à l'école) dont le mur de soutènement est à 1 m de l’entrée de sa cave et retirage, ce qui rend l’accès difficile "pour les voitures chargées de récolte de vin" ; Jérôme Berthet se plaint de l'ouverture de fenêtres sur sa propriété. Courriers du 6 juillet 1867 et 11 juin 1867, 138Edépôt 257). La réception provisoire a lieu le 2 avril 1868 et la réception définitive le 26 février 1869 (2O 2690). Le décompte général des travaux (138Edépôt 257) donne des précisions sur les matériaux employés : la pierre de taille de Villebois pour la façade, escalier, balcon et balustrade ; le granite d’Epierre pour l'escalier des écoles et le perron ; la pierre de taille de Saint-Pierre-d’Albigny pour les 1er et 2e étages de la façade et les couvertes des fenêtres ; la pierre de taille provenant des démolitions pour les appuis de fenêtre, l'escalier du logement des frères… ; la pierre de Saint-Paul-Trois-Châteaux pour les clochers ; du tuf scié et appareillé pour le couvrement de la façade principale et les clochetons ; des moulures en ciment pour la façade de derrière du rez-de-chaussée (entre autres). Les "passages de la cour basse" sont faits de "voûtes en vieux moellons". Du marbre est employé pour les cheminées de la salle des délibérations (cheminée en marbre neuf style Louis XIV avec faïence et châssis en cuivre), le secrétariat, la justice de paix, le logement des frères (cheminées marbre neuf) ; le cabinet du greffier et le logement de l'agent voyer ont des cheminées en vieux bois. Les galetas du secrétariat ont une porte en fer. Enfin il y a une salle de musique avec des crochets en métal pour les instruments.
Des travaux mineurs ont lieu dans le dernier quart du 19e siècle : en 1876, le plancher de la salle de justice de paix, de trop grande portée, s’effondre : il est reconstruit et consolidé par des colonnes en fonte. En 1889 l'architecte Jules Pin aîné donne un projet de construction d’un avant-toit sur la façade de la mairie, exécuté par Antoine Fontana entrepreneur à Saint-Pierre-d'Albigny : le mémoire de travaux exécutés, du 21 juillet 1893, mentionne une plate-bande en ciment pour l’inscription Hôtel de Ville, avec brûlage à l’acide, peinture à l’huile pour le fond de l’inscription, et l'application en ciment d’écussons sur les couvertes des fenêtres (10 pièces) (138 Edépôt 257). Ces éléments en béton sont visibles sur la façade ; la reconstruction de l'avant-toit a peut-être été l'occasion de la suppression des "clochers" décomptés en 1869.
Sur l'Etat de section de 1891, la mairie occupe la parcelle 1890 E2 314 (voir plan : AD Savoie, 3P 7266, section E2), qui se décompose en sol et cour, caves n°1, 2 et 3, mairie et cour. La commune est également propriétaire du 314 bis, entrepôt (bâtiment sud), et du sol du bâtiment 319. Le bâtiment à l'angle de la rue et du Gargot appartient au cafetier Jean Pierre Ruet, qui possède également le bâtiment 319 et, en indivision avec la commune, le passage commun 315. Les bâtiments sur le Gargot correspondent à la fabrique de pâtes d'Etienne Bouvet (317) et à des maisons (n°318, 320, 321).
Après la construction du groupe scolaire et la migration de l'école de garçons vers ce nouveau site, un projet d'installation de l'école de filles à leur place est donné par l'architecte Bertin en 1901 (138 Edépôt 262). Ce plan permet de valider celui du bâtiment à cette date, le plan précédent connu (celui de 1864) n'ayant pas été réalisé.
Les murs du clocher subsistent en élévation sur plusieurs mètres ; ceux de l'église ont été arasés à environ 2 à 3 m du sol, hormis le mur ouest de la nef. Les espaces intérieurs (choeur, deux travées de nef, chapelles ou galerie à l'est, clocher à l'ouest) divisés et couverts en voûtes en berceau en anse de panier pour les aménager en caves, avec des accès sur la rue ou le passage commun correspondant au bas-côté ouest (?).
Les espaces situés sous la mairie ont été aménagés en lieu d'exposition, dit "Caveau des Augustin", dans le 3e quart du 20e siècle.
Des vestiges du couvent sont encore visibles sur l'emprise des bâtiments (voir illustrations du dossier du Bourg de Saint-Pierre-d'Albigny).
Photographe au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, site de Lyon