Extrait des délibérations de l´Assemblée des notables, 26 juin 1766 (AC Lyon : BB 366, fol. 8-17)
" ... M. le prévôt des marchands a dit : Messieurs, les commissaires nommés dans votre dernière assemblée pour l´examen du projet que le sieur Perrache a présenté au ministre pour l´établissement des moulins à la tête d´un canal qui garantiroit la navigation de ses écueils, et pour l´agrandissement de la ville, se sont assemblés plusieurs fois chez M. le lieutenant général qui vous fera part Mrs des observations qu´ils ont faites et vous mettra en état d´arrêter votre délibération avec connoissance de cause ; après le rapport de cet objet, M. le lieutenant général est invité de donner communication d´un autre projet pour placer les moulins derrière la grande digue de la Tête d´Or, et si la construction est fondée comme l´auteur le prétend sur des démonstrations géométriques ... nous serons tranquilisé sur nos alarmes passées ...
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Suit la teneur de la délibération prise dans l´assemblée de MM les commissaires ...
Ce jourd´huy vingt un juin 1766, Messieurs les commissaires nommés par délibération du premier may 1766 pour la vérification des plans et projets présentés par le sr Perrache pour la création d´un nouveau quartier près du confluent du Rhône et de la Saône, assemblés chez M. le lieutenant général, où se sont trouvés M. le comte de Saconay, M. Reynaud échevin, M. de Riverieulx , M. Birouste, M. Tolozan de Montfort, et M. Chancey, après avoir pris lecture de la réponse de M Perrache à la délibération de Mrs les commissaires du 3 juin 1766, vu le certifficat signé par M. Moiroud qui fait mention des différentes pentes et niveau du Rhône et de la Saône qu´il dit avoir vérifié avec le sr Perrache, auquel est joint un plan contenant quelques repères et mensurations dudit local, ont fait lecture du mémoire d´un des Mrs les commissaires sur cet objet, et ont fait appeler le sr Perrache pour lui demander la solution de plusieurs objections qui avoient été faittes contre l´utilité, la possibilité et la construction de ce nouveau quartier. Le sr Perrache retiré, l´affaire discutée d´après les réflexions et l´étude que plusieurs de Messieurs les commissaires avoient faites en particulier, tant sur les plans que sur le local, et d´après les observations qui avoient été faittes à plusieurs d´entre eux, par les gens de l´art qu´ils avoient consultés, ont été unanimement d´avis qu´avant de se livrer à un plus grand travail qui entraîneroit indubitablement des dépenses considérables à la charge de la Ville, puisqu´il étoit nécessaire avant de donner une décision positive sur la possibilité dudit projet, de vérifier la pente du Rhône et de la Saône dans différents endroits pour voir d´abord qu´elle étoit la différence des pentes du Rhône et de la Saône sur des longueurs égales, d´examiner ensuite si ces pentes ne varioient point dans différents endroits, et surtout de connoître la pente du Rhône depuis la grande digue jusqu´au pont de la Guillotière, du pont de la Guillotière vis-à-vis le confluent actuel, et du confluent à la Mulatière, qu´il falloit ensuite prendre la hauteur réelle du Rhône et de la Saône, et la différence des hauteurs de l´une à l´autre rivière, que ces hauteurs devroient au moins être prises du pont des Trailles au port de la Boucherie des Terreaux, du pont de la Guillotière au pont de St-Jean, du pont d´Enay vis-à-vis l´Académie, et de l´endroit où sont actuellement placés les moulins de la Quarantaine, à la partie du Rhône qui passe de l´autre côté de l´isle Mogniat répondant à la Quarantaine ; qu´il est surtout bien essentiel de connoître la pente depuis l´endroit où le sr Perrache se propose de placer ses moulins jusqu´au bout du canal de fuite proposé et du bras supérieur du Rhône, de l´autre côté de l´isle Mogniat depuis l´endroit où se fera la réunion du Rhône et de la Saône jusqu´à celui où le canal de fuite se vuidera dans le grand lit du Rhône.
Que toutes ces opérations, surtout celles des pentes, doivent être faites dans les eaux basses, les eaux moyennes et les eaux fortes, ce qui, outre beaucoup de peine, peut renvoyer la fin des opérations à un jour fort éloigné ; que pour donner aussi un avis certain sur la solidité et sur le prix des travaux projettés, il faudroit faire des devis plus détaillés que ceux qui ont été donnés par le sr Perrache, mesurer la quantité des toizes de blocages qu´il employera, faire le compte du nombre des pilotis, faire la mensuration du glacis et murailles, faire une juste évaluation des matériaux selon la qualité et le tems où ils seront employés, sonder les rivières dans toutes les places où il faudroit draguer, évaluer ce que coûtera la toise d´extraction de gravier et le transport dans les emplacements à attérir, calculer si cet attérissement avec les déblais qui sortent des bâtimens de la ville, pourront suffire à attérir et à exhausser tout l´emplacement du quartier neuf, chercher des terreins propres à combler les bras du Rhône où sont actuellement les moulins et à exhausser le brotteau Mogniat, suputer combien il faudra de toises de terrein, et à combien reviendra le transport et l´achat ; qu´il est aussis indispensable de prendre le niveau de la rivière du Dauphiné depuis Béchevelin jusques vis-à-vis le village de Vénissieux, pour savoir si l´élévation du brotteau Mognat, resserrant le Rhône dans un lit plus étroit, ne le déterminera pas à se répandre plus souvent sur toutes ces campagnes où étoit jadis son lit lorsqu´il passoit aux Balmes viennoises ; qu´outre ces observations, il y a nombre de détails soit dans la construction des quays, des levées et surtout des moulins, qui demandent un travail suivi pour en déterminer la solidité et en fixer le prix. Qu´à toutes ces dépenses prévues devoient se joindre les dépenses inattendues non moins considérables, causées par les ravages des débordements d´un fleuve aussi impétueux que le Rhône, que l´opération de draguer son lit et la fondation des quays pouvoient se multiplier considérablement par les nouveaux rapports de graviers ou de terre que le Rhône rapporteroient dans les fouilles à mesure de travail ; qu´ainsi cet article de dépense dont le sieur Perrache n´a pas prévu la répétition pourroit être pour les entrepreneurs une augmentation immense de dépenses ; que toutes ces considérations, et diverses autres fondées sur l´intérêt politique de l´administration de cette Ville, devoient former l´avis que l´assemblée de Messieurs les notables étoit dans le cas de donner sur ce projet ; mais que les commissaires nommés par cette même assemblée ne se croyoient pas suffisament autorisés pour entreprendre un travail aussi long et aussi dispendieux, qu´ainsi l´assemblée seroit priée de déterminer les différents objets qu´il faudroit vériffier et pour lequels il seroit nécessaire d´employer des gens de l´art, et de décider si elle voudroit en risquer les frais, et que jusque là, les commissaires se contenteroient de luy rendre compte des observations qu´ils ont faites chacun en particulier, d´après lesquelles ils ont conclu, après avoir rapproché leurs idées dans différentes séances qu´ils ont eu chez Monsieur le lieutenant général, que quelque louable que soit le zèle du sr Perrache pour l´embellissement et l´agrandissement de cette ville, son projet au milieu de toutes les beautés qu´il renferme, présentent beaucoup d´inconvénients et ils observent :
1° qu´il est à craindre que la navigation sur la Saône devienne impratiquable au confluent, soit dans les grosses eaux, soit dans les basses eaux.
Dans les grosses eaux, la Saône alors très impétueuse, qui n´a que 300 pieds de large sous le pont d´Enay, ira s´engouffrer à 100 pieds de là dans un canal de 230 pieds d´ouverture en droite ligne de son courant, y entraînera les batteaux qui iront se briser contre la chaîne de pilotis que l´entrepreneur met à la tête de son canal pour en défendre, dit-il, l´entrée à tout corps étranger. Page 7 de son mémoire.
C´est dans cet endroit où les conducteurs de batteaux seront obligés de les faire tourner pour entrer dans le nouveau lit. L´éperon qui se trouve à la tête de l´isle Mogniat et qui partage les eaux de la Saône ne sera t il point encore un autre écueil.
Dans les basses eaux, la tête des pilotis se pourrira, et la Saône à qui on aura fait une saignée de 230 pieds d´ouverture sur 3 pieds de profondeur, c´est à dire de près de deux tiers de son lit, ne pourra plus fournir que très peu d´eau le long des quays et de la place du nouveau quartier, et la communication du Rhône et de la Saône se trouvera interrompue pour les grands batteaux et pour ceux qui seront chargés de marchandises à moins que le Rhône ne fût fort et ne refluât dans la Saône.
En hiver cette partie qui n´aura presqu´aucun cours gèlera très facilement, l´autheur en convient et dit pour réponse qu´il établira une machine sur cette rivière, propre à en creuser le lit lorsque la navigation en sera interrompue, et que pour fournir plus d´eau dans ce tems, l´on pourra fermer partie du canal des moulins ; il dit aussi qu´une seconde machine sera employée pour casser les glaces tant dans le lit de la Saône que dans ce canal, ainsi voilà la navigation et les moulins, c´est à dire le commerce et la nourriture des habitants, exposés à l´incertitude et aux frais des machines aussi dispendieuses que peu sûres. L´évènement seul peut apprendre le succès de cette nouveauté, et le risque même de cet évènement devroit suffire pour ne pas se décider facilement sur ce projet.
2° Le plus grand nombre des citoyens a été allarmé par la crainte du refluement de la rivière dans la ville, qui là entreroit dans une partie des magasins dans le tems des grosses eaux ; on ne peut être sûr que les nouvelles constructions n´occasionneront point cet évènement qu´après qu´on aura fait mesurer avec la plus grande exactitude, et en présence tant des entrepreneurs que des commissaires, les niveaux des pentes et marquer le point fixe où doit se faire le confluent pour ne point occasionner de refluement dans la ville, l´entrepreneur lui-même paroît être incertain et dit dans sa 1ère réponse aux objections, qu´il est sûr qu´actuellement le Rhône est plus élevé au confluent que la Saône ; il ajoute il doit y avoir cependant un point où les deux courants seroient d´accord, c´est ce point, dit-il, que l´on chercheroit.
Ce sont ses termes, il n´en est donc pas certain, et en effet il a varié sur cet objet, le premier plan qu´il a donné et qui a été paraphé par Messieurs les commissaires place le confluent très différement du second plan.
3° il est certain que ces nouvelles opérations laissant le lit du Rhône depuis la Quarantaine jusqu´à la Mulatière sans le combler ni l´élever ; l´eau croupie infecteroit la ville et y causeroit des maladies ; ce lit est plein d´endroits creux, l´entrepreneur dit luy même qu´il y a des places où il a plus de 15 pieds de profondeur, les eaux s´y corromperoient en été et y formeroient une espèce d´étang, les crapeaux, grenouilles et autres reptiles qui y mourront dans les chaleurs, répandront les vapeurs les plus malsaines et l´on verroit dans la ville les mêmes maladies qu´on voit dans différens villages voisins des bords du Rhône lorsqu´il y a des lônes ou petits bras du Rhône qui ne dessèchent pendant les chaleurs.
L´entrepreneur répond qu´il n´y a qu´à laisser couler un filet d´eau dans l´ancien lit du Rhône et y laisser entrer les eaux de la Saône vis à vis la Quarantaine.
Voilà les eaux de la Saône partagée en trois branches, l´une pour le canal des Moulins, l´autre pour fournir de l´eau à l´ancien lit du Rhône et l´autre pour la navigation.
Les frais pour combler ce lit du Rhône qui a mille toises de long sur cent de large, à ne compter qu´une toise de profondeur largeur égalisée, ce qui produit cent mille toises, coûteroit six à sept cent mille livres de façon tant pour y jetter et conduire la terre à supposer qu´elle se trouva sur les bords, et que l´entrepreneur achettat des fonds dans le coteau pour en transporter la terre, et s´il falloit la charrier seulement de trois ou quatre cents toises d´éloignement, la façon du transport seroit un objet de douze ou quinze cent mille livres. L´entrepreneur convient luy même que la dépense de ce remplissage ne peut point être fournie par sa compagnie, et il propose, comme on l´a dit, d´y laisser entrer les eaux de la Saône.
4° Un très grand inconvénient de l´entreprise proposée est le peu de solidité des quays, digues et levées.
1) ces quays, digues et levées ne sont point fondées, car on ne peut appeler fondation un creux de 2 ou 3 pieds de profondeur sur cinq pieds de large.
2) le sol sur lequel il les pose n´est qu´un amas de sable, de graviers, de marne que le Rhône rejette sur ces bords.
3) Le Rhône peut aisément creuser des 2 ou 3 pieds en dessous, et ces quays n´étant portés sur aucun corps solide tomberont.
4) il met devant un rang de pilotis et dit lui même dans son mémoire que les pilotis causent des affouissements ; on voit en effet que les piles du pont du Rhône, et une partie de nos quais sont supportés par des pilotis de chaînes et entre lesquels l´eau coule, il est constant que les flots venant frapper avec impétuosité contre ces corps ronds cherchent à tourner autour et irrités par cet obstacle, ils viennent avec effort contre le gravier ou la terre qui est entre les pilotis et s´entraîne ; cependant quand ces pilotis sont enfoncés assez profonds, et que leur tête est bonne, ils supportent pendant plusieurs suites des masses énormes, nous avons icy le pont du Rhône et presque tous nos quays, et en Italie une ville construite en grande partie depuis plus d´un siècle sur des pilotis entre lesquels l´eau passe.
Dans l´entreprise proposée, les pilotis sont placés non par-dessous les constructions pour les supporter mais devant.
5) Il propose de faire cette construction en béton. Ce béton sera exposé à fleur d´eau et en dessus aux gelées, et il est constant par une expérience journalière que les gelées ruinent le béton, que les chaleurs et la sécheresse l´entraînent et luy empêchent de prendre sa consistance et que le béton n´est bon que dans la terre et à couvert ; celuy cy non seulement ne seroit point couvert, mais même seroit exposé à tout ce que l´intempérie des saisons, la force des gelées, la violence des chaleurs et l´impétuosité d´un fleuve rapide peuvent causer de dégradation. Telle est la manière dont l´ouvrage est construit.
Il y a suivant le plan et suivant les mémoires 2200 toises tant de digues le long du Rhône que de quay pour former l´enceinte de la ville ou à la tête de l´isle Mogniat.
100 toises de jettées pour que le Rhône n´entre point dans le lit de la Saône ; c´est dans cette jettée qu´il a placé les bains.
600 toises de quays pour l´embouchure du canal des moulins
2400 toises pour le canal de fuite doivent être élevés de 12 pieds au-dessus des basses eaux parce que quand le Rhône croîtroit de 12 pieds et inonderoit l´isle, il entreroit dans le canal de fuite, l´eau se trouvant aussi haute dans le canal que dans la Saône, les moulins ne pourroient plus aller.
Total 5300 toises, c´est à dire plus de deux lieues de quays ou de digues.
Qu´elle sera la solidité des fondations de la grande digue derrière laquelle seront les moulins et la solidité de la construction des moulins même. Si une inondation venoit à culbuter l´ouvrage, la ville se trouveroit tout à coup dépourvue de subsistances.
5300 toises de quays ou de digues nécessaires pour les moulins exposés partie aux efforts du Rhône, partie à des eaux furieuses dans les débordements, aux quels on veut donner dans tous les tems de l´impétuosité, et qui seront gênés par des artifices. Tous ces ouvrages étant presque sans fondements, que pourra coûter leur entretien ; le produit des nouveaux moulins ira-t-il où l´on prétend ; suffirat-il pour entretenir les digues de l´isle Mogniat, le canal de fuite et les autres ouvrages des moulins, c´est à dire autour de 4000 toises de quays ou de digues. Si dans une forte inondation, il venoit à y avoir des réparations à faire pour des sommes considérables, les entrepreneurs n´abandonneront-ils point les moulins qui retomberont à la charge de la ville.
5° Les chantiers proposés pour le bois à bâtir auroient un très grand inconvénient qui seroit : renchérir cette partie des matériaux, ces bois restent aujourd´huy sur les atterissements qui sont formés au-dessous du rempart d´Enay, sur les bords du Rhône. Chaque pièce est fort aisée à tirer et coûte peu ; s´il falloit la monter au-dessus des quays et la mener dans le centre du nouveau quartier, ces frais s´aligneroient beaucoup les radeliers et feroient augmenter la marchandise par conséquent la construction, et par une suite nécessaire au lieu de faire diminuer les toisages, les feroient augmenter. L´entrepreneur répond qu´on laisseroit au-delà du nouveau quartier un terrein comme celuy qui est à la queue d´Enay pour l´entrepôt du bois à bâtir, donc suivant luy-même il ne faut pas compter cet article pour un avantage de son plan. D´ailleurs pour laisser une langue de terre pareille au bout de son nouveau quartier, il faudra qu´il fasse passer la Saône ailleurs que dans l´endroit où il l´a fixé.
L´entrepreneur ajoute en présentant l´avantage des chantiers de bois que le nouveau quartier est nécessaire parce que les marchands de bois à bâtir n´ont point d´endroit couvert pour les emmagasiner, ce qui est, dit il, un grand inconvénient pour les bois de charpente. Si ces marchands avoient besoin de magasins, il y a 600/mille pieds de terrein clos de murs loués à des jardiniers dans le quartier d´Enay, à un denier le pied par an, il y a dans chaque emplacement quelque petite habitation où il est très aisé de jetter des engards ou apentis contre les murs de clôture ; cependant on ne voit pas que des marchands de bois y mettent l´enchère, et ce sont des jardiniers qui y sèment des légumes. On a d´ailleurs l´emplacement des jardins qui sont au-dessous des remparts où l´on peut faire tous les chantiers nécessaire sans qu´il en coûte un sol.
6° Inconvénient, incertitude des levées des moulins. L´entrepreneur ne scait point encore luy même de quelle espèce de moulins il se servira. Il dit que d´habiles mécaniciens y travailleront. Ces moulins sont le principal objet sur lequel il fonde l´utilité de son projet et il n´a lui-même rien de certain sur cet article, mais ce qu´il y a de sûr c´est qu´il ne peut point employer les moulins à batteaux ou moulins flottans, et que les moulins fixes auront de très grands inconvénients dans cet endroit ; le canal de fuite et celuy de l´embouchure des moulins gèleront facilement parce que l´eau aura fort peu de pente dans cet endroit.
Après avoir examiné les principaux inconvénients de ce projet, il ne reste plus qu´à faire quelques réflexions sur les avantages que l´entrepreneur prétend que la ville y trouvera.
Quant à la sûreté de la navigation, des moulins et à la commodité des chantiers de bois à bâtir, ce que l´on a observé plus haut paraît suffire.
La santé des citoyens exige, suivant l´autheur, qu´ils ayent d´autres promenades que celles des Brotteaux, des différents faubourgs des remparts de la place Royale et des quays. L´on sent assez combien cette raison fondée sur la santé des citoyens est frivole.
Les bains remplis d´une eau bourbeuse et presque dormante seroient puants, mal sains, et deviendroient un repaire de reptiles et d´insectes venimeux. On pense même que si quelqu´un en construisoit de pareils, le bureau de la santé seroit obligé de la deffendre. La gare des batteaux est une autre chimère ; premièrement cet endroit sera bientôt atteri, étant derrière une espèce de jetée, ce ne seroit qu´un amas de bois et d´eau croupissante. Secondement suposer que les moulins à draguer fussent employés aux frais de la ville à mesure que cette mare se combleroit, de quelle utilité seroit-elle pour les marchands qui sont ceux qui feroient les frais de faire descendre leurs batteaux, coches et diligences pour les remonter et passer 3 ou 4 ponts. D´ailleurs quelle sûreté y trouveroient-ils, cette garre seroit réceptacle et le magasin des glaces qui s´y amoncelleroient très facilement.
La nécessité où la ville est d´avoir des magasins de bled et l´embarras où sont les marchands de bled de trouver des magasins à louer est encore une autre supposition dépourvue de toute vérité. Les Greniers d´Abondance très bien placés pour le chargement et déchargement sont à louer depuis longtems, ceux de M Deschamp en terein sont dans le même cas ; la ville vient de vendre ceux de la Petite Abondance voyant leur inutilité et ils étoient loués à un potier de terre. L´autheur du projet ignore sans doute les frais qu´occasionnent un marché de grains, les chargements et déchargements, lesquels joints à ceux des loyers des greniers et ceux d´achat des grains deviennent très considérables. Il ignore sans doute que pour éviter ces frais et déchets, ceux qui font le commerce des grains les laissent dans le batteau jusqu´à ce qu´ils les vendent à un boulanger, ou pour descendre hors de la ville. Il ignore sans doute encore que de descharger des bleds en grenier occasionne double frais de mesurage, l´un en le sortant des batteaux, l´autre en le sortant des greniers, et qu´en le laissant dans les batteaux un seul mesurage fait loy entre les marchands et le boulanger comme entre le marchand et celuy qui l´achète pour le sortir de la ville. Il n´est pas possible d´augmenter les frais sur les grains sans que cela n´influe sur le prix du pain.
Un des grands avantages que le sieur Perrache prétend que l´on trouveroit dans son plan, c´est la diminution des loiers. La cherté des louages vient-elle de ce qu´il manque du terrein pour bâtir, ou de ce que chacun veut habiter dans l´endroit le plus commerçant et de ce que le commerce exige que les marchands et les artisans soient réunis, et le plus près des uns des autres qu´il est possible, ne vient-elle point aussi de la cherté de la construction.
Il est clair que les loiers sont chers dans le millieu de la ville, mais depuis la porte St Georges jusqu´à celle de Vaize, il y a une espace de plus d´une demie lieue de long et rempli de maisons où l´on a souvent de la peine à trouver des locataires ; dans la rue Juiverie qui est le centre de ce quartier il y a des appartements très vastes, très commodes et très ornés qui restent deux ou trois ans vuides, et que cependant on loue à très bon prix, et dans le quartier de St Georges et de Bourgneuf il y a quantité d´appartements très propres pour des ouvriers et très clairs que l´on laisse à bas prix et qu´on a peine à louer.
Il dit que la plus grande partie de Lyon est resserré entre le Rhône et la Saône, et il prétend qu´il est utile à la ville d´augmenter la longueur de cette partie.
Depuis les capucins derrière la rue Ste Catherine, c´est à dire du pied de la montagne jusqu´au confluent, il y a une espace de 900 toises de long qui peut se diviser en 2 parts égales, l´une peuplée depuis la rue Ste Catherine jusqu´à la rue St Dominique, l´autre dépeuplée depuis la rue St Dominique jusqu´à Enay. C´est là où l´on trouve ces emplacements immenses dont les propriétaires ne savent que faire et qu´ils louent les jardins à peu près à un denier le pied par an ; cette partie dépeuplée est aussi grande que l´autre.
Les parroisses de St Georges, de St Pierre le vieux, de St Paul et le quartier de Bourgneuf font à peu près un tiers de la ville et occuppe comme on l´a dit une espace de près de demi lieue de long. Non seulement les négociants, mais presque tous les ouvriers aisés abandonnent ces quartiers là ; la paroisse d´Enay fait presque un autre tiers de la ville et elle est encore dépeuplée depuis plus de dix huit cents ans qu´il y a des habitations et depuis cent soixante ans qu´on a environné ce quartier d´un rempart couronné...
Si l´on donne 800 sols d´une boutique dans le voisinnage des Terreaux ce n´est pas parce qu´on ne scait où se loger, car on en auroit à 100 sols vers Enay, et même à 60 ou 80 sols, mais c´est parce qu´on veut se loger dans un endroit commerçant.
La spéculation qu´il propose est aussi fausse que si quelqu´un à Paris proposoit d´agrandir les marais et les porcherons et de porter le boulevard dans la campagne parce que les loyers sont chers dans les rues St Denis et St Honoré.
Il est constant qu´on a nul besoin de terrein, ny de bastiment dans Lyon, mais qu´on y a grand besoin d´hommes pour occuper les terreins vagues ou les quartiers abandonnés dont on a parlé.
L´embarras où l´on est de trouver des emplacements pour bâtir est encore une supposition ; dans la seule parroisse d´Enay, il y a plus de six cent mille pieds de terrein à vendre ou à bâtir, ceux de St Joseph vont à cent quatre vingt mille pieds, ceux de l´Arsenal sont plus considérables, ceux du sr Giraud architecte vont à plus de quarante mille pieds ; il y a outre cela plusieurs particuliers qui ont des terreins de 10, de 15 et de 20 mille pieds sans y comprendre ceux de l´abbaye d´Enay et de l´isle de la Charité.
Enfin le dernier avantage présenté par l´entrepreneur est le gain de seize cent mille livres. Il est sûr, dit-il, (à la fin de ses premières réponses), que la ville y gagneroit au moins seize cent mille livres.
1° la directe de ce quartier neuf est évaluée à six cent mille livres par l´entrepreneur, mais si le terrein au lieu de valoir 945 000 livres n´en vaut pas la moitié, si le terrein de St Joseph a été estimé 10 sols le pied le long des remparts, si aujourd´hui la plus grande partie des terrains à vendre ou à louer, quoique clos de murs suffisament élevés et à l´abri des inondations, se loue en jardins sur le pied de 80 # la bicherée, ce qui revient à peu près à un denier le pied ... que vaudroit son terrein exposé aux inondations, sur lequel il faudroit faire des apports de terre considérable et qui ne seroient pas clos de murs, si la valeur est si peu de chose, que sera celle de la directe. D´ailleurs l´entrepreneur demande quatre mutations.
Second objet de gains pour la ville, 400 000 [ que celuy qu´il faudroit servir aujourd´hui ...] sur la dépense du chemin d´Oullins depuis la Quarentaine jusqu´à la Mulatière. Pour faire ce chemin, il faudroit combler une partie du lit du Rhône ; il devrait être lié en droite ligne le long du canal de fuite des moulins ; le remblais de partie du Rhône et l´entretien de ce chemin le long du canal de fuite seroit un objet plus considérable que celuy qu´il faudroit servir aujourd´hui ...
Troisième objet de gain, la ville, dit-il, trouve dans ce plan un moyen pour faire le quay de la Pêcherie sans rien débourser pour le dédommagement des propriétaires. On leur donne, dit-il, autant de terrein à une demi lieue du centre de la ville qu´ils en ont au centre et on leur deffendra de faire des réparations à leurs maisons.
Tel qui aura 3 ou 4 000 # de rentes au centre de la ville aura en échange un terrein à l´extrémité que l´entrepreneur estime 18 sols le pied, qui n´en vaudra pas 4 et qui ne rendra pas un sol à des gens ruinés par la destruction de leurs maisons et qui n´auront pas de quoy bâtir.
Il estime tout son nouveau terrein 945 000 #, estimation chimérique, il n´en trouvera pas 400000 #, supposé que les ouvrages puissent s´exécuter et ce quartier ne sera pas peuplé d´un siècle. Il convient lui-même qu´il ne le sera pas d´un demi siècle.
Il proposoit de donner la cinquantième partie de ce terrain aux propriétaires de ces maisons qui valent aujourd´hui selon l´autheur un million deux cent vingt mille livres Il a ajouté depuis que l´on donneroit à ceux dont les maisons sont bonnes et peuvent durer longtems un sixième de la valeur en argent comptant et une rente viagère de la valeur d´un autre sixième, de manière que les propriétaires supporteroient les deux tiers de la perte et la ville l´autre tiers , qui n´auroit d´autre espérance que la vente du dit terrein de la rue actuelle de la Pêcherie que les propriétaires des maisons vis à vis ne voudroient peut être pas achettées.
Quand à la conduite du projet en général, on trouve des variations dans les réponses de l´autheur, dans les plans, dans les mesures, dans les calculs. Messieurs les commissaires dans l´examen qu´ils en ont fait, ont trouvé non seulement des erreurs de calcul remarquables, mais même des articles très dispendieux omis. Ils ont reconnu avec l´autheur la différence du plan du local présenté à Paris d´avec le second qu´il a donné icy dans le mois dernier. Cependant le local n´a pas changé. L´autheur ne paroît pas certain des points essentiels et fondamentaux de son entreprise. Il ne sait point encore précisément quel sera l´effet de la machine à draguer, ny ce qu´elle pourra faire dans un fleuve très impétueux et dont le lit est plein de gros graviers et de cailloux et cependant le dragage peut coûter des sommes immenses et faire manquer seul l´entreprise.
Les moulins sont le premier objet de son entreprise et ils ne sont pas encore imaginés. Il fixe le nombre des meules à 14 sans pouvoir démontrer ce que chaque meule fournira de farine par jour et si au total ces moulins suffiront pour la nourriture des habitans ou si elles ne fourniront que la moitié, le tiers, le quart.
L´autheur n´a pareillement aucun engagement, aucun acte, aucun receu qui doivent fournir les fonds, aucune personne commise ne paroît dans cette entreprise, et les démarches et réponses de l´entrepreneur font croire que la compagnie n´attend pour se former que l´assemblée ait adopté le projet du sr Perrache. Les mémoires de l´autheur sont plein de contradictions. Il dit dans le premier que les pilotis causent des affouissements et il en met un rang devant son ouvrage qui n´est pas fondé.
Il dit page 11 que sa digue sera formée des attérissements prodigieux derrière elle et quelques lignes plus loin il dit qu´elle empêchera la garre à batteaux de s´atterir.
Il dit qu´il aura fini dans cinq ans et qu´au bout de ce tems tous les fonds rentreront et dans son compte il tire dix années d´appointement pour le conducteur des travaux et dix années pour l´ingénieur
Dans son plan et son mémoire présenté à Paris, il place la construction en maçonnerie pour les moulins au milieu du confluent actuel, et au plus profond du lit du Rhône, vis à vis la Quarantaine. Dans des observations particulières présentées en même tems, il dit que l´endroit où se font ces constructions est déjà tout attéri, et il a dessiné un gravier en cet endroit sur son second plan.
Il dit que l´eau de la Saône qui entrera dans le canal d´embouchure de ces moulins y aura beaucoup de rapidité et il dit dans une de ses réponses qu´elle y sera dormante. En un mot, ses mémoires, ses plans et ses réponses présentent beaucoup d´incertitudes, de variations, rien de sûr, point de machines à draguer, point de moulin, point de compagnie, point de gain, point de sûreté, des obstacles immenses, des inconvénients réels et des avantages qui paroissent chimériques.
L´autheur demande à la ville la cession de la maison de la Quarantaine, des droits de pêche, de chasse et d´affranchisement de toutes les directes, tant sur l´isle Mogniat que sur tous les attérisssements qu´il fera jusqu´à la mutation, condition à laquelle la ville ne peut s´engager, ny même se joindre au sr Perrache dans la crainte de rester responsable vis à vis des différents seigneurs des dédommagements qu´ils seroient en droit de prétendre ; il demande encore le dixième de la directe pour se charger de l´entretien des constructions, et la liberté d´établir toutes les machines qu´il voudra, ce qui le rendroit, dans une ville de manufacture, seul maître de tous les artifices qui sont utiles au commerce ... "