I. Ouverture de l'avenue
L'avenue d'Italie (à l'origine et jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, nommée avenue de l'Esplanade) est la première étape de constitution du boulevard de ceinture. L’ouverture s’opère en deux campagnes. L'acquisition des terrains traversant le secteur sud du quartier de la gare s’achève en 1880, avec l'expropriation des parcelles "Fillias et Paray" (figure IVR84_20236301166NUCA sur laquelle on voit les deux parcelles laniérées orientées sud-ouest - nord-est et la découpe qu'opère le tracé de l'avenue). L'extrait de délibération de la séance du conseil municipal du 10 juin 1885 versé en annexe illustre le fait que l'urbanisation de ce secteur fut lente et soumise à de multiples aléas. On y voit comment l'aménagement d'un quartier peut être le fruit d'une négociation entre la Ville et des opérateurs privés (ici des architectes parisiens). On comprend comment la Ville envisage l'opération en termes d'investissement financier devant générer de futures recettes. On note également la collusion entre discours hygiéniste et volonté de contrôle social (les terrains vagues sans doute essentiellement enherbés sont perçus comme insalubres et comme repaire de "malfaiteurs"). Ce texte évoque le paysage d'une périphérie urbaine, à présent parfaitement intégrée au centre-ville, tout en donnant un aperçu historique des conditions de fabrique de la ville.
L'ouverture du tronçon traversant le secteur nord du quartier de la gare n’est finalisée qu’en 1897. Ce dernier rattache la place des Carmes, important carrefour réunissant les routes de Paris, de Lyon et l’accès à celle de Bordeaux à l’avenue Charras, menant à la gare (voir la figure IVR84_20236300672NUDA sur laquelle le premier tronçon ouvert est figuré en vert et le second en bleu). Malgré l’importance de cette liaison, la solution de continuité perdure environ 17 ans, laissant le soin à l'ancien chemin vicinal n°86 d'opérer la jonction entre l'avenue Charras et la place des Carmes1. La lenteur d'exécution peut, en partie, s'expliquer par les négociations avec les propriétaires. Les parcelles les plus impactées vont jusqu’au procès d’expropriation : ainsi de l’horticulteur dont les serres, installées sur le tracé de l’avenue, doivent être mises à bas, et dont la parcelle d’exploitation est littéralement coupée en deux. De même, un bâtiment adossé à celui qui forme l'angle ouest du débouché de l'avenue sur la place des Carmes, composé d'un "hangar au rez-de-chaussée; au dessus un premier étage en grenier et un deuxième étage également en grenier", est détruit (on voit de nos jours la cour intérieure entre le n°2 et le n°4 de l'avenue, placée là comme une sorte de négatif). Néanmoins, on observe une contestation pour une parcelle en jardin qui n’est que légèrement rognée (voir la figure IVR84_20236300673NUDA sur lequel les parcelles en rouge sont expropriées et les parcelles en vert acceptent l'offre de la ville; la parcelle légèrement rognée est à gauche de l'image, elle appartient à la veuve Gorce-Valleix, répertoriée comme propriétaire d'un commerce de luminaire au 7 rue du Terrail dans l'annuaire du département du Puy-de-Dôme de 1884). Attitude qu'évoque la délibération du 28 décembre 1893 (extrait placé en annexe) par ces mots: "Il est profondément regrettable que le mauvais vouloir de quelques-uns mettent la municipalité dans l’obligation de recourir à l’expropriation et retarde par suite des lenteurs inhérentes à ce mode de procéder la mise à exécution du projet".
II. Mode d'édification des rives
1. Alignement par édifices repères et alignement par rapport à la voie
La partie nord compte plusieurs édifices antérieurs au percement de l'avenue: l'extrémité sur la petite place des Jacobins (ou place des Carmes), l'usine de confiserie Parcelier, allant de l'actuel n°15 à l'angle de l'avenue Charras (figure IVR84_20236301165NUCA, les deux rives du débouché de l'avenue au nord sont édifiées, les bâtiments placés dans l'emprise de la voie correspondent aux serres d'horticulture qui seront détruites, l'usine de confiserie est située en rive est et s'étend jusqu'à l'avenue Charras au sud, on y voit les bâtiments industriels ainsi que la villa toujours présents de nos jours bien que remaniés, (17 Italie, dossier IA63002779, 23 Charras, dossier IA63002774). Le tronçon sud ne semble comprendre qu'un bâtiment, édifié avant 1863 correspondant à l'actuelle moitié sud de l'immeuble du n°62 (il sera doublé en partie nord en 1902). Il est figuré sur le plan d'alignement du quartier de la gare, dressé en 1890, le nom du propriétaire mentionné sur le plan est "Dubrouillet" (figure IVR84_20236301166NUCA sur laquelle on voit la propriété Dubrouillet au sud de la rue d'Ambert et en rive ouest de l'avenue).
Jusqu'en 1902, l'alignement ne s'effectue pas en fonction de l'axe médian de l'avenue mais est commandé par l'implantation d'édifices préexistants (voir figure IVR84_20236301184NUDA sur laquelle sont figurés les édifices servant de repères (en violet et mauve) et les édifices construits en fonction des repères). Ainsi les actuels n°44 et 46 situés au carrefour de l'avenue Charras, construit en 1895, doivent s'aligner sur les angles de l'immeuble Dubrouillet et de la clôture de l'usine Parcelier. Le n°50 (à l'angle de l'avenue Albert et Elisabeth, Sauzet, architecte) devra suivre la ligne de façade des édifices de M. Miolane (au 46) et de M. Dubrouillet. Le n°50 deviendra à son tour un repère d'alignement de façade pour l'édification du n°60 (à l'angle de la rue d'Ambert), tandis que l'immeuble Dubrouillet reste la référence méridionale. En 1899, les n°27 (dossier IA63002782) (Louis Jarrier, architecte) et 31 avenue Albert et Elisabeth (H. Lasfargue, architecte) s'alignent sur le mur de clôture de l'usine Parcelier et de l'orphelinat de la Providence (actuel n°31, dossier IA63002784, parcelle-îlot comprise entre les avenues Albert et Elisabeth et la rue d'Ambert). Orphelinat qui sert de repère, avec une maison désignée par le nom de son propriétaire, Clair, pour l'édification en 1899 du n°41 (nous n'avons pu localiser cette maison mais elle se situe au-delà du n°45 puisqu'elle lui sert de repère méridional en 1902, le nom du propriétaire est mentionné sur le plan d'alignement daté de 1890 sans que soit reporté la maison) (voir figure IVR84_20236301167NUCA, plan de numérotage de l'avenue d'Italie, 1925). Après 1902, l'alignement se fait en fonction de l'axe de l'avenue (soit à 7m50 de cet axe, la voie étant de 15m de largeur).
2. Typologie des séquences d'édification (voir détermination et vocabulaire en annexe)
La période d’édification ex-nihilo commence en 1895 et s’achève au milieu des années 1950. En se reportant à la chronologie des demandes d'alignement (ancêtres des permis de construire), il est possible de discriminer plusieurs mode d'implantation du bâti des rives pour lesquels le débouché de voies perpendiculaires et les carrefours forment des césures.
De la fin du XXe siècle à celle des années 1900 (voir figure IVR84_20236301185NUDA), les constructions se concentrent dans la portion ouverte en premier lieu (du carrefour avec l'avenue Charras à la place de l'Esplanade). Les édifices s'implantent préférentiellement sur les parcelles d'angles des carrefours. Les seules exceptions sont deux immeubles implantés en milieu de front d'ilot, sans mitoyens, de façon autonome. Celui du n°45 transforme la parcelle qui le jouxte au nord en dent creuse qui sera comblée deux ans après (phénomène d'édification en damier, voire glossaire en annexe) et commande le départ d'une édification linéaire en chronologie au sud (du n°47 au n°51, entre 1904 et 1908). Il en est de même du n°28, édifié de façon autonome qui ouvre à l'édification, à partir de 1908, des numéros qui le jouxtent au sud.
Entre le début des années 1910 et la fin des années 1930 (voir figure IVR84_20246301599NUDA), l'édification autonome se poursuit (n°17, 19, 6). On observe un comblement d'espaces sur des périodes ressérées: les n°1 rue d'Alsace et 2 rue Pierre-le-Vénérable, parcelles d'angle donnant sur l'avenue, sont bâties en 1910. L'année suivante, en 1911, les trois immeubles de comblement s'implantent en partant du n°9 pour aboutir au n°11 (voir dossier IA63002776). Les deux extrémités constituent des architectures indépendantes placées latéralement à l'avenue, tandis que les immeubles de comblement revêtent une composition très homogène. Un phénomène de ce type s'observe entre les deux édifices autonomes des n°52 et 68, au sud-ouest. Au nord-ouest de l'avenue, on assiste à la poursuite de l'édification en chronologie linéaire qui avait débuté à partir du n°28 et qui s'achève au carrefour de l'avenue Charras. L'extrémité nord-ouest est marquée par la construction autonome du n°6-8 en 1933, provoquant une dent creuse au n°4, comblée trois ans plus tard, en 1936. Ces années 1920 - 1930, marquent également l'édification du front d'îlot compris entre l'avenue Charras et la rue d'Alsace, au nord-est de l'avenue, par comblement en sandwich et en damier (voir dossier IA63002774 et IA63002779).
Entre les années 1950 et nos jours (voir figure IVR84_20246301600NUDA), l'urbanisation s'achève par comblement de l'espace restant. Il peut être constitué de généreuses parcelles (au nord-ouest, les n°12 - 16 en 1955, puis le n°18 en 1987), ou bien de résidus exiguës (n°29, au sud-est, voir dossier IA63002780). On assiste également à des substitutions d'édifices antérieurs selon diverses modalités : l'immeuble du n°1 à 7, à l'extrémité nord-est de l'avenue, occupe à lui seul l'ensemble du front d'îlot, prenant ainsi un caractère autonome tandis que le supermarché de l'extrémité sud-ouest de l'avenue, se sustituant à d'anciennes villas, poursuit une édification en chronologie linéraire.
III. Fonction des édifices et morphologie urbaine
1. Constitution de la morphologie urbaine
Deux facteurs – type d’alignement par rapport à la voie et coordination architecturale du bâti – concourent à former un éventail de séquences urbaines. L'alignement peut être discontinu pour peu qu'il y ait une rupture du bâti de rive, régularisé par l'édification d'un élément formant raccord avec la voierie (ce que l'on peut nommer d'après Gauthiez (p.292) "alignement régulier par marge de reculement bâtie"), en rupture si un bâtiment adopte un retrait dans une séquence à l'aplomb du trottoir, ou bien régulier s'il se conforme à la position de ses voisins de séquence. Ces cas de figure sont croisés avec la composition architecturale: certains bâtiments reprennent le mode constructif de leurs voisins, créant des effets de combinaison2 ou de collocation3, d'autres s'affranchissent de l'existant (composition indépendante du contexte). L’avenue d’Italie offre quelques séquences relativement homogènes mais surtout des contrastes signifiant une grande variété urbaine (voir figure IVR84_20236301186NUDA qui illustre l'hétérogénéité des édifices tant sur le plan de l'alignement que sur celui de l'architecture). Le croisement de ces observations avec les modes d'édification définis plus haut n'est pas suffisamment concluant pour que l'on établisse un causalité stricte dans laquelle un type d'édification de rive présiderait à une homogénéité architecturale plus ou moins forte. Une édification en sandwich peut, certes, dans le cas d'une construction effectuée durant un laps de temps court, offrir un alignement régulier et des combinaisons de bâtiments (voir figure IVR84_20246300333NUDA, c'est le cas entre les rues Pierre-le-Vénérable et d'Alsace à l'est, ou bien encore entre les rues de Thiers et d'Ambert, îlot ouest); ce phénomène est également vrai pour des séquences d'édification linéaires (celle des n°30 à 34 à l'ouest); cependant, dès que la chronologie d'édification se dilate l'hétérogénéité se manifeste. Il semblerait que le facteur chronologique et l'évolution du mode d'occupation des parcelles soient plus déterminants. Ainsi, la discontinuité d'alignement des édifices de l'extrémité nord-ouest de l'avenue d'Italie s'explique par la présence d'activités industrielles et artisanales ainsi que par l'importante fourchette chronologique d'édification (du milieu des années 1930 à la fin des années 1980 entre le n°4 et le n°18). Il en est également ainsi de l'ancienne usine de confiserie Parcelier dont la trace est encore perceptible de nos jours (du carrefour de l'avenue Charras jusqu'au n°17 de l'avenue d'Italie). Ceci était également valable pour le débouché sud de l'avenue mais les aménagements récents l'ont gommé (à l'ouest les villas et l'activité commerciale d'un négociant en vin ont cédé la place à un supermarché et un immeuble, à l'est un garage automobile et un hôtel de voyageurs ont été remplacés par une résidence implantée en alignement régulier, l'évolution est perceptible en comparant la carte postale de 1959 et la photographie de nos jours.)
2. Profondeur historique : les transformations et la prédominance progressive de l'habitat
A la fin du XIXe siècle, lors de l’ouverture de l’avenue, les parcelles se répartissent entre espace végétal et activités artisanales et industrielles (voir figure IVR84_20236300837NUDA, carte d'occupation des parcelles en 1900 pour la partie nord et figure en cours d'élaboration pour la partie sud). La plupart des constructions ex-nihilo appartient à la catégorie de l'habitat domestique (immeubles ou maisons). La première substitution (destruction et reconstruction en lieu et place) date de 1936 : au n°4 un immeuble (V. Bernard et H. Pouzadoux, architectes) prend la place d'un garage automobile. Par la suite, ces substitutions peuvent prendre une ampleur notable : en 1953, au n°1-7 un immeuble composé de trois corps de bâtiment (Verdier et Fustier, architecte) s'installe à la place d'un édifice qui fut la fabrique et la maison du liquoriste Chardon ; en 1961, au n°72 une villa avec jardin est remplacée par un immeuble à deux corps de bâtiment (Julien Arnaud, architectes). La prédominance de l’habitat parfois couplé avec une activité commerciale ou professionnelle s’affirme dans les années 1970. Enfin, l’habitat seul accompagné d’une globale disparition des espaces verts s’établit de nos jours (voir figure IVR84_20236300838NUDA carte d'occupation des parcelles en 2020 pour la partie nord et figure en cours d'élaboration pour la partie sud) ce, malgré le sacrifice de deux villas en 1987, aux n°64-70, pour la construction d'un supermarché (voir figure IVR84_20246300002NUCA représentant le débouché de l'avenue d'Italie sur la place dite de l'Esplanade en 1959, à l'extrémité gauche l'angle de la villa du n°72, à gauche, l'une des villas remplacé par le supermarché, à droite l'hôtel remplacé par une résidence).
Ces modifications ont eu globalement pour effet de perfectionner l'alignement régulier et de gommer des espacements (en jardin) ou des rupture d'alignement (pour desservir les espaces d'activités industrielles), mais elles ont créé des ruptures d'échelle, renforcées par la tendance à surélever les immeubles d'origine (un cas de superposition illustre bien cela : au n°50 (dossier IA63002778), une villa en rupture d'alignement est remplacée par un bâtiment à l'alignement régulier par marge de reculement bâtie, flanqué par le bâtiment bien plus bas du n°46). Ces ruptures d'échelle, caractérisées par l'apparition de murs d'héberge4 sont nombreuses (une vingtaine). Le débouché de l'avenue sur la place des Carmes illustre ce phénomène (voir figure IVR84_20236300506NUC4A), à l'ouest (droite de l'image) un bâtiment de deux étages carrés antérieur au percement de l'avenue, à l'est (gauche de l'image) un immeuble de neuf étages carrés construit dans les années 1950; phénomène qui se reproduisait jusqu'à l'année dernière au débouché sud de l'avenue mais qui a été gommé par la construction d'une résidence inaugurant l'adoption d'une nouvelle échelle (voir figure IVR84_20236300286NUC4A sur laquelle la rupture d'échelle est moins sensible).
Conservatrice du patrimoine. Responsable de l'unité Ressources du Service Patrimoines et Inventaire général de la région Auvergne-Rhône-Alpes.