Dossier collectif IA69006513 | Réalisé par
Ducouret Bernard
Ducouret Bernard

Chercheur au service régional de l'Inventaire Rhône-Alpes jusqu'en 2006.

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  • inventaire topographique, Inventaire de la Ville de Lyon
Immeubles du quartier Saint-Nizier
Copyright
  • © Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
  • © Ville de Lyon

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    immeuble
  • Aires d'études
    Lyon Saint-Nizier
  • Adresse
    • Commune : Lyon
      Lieu-dit : Saint-Nizier

LES IMMEUBLES DU XVIIe SIECLE DANS LE QUARTIER SAINT-NIZIER

Bernard Ducouret, conservateur du patrimoine, Inventaire général du Patrimoine culturel

(texte de la conférence donnée le 25 mars 2005 à l'UMR Chastel à Paris)

Présentation de la zone étudiée

Le quartier Saint-Nizier à Lyon est situé entre Rhône et Saône, à la tête du pont de pierre, traversée unique de la Saône jusqu’au XVIIe siècle.

Il s’organise autour de grands édifices religieux, la collégiale Saint-Nizier et le prieuré de la Platière, et borde l’abbaye Saint-Pierre.

C’est un quartier marchand, habité par des artisans et de grands négociants. C’est surtout le fief lyonnais du grand commerce textile : fabrication et vente de tissus, et tout particulièrement des tissus de soie. La zone de l’Herberie, à la tête du pont de pierre, est au cœur des quatre foires annuelles (ZELLER, p. 175, 176, 183).

Le secteur comporte encore un nombre élevé d’immeubles du XVIIe siècle (46) malgré les destructions importantes du XIXe dues au percement de voies nouvelles et à l’élargissement de plusieurs autres (cf le Plan de localisation des immeubles du XVIIe : en rouge, les immeubles neufs, en vert, les immeubles remaniés au XVIIe).

La plupart des immeubles sont datés grâce aux permissions de voirie dont tout propriétaire qui veut faire construire doit solliciter la demande auprès de l’autorité communale, le Consulat. Les registres où sont consignées ces autorisations sont conservés de 1617 à 1763. Ils ont été en partie dépouillés au XIXe siècle. Bernard Gauthiez, avec l’ancien centre de recherche Pierre-Léon, en a entrepris le dépouillement systématique et nous a livré les informations recueillies. Ce travail devrait être publié dans les années qui viennent.

La plupart des immeubles sont désignés par une enseigne, à distinguer de l’enseigne des boutiques du rez-de-chaussée. Pour être posées, ces enseignes doivent également faire l’objet d’une demande auprès du Consulat. Elles suivent généralement de quelques mois l’autorisation d’alignement. Ainsi François Gouttenoire obtient son permis d’alignement le 24 janvier 1668, pour un immeuble d’angle rue Luizerne, et le 15 mai suivant son autorisation d’enseigne, au Mont Parnasse.

Bien que les habitations soient systématiquement appelées maisons, il s’agit en réalité d’immeubles si l’on entend par ce terme des édifices abritant plusieurs foyers. Les historiens ont montré l’augmentation considérable du nombre de foyers par immeuble sur l’ensemble de la ville au XVIIe siècle (ZELLER, p. 162).

1597 : 2,21 ménages par immeuble soit 8,50 habitants

1636 : 2,60 soit 13,20

1709 : 7,20 soit 34

L’unité de ces logements ne paraît pas être l’appartement comme au XVIIIe siècle mais la chambre. On loue une, deux ou plusieurs chambres selon ses besoins ou ses capacités financières. Les chambres louées par un même foyer ne sont pas forcément côte à côte mais réparties dans les différents étages de l’immeuble.

La pierre utilisée pour la construction au XVIIe siècle vient principalement du mont d’Or, dernier relief du Massif Central, situé à quelques kilomètres au nord de Lyon, en bordure de la Saône, ce qui facilite grandement les transports. Ces carrières comprennent deux types de calcaire : un calcaire jaune utilisé en moellon ou pierre de taille pour l’élévation et l’encadrement des fenêtres des étages, un calcaire bleuté, plus dur, riche en fossiles, et pour cette raison dite pierre à gryphée, employé pour le rez-de-chaussée, les angles et les escaliers, très commode pour cet usage car certains bans se débitent en grandes dalles plates.

Les immeubles et l’urbanisme

Le nombre élevé d’immeubles reconstruits au XVIIe siècle leur assure un rôle important dans l’urbanisme de la ville.

Un seul lotissement a été réalisé dans le quartier : la division en six parcelles par le prieuré de la Platière en 1633 de la partie d’un cimetière bordant la rue Lanterne. Le monastère se réserve une parcelle et une allée procurant un accès secondaire à l’établissement. Les parcelles sont vendues à des particuliers qui font construire, contrairement aux autres communautés religieuses qui généralement élèvent un ensemble d’immeubles homogènes destinés à la location. C’est le cas des Antonins qui font bâtir à partir de 1660 un ensemble de 3 immeubles homogènes le long de la rue Mercière par l’architecte Claude Chana.

A défaut de lotissements, les autorisations d’alignement permettent au Consulat de corriger les petites irrégularités de détail des rues.

C’est ainsi que le côté ouest de l’ancienne rue de l’Enfant-qui-pisse a été entièrement reconstruit entre 1638 et 1692, ce qui donne une rectitude impeccable à la rue. On note toutefois une inflexion au niveau des deux derniers immeubles afin d’élargir le carrefour avec la rue Longue.

Il semble également que les autorisations permettent au Consulat de donner une homogénéité monumentale à certains ensembles et je prendrai comme exemple le cas de la place Saint-Pierre, la plus grande place du quartier. La place servait de parvis à deux églises : celle de l’abbaye Saint-Pierre et la paroissiale Saint-Saturnin. Un côté était occupé par un grand immeuble du XVIe siècle. Le 11 janvier 1695, le propriétaire du grand immeuble qui occupe le côté opposé de la place et une partie du côté obtient l’autorisation d’alignement pour le reconstruire. Or, quelques mois auparavant, le 27 avril 1694, celui du petit immeuble attenant a l’autorisation de remodeler complètement sa façade. On peut se demander s’il n’y a pas eu en amont entre le Consulat et les propriétaires des deux une négociation afin de régulariser les façades de la place. Le petit immeuble a été démoli au début du XIXe sans laisser de représentation. En revanche le grand immeuble subsiste. Deux travées ont été démolies lors de l’élargissement de la rue Saint-Pierre au XIXe siècle. L’axe du grand côté était marqué au rez-de-chaussée par un fronton.

Au XVIIe siècle, seules les arches du pont de pierre touchant les rives sont bordées d’immeubles. Du côté du quartier St-Nizier, ils sont presque tous reconstruits au XVIIe siècle, et l’immeuble qui marquait à droite l’entrée de ce groupe était la célèbre construction de Girard Desargues dont près du quart de la surface reposait sur une gigantesque trompe (1650). Notons qu’une autre partie portait sur un encorbellement assez typique des immeubles bâtis en bordure de Saône. L’élévation ne se distingue en rien des autres constructions. On y rencontre en particulier une chaîne d’angle interrompue par une statue, trait caractéristique de l’époque. En effet, à partir de 1630, une chaîne d’angle, à bossage ou harpée, vient souligner le coin des immeubles élevés aux angles des rues.

Plusieurs étaient interrompus par des niches monumentales, abritant des statues toutes disparues aujourd’hui. La vogue en a été telle qu’en 1675 un amateur, Jean de Bombourg, en publie une liste de 48 dans un petit guide dont les trois-quarts concernent des statues d’angle réalisées dans les 40 dernières années. Il nous livre le nom des sculpteurs, artistes lyonnais qu’on retrouve sur les chantiers religieux ou sur celui de la décoration de l’Hôtel de Ville. Ainsi la niche au coin de la rue Mercière et de la rue allant vers le pont semble avoir été ornée d’un saint Etienne, sculpté par Girard Sibrecq, auteur des retables des maîtres autels des deux couvents lyonnais de la Visitation, Bellecour et l’Antiquaille.

Autre exemple, dans la niche de l’immeuble construit en 1661 5 rue Longue, était un Bon Pasteur par Nicolas Bidau, sculpteur qui travaillera plus tard au décor du grand escalier de l’abbaye Saint-Pierre (actuel musée des Beaux-Arts), sur les dessins de Thomas Blanchet, et qui donne une idée de l’animation qui pouvait emplir ces niches (GALACTEROS DE BOISSIER).

La seule statue déposée qui subsiste est une Vierge à l’Enfant par Coysevox, datant de 1674, et dont la forte opposition des mouvements prend tout son sens lorsqu’on essaie de la restituer dans la niche pour laquelle elle a été conçue à l’angle des rues Edouard-Herriot et du Bât-d’Argent.

Un autre intérêt de la liste de Bombourg est de nous signaler, qu’à côté des statues religieuses, il y en avait également deux autres représentant les souverains : l’une, Louis XIII, taillée par Girard Sibrecq en 1643, et qui ornait une niche du carrefour situé au chevet de l’église de la Platière, l’autre, Louis XIV, à l’angle de la rue de Grenette et de celle de l’Aumône (Edouard-Herriot), dont la niche est connue par une photographie de la fin du XIXe siècle (BM, fonds Sylvestre, videralp 11 569).

LES IMMEUBLES : ORGANISATION, ELEVATION

Trois grandes périodes d’activité dominent la construction des immeubles au XVIIe siècle :

1) 1630-1650

2) 1660-1670, décennie la plus active du siècle

3) 1685-1690

Mais auparavant, quelques considérations sur les immeubles au début du XVIIe siècle

Immeubles du début du XVIIe siècle

(En jaune, les cours, en vert les allées, en orange les escaliers, en tireté les coursières et galeries)

Les immeubles s’organisent selon trois types de plan, qu’on retrouve dans la plupart des villes :

1) 1 seul corps de bâtiment

2) 1 seul corps de bâtiment à l’arrière

3) 2 corps de bâtiment reliés : la liaison se fait d’un côté par l’escalier, de l’autre par un corps mince.

L’immeuble élevé 4, rue Dubois à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe appartient au premier type. Son escalier en vis dans-œuvre est précédé d’un petit palier voûté afin de ne pas rompre l’uniformité de la façade. L’escalier et le palier sont surmontés d’un pavillon contenant une pièce haute, formule qui va traverser tout le XVIIe. L’immeuble présente 5 étages carrés ; cependant 3 étages carrés surmontés d’un comble à surcroît sont plus fréquents. Le rez-de-chaussée est ouvert par les arcades des boutiques dont l’emploi est systématique dans tous les immeubles du quartier. Les fenêtres s’alignent en travées. Sur le petit côté et à gauche du pavillon, elles se resserrent et ne sont plus séparées que par un piédroit, mode qui remonte au XVe siècle, et qui s’imposera jusque vers 1670. La porte en plein cintre est habituelle à Lyon, mais celle-ci se distingue par son ampleur inaccoutumée et par l’ébrasement de son arc.

On retrouve avec la façade reconstruite en 1605 après réunion d’un corps secondaire de l’hôtel de ville désaffecté en 1604 et de deux autres maisons une composition assez voisine de l’immeuble précédent : avec l’introduction de demi-travée dont l’une surmonte la porte d’entrée,

regroupement des baies dans la partie droite. En revanche les chambranles des fenêtres sont désormais plats, et des corniches les surmontent. Le plan d’ensemble est complètement atypique étant donné l’histoire particulière de l’édifice. Son escalier sans doute ajouté lors de la transformation en immeuble, se développe en une seule volée semi-circulaire autour d’un noyau de même forme : ce modèle est très répandu à Lyon dans la 2e moitié du XVIe siècle. On le rencontre principalement dans les cours entre deux corps de bâtiment. Il avait un avantage évident : ne faisant qu’une demi-circonférence, il dégageait un couloir de circulation facilitant le passage de plain-pied entre les deux corps.

Au début du XVIIe siècle, on n’en rencontre plus que deux exemples en position de liaison. Il peut montrer une certaine évolution : la cage n’est plus arrondi mais à 3 pans, le noyau s’aplatit également. En fait, c’est un intermédiaire entre l’escalier semi-circulaire et l’escalier droit à deux quartiers tournants à ses extrémités qui s’impose ensuite.

Immeubles de 1630 à 1650

L’un des plus anciens immeubles datés du quartier, 5 rue de la Fromagerie, est élevé en 1634 pour le marchand drapier Pierre Labeille. Son plan présente un seul corps de bâtiment suivi d’une cour avec un escalier en vis hors-œuvre dans une cage carrée. Le plus intéressant est la façade qui présentent des éléments de décors employés dans les 20 années qui suivent : fenêtres à chambranles à crossettes surmontées d’une frise et d’une corniche, liaison verticale des travées par des bandeaux. Le rez-de-chaussée est tout en pierre de taille avec une porte dont l’arc est identique à celui des boutiques. Un élément de raffinement inusuel est donné par les petites tables en saillie qui surmontent les arcs des boutiques.

L’immeuble sis 15, rue de Brest non daté est très voisin dans son élévation ; seule variation les bandeaux verticaux prennent un dessin harpé. Le rez-de-chaussée reprend les mêmes tables au-dessus des arcades et il n’est pas impossible que cet immeuble soit l’œuvre du même architecte.

L'immeuble 26, rue Lanterne qui portait l’enseigne de la Samaritaine, a été élevé en 1638, pour Pierre Perrin, négociant en épices. Sa façade reprend le même principe de liaison que les façades précédentes mais l’adapte au mode des fenêtres rapprochées. Le plan présente deux corps reliés par des ailes minces. Ce qui sort complètement de l’ordinaire est le système de distribution. L’escalier rampe-sur-rampe occupe un angle de la cour. Ses paliers se prolongent en coursière pour desservir le premier corps, divisant ainsi la cour en deux. Un puits s’ouvre en niche dans l’allée, position assez fréquente à Lyon. Les deux ailes minces sont exceptionnellement en pierre de taille alors que toutes les autres élévations sont en moellon enduit.

Bien que la date exacte de l’immeuble sis 42 rue Mercière n’ait pas encore été retrouvée, il est visiblement contemporain du précédent ou postérieur de quelques années, ainsi que le montre sa façade semblable, quoique celle-ci marque un axe de symétrie par l’introduction d’une demi-travée qui surmonte la porte. On retrouve les deux corps de bâtiment reliés par des ailes minces, mais cette fois c’est l’escalier entier qui divise la cour. Aux étages, l’escalier est droit à deux quartiers tournants, ce qui permet de dégager un palier galerie assurant une communication de plain-pied entre les deux corps. L’escalier se termine en pavillon avec pièce haute. Autant la formule du plan de l’immeuble précédent restera isolée (on en verra cependant un autre exemple), autant celle de l’escalier entre deux cours connaîtra un grand succès par la suite, tout particulièrement au XVIIIe et dans la première moitié du XIXe.

L’immeuble 50 rue Mercière peut être placé autour de 1640. Sa façade est conforme aux autres à l’exception des bandeaux verticaux de liaison qui ont disparu. Le tympan de ferronnerie de la porte présente une bande alternant volutes et roses, surmontée d’un motif en éventail : si le premier motif était habituel, le deuxième remplace les traditionnels fers croisés en losanges, premier pas vers une évolution des tympans. Le plan adopte, à première vue, une formule plus conventionnelle : deux corps de bâtiment reliés par un corps mince d’un côté et un escalier de l’autre. Chaque corps possède une allée, permettant la traversée de l’immeuble d’une rue à l’autre, de trabouler comme on dit à Lyon. Mais ce qui est peu ordinaire c’est l’extrême étirement de la cour. Les arcades de l’escalier à gauche sont reprises à droite au rez-de-chaussée du corps mince. Au centre de celui-ci, un surplomb marque la naissance d’un avant-corps central, dont je ne connais pas d’autre exemple. La gigantesque cage de l’escalier s’ouvre par quatre arcades par étage et se termine par une pièce haute, le tout couronné par un immense toit en pavillon qui forme repère dans le paysage de la ville. Il est aussi à noter que les balustrades en bois d’origine sont conservées, système qui devait être répandu alors, en concurrence avec les garde-corps pleins en maçonnerie, mais qui ont tous été remplacés par la suite. La longueur de la cage a permis d’installer sans peine un escalier droit.

11, 13 rue de Brest, un ensemble de 3 immeubles mitoyens construits en 1647 mais pour 3 propriétaires différents (11, rue de Brest pour Thomas Borde). Leur particularité commune, et non usuelle, est de présenter des façades en pierre de taille. Celui de gauche présente une cour dans la tradition du XVIe avec un escalier en vis à cage ouverte et des galeries la reliant au premier. Les balustres en pierre sont à noter, car ce sont les seuls du genre qui aient été repérés.

L’immeuble mitoyen a été construit pour Barthélemy Durif, négociant en papier. Son étroite façade à deux travées reprend des modèles déjà vus. Il n’en va pas de même pour le plan où nous constatons que l’escalier occupe entièrement le deuxième corps de bâtiment et est relié au premier par des coursières. A l’intérieur se développe un escalier à quatre noyaux et vide central, pas si fréquent à Lyon au XVIIe, puisque seuls deux exemplaires ont été repérés dans le quartier. Il est à noter que seuls les paliers et repos sont voûtés d’arêtes, ce qui devient courant dans les escaliers de ce modèle et les escaliers rampe-sur-rampe à partir de cette époque.

Décennie 1660-1670

Après 1648, on ne construit plus. Il faut attendre 1660 pour assister à une véritable éclosion qui ne durera que dix ans.

De 1659 à 1665, Jean-Mathieu Dupuis, banquier d’origine italienne (del Pozzo) et négociant en crêpe de soie, fait construire un ensemble d’immeubles dissimulés sur l’étroite rue de la Pêcherie par une façade uniforme (actuellement 2 à 4, quai Pêcherie). Cette grande élévation de 12 travées a été entièrement dénaturée au XIXe et au XXe siècles. Elle ne transparaît plus aujourd’hui que dans l’alignement des baies. Elle avait 4 étages carrés et au 6e niveau des petites fenêtres ouvraient sur un comble à surcroît. Elle était ponctuée par trois grandes portes identiques, dont celle du centre est à peu près bien conservée. C’est une porte d’un genre nouveau, à plate-bande, surmontée d’un jour rectangulaire terminée par deux lobes, modèle qui se répand à Lyon à ce moment. C’est le plus ancien exemple du quartier (par comparaison, voici une porte réalisée dix ans plus tôt, en 1648, ornant une maison de l’ancienne place de la Fromagerie au chevet de Saint-Nizier, où l’on constate une timide apparition du procédé).

Voici l’ensemble complexe dissimulé par la façade. On remarque qu’une ruelle y est intégrée et qui débouchait sur la rue par un encadrement de porte identique aux deux autres. Jean-Mathieu Depuis conserve un certain nombre d’éléments plus anciens, en particulier la maison du XVIe siècle longeant l’impasse. En 1659, il obtient l’autorisation de bâtir l’immeuble qui enjambe l’impasse et qui présente une spécificité lyonnaise : son escalier en vis et sa cour sont communs avec l’immeuble arrière. En 1661, il achète au prieur de la Platière les bâtiments qui bordaient un côté de la cour d’entrée du monastère et en 1665 il obtient l’autorisation de réédifier les deux immeubles principaux. Ils présentent tous les deux leurs escaliers à l’arrière du corps sur rue, ce qui permet de les ouvrir largement sur la cour, formule qui s’impose alors.

L’immeuble principal se repère immédiatement par la taille de son escalier. Il comporte trois corps de bâtiment autour d’une cour, des coursières servant de liaison sur le 4e côté, le long d’une aile qui fait partie du deuxième immeuble. Le vaste corps arrière comprend un escalier secondaire et ouvre sur la place de la Platière, sur laquelle débouche une allée secondaire.

L’inventaire après décès, en 1684, du commanditaire apporte de précieuses informations sur l’organisation interne. Toutes les pièces du rez-de-chaussée donnant sur la cour, à l’exception d’une buanderie, sont consacrées à l’activité professionnelle du propriétaire, comptoirs de banque et négoce du tissu de crêpe. Toutefois, aucune pièce mentionnée n’ouvre sur les rues, ce qui laisse à penser qu’elles étaient occupées par des boutiques louées. Le propriétaire et sa famille loge dans tout le 1er étage, la cuisine s’y trouve également. Ils occupent encore une chambre au 3e (corps arrière), 2 autres au 4e (l’une sur le corps avant, l’autre sur le corps arrière) ainsi que la chambre qui est au-dessus de l’escalier. Tout le reste doit être loué. L’escalier à 4 noyaux a la particularité, exceptionnelle à Lyon, d’être entièrement construit sur voûte, alors qu’ordinairement seuls les repos et paliers sont voûtés. Les coursières du dernier étage sont en bois. La cage de l’escalier est entièrement ouverte sur la cour et prolongée de l’habituel pavillon ; les coursières de liaison sont portées par des voûtes en demi-berceau, système dont on trouve de nombreux exemples à partir de cette date, mais dont il existe à Lyon au moins un modèle remontant à la seconde moitié du XVIe siècle ; l’adoption systématique de garde-corps en ferronnerie dont l’emploi explose véritablement à partir de 1660. D’après l’inventaire après décès, le décor paraissait soigné, y compris pour les pièces du rez-de-chaussée. Une photo de la fin du XIXe conserve le souvenir d’une pièce voûtée du rez-de-chaussée portant un décor en stuc où figurent les armes du propriétaire. Or la seule pièce voûtée mentionnée à cet étage dans l’inventaire est le cabinet des archives.

L’immeuble 11, rue Lanterne a été construit en 1663 à l’enseigne de Saint-Benoît pour le marchand Sanddélion. Le plan est entièrement tourné vers le passé avec deux corps de bâtiment relié par une galerie prolongeant un escalier en vis. Cet escalier constitue l’un des tout derniers du genre construits dans un immeuble lyonnais. Mais le traitement de l’élévation est d’une grande qualité, en particulier la porte qui présente un dessin original par la mouluration continue du chambranle associée à une mince traverse en pierre, et par la table à gouttes au-dessus qui servait probablement de support à l’enseigne. La galerie était ouverte à l’origine. A remarquer la courbure impeccable de la cage. L’époque de construction s’affirme par l’importance prise par la ferronnerie.

L’immeuble élevé 8, rue de la Platière est reconstruit à la suite d’une autorisation d’alignement du 13 avril 1666 délivrée à Pierre Chartier. La façade organise ses ouvertures de manière totalement symétrique, organisation qui s’impose désormais dès que la façade est d’une certaine ampleur. Le rez-de-chaussée se distingue par un relief très accentué des modénatures, autre trait caractéristique des années 1660. Une étonnante clef marque la porte de forme traditionnelle. On note le fin rinceau de ferronnerie de son tympan dont l’emploi se généralise à ce moment. C’est le seul immeuble à reprendre le plan de la maison de Pierre Perrin : escalier dans un angle de la cour, galeries coupant la cour en 2. Des coursières en retour s’y ajoutent qui conduisent aux lieux d’aisance et font la séparation avec une autre cour.

Un pavillon surmonte l’escalier. On ne peut que souligner l’aspect scénique de la distribution. Les garde-corps primitifs devaient être en bois. Remarquer les ouvertures vers la cour arrière et l’adoption de voûtes en demi-berceau.

Deux ans plus tard, en 1668, est construit l’immeuble 4, rue du Plâtre. On y retrouve une organisation symétrique des baies. A noter la frise bombée au-dessus des fenêtres. On retrouve également au rez-de-chaussée la modénature affirmée et les rinceaux symétriques du tympan de ferronnerie. Le plan est marqué par un axe sur lequel s’alignent les deux escaliers, tous deux ouvrant sur la cour, organisation qui sera fréquemment reprise au XVIIIe siècle et dans la 1ère moitié du XIXe. Les quatre élévations de la cour sont organisées de manière symétrique : il n’y a pas d’autre exemple d’une telle rigueur dans le quartier. Au centre s’ouvrent les baies libres du 2e escalier. L’axe des élévations latérales est marqué par une demi-travée et une niche au niveau du rez-de-chaussée.

Le 9 décembre 1670, Claude Tourton obtient l’autorisation de construire 5, rue du Major-Martin trois immeubles mitoyens, dont les façades sur la rue forment un ensemble homogène.

Je ne présenterai que deux d’entre eux composés chacun d’un seul corps de bâtiment séparé par une cour commune et relié par un escalier

commun. Le pavillon d’escalier au centre sépare les deux logis de hauteur différente. La porte ouvre directement sur l’escalier et est ornée du désormais habituel tympan à rinceau symétrique. Dans le corps mince en fond de cour se trouvent accolés les lieux d’aisance des deux immeubles, ceux de gauche étant accessibles par des coursières (aujourd’hui fermées). Autre intérêt de cet immeuble, c’est la parfaite conservation de la superstructure du pavillon d’escalier, et un petit escalier de bois desservant la pièce haute.

Les dernières années

Après 1670, on ne rencontre plus aucun immeuble daté et il faut attendre les dernières années du siècle pour voir refleurir l’activité du bâtiment. Cet arrêt coïncide avec une importante crise économique qui affecte durablement le commerce lyonnais (Histoire de Lyon des origines à nos jours, t. 2, p. 54).

L’immeuble 9, rue de Brest est construit pour Gabriel Biclet, apothicaire, à l’enseigne des Trois Carreaux à la suite d’une autorisation d’alignement de 1686. Il s’organise sur une parcelle de plan en L : l’escalier a été disposé de manière à faire le lien entre les deux corps de bâtiment et prend ses jours sur deux cours. Le remarquable départ en fer forgé de l’escalier ─ le premier du genre dans le quartier ─, est connu par des relevés de Martin en 1854. Les garde-corps des coursières marquent une étape nouvelle dans l’évolution de la ferronnerie. Les décors à base de volutes garnissant chaque panneau s’organisaient jusqu’à présent symétriquement autour d’une tige ; ici la tige a disparu et les deux parties s’interpénètrent conférant une fluidité nouvelle au motif. Les fenêtres ont pris des proportions plus allongées et ont définitivement abandonné meneaux et traverses. Le développement de la modénature (frontons, gouttes sous les appuis) demeurent une exception.

L’enseigne aux Trois Carreaux, sculptée sur la façade, est conservée contrairement à la plupart des autres immeubles où ce morceau qui paraît avoir été souvent sculpté et peint a été emporté avec les transformations successives des rez-de-chaussée. La porte, rectangulaire, est surmontée d’un jour où le monogramme du propriétaire forme le motif principal de la ferronnerie. On voit en effet se développer à Lyon à ce moment toute une série de variations sur la forme des jours en dessus-de-porte, généralement fermés par une grille dessinant le monogramme du commanditaire. Un décor est parfois sculpté autour du jour, décor qui a souvent été bûché par la suite. C’était probablement le cas pour cet immeuble à l’ornementation particulièrement soignée, même si la mauvaise qualité du document reproduit ne permet pas de l’affirmer.

Conclusion

Les années 1630-1640 ont été marquées par l’invention de nouveaux partis dans l’agencement des escaliers, des coursières et des galeries. Certaines dispositions resteront en usage jusqu’au XIXe siècle. Les années 1660 se contentent de reprendre ces partis, en mettant l’accent sur l’emploi de l’escalier dans-œuvre largement ouvert sur la cour. Mais l’intérêt se porte principalement sur les élévations : les façades s’organisent symétriquement autant que possible, de nouveaux types de porte apparaissent, l’emploi de la ferronnerie se développe de manière spectaculaire. La fin du siècle est marquée par l’abandon définitif de l’escalier en vis, le changement de proportion des fenêtres où meneaux et traverses disparaissent. Des formules nées durant la période précédente continuent d’évoluer telle la porte rectangulaire surmontée d’un jour. On utilise de manière plus systématique l’escalier rampe-sur-rampe à deux noyaux, le suspendant partiellement dans quelques exemples. Le dernier immeuble présenté ouvre véritablement la porte du XVIIIe siècle lyonnais en recourant à des boutiques plus hautes et en incurvant les murs de sa cour. Il resterait bien sûr à confronter ces données, qui concernent un quartier limité, à l’ensemble de la ville.

Sources

- BOMBOURG, Jean. Les tableaux et les statues de Lyon au XVIIe siècle. Paris : Tross, 1862. 75 p. ; 22 cm. Rééd. ann. de « Recherches curieuses de

la vie de Raphaël Sanzio d’Urbin (…) et un petit Recueil des plus beaux tableaux (…), architectures, sculptures et figures, qui se voyent dans

plusieurs églises, rues et places publiques de Lyon ». Lyon : André Olier, 1675.

- GALACTEROS DE BOISSIER, Lucie. Thomas Blanchet : 1614-1689. Lyon : Arthéna, 1991 : ill.

- Histoire de Lyon des origines à nos jours. Le Coteau : Horvath, 1990. 2 vol. 478 p. : ill., 479 p. : ill. ; 28 cm.

- ZELLER, Olivier. Les recensements lyonnais de 1597 et 1636 : géographie, histoire et démographie sociale. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1983. 472 p. : ill. ; 24 cm.

Le corpus s´étend, à quelques exceptions près, du début du 16e siècle à la fin du 19e siècle. La date de construction et le nom du commanditaire sont en majorité connus pour les 17e, 18e et 19e siècles.

  • Période(s)
    • Principale : 16e siècle
    • Principale : 17e siècle
    • Principale : 18e siècle
    • Principale : 19e siècle

Les principes retenus pour l'inventaire des immeubles du quartier reprennent ceux déjà utilisés pour le quartier du Confluent : un recensement systématique, un repéré documenté qui se distingue assez peu du sélectionné. Ce dernier s´en différenciant toutefois par un remplissage plus complet de la fiche Mérimée et par la présence d'un plan-masse. Le plan-masse est extrait du plan cadastral du quartier sur lequel ont été reportées les principales structures de distribution notées lors du repérage (allées, escaliers, cours souvent masquées par la présence de bâtiments en rez-de-chaussée, galeries et coursières), les loges de concierge et les puits. L´ensemble du plan est illustré en entier et avec des détails dans le dossier généralités de l´aire d´étude. Dans le cas des immeubles sélectionnés faisant partie d´un ensemble, l´extrait a été reporté à l´ensemble. En revanche, il a été ajouté pour quelques immeubles repérés de plan complexe.

  • Toits
  • Décompte des œuvres
    • bâti INSEE 199
    • repérés 198
    • étudiés 52
Date(s) d'enquête : 2005; Date(s) de rédaction : 2005
© Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel
© Ville de Lyon
Ducouret Bernard
Ducouret Bernard

Chercheur au service régional de l'Inventaire Rhône-Alpes jusqu'en 2006.

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