Introduction
Les sites industriels occupent une place importante en Auvergne-Rhône-Alpes et les douze départements que compte la Région présentent un large panorama de la richesse et de la diversité des industries. Les secteurs de production ainsi que la taille des établissements sont très divers, allant de la petite fabrique artisanale aux grandes usines à rayonnement national, voire international. La Manufacture française des pneumatiques Michelin, dont le siège se trouve depuis l’origine à Clermont-Ferrand, est de celles-ci.
Par ailleurs, l’histoire urbaine de la ville de Clermont-Ferrand est également un sujet pour lequel l’intérêt va croissant, tant pour les acteurs politiques locaux (Clermont Auvergne Métropole en particulier) que pour les milieux de la recherche (Maison de l’architecture, école d’architecture, service de l’Inventaire…).
Alors que les usines Michelin sont à nouveau au seuil de grandes transformations, cette étude du service de l’Inventaire et du patrimoine culturel est centrée sur l’urbanisme et sur l’architecture des différents sites, afin d’aborder l’ensemble du patrimoine Michelin dans sa dimension locale (commune de Clermont-Ferrand et communes voisines). Elle suit le développement du bâti industriel dans son ensemble (usines, sites de stockage, centres d’essais et de recherche…) depuis le berceau de l’usine, sur la place des Carmes, avant même la création de la Manufacture Michelin en 1889, jusqu’à ses extensions progressives vers le nord–nord-est : Estaing (1913), Cataroux (1921), la Combaude (1960), Ladoux (1965), Chantemerle (1970), le Brézet (1970), les Gravanches (1985). Elle s'accompagne aussi d'une analyse de l’implantation de l’habitat social des cités ouvrières, indissociable de celle des usines et de celle des infrastructures qui y sont attachées, écoles, équipements sportifs, locaux commerciaux, lieux de culte…, afin d’en retracer l’histoire et de cartographier finement leurs différentes implantations, évoluant en permanence.
Outre la commune de Clermont-Ferrand, ont donc été prises en compte pour l’habitat ouvrier les communes d’Aubière, Beaumont, Cébazat, Cournon-d’Auvergne, Gerzat, Lempdes, Mozac et Romagnat.
Les industries clermontoises
Les quelques industries présentes à Clermont-Ferrand au XIXe siècle, avant l’arrivée de l’industrie du caoutchouc, étaient essentiellement des industries agroalimentaires, directement en rapport avec la production agricole locale : le blé dur utilisé pour la fabrication des pâtes, les fruits travaillés pour les fruits confits et les pâtes de fruits, la production laitière pour les fromages et, plus modestement, les vignes pour le vin (et non loin de là, à Bourdon sur la commune d’Aulnat, la culture de la betterave pour le sucre). Cette primo-industrie s’était implantée plutôt du côté ouest de la commune, en direction de Chamalières et Royat. C’est encore dans ce secteur que s’installeront les deux premières usines travaillant le caoutchouc, Torrilhon et Bergougnan.
Ces activités industrielles n’ont cependant pas été à l’origine d’un fort développement de la ville, qui reste alors une petite capitale régionale, sans réelles extensions au-delà de son centre historique.
L’entreprise Michelin et, avant elle, celle des Barbier & Daubrée (unies par des liens familiaux), arrivent sur le marché du caoutchouc à la fin du XIXe siècle. Leur expansion va devenir un puissant moteur de transformation de l’urbanisme existant et favoriser, dès leur première implantation près de la place des Carmes, une réorientation des zones industrielles clermontoises sur les marges est et nord-est de la ville, en direction de Montferrand, tout en restant limitée, dans un premier temps, au périmètre communal. Ce territoire qu’il est convenu d’appeler l’entre-deux-villes, entre Clermont et Montferrand, est un espace d’à peine plus de deux kilomètres de long séparant ces deux villes. Indépendantes jusqu’en 1630, les deux agglomérations ont été réunies par un édit du roi Louis XIII, à l’instigation du marquis d’Effiat, gouverneur d’Auvergne, pour devenir une capitale régionale. Ce projet ne se concrétisera qu’un siècle plus tard au détriment de Montferrand, devenu simple faubourg de Clermont.
À l’origine, selon l’édit, seul l’entre-deux-villes pouvait être construit, à l’exclusion de tout autre bâti dans l’une ou l’autre des deux villes. Cependant, le texte ayant été suivi de peu d’effets après la mort de son instigateur, cet espace correspondait encore dans les années 1830 (soit deux siècles plus tard) à une vaste zone très peu urbanisée. Elle englobait alors de petits domaines ruraux, quelques moulins installés en bordure de la Tiretaine, ainsi que le couvent des Carmes-Déchaux et une caserne.
À la fin du XIXe siècle viennent s’ajouter quelques constructions ainsi que des activités insalubres ou nécessitant des surfaces importantes, et donc indésirables en milieu urbain, telles que cimetière, arsenal, champs de manœuvre, usine à gaz, abattoirs ou encore gare des tramways. En bordure de Montferrand ont été également construits les nouveaux bâtiments des Frères des écoles chrétiennes, à l’emplacement de l’ancien couvent de Récollets détruit à la Révolution. La situation ne semble guère avoir évolué lorsque Michelin implante ses usines et habitations ouvrières sur ce territoire, au tournant des XIXe et XXe siècles.
Cet axe est-ouest se renforce encore dans l’entre-deux-guerres, période de grand bond démographique et de développement de l’industrie et du secteur tertiaire, et se prolonge encore un peu plus à l’est, cette fois en direction des communes périphériques comme Gerzat ou Aulnat. Ce glissement géographique n’est sans doute pas uniquement lié au hasard, mais s’explique aussi par le contexte géographique de la ville, qui offre peu de possibilités d’extensions de cette importance. La Manufacture n’est donc pas la seule à se développer dans cette direction. À partir des années 1950 se crée un mouvement général vers l’est de l’agglomération, lié au développement de l’industrie auvergnate et à ses besoins grandissants d’espaces disponibles. Ce phénomène va aller en s’accentuant à partir des années 1960, mais désormais sur un axe méridien nord-sud, qualifié dans les années 1980 de véritable « axe industriel ». Celui-ci est doublé par des voies de communication importantes, routières (l’ancienne route nationale 9 bientôt complétée par les autoroutes A71 et A75) et ferroviaires (ligne SNCF Paris-Nîmes).
Ce couloir industriel, qui atteint huit kilomètres au plus large vers l’aéroport d’Aulnat, s’étend alors sur une vingtaine de kilomètres de Riom au Cendre, près de Cournon-d’Auvergne. Il accueille des usines et des entreprises commerciales de gros et toutes les infrastructures associées : entrepôts, transports, etc. C’est un ensemble qui mêle des entreprises privées comme Michelin, ou parapubliques comme à Ladoux où Michelin s’est associé à la chambre de commerce, autant que publiques, avec des initiatives communales. Michelin s’est adapté à l’évolution économique de l’agglomération, profitant des tendances de fond pour anticiper son développement.
La Manufacture française des pneumatiques Michelin
. Les usines
(Voir aussi dossier IA63002616)
L’implantation de Michelin à Clermont-Ferrand en tant que producteur de pneumatiques n’est pas le fruit d’un choix affirmé, mais est due à des décisions parfois audacieuses – voire risquées –, prises sur plusieurs générations par des entrepreneurs comme la fin du XIXe siècle et la révolution industrielle en ont beaucoup produit. Cette implantation était d’autant plus improbable que pratiquement aucun des éléments nécessaires à l’industrie pneumatique n’était présent en Auvergne, ni la production de caoutchouc, bien sûr, pas même synthétique, ni les tréfileries pour l’acier, ni la fabrication du noir de carbone…
Cette histoire de la Manufacture clermontoise commence avec le récit quasi mythique des premières fabrications de balles en caoutchouc dans les années 1830 par Elizabeth Pugh-Barker (épouse d’Édouard Daubrée) jusqu’à la reprise de l’usine par les deux frères Michelin, André (1853-1931) et Édouard (1859-1940).
L’établissement de la première usine des Carmes se fait avant l'arrivée des frères Michelin, avec Aristide Barbier et Édouard Daubrée, aux abords de la rivière Tiretaine près du couvent des Carmes-Déchaux. Ces territoires au nord du centre ancien de Clermont étaient occupés au moins depuis l’époque médiévale, voire gallo-romaine : des céramiques retrouvées lors de sondages dans cette zone pourraient attester une occupation entre la première moitié du Ier siècle et le IIIe siècle après J.-C. Par ailleurs des vestiges d’habitations du XIIIe ou du XIVe siècle, dont des fondations, des pieux de bois, des fragments de poteries, de verre… y ont été mis au jour lors du chantier de rénovation de l’usine en 1997.
Les rives ont accueilli, entre autres bâtiments, plusieurs moulins à énergie hydraulique dès le XVe ou le XVIe siècle : un moulin est présent sur une planche de l’Armorial d’Auvergne, Bourbonnais et Forez de Guillaume Revel vers 1450 ainsi que sur une carte de Clermont de 1574, à proximité du château de Bien-Assis. En 1831, le plan cadastral fait apparaître dans cette zone les moulins "de la Place", "Barnier", la maison "Chantoin" [sic] avec manifestement un moulin, et le moulin "Raynaud" au-delà du cimetière des Carmes. C’est sur les bases de cette proto-industrie déjà en place que l’entreprise Barbier & Daubrée va pouvoir se développer. Le moulin de Chantoing se trouve pratiquement à égale distance entre le château de Bien-Assis au nord, le couvent des Carmes-Déchaux à l’est et une caserne au sud, près de la rue des Jacobins.
Il s'agit alors d'un secteur non urbanisé, aux abords immédiats du centre ancien de Clermont, en contrebas du plateau central. Au tout début du XIXe siècle, ces terrains sont occupés par des jardins autour de Bien-Assis, du couvent et sur la rive droite de la Tiretaine, ainsi que par quelques terres labourées à l’emplacement de ce qui sera la place des Carmes et par des vergers sur une grande partie des actuels terrains de l’usine.
Le château de Bien-Assis, petit château fort à l’origine, puis grande demeure achetée par le beau-frère de Blaise Pascal, Florin Périer, en 1652, est acquis par la Manufacture Michelin en 1912, cohabitant ainsi jusqu’à la première guerre avec les ateliers et les cheminées industrielles. Il sera démoli au profit d’un grand atelier en 1917.
Dans la première moitié du XIXe siècle, Édouard Daubrée lance tout juste sa fabrique de balles en caoutchouc aux Martres-de-Veyre, près de Clermont, et propose à son cousin Aristide Barbier de devenir son associé. L’entreprise se développe et vient s’installer à Clermont. Une gravure de 1864 représente l'usine dans le quartier des Carmes, composée de divers bâtiments industriels flanqués de hautes cheminées, implantés sans ordre apparent.
En 1888 André Michelin est pressenti – après maints déboires de l’entreprise – pour prendre la suite de ses grand-père et cousin Aristide Barbier et Édouard Daubrée. Il fait immédiatement appel à son frère Édouard pour venir le seconder. C’est ainsi qu’en 1889 est créée la société Michelin et Cie.
Lorsqu’ils reprennent l’entreprise existante en 1889, l’usine des Carmes (voir dossier IA63002585) est encore exclusivement implantée entre la rive droite de la Tiretaine (une dérivation de celle-ci passant au milieu des bâtiments) la rue des Quatre-Maisons (devenue ensuite rue du Nord puis rue Henri-Barbusse) et la place du Marché-au-Bois. Elle rassemble une douzaine de bâtiments, dont beaucoup ne sont constitués que d’un rez-de-chaussée. La surface bâtie de l’usine ne représente que 5 hectares environ sur près de 12,5 hectares de terrain.
Le deuxième site de l’entreprise, Estaing (voir dossier IA63002586), se développe à partir de 1913 sur environ 14 hectares, à 1,5 km à vol d’oiseau à l’est de l’usine des Carmes.
La rapidité d’expansion de ces sites est significative de la volonté de développement de l’entreprise par les deux frères. Mais malgré cet accroissement accéléré des acquisitions, la surface manque déjà aux Carmes. Ainsi dès 1920, à peine un an après l’achat des dernières parcelles aux Carmes, un nouveau site de production est à l’étude un peu plus au nord-est, sur le territoire de Cataroux, dans l'entre-deux-villes évoqué plus haut. L’usine de Cataroux (voir dossier IA63002580) s’installe au début des années 1920 sur des terrains représentant une quarantaine d’hectares peu à peu dévolus aux divers ateliers et autres bâtiments.
C’est seulement dans les années 1960 que de nouveaux sites industriels voient le jour : le site de la Combaude (voir dossier IA63002581) en 1960, le site de Ladoux ensuite (voir dossier IA63002584), à quelque 10 km au nord de Clermont-Ferrand, à partir de 1963 (il est inauguré en 1965), puis le site de Chantemerle (42 hectares) en 1970 (voir dossier IA63002582) et en 1985, enfin, le site des Gravanches (voir dossier IA63002583) à proximité de celui de Chantemerle. Signalons enfin la création d’un centre de commerce (centre-livreur) dans le quartier clermontois du Brézet en 1970.
Plus éloignés du centre même de Clermont, ces sites se développent toujours dans la direction du nord-est ou de l’est mais vont peu à peu sortir de la commune. Ce sont les cas de Chantemerle, qui empiète sur la commune de Gerzat, ou du site d’essais et de recherches de Ladoux, installé à cheval sur les quatre communes de Cébazat, Gerzat, Châteaugay et Ménétrol.
. L’habitat ouvrier
(Voir aussi dossier IA63002617)
Les achats fonciers de Michelin notamment au nord-est mais aussi au sud en direction de Beaumont et Aubière, où les prix du foncier étaient alors peu élevés, sont aussi mis à profit pour un autre volet essentiel des activités de l’entreprise, l’investissement dans le social, avec la construction d’un habitat ouvrier destiné à son personnel. À cette fin, l’entreprise va acquérir quelque 210 hectares de terrain, principalement pendant l’entre-deux-guerres.
La Manufacture investit massivement dans l’habitat ouvrier, à la fois parce qu’elle considère cela comme un devoir, et par intérêt. Pour Michelin, une façon de fidéliser ses ouvriers est de leur offrir des logements modernes et abordables : on peut parler d’un contrat "gagnant-gagnant" entre Michelin et son personnel. Mais l’une des principales raisons de la mise en chantier d’habitations est la pénurie de logements à Clermont-Ferrand. Dans la première moitié du XXe siècle, l’habitat du centre-ville est très dégradé. Les logements ne sont plus suffisamment nombreux lorsque l’industrialisation de la ville connaît un fort développement : de 500 personnes employées par Michelin en 1903, on passe à plus de 5 000 en 1914, puis à 19 000 en 1926. Le personnel de la Manufacture atteint son chiffre le plus haut dans les années 1980 avec environ 30 000 salariés.
Si Michelin essaie d’inciter ses ouvriers à s’installer dans les anciens bourgs viticoles délaissés après les ravages du phylloxéra, l’entreprise va cependant réaliser un grand nombre de cités ouvrières, au rythme d’environ 500 logements par an entre 1920 et 1930, pour atteindre plus de 3 500 logements en 1926. Jusqu’en 1980, ce sont autour de 8 000 logements, pour les familles comme pour les célibataires, qui ont été créés dans les principales cités : Chanteranne (voir dossier IA63002592), Chanturgue (voir dossier IA63002593), Lachaux (voir dossier IA63002599), l’Oradou (voir dossier IA63002601) et la Plaine (voir dossier IA63002602), qui représente à elle seule près de 1 200 logements. Environ 10 % des habitations sont destinées aux employés et aux ingénieurs, répartis dans certains quartiers spécifiques, comme dans la cité de la Plaine, ou dans des cités qui leur sont entièrement réservées comme celles du Ressort ou des Neuf-Soleils.
Les cités édifiées avant la Seconde Guerre mondiale forment peu à peu, avec les usines, une "banlieue" concentrée à l’intérieur du territoire communal. L’extension hors de la commune ne se fait qu’après-guerre, dans les années 1950-1960, avec environ une moitié des constructions réalisées en dehors de la ville. Il a fallu trouver de nouveaux terrains dans les communes avoisinantes : Aubière (voir dossier IA63002619), Beaumont (voir dossiers IA63002620 et IA63002670), Cébazat (voir dossier IA63002671), Cournon-d’Auvergne (voir dossier IA63002675), Gerzat (voir dossier IA63002672), Lempdes (voir dossier IA63002676), Mozac (voir dossier IA63002677) et Romagnat (voir dossier IA63002673). Cette extension a été rendue possible par le développement des moyens de locomotion désormais plus nombreux : des lignes de transports en commun, des systèmes de navettes et un usage plus répandu de l’automobile, même chez les ouvriers, facilitent les trajets entre habitation et usine (sans oublier les déplacements à vélo, sans doute nombreux).
Désormais, sur la commune de Clermont-Ferrand, l’inscription de ce nouvel habitat Michelin dans la ville ne se fait plus tout à fait à l’écart de toute urbanisation, et vient accompagner un développement général de l’agglomération. Anciennes et nouvelles constructions Michelin se côtoient lorsque le foncier s’y prête : les maisons du Bas-Champflour (voir dossier IA63002611) ou Barbier-Daubrée (voir dossier IA63002588) s’implantent à proximité de Chanteranne et à peu de distance du côté nord de l’usine des Carmes. De même, les immeubles des Planchettes (voir dossier IA63002596) et les pavillons de Grandsaigne (voir dossier IA63002598) sont tout proches de Fontcimagne (voir dossier IA63002597), et la nouvelle cité de Champratel (voir dossier IA63002591), en bordure de la route de Riom, n’est qu’à quelques encâblures de celle de la Plaine.
Dans ces lotissements sont également implantées des églises, des écoles maternelles et primaires avec souvent, à proximité, des installations sportives, de santé et des SOCAP (Sociétés coopératives d’approvisionnement du personnel Michelin). Une "ville dans la ville" comme on a coutume de le dire, à ceci près qu’en sont exclus tous les espaces urbains d’une véritable agglomération, comme les places, les parcs et autres lieux de rencontres ou de rassemblement possibles.
De nos jours, et malgré plusieurs démolitions, on dénombre encore sur l’ensemble de l’agglomération clermontoise près d’une quarantaine de cités ou immeubles Michelin de toutes tailles, de l’immeuble isolé au petit groupe de quelques maisons, jusqu’à celui en rassemblant plusieurs centaines. Ces cités sont réparties sur neuf communes, dont celle de Clermont-Ferrand.
. Les œuvres sociales
Écoles
Dès la création des premières cités naît l’idée d’assurer l’éducation des enfants du personnel dans le cadre même de l’entreprise et avec ses valeurs. La création d’un patronage et d’un ouvroir pour fillettes et jeunes filles est initiée par l’épouse d’Édouard Michelin, Thérèse, en 1912. Deux types d’écoles sont envisagés : celles d’enseignement général pour les plus jeunes, puis les écoles professionnelles, préparant ensuite à une entrée sur le marché du travail au sein de la Manufacture. Cela se concrétise très vite par l’édification d’écoles primaires et maternelles au sein des cités, mais aussi avec la création d’une école d’apprentissage pour garçons en 1924 (la Mission). Ces établissements sont au nombre de dix (regroupant six écoles maternelles, huit écoles primaires et deux collèges d’enseignement général) lorsqu’ils passent sous la tutelle de l’Éducation nationale en 1968 (transfert concernant uniquement l’enseignement général), mais auraient été dix-sept en 1927 et vingt-et-un au début de la Seconde Guerre mondiale.
Deux premières écoles sont implantées dans Clermont, une école de filles en 1916 (rue Henri-Barbusse) puis une de garçons en 1920 (avenue Charras). Viennent ensuite les écoles construites dans les cités : deux à la Plaine, les écoles Diderot et Mercœur, une à la Pradelle, une à l'Oradou, un groupe scolaire à Chanteranne (destiné aussi vraisemblablement aux élèves de Chanturgue, Fontcimagne et plus tard Saint-Vincent) et un autre à Lachaux. Deux établissements avec internat sont également créés autour de Clermont, à Orcines et Volvic.
L’école professionnelle de la Mission créée en 1924 était, quant à elle, installée à proximité de la place et de l'usine des Carmes, dans les bâtiments de l’ancien couvent des Carmes-Déchaux. Elle y restera jusqu’en 2019. À cette date, elle rejoint le Hall 32 de Cataroux, nouveau centre de formation professionnelle porté par une association et dédié aux métiers de l’industrie, installé dans l’ancienne École du pneu.
Enfin, Michelin possédait aussi plusieurs propriétés à la campagne, accueillant pour leur scolarité certains enfants du personnel en difficulté.
Commerces
Les Sociétés coopératives d’approvisionnement du personnel, abrégées en SOCAP, font également partie des œuvres sociales de Michelin. Présentes à proximité des cités, voire dans le centre de Clermont et bien au-delà, ces unités de commerce, de taille variable, étaient à l’origine réservées au personnel Michelin, qui pouvait y trouver des produits alimentaires, d’habillement, d’ameublement et de chauffage (bois et charbon en particulier) à des prix inférieurs à ceux pratiqués ailleurs. À la fin des années 1960, elles s’ouvriront à tous les Clermontois.
C’est vers 1910 que naît la première SOCAP (la SOCAP "Nord") : des bâtiments adaptés au stockage des marchandises en gros et au reconditionnement de détail sont créés sur la rue Henri-Barbusse et au sein-même de l'usine des Carmes. À Cataroux, se trouve la SOCAP "du Clos-Four", elle aussi dans l'enceinte de l'usine. Ces points de vente se sont multipliés au cours du temps, avec le développement des cités tout autour de Clermont. Tous n’ont pas la même taille et, par ailleurs, certaines cités assez proches les unes des autres se partagent une seule coopérative, alors qu’une grande cité comme la Plaine en comptera jusqu’à trois.
Dans les années 1950, ce sont dix coopératives Michelin qui sont mises à la disposition des ouvriers et employés, puis au milieu des années 1970, dix-sept magasins SOCAP sont répartis dans tout Clermont et ses environs : la Plaine Mercoeur, la Plaine Rouvier, la Plaine Verlaine, Chanteranne, Gravière, Clos-Four, Lavoisier, Nord, Blatin, Ballainvilliers, la Pradelle, l’Oradou, Lachaux, Aubière, Beaumont, Pont-du-Château et Riom. Mais c’est aussi dans les années 1970 que ces sociétés d’approvisionnement tendent à être remplacées par des grandes surfaces. Comme pour les cités, dont l’utilité s’est amenuisée au fil du temps, le service offert par les SOCAP a perdu de son intérêt avec l’apparition de ces supermarchés qui offrent à tous une grande diversité de produits à des prix tout aussi abordables. Toutes les SOCAP sont vendues à partir de 1988, à des marques de la grande distribution.
Lieux de sport et de loisirs
L’Association sportive Michelin (ASM), naît en 1911 sur une idée du fils d’André Michelin, Marcel (1886-1945), qui la préside pendant quelques années.
L’ASM encadrait de nombreuses activités sportives (rugby, football, basketball, tennis, escrime, gymnastique…) et, outre un stade avenue de la République (le stade Marcel-Michelin, désormais dédié au rugby), il existait aussi des gymnases, divers terrains de sport et une piscine, connue pour avoir été la première à Clermont-Ferrand dès 1922 et la seule jusqu’en 1952. Plusieurs de ces infrastructures étaient installées rue Montlosier au début des années 1920 et constituaient un véritable complexe sportif regroupant différents équipements pour le tennis, le basket, la boxe, la culture physique et même la pelote basque, ainsi que vestiaires et douches. L’ensemble a été démoli vers 1990, et les terrains vendus.
C’est dans cette dernière décennie du XXe siècle que la plupart des installations sportives de l’ASM ainsi que les bureaux et autres annexes déménagent à la Gauthière, là où un nouveau stade d’athlétisme, à proximité du carrefour des Pistes, avait déjà été installé en 1972. Les terrains de rugby et de football, déjà présents à la Gauthière à cette date, sont alors déplacés aux Gravanches.
Par ailleurs, même si le sport semble avoir été prépondérant parmi les œuvres sociales de loisirs promues par Michelin pour les valeurs qu’il véhiculait, de nombreuses activités culturelles étaient aussi proposées par l’association. On peut citer, parmi d’autres, l’Amicale symphonique montferrandaise (théâtre, danse, orchestre, chorale), l’Amicale des beaux-arts, l’Amicale philatélique, etc.
Hormis les stades et terrains de sport, ces lieux d'activités ont pratiquement tous disparu aujourd’hui, seules quelques photographies témoignent encore de leur aspect et de leur importance. C’est le cas en particulier de la salle des fêtes, qui comptait environ 1 000 places.
Soins : infirmeries, clinique et maternité
La santé et les soins font partie des avantages offerts aux ouvriers et employés et à leurs familles. Outre les locaux de médecine du travail, des infirmeries et des services de secours sont installés sur chaque site industriel. La Manufacture est aussi à l’origine de la construction, dans le quartier des Neuf-Soleils, d’une maternité, d’une crèche et d’un hôpital, aujourd’hui disparus.
Cette clinique des Neuf-Soleils a été construite vers 1925 sur un emplacement choisi pour son caractère aéré dominant les quartiers sud-est de Clermont. Elle accueillait en particulier un service de chirurgie et une maternité de 16 chambres, totalement autonome, ainsi qu’une crèche. Elle était équipée d’installations chirurgicales "modernes". L’édifice principal, entouré d’un petit parc, comportait quelque soixante-cinq chambres, toutes individuelles. Dès l’origine, un pavillon avec jardin pour le médecin chef et une maison pour le concierge y avaient été adjoints. Agrandie entre 1965 et 1968, la clinique a cependant été démolie en 1988, après une réduction progressive de ses activités dès 1978.
Le service de l’entreprise en charge des questions médico-sociales comportait aussi un pôle dédié à la tuberculose avec un sanatorium. D’autres pôles de santé existaient, comme celui pour les soins dentaires ou la maison de repos ; par ailleurs, une équipe d’infirmiers prodiguait des soins à domicile, les soins médicaux étant gratuits. Le cas échéant des allocations (mises en place en 1902) étaient versées aux malades. Originellement installés au cœur du site des Carmes, de nombreux bureaux de ce service médico-social sont transférés en 1971 à l’emplacement de l’ancienne école de la rue Henri-Barbusse.
En outre, dès le début de la guerre de 1914-1918, l’atelier T15 de l’usine des Carmes, bâtiment neuf de quatre étages abritant des magasins de pneumatiques, est converti en hôpital militaire. 320 lits y sont installés, répartis dans sept grandes salles, avec une salle d’opération, une petite salle postopératoire, un service de mécanothérapie, un laboratoire de microbiologie et un de radiographie. Au 3e étage, la terrasse est aménagée avec des massifs de fleurs et du gazon, et "des installations d’héliothérapie". Les cuisines du restaurant de la Coopérative contribuent aussi à l’effort de guerre. Le bâtiment est rendu à ses fonctions industrielles à la fin du conflit. Dans les années 1960 et jusqu’en 2023, l’infirmerie centrale du site est installée au rez-de-chaussée de ce même bâtiment.
Lieux de culte
La foi catholique de la famille Michelin représente une valeur essentielle dans l’organisation sociale de l’entreprise et ses œuvres. Elle se manifeste tout particulièrement dans l’édification d’églises au cœur des cités ; ainsi à la Plaine, avec l’église de Jésus-Ouvrier, et à Chanteranne avec l’église Saint-Vincent-de-Paul (qui desservait aussi les cités de Fontcimagne, du Clos-Chanturgue et plus tard de Saint-Vincent).
L’église Saint-Vincent-de-Paul est construite à proximité du groupe scolaire de la cité de Chanteranne au début des années 1920 et inaugurée en 1927. De plan allongé très simple à l’origine, elle est agrandie avant 1946, avec l’ajout d’un transept qui lui donne son aspect actuel en croix latine.
En 1929, une première église Jésus-Ouvrier est implantée à la Plaine, rue Viviani. De taille assez importante et de conception traditionnelle, elle possédait un plan en croix latine et un clocher-porche assez massif dominant l’entrée. Sa construction avait été étudiée pour une implantation en terrain marécageux, mais le tassement du sol dû à l’assèchement de la nappe phréatique (trop d’eau avait été pompée par les puits des jardins) entraîna son effondrement au milieu des années 1960. Elle est reconstruite entre 1969 et 1971 sur des plans de l’architecte Jean-Louis Jarrier. Le nouvel édifice, tout en béton, a été implanté sur la même parcelle. Il est construit suivant des lignes contemporaines dans l’esprit de Vatican II, avec un plan proche du carré, une toiture en forme de "tente touareg" et un campanile très épuré.
Conclusion
En termes de surface, après un certain nombre de cessions et de démolitions, la présence de Michelin dans la ville est aujourd’hui bien moindre qu’elle ne l’a été au XXe siècle. Les grands chantiers ne manquent cependant pas sur certains des sites de l'entreprise mais, aujourd'hui, l’implication de la Manufacture Michelin dans l’agglomération prend une autre dimension avec de nouveaux programmes, au-delà de la fabrication de pneumatiques, en lien avec les enjeux à venir, de développement durable en particulier. Par ailleurs, la Manufacture et la municipalité de Clermont-Ferrand envisagent désormais en concertation des développements aux objectifs communs.
L’impact de l’entreprise sur la ville reste donc toujours fort mais prend de nouvelles formes. Le vaste projet du Parc Cataroux, mené en collaboration avec Clermont Auvergne Métropole, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et des partenaires privés, consiste en une restructuration complète d’une partie du site de l'usine de Cataroux à l’horizon 2028 ; Il permettra une large ouverture sur le quartier et au-delà. Ce projet s’articulera autour de plusieurs pôles dont ceux des matériaux durables et de la biotech, de l’innovation, et de la culture et du sport-santé. Le site actuel d’environ 42 hectares sera consacré pour plus de la moitié à ce Parc, Michelin conservant en propre 20 hectares. Une part importante du projet sera dédiée au patrimoine de l’entreprise sur un de ses lieux les plus emblématiques, celui des pistes d’essais et d'un des anciens ateliers, auxquels le public aura désormais accès.