La question du traitement urbain du débouché du pont de la Guillotière sur la rive gauche du Rhône se pose depuis le comblement des dernières arches du pont par le promoteur et ingénieur André Combalot en 1825. Ces travaux ont eu pour effet de déplacer le point de contact entre le pont et la rive au sud de la place du pont (place Gabriel-Péri).
La place du Port-au-Bois (2e quart 19e siècle ?)
En 1830, le cours de Brosses est construit sur l'emplacement des sept arches occidentales Amorce de l'actuel cours Gambetta, il forme un prolongement monumental à la chaussée du pont. La digue de la Vitriolerie construite à partir de 1825 délimite un bas-port appelé port Combalot. Vite colonisé par les chantiers de tailleurs de pierres, il est appelé Port-aux-Pierres et forme pendant au Port-au-Bois, situé en amont du pont.
Un plan daté de 1842 fait apparaître, au nord du pont, un espace réservé pour une place publique dite place du Port-au-Bois. Elle est implantée perpendiculairement au Rhône, à l'emplacement actuel de la place Jutard.Projet de nivellement du cours de Brosses, montrant la place du Port-au-Bois en 1842 (AC Lyon 3 S 72)
Quelques années plus tard, le second plan d'alignement de la commune de la Guillotière, le plan Van Doren, prévoit au même endroit une place beaucoup plus vaste, implantée parallèlement au Rhône, dont l'emprise court du cours Gambetta à la rue Chaponnay. D'abord appelée place Napoléon, elle deviendra la place de la Victoire en 1854.
La place de la Victoire a totalement disparu aujourd'hui. Une partie de cette place est distraite de l'ensemble pour créer les squares de la Guillotière et est devenue l'actuelle place Antonin-Jutard. Le reste de la place est encore fortement réduit par la construction d'immeubles en bordure du quai de Joinville et sur la rue Basse-du-Port-au-Bois. Le dernier espace public subsistant est supprimé avec l'édification du Palais de la Mutualité en 1910.
Le projet Rey (1854)
En 1854, l'esthète Étienne Rey, peintre et ancien conservateur du musée de Vienne domicilié rue Passet, publie un fascicule proposant la création d'un parc public à l'emplacement des trois arches du pont surplombant le bas-port, qu'il décrit comme un foyer d'infection.
« Dans ce lieu, à vingt mètres de riches habitations, l’on entasse journellement des débris de végétaux et d’animaux, qui se convertissent en boue infecte. L’absence de latrines publiques dans ce quartier conduit aussi sous ces arcades tous ceux qui ont des besoins à satisfaire. Il n’est pas une personne qui, en traversant le pont de la Guillotière ou en passant sous l’arcade qui communique du marché au quai Combalot, ne soit offusquée d’un spectacle où la décence, la vue et l’odorat sont justement blessés par tout ce qu’il y a d’ailleurs de contraire aux lois de l’hygiène la plus vulgaire. Enfin, si les eaux de pluie viennent se mêler à ces ordures de tout genre, comme elles y sont sans écoulement, elles donnent lieu aux émanations les plus fétides dont il est facile de comprendre tout le danger. »
Il suggère la création d'une promenade sur toute la profondeur des trois arches, de part et d'autre du pont soit de la rue Montebello au nord à la rue d'Aguesseau au sud. La dernière arche serait transformée en passage cocher joignant la place Napoléon au nord et une promenade plantée d'arbres au sud (dotée d'un hémicycle de verdure, d'un bassin avec statue et d'une buvette), la seconde arche abriterait deux cafés ouvrant de part et d'autre, la plus proche du fleuve serait conservée comme pré d'étendage du linge ou jeu de boules. Rey envisage deux modes opératoires possibles, la maîtrise d'ouvrage publique assurée par l’État ou la Ville de Lyon, ou sa concession à « une compagnie de propriétaires riverains concessionnaires d’un bail longue durée, bénéficiant de la plus-value pour leurs immeubles et des produits de location et revenus de la promenade, avec fourniture des eaux par la ville ».
Avec la construction du quai du Prince-impérial à partir de 1859, une pétition des habitants du quai reprenant sensiblement les arguments du mémoire Rey est soumise au préfet en 1860. En effet, la ville et l’État avaient l'intention de vendre à des investisseurs les délaissés de terrains qu'ils avaient acquis pour la construction du quai, et ainsi compenser une partie des dépenses engagées. Les pétitionnaires sont alors suspectés de vouloir empêcher la construction d'immeubles sur l'ancien bas-port et préserver les vues de leurs propres immeubles sur le fleuve.
Les squares du pont de la Guillotière (1866)
Le projet aboutit cependant en 1865-1866 et les deux parcs dits squares de la Guillotière ou squares du Prince-impérial sont aménagés sur les plans de l'ingénieur municipal L. G. Delerue. La maçonnerie est assurée par l'entrepreneur Charles Esculape, les grilles fournies par les Hauts fourneaux de Givors et posés par le serrurier Jean-Baptiste Pitrat. Aménagement de la place des squares. Plan des lieux, 30 décembre 1865 (AC Lyon, 1923 W 12)
Quoique souvent signalés comme trop exigus et inadaptés pour accueillir des rassemblements, les squares accueillent des concerts : prestation de la musique militaire du 4e corps d'armée tous les dimanches à partir de 1866, proposition de la société des artistes civils de Lyon refusée en 1871, puis suppression d'une corbeille de fleurs pour l'installation de la fanfare "La Laborieuse" en 1885.
Conservatrice du patrimoine, chercheure au Service de l'Inventaire (2014- ).