Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-
- opération ponctuelle, Patrimoine XXe siècle
- © Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Auvergne Métropole
Dossier non géolocalisé
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Dénominationsmaison
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Aires d'étudesClermont-Auvergne-Métropole
1 - L’un des principaux constituants de l’agglomération
1. 1 - Un nombre impressionnant de nouvelles maisons
Les 21 communes adhérentes de nos jours à Clermont Auvergne métropole (fig. 1) regroupaient 151 127 habitants en 1946, 263 791 habitants en 1975 et 295 787 en 2021. Selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (voir l'Annexe 4)1, en 2021 le territoire de Clermont Auvergne métropole comptait 169 012 résidences principales, dont 107 054 logements abrités dans des immeubles et 61 958 maisons individuelles de tous types2. Sur cet ensemble, 9 331 maisons étaient antérieures à 1946 (15 % du total), environ 15 154 maisons avaient été bâties de 1946 à 1974 (24,5 %) et 37 473 de 1975 à 2021 (60,5 %). Malheureusement, les statistiques de l’Insee ne distinguent pas les maisons singulières des maisons construites sur plan-type, au coup par coup ou en série. En se fondant sur les permis de construire consultés au cours de la présente étude, l’on peut toutefois estimer que les maisons singulières représentent un cinquième de toutes les maisons construites de 1945 à 1975 (soit environ 3 000 réalisations).
Quoi qu’il en soit, ces chiffres montrent que près d’un quart des maisons (tous types confondus) de Clermont Auvergne métropole datent des Trente glorieuses. Cette période de forte croissance a été décisive dans la formation de l’agglomération clermontoise telle que nous la connaissons aujourd’hui. La multiplication des maisons a été une cause majeure de l’expansion périurbaine. Les maisons construites de 1975 à nos jours, 2,5 fois plus nombreuses que celles des trois décennies précédentes, ont conforté ce phénomène en poursuivant la consommation des espaces et en densifiant les secteurs précédemment conquis. Le tissu périurbain de type pavillonnaire est désormais l’un des principaux éléments constitutifs du territoire de Clermont Auvergne métropole.
Dans le domaine de l’habitat, les communes de Clermont Auvergne Métropole n’affichent pas toutes le même visage. Clermont-Ferrand, Chamalières et Royat possèdent davantage de logements en immeuble que de maisons. Ces communes constituent en effet le cœur le plus anciennement et le plus densément urbanisé de l’agglomération. Beaumont et Aubière, qui comptent presque autant de maisons que de logements en immeuble, appartiennent également à cet ensemble (elles ont été gagnées par l’urbanisation au cours de l’Entre-deux-guerres). Les seize autres communes, que l’on peut qualifier de périphériques, possèdent toutes davantage de maisons que de logements en immeuble. Leur périurbanisation n’a commencé qu’après la Seconde guerre mondiale, et pour certaines après le milieu des années 1960. Leurs noyaux historiques souvent denses (villages ou bourgs) ne recèlent de nos jours qu’une infime partie de leur habitat. La plupart présentent une proportion dominante de maisons individuelles et ont un caractère résidentiel très affirmé. À Aulnat, Cournon-d’Auvergne, Gerzat, Lempdes, Pont-du-Château et Romagnat, la part des maisons est moindre, Cournon-d’Auvergne possédant même les caractéristiques d’une « ville nouvelle » où maisons et immeubles de logements récents se mêlent de manière plus équilibrée.
De 1945 à 1975, les cinq communes du premier ensemble urbain ont tout de même vu la construction de 7 091 maisons, dont 4 762 à Clermont-Ferrand. Ce dernier chiffre doit être mis en rapport avec la superficie de la commune clermontoise : ses 43,04 km2 représentent près du double de la surface cumulée des communes d’Aubière, Beaumont, Chamalières et Royat (22,1 km2). De leur côté, les seize communes périphériques ont accueilli 8 063 maisons neuves. La part du premier ensemble s’élève à 47 % du total, celle du second à 53 %. Cela signifie que sur le créneau chronologique étudié, les cinq communes du cœur de l’agglomération ont concentré un nombre encore très important des nouvelles maisons. Après 1975, la situation a évolué : le nombre de mises en chantier de maisons a fortement baissé dans le premier ensemble et a sans cesse augmenté dans le second. La plus grande disponibilité et le moindre coût des terrains à bâtir dans les communes périphériques expliquent cette inversion de tendance.
1. 2 - Les raisons fondamentales d’un succès
Le nouvel essor de l’agglomération clermontoise après la Seconde guerre mondiale a rapidement fait l’objet de statistiques et d’études. Pour une synthèse réalisée « sur le vif » de ce phénomène, le lecteur pourra se reporter au long article du géographe Pierre Estienne, « La banlieue de Clermont-Ferrand, étude sur l’évolution de l’espace urbain », paru en 1970 dans la Revue d’Auvergne3.
Il convient simplement de rappeler les raisons socioéconomiques fondamentales de cette croissance. Dans le cadre général du développement et de la diversification tous azimuts qui a caractérisé les Trente glorieuses, la région clermontoise a connu une forte croissance dans des domaines essentiels : la démographie, l’emploi, le niveau de vie moyen de la population, l’éducation, les transports, le logement. Sur ce dernier point, le début de la période a été marqué par une profonde crise. Sa résolution a engendré un puissant mouvement de construction de logements neufs, avec une nette accélération à partir du début des années 1960. Le déséquilibre entre la demande de logements et la pénurie de l’offre est toutefois resté fort jusqu’aux années 1970.
Le cumul de ces facteurs explique le succès de la maison individuelle au cours de la période, dans la région clermontoise comme ailleurs. De nombreux habitants ont voulu quitter le parc immobilier ancien concentré dans le centre ville et les bourgs. Ce parc, numériquement très insuffisant, était majoritairement composé de logements vétustes, privés des équipements sanitaires de base, étriqués et surpeuplés4. De plus en plus d’habitants de la région clermontoise, implantés depuis longtemps ou récemment arrivés, ont eu les moyens de construire une maison. Situées en ville, dans les zones périurbaines ou dans les campagnes environnantes, ces maisons étaient la promesse d’un cadre de vie plus confortable.
1. 3 - Rappel historique sur la constitution de l’agglomération clermontoise
Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler que le territoire de Clermont Auvergne métropole ne couvre pas toute l’agglomération clermontoise (fig. 1 et 2). Au sud-est et au sud, une partie non négligeable de la banlieue relève de la communauté de communes de Billom et de « Mond’Arverne communauté ». Au sein de ces collectivités, les communes de Chanonat, Les Martres-de-Veyre, Orcet, La Roche-Blanche, Pérignat-sur-Allier et Veyre-Monton ont été touchées à partir de la fin des années 1960 par l’essor de la maison individuelle. Au nord-ouest, les communes de Chanat-la-Mouteyre et de Sayat, membres de la communauté d’agglomération « Riom Limagne et Volcans », ont connu un phénomène comparable dès le milieu des années 1960. Dans le cadre d’une étude plus approfondie des maisons singulières de l’agglomération clermontoise construites entre 1945 et 1975, ces communes devraient donc être prises en compte.
Par ailleurs, les limites de l’agglomération clermontoise se sont bien évidemment élargies sous la poussée de la croissance urbaine. Les services de la statistique, les urbanistes et les géographes n’ont pas tous défini simultanément le même périmètre. Les critères de définition ou les contraintes administratives ont alimenté ces différences, mais surtout la rapidité de l’expansion de l’agglomération a constamment remis en cause les délimitations fixées par les uns ou les autres !
Dans son étude sur l’agglomération clermontoise parue en 1970, Pierre Estienne brosse un état des lieux. Après avoir rappelé que Clermont-Ferrand est restée longtemps une ville moyenne dépourvue de banlieue, mais entourée d’une couronne de villages populeux, il indique les périodes d’entrée des communes dans l’agglomération (fig. 3 et 4). Chamalières et Royat ont ainsi formé avec Clermont-Ferrand une première entité dès la fin du XIXe siècle. Aubière et Beaumont l’ont rejoint dans l’Entre-deux-guerres. À ce premier ajout en segment de cercle allant du sud à l’ouest, sont venues se greffer dans la première moitié des années 1960, du nord-ouest à l’est, Durtol, Ceyrat, Romagnat, Cournon d’Auvergne, Lempdes, Aulnat, Gerzat et Cébazat. De 1965 à 1970, onze communes supplémentaires ont été absorbées par la banlieue (ce qui ne signifie pas qu’à cette date il existait une continuité bâtie entre elles et le cœur de l’agglomération). Du nord à l’est, il s’agit de Châteaugay, Blanzat, Nohanent, Pérignat-lès-Sarliève, Le Cendre et Pont-du-Château, ainsi que Sayat, Les Martres-de-Veyre, Orcet, La Roche-Blanche et Veyre-Monton. En revanche, dans sa définition de la banlieue clermontoise, Pierre Estienne exclut Orcines et Saint-Genès-Champanelle. Selon lui, même si ces deux communes ont enregistré une forte progression de leur population depuis 1950, elles ne présentent encore que des hameaux épars et un grand nombre de résidences secondaires sans structuration.
1. 4 - Trois principaux critères de choix des lieux d’implantation
Le trajet domicile-travail a été l’un des critères déterminants du processus d’installation en nombre des maisons individuelles sur les communes de l’agglomération. Les lieux d’implantation des maisons ont été principalement choisis en fonction de la distance à parcourir, de la facilité, de la durée et du coût de ce type de trajet. Ces critères ont d’abord profité prioritairement aux communes du centre de l’agglomération, là où se concentraient les lieux de travail, en particulier les sites industriels.
Selon Pierre Estienne, « c’est à l’explosion de l’emploi, en même temps qu’à la généralisation des moyens de transports individuels, que la banlieue [a dû] le plus clair de son expansion »5. Une étude de 1971 sur Le Logement dans la région clermontoise relève aussi que « l’automobile [a permis] de gagner des zones de peuplement moins denses, au contact de la nature »6. Les automobiles, de plus en plus nombreuses, mais également les mobylettes, très utilisées dans cette période, ont en effet considérablement contribué à l’allongement des trajets domicile-travail. Les transports en commun ont également joué un grand rôle, tant le réseau public de lignes d’autobus que les services de « ramassage » organisées par les grandes entreprises privées, notamment Michelin (fig. 5).
L’offre foncière, avec son coût et ses délimitations, a été le deuxième critère fondamental pour l’installation en masse des maisons. Du point de vue économique, pour les terrains à bâtir, la période a connu la classique répartition entre des prix plus élevés au centre de l’agglomération et des prix de moins en moins élevés en s’éloignant du centre. Des distinctions localisées ont bien sûr existé, selon l’emplacement précis, le quartier, les secteurs plus ou moins recherchés, la desserte. Globalement, la hausse du prix des terrains a été forte. L’étude sur le logement parue en 1971 mentionne une augmentation « de l’ordre de 15 à 20 % par an depuis une dizaine d’années ». Dans le centre, selon la même étude, les prix ont été multipliés par 20 entre 1952 et 1964, passant en moyenne de 35 francs au mètre carré à 710 francs (ces prix doivent être appréciés en fonction de l’inflation au cours de la période). Les prix pour les secteurs les mieux situés ont atteint de 1 000 à 1 250 francs. Dans le même temps, les terrains constructibles aux abords immédiats du centre sont passés de 24 francs à 290 francs au mètre carré, et de 12 francs à 115 francs dans les secteurs périphériques plus éloignés. Ces chiffres expliquent la relative rareté des nouvelles maisons construites dans le centre ville de Clermont-Ferrand et dans les secteurs recherchés de Chamalières et de Royat (principalement le long des grandes avenues). Ils révèlent aussi l’attractivité économique des secteurs périphériques, où les terrains à bâtir étaient de six à dix fois moins onéreux que dans le centre, voire davantage (en 1965, sur la commune de Saint-Genès-Champanelle, les terrains se vendaient de 4 à 5 francs au mètre carré).
La délimitation du foncier constructible a également beaucoup compté. Les parcelles de grande dimension en centre ville étaient rares et très coûteuses, elles ne pouvaient donc convenir à l’installation de maisons. En revanche, et notamment dans la plaine à l’est de l’agglomération, de grandes parcelles directement issues de l’agriculture ont été loties pour recevoir des maisons. Elles ont accueilli des ensembles de maisons-types construites en série, tel le lotissement Les Pègues à Gerzat (1961), ou des ensembles de pavillons stéréotypés, tel le lotissement Le Grand Champ au Cendre (1974). Ces opérations ont pu générer des groupes comptant de quelques dizaines de maisons à près de deux cents.
Des terrains de superficie moyenne, parfois constitués de plusieurs parcelles réunies à l’occasion d’une opération immobilière, ont reçu des petits lotissements le plus souvent privés. Ce type d’ensemble abonde partout dans l’agglomération, sauf – pour la période 1945-1975 – sur les communes d’Orcines et de Saint-Genès-Champanelle où l’habitat individuel dispersé a primé. Comme pour les grandes opérations mentionnées ci-dessus, ces terrains ont été partagés en lots de forme et de surface plus ou moins régulières mais bien adaptées à l’implantation de maisons de type « pavillons ».
Toutefois, la majorité des maisons construites au cours de la période, et parmi elles la plus grande partie des maisons singulières, sont sorties de terre sur des terrains non concernés par des lotissements petits ou grands. Ces implantations « par saupoudrage » ont donc relevé de l’initiative privée individuelle. Dans ce type d’opération, les vendeurs et les acheteurs ont été plus spécialement confrontés aux problèmes de l’accessibilité, de la forme et de la surface de la parcelle à bâtir. La desserte de la parcelle par une voie d’accès carrossable existante ou à créer, à partir d’une route ou d’un chemin, a pu constituer un écueil ou un atout important. Une parcelle trop grande et mal desservie ne convenait pas, pas plus qu’une parcelle trop petite, trop étroite ou de forme trop irrégulière.
Or, justement, l’essentiel de la région clermontoise, en particulier les secteurs situés sur les coteaux allant de Lempdes à Châteaugay en passant par l’ouest, possédait un parcellaire issu de la viticulture (qui était en voie rapide d’abandon). Généralement très morcelé entre de multiples petits propriétaires, ce parcellaire présentait le plus souvent un découpage en lanières. Pour obtenir un terrain à bâtir de forme et de surface adaptées à la construction d’une maison, il fallait donc fréquemment fusionner plusieurs petites propriétés appartenant à des personnes différentes7. Des caractéristiques du tissu pavillonnaire visible aujourd’hui résultent de cette situation : des alignements de parcelles « en bande » (de forme rectangulaire très allongée), des maisons implantées l’une derrière l’autre par rapport à la rue (la maison à l’arrière étant desservie par un chemin privé perpendiculaire à la rue), des successions de lotissements ne comptant que quelques maisons desservies par des impasses rectilignes.
1. 5 - Quelques critères de choix complémentaires
Le choix d’un site d’implantation d’une maison individuelle a pu répondre à d’autres critères communément partagés (les raisons plus personnelles, voire d’ordre individuel, échappant à notre échelle de lecture).
L’existence et la proximité des équipements publics et collectifs ont probablement joué un rôle. Là encore, le centre de l’agglomération présentait en ce domaine tous les avantages. Toutefois, les communes limitrophes et périphériques n’étaient pas totalement dépourvues. La plupart disposaient de bureaux de postes, d’écoles primaires (de nombreuses écoles furent construites au cours de la période), parfois de garderies municipales de nourrissons. La présence de ces deux derniers équipements pouvait fortement influer sur les choix des commanditaires des maisons, le plus souvent des pères de famille. Par ailleurs, l’offre culturelle et de loisirs n’était pas inexistante : certaines communes disposaient depuis les années 1930 de terrains de sports et de salles de réunion pouvant accueillir entre autres des bals (telle celle de Cébazat, rue Jaurès, Albéric Aubert architecte, 1932). Des cinémas existaient également, par exemple L’Aiglon à Gerzat (26 rue Bonnet-Tixier, 1948, détruit).
Des nuisances ont vraisemblablement eu un rôle dissuasif dans le processus d’implantation des maisons. La pollution est l’une d’entre elles. En raison des vents dominants venant de l’ouest, les communes situées à l’est de l’agglomération subissaient une forte pollution de l’air. Selon Pierre Estienne, celle-ci provenait des usines, « de l’anarchie des moyens de chauffage et de la combustion de débris de pneumatiques dans la zone industrielle de Ladoux ou à Gerzat »8. En outre, ajoutait le géographe, certaines de ces communes recevaient depuis l’ouest les évacuations des eaux usées qui aboutissaient « à des ruisseaux insignifiants, cloaques redoutables que [l’on cherchait] à faire recouvrir ».
Les données climatiques ont pu également influer sur les choix, en particulier la situation contrastée entre la plaine de la Limagne et le plateau des Dômes. Pierre Estienne l’évoque en ces mots : « le plateau des Dômes offre un avantage climatique puisqu’il échappe à l’inversion des températures et à la pollution. Mais il est beaucoup plus froid et plus humide [ce qui impliquait davantage de dépenses de chauffage], avec du verglas fréquent, de la neige et des congères pendant la mauvaise saison ».
Les commanditaires des maisons ont sans aucun doute recherché un cadre de vie plus agréable. Dans le tissu urbain dense, ce type d’habitat permettait souvent de réduire les inconvénients de la ville (notamment le bruit et la promiscuité). Ailleurs, il offrait en outre la possibilité d’avoir de plus grandes surfaces foncières et habitables, de disposer de jardins d’agrément et potagers, de jouir de belles vues et d’un milieu plus naturel. En la matière, le territoire de l’agglomération clermontoise regorge de possibilités. La moitié occidentale est riche de sites à fortes valeurs paysagères et environnementales, notamment les coteaux qui bordent du nord au sud-est le bassin de Clermont. Mais la moitié orientale, avec le cours de l’Allier (à Cournon et Pont-du-Château) et les puys de Bane et d’Auzelle, présente aussi de l’intérêt. Seuls Gerzat et Aulnat, ainsi que les secteurs de La Plaine, Flamina - Les Vergnes et Sarliève, souffrent de paysages peu avenants. Cette large bande sans relief, orientée nord-sud, sépare les parties ouest et est de l’agglomération. Elle a concentré au fil du développement urbain les aménagements à fortes nuisances : voies ferrées, grands axes routiers, aéroport, zones industrielles et commerciales (fig. 6).
1. 6 - La planification et la réglementation urbaines
L’implantation des maisons a dû se conformer à la réglementation urbaine et aux plans d’urbanisme. Cette question complexe nécessiterait à elle seule un long développement qui dépasserait les limites de notre étude. Nous nous bornerons à évoquer les cinq grands cas de figure qui se sont présentés de 1945 à 1975 dans l’agglomération clermontoise (comme dans d’autres agglomérations françaises). Les conditions fixées par ces cas de figure ont été prises en compte lors de l’instruction des permis de construire9.
1. 6. 1 - Avant la Seconde guerre mondiale, Clermont-Ferrand, Chamalières, Royat, Beaumont, Aubière, Ceyrat et Durtol ont élaboré ou ébauché des plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension prescrits par la loi Cornudet (14 mars 1919, modifiée et complétée le 19 juillet 1924). Ces plans présentaient notamment un « zoning » embryonnaire, avec des espaces réservés à la construction de différents types d’habitations. Ils furent partiellement appliqués jusqu’aux années 1950 à Clermont-Ferrand (plan adopté le 30 novembre 1926), Chamalières (plan adopté le 15 mars 1932), Royat (plan adopté le 29 avril 1935), ainsi qu’à Beaumont et Aubière (même si les plans de ces communes ne furent pas officiellement adoptés). Quelques centaines de maisons furent construites en les respectant (par exemple la maison P.* à Aubière et la maison M.* à Royat). Les directives de ces plans complétaient la réglementation locale existante. Ainsi, encore au début des années 1950, les permis de construire délivrés à Clermont-Ferrand faisaient référence au Plan d’extension et d’aménagement de la ville approuvé en 1926, ainsi qu’à des lois, décrets, arrêtés et règlements nationaux, départementaux et municipaux instaurés de 1884 à 1905.
1. 6. 2 - Un Groupement d’urbanisme de Clermont-Ferrand a été constitué le 10 juin 1944 par un décret gouvernemental. Outre la commune de Clermont-Ferrand, ce groupement comprenait les communes d’Aubière, Aulnat, Beaumont, Blanzat, Cébazat, Ceyrat, Chamalières, Cournon d’Auvergne, Dallet, Durtol, Gerzat, Lempdes, Malintrat, Nohanent, Orcines, Pérignat-lès-Sarliève, Pont-du-Château, Royat et Sayat10.
Pour ce Groupement, les urbanistes élaborèrent un « projet d’aménagement intercommunal » et des « projets d’aménagement communaux », bientôt renommés « plan d’urbanisme directeur du Groupement d’urbanisme » et « plans d’urbanisme directeur » des communes. Au fil des années et selon les cas, ces documents furent remaniés et complétés par des « plans d’urbanisme directeur complémentaires » (pour certaines communes) et des « plans d’urbanisme de détail » (pour certains quartiers). En matière d’habitat, ces divers plans comportaient principalement un périmètre d’agglomération et des zones, dont une « zone rurale », une « zone de construction en ordre discontinu » et une « zone de construction en ordre continu ». Il existait aussi la possibilité d’avoir, entre la zone « en ordre discontinu » et la « zone rurale », une « zone intermédiaire » qui devait tenir compte du flou des limites entre la ville et la campagne.
Ces plans, leurs variantes et leurs compléments connurent une application anticipée plus ou moins littérale du début des années 1950 au milieu des années 1970 (fig. 7 à 21)11. Au cours de cette période, ils furent à plusieurs reprises remis en cause. Les municipalités, directement confrontées à l’essor exponentiel des constructions, les trouvèrent souvent inadaptés et trop contraignants. Après 1975, ces documents furent peu à peu remplacés par les premiers Plans d’occupation des sols (les Pos, créés par la Loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967)12.
1. 6. 3 - Avant 1975, les communes encore perçues comme « rurales » (Châteaugay, Le Cendre, Saint-Genès-Champanelle) ne semblent pas avoir appliqué de plans d’urbanisme couvrant l’ensemble de leur territoire13. De même, des parties des communes périphériques comprises dans le Groupement d’urbanisme n’ont pas été englobées dans les périmètres d’agglomération successivement définis sur les plans du Groupement d’urbanisme. Dans ces communes et parties de communes, la réglementation dominante a été celle du Code civil, augmentée par le Code de l’urbanisme et de l’habitation (créé par le décret du 26 juillet 1954, remplacé par le décret du 8 novembre 1973) et par le Règlement national d’urbanisme (instauré par le décret du 29 août 1955, remplacé par les décrets du 30 novembre 1961 et du 8 novembre 1973).
1. 6. 4 - Plusieurs secteurs de l’agglomération ont été concernés par des Zones à urbaniser par priorité (Zup, décret du 31 décembre 1958) et des Zones d’aménagement concerté (Zac, loi du 30 décembre 1967) qui ont pu englober des terrains affectés à la construction de maisons. Ainsi, les quartiers clermontois de Croix-de-Neyrat et de Flamina - Les Vergnes ont été développés dans le cadre d’une Zup créée par un arrêté du 10 juillet 1965. Ils comportaient notamment des secteurs pavillonnaires en partie dédiés à l’accession à la propriété.
1. 6. 5 - Enfin, dans toutes les communes, les lotissements petits ou grands, privés ou publics, ont eu obligatoirement un règlement validé par l’arrêté préfectoral autorisant le lotissement. Ces documents très usuels définirent notamment des règles d’implantation. Ils préconisèrent aussi le respect de caractéristiques esthétiques basiques, par exemple des enduits extérieurs « d’aspect rustique et ocrés dans la masse » et des « menuiseries vernies ou peintes dans des tons discrets ».
1. 7 - Quelques exemples de critères réglementaires
Dans le cadre du Groupement d’urbanisme de Clermont-Ferrand, un règlement du Plan d’aménagement des communes de Clermont-Ferrand, Aubière, Beaumont, Chamalières et Royat fut proposé en 1951. Il prévoyait des règles de construction différentes dans chacune des zones définies14.
La « zone de constructions en ordre discontinu » concernait principalement les secteurs urbains peu densément bâtis, davantage susceptibles d’accueillir un grand nombre de nouvelles maisons. Dans cette zone, en « secteur résidentiel normal », le règlement autorisait à construire sur 50 % de la surface du terrain (ce qui conduisait à des parcelles contenant au minimum de 150 à 200 m2), et sur 20 % du terrain en « secteur résidentiel aéré » (ce qui menait à des parcelles de 350 à 400 m2). Dans les deux secteurs, la hauteur des bâtiments était limitée à 10 mètres ou à trois planchers habitables superposés. L’alignement par rapport à la rue devait se faire selon un recul de 4 mètres, sauf exception ou dérogation.
La « zone rurale » était définie comme la zone non urbanisée qui, en raison de son éloignement, ne pouvait être desservie par les services publics de distribution d’eau potable, d’évacuation des eaux usées, de ramassage des ordures ménagères, etc. Elle comprenait des secteurs ruraux « de transition » et « normaux » dans lesquels des « habitations de plaisance » pouvaient êtres édifiées. Dans le « secteur de transition », le pourcentage construit pouvait s’élever à 1/10e de la surface du terrain (ce qui conduisait à des parcelles mesurant au moins de 700 à 1 000 m2), et à 1/20e dans le « secteur normal » (soit des parcelles couvrant au minimum 1 500 à 2 000 m2). En outre, aucun bâtiment ne devait se trouver à moins de 15 mètres d’un autre en « secteur de transition », et à moins de 30 mètres en « secteur normal »15.
Des exemples de mesures plus générales – qui s’appliquaient indifféremment partout en France dans des secteurs concernés ou non par des plans d’urbanisme – sont fournis par le règlement créé par le décret du 29 août 195516. Plusieurs dispositions concernaient la viabilité (assainissement, adduction d’eau, voirie). Le permis de construire pouvait ainsi être refusé si le terrain à bâtir n’était pas accessible « dans des conditions répondant à l’importance et à la destination » du bâtiment prévu. Cette disposition excluait entre autres la construction de maisons sur des terrains desservis par un sentier ou un chemin non carrossable.
L’un des critères les plus importants pour obtenir un permis de construire était l’accès à l’eau potable. D’après les règlements sanitaires, chaque nouvelle habitation devait bénéficier d’une alimentation suffisante. Or, dans les années 1940-1960, la plupart des communes (dont celles de l’agglomération clermontoise) subissaient des pénuries d’eau. Les réseaux de distribution étaient trop peu étendus et d’une capacité insuffisante. Indéniablement, les difficultés techniques et la charge financière de l’extension des réseaux freinèrent l’étalement urbain (fig. 21 et 22).
La maison F.*, à Clermont-Ferrand (voir dossier IA63003851), illustre de manière originale cette question. Commandée en 1968 par un notaire, cette demeure cossue devait être implantée sur le flanc oriental du puy de Montaudoux (au sud-est de Clermont). Le site, incliné et peu bâti, séparé du reste de la commune par la voie ferrée Clermont-Ferrand-Volvic, se trouvait à l’intérieur du périmètre d’agglomération, en « secteur discontinu normal ». S’il était réglementairement constructible, en revanche le site ne disposait pas de canalisation d’eau potable. Son altitude (500 mètres environ au niveau de la propriété F.*) était trop élevée par rapport aux capacités du réseau municipal existant. Le commanditaire de la villa obtint cependant le permis de construire en prouvant qu’il existait sur sa propriété un puits capable d’alimenter son foyer en eau potable. De nos jours, la maison F.* bénéficie toujours d’une situation isolée dans un secteur désormais inconstructible17.
L’on comprend aisément, à la lecture de ces quelques exemples, les difficultés qui pouvaient naître des règles d’urbanisme et de construction18. Mais force est de constater que dans l’agglomération clermontoise (comme ailleurs), la réglementation mise en œuvre entre 1945 et 1975 n’a empêché ni la densification hétérogène, ni l’étalement urbain désordonné, ni le mitage des paysages ruraux.
Malgré tout, au crédit de cette réglementation, il faut inscrire la quasi préservation de vastes zones naturelles sur les deux tiers du pourtour du bassin clermontois (les coteaux de Lempdes, Cournon, Aubière, Pérignat, Romagnat, Montrognon, Montaudoux, l’escarpement ouest du plateau des Dômes, les côtes de Clermont et le puy de Chanturgue jusqu’à Blanzat et Cébazat, les coteaux de Châteaugay). Il est vrai aussi qu’en raison de leur relief escarpé, beaucoup de ces secteurs se prêtaient mal à l’urbanisation.
1. 8 - Le processus d’installation des maisons
Dans les lieux déjà densément bâtis (le centre de Clermont, certains quartiers de Beaumont, Chamalières et Royat, parfois les bourgs des communes périphériques), des maisons ont encore été construites de 1945 à 1975. Ainsi, à Clermont-Ferrand, la maison B.* est sortie de terre en 1946 sur un terrain de la rue d’Amboise, au cœur de la ville. La maison V.* à Clermont-Ferrand (48 bis rue Dolet, 1961, voir dossier IA63003852), les maisons D.* et V.* à Beaumont (74 et 76 avenue du Mont-Dore, 1948 et 1950, voir dossier IA63003838 et IA63003845), ou encore la maison M.* à Royat (11 avenue Jean-Heitz, 1950, voir dossier IA63003842) témoignent d’implantations aux abords immédiats des centres anciens. Insérées dans un tissu un peu plus aéré, ces réalisations ont contribué à la densification urbaine. Cependant, par rapport à l’ensemble des maisons construites, ce type d’emplacement s’est avéré au fil des années de plus en plus minoritaire.
De fait, ce sont les faubourgs, et surtout les zones périurbaines et rurales, qui ont accueilli le plus grand nombre de maisons neuves. Bien souvent, en colonisant des espaces vides, ces maisons ont été le moyen concret de la jonction entre les communes de l’agglomération. Le processus de leur installation a pu revêtir plusieurs formes, soit simultanément, soit par phases successives. Il n’a pas débuté partout au même moment : généralement – et de manière logique – les communes proches du centre de l’agglomération l’ont connu plus précocement que celles plus éloignées (par exemple Le Cendre).
L’implantation de nouvelles maisons a souvent débuté au sein et dans le prolongement des faubourgs, à proximité des bourgs ou des hameaux, le long des voies d’accès, notamment en bordure des routes de liaison. Avec ce schéma de développement, très commun, des agrégations et des ramifications se sont organisées autour des noyaux existants. Fréquemment, ces maisons ont eu pour commanditaires des habitants des anciens bourgs viticoles devenus des « villages-dortoirs » de la banlieue (notamment Blanzat et Cébazat).
Le « bourgeonnement » a été un autre scénario très répandu. À partir d’une route existante, des ensembles de maisons ont vu le jour souvent à une plus grande distance des noyaux anciens. Ce sont typiquement les petits lotissements, desservis soit par une impasse soit par une voie en boucle.
Les grands lotissements, privés et publics, ont souvent constitué soit des bourgeonnements soit des réalisations quasi isolées. Implantés sur d’anciennes grandes propriétés voisines des bourgs, voire sur des terres agricoles en rase campagne, ils ont généré une urbanisation « en poches » successives. La poursuite du développement pavillonnaire après 1975 a souvent comblé les vides qui les entouraient.
L’étalement périurbain doit aussi beaucoup à l’initiative individuelle, au gré des mises en vente de terrains à bâtir. Une première maison, puis une autre à proximité, encore une autre : ce développement « spontané » a d’abord provoqué le mitage des sites. Dans la plaine et sur les coteaux, la discontinuité de ces implantations a été résorbée par l’afflux continu de nouvelles maisons. Toutefois, le tissu urbain qui en résulte s’avère fortement désordonné et déstructuré. Et, dans les zones encore de nos jours semi-rurales (Orcines, Saint-Genès-Champanelle), près des hameaux ou à l’écart, l’on rencontre de nombreux petits groupes de maisons assez étrangères à leur milieu d’implantation.
Enfin, même si cet aspect apparaît très marginal, le processus d’implantation a produit aussi des maisons totalement isolées dans la campagne. Deux villas exceptionnelles de notre étude en témoignent. La première (la maison T.*, à Saint-Genès-Champanelle, 1971, voir dossier IA63002718) s’élève sur une butte de l’escarpement bordier du plateau des Dômes, au centre d’une propriété de 4,7 hectares. La seconde (la maison F.*, à Royat, également de 1971, voir dossier IA63003863) occupe un site similaire à proximité du puy de Gravenoire. Dans les deux cas, les plus proches voisins habitent à plusieurs centaines de mètres !
Ce rapide examen global, à l’échelle de l’agglomération clermontoise, du processus d’urbanisation généré par l’implantation en nombre des maisons, laisse songeur. De toute évidence, ce phénomène de masse n’a pas produit (ou n’a pas contribué à produire) une structuration urbaine à la hauteur des enjeux. Au cours de la période 1945-1975, le tissu périurbain pavillonnaire ne s’est progressivement constitué que par l’addition d’opérations plus ou moins circonscrites, y compris les grands lotissements dont l’importance numérique reste limitée par rapport à l’ensemble du corpus. La relative homogénéité qu’offre certains secteurs doit davantage à la répétition d’une typologie spécifique qu’à la réussite d’une planification urbaine à l’échelle de l’agglomération.
1. 9 - Les lieux d’implantation privilégiés des maisons singulières
Les critères que nous venons d’évoquer montrent la complexité qui a pu présider au choix des lieux d’implantation des maisons singulières. Dans notre étude, l’échantillon de 48 réalisations présentées dans un dossier apparaît numériquement bien faible par rapport aux multiples cas de figure. Toutefois, quelques grandes tendances peuvent être relevées.
La première reflète la distinction bien connue entre la moitié orientale et la moitié occidentale de l’agglomération clermontoise, la première s’avérant davantage « prolétarienne », la seconde plus « bourgeoise ». Cette caractérisation sociologique recoupe la géographie des lieux, avec à l’est la partie essentiellement située dans la plaine de la Limagne, et à l’ouest la partie principalement constituée de coteaux.
Sans aucun doute, les communes où les maisons singulières s’avèrent plus rares sont Aulnat, Gerzat et Le Cendre. Ce sont des communes de la plaine, placées dans la bande nord-sud à dominante industrielle ou à sa marge. Les prix moins élevés du foncier ont davantage attiré des ménages économiquement modestes. Les nuisances et les paysages moins attractifs déjà évoqués ont pu rebuter les ménages plus riches. Le fait que, pour diverses raisons, les commanditaires moins fortunés se sont davantage orientés vers des maisons à plan-type stéréotypées, explique la rareté des maisons singulières dans ces communes19. Sous une forme moins accusée, l’on retrouve la même situation dans certaines parties d’autres communes, soit situées dans la plaine (Cébazat, Cournon d’Auvergne, Lempdes, partiellement Pont-du-Château et Clermont-Ferrand), soit dans les larges vallées de l’Artière (Aubière, Romagnat) et du Bédat (Blanzat), soit sur les plateaux d’Aubière et Beaumont (Saint-Jacques, Les Cézeaux, Le Masage). Pour les raisons précédemment évoquées, tous ces secteurs ont accueilli la plupart des lotissements moyens et grands, lieux privilégiés des maisons à plan-type construites en série ou au « coup par coup ».
Ce constat général mérite évidemment d’être nuancé. Même si elles sont plus rares, des maisons singulières existent dans tous ces secteurs (par exemple la maison B.-C.* à Aulnat voir dossier IA63002708, la maison B.* à Cournon voir dossier IA63002713, la maison A.* à Lempdes voir dossier IA63002715, les maisons G.* et I.* à Gerzat voir dossier IA63003855, les maisons F.* et P.* à Pont-du-Château, voir dossier IA63002727 et IA63003861). Même dans les lotissements « à architecture libre mais réglementée », lieux favoris des maisons sans originalité, l’on peut en trouver, telle la maison B.* à Le Cendre (voir dossier IA63002724).
L’ouest de l’agglomération, et plus précisément le centre et l’arc de cercle qui l’entoure du sud au nord, possède une plus grande abondance de maisons singulières. Cette concentration se fonde sur d’évidentes logiques socioéconomiques. Elle reflète les lieux où le nombre des ménages aisés (voire très aisés) a proportionnellement le plus augmenté depuis 1945. L’attractivité géographique a fortement joué : les coteaux déjà évoqués, les flancs des vallées à Ceyrat et Nohanent, le plateau des Dômes, offrent presque toujours un environnement agréable (naturel, calme, moins pollué, etc.), des positions dominantes, des vues dégagées (fig. 22 et 23). En outre, les terrains en pente de ces secteurs se prêtaient mieux à des compositions architecturales plus spécifiques, à la fois pour adapter techniquement les maisons au relief et pour obtenir davantage d’agréments. Bien sûr, les implantations sur des terrains en pente entraînaient des surcoûts (terrassements importants, fondations spéciales, murs de soutènement, etc.), ce qui constituait un autre critère sélectif (voire ségrégatif) pour les commanditaires et les types de maisons.
Une dernière raison explique la plus grande fréquence des maisons singulières dans les zones déjà densément bâties, en particulier au centre de l’agglomération. Là, ce sont les contraintes réglementaires et matérielles de l’insertion dans l’existant qui ont joué. Pour bâtir une maison sur une parcelle à fortes particularités, sur l’alignement d’un front bâti, à côté d’un ou de plusieurs bâtiments, ou encore adossée à une ou des constructions, il fallait des plans spécifiquement étudiés. Les maisons clermontoises B.* (1 rue d’Amboise, voir dossier IA63002712) et V.* (48 bis rue Dolet, voir dossier IA63003852) offrent de bons exemples de ce type de réalisation.
2 - Les maîtres d'œuvre
2. 1 - La situation générale
La loi du 31 décembre 1940 instituant l’Ordre des architectes et réglementant le titre et la profession d’architecte assurait la protection du titre et non celle de la fonction20. De fait, pour bâtir, le législateur n’obligeait pas de recourir à un architecte inscrit au tableau de l’Ordre21. La situation qui existait avant 1940 put donc se poursuivre : une part importante des constructions continua d’échapper aux architectes régulièrement inscrits. Dans le cas des maisons individuelles, au cours des années 1945-1975, divers maîtres d’œuvre répondirent aux attentes de commanditaires toujours plus nombreux. Des ingénieurs, des dessinateurs-projeteurs, des métreurs-vérificateurs, des décorateurs, des bureaux d’études, des cabinets d’architecture, etc., intervinrent largement dans ce champ d’activité. Des maîtres d’ouvrages (souvent des personnes exerçant un métier du bâtiment, tels des maçons ou des chefs de chantier) dessinèrent eux-mêmes leur maison avant de la construire.
Par ailleurs, des plans-types et des modèles de maisons furent largement diffusés dans des revues spécialisées, des catalogues d’entreprises de construction, mais également par l’État. Le programme des logements économiques et familiaux (LOGECO), mis en œuvre de 1953 à 1963 à l’échelle nationale, fut l’un des vecteurs de la diffusion étatique. Dans le cadre de cette opération d’accession à la propriété bénéficiant de prêts et de primes, de très nombreuses maisons furent bâties suivant des plans-types homologués mis à la disposition du public par les services administratifs (voir le dossier IA63003867 sur la maison L.* à Lempdes). Après 1965, les « pavillonneurs » montèrent en puissance. Ils conquirent une part de plus en plus importante du marché en commercialisant des modèles de pavillons bien adaptés aux goûts et aux moyens de leur clientèle22.
Même si des inquiétudes sur ces diverses concurrences se manifestèrent dès 1950, les architectes dûment reconnus et inscrits à l’Ordre ne s’en soucièrent guère. D’une part, la conception d’une maison individuelle plus ou moins grande et économique n’offrait qu’une rémunération très modeste. D’autre part, les architectes inscrits avaient le monopole des commandes plus importantes et autrement plus rentables. Les grandes opérations de logements et les bâtiments publics étaient leur domaine réservé (comme architecte de conception ou architecte d’opération). En outre, la profession veilla à limiter l’accès aux écoles d’architecture par un strict numerus clausus. Elle maintint ainsi son effectif total à un niveau peu élevé, ce qui permit de limiter la concurrence entre confrères. Les chiffres sont éloquents : 6 725 architectes étaient inscrits à l’Ordre en 1944, 8 455 en 1960 et 8 842 en 1970 (ils seront 10 342 en 1976, après la relative « libéralisation » de la profession consécutive à Mai 1968). Dans le même temps, la France en plein essor connut une vague inédite de constructions de tous types. Relativement peu nombreux, les architectes « officiels » ne manquèrent pas de travail !
L’Auvergne ne dérogea pas à la règle. Elle comptait 124 architectes inscrits au tableau de l’Ordre en 1945 et 108 en 196723. Le département du Puy-de-Dôme, le plus peuplé de la région, regroupait à lui seul 52 architectes en 1945 et 60 en 1967. Parmi eux, en 1945, 15 étaient titulaires d’un diplôme d’architecte et 34 en 1967. Il convient de rappeler que la loi de 1940 avait autorisé l’inscription d’architectes français non diplômés qui, à la date du 1er septembre 1939, payaient une patente depuis au moins cinq années. D’autres architectes non diplômés avaient aussi pu s’inscrire après avoir réussi des épreuves d’admission.
2. 2 - Les maîtres d’œuvres de l’échantillon étudié
L’échantillon de maisons réuni pour notre étude comporte 93 réalisations documentées (dont 48 présentées dans un dossier, voir les annexes 1 et 2). Parmi elles et à titre de comparaison, trois possèdent un plan-type : les maisons C.* à Cébazat (voir dossier IA63003865), L.* à Lempdes (voir dossier IA63003867) et G.* à Pérignat-lès-Sarliève (voir dossier IA63003860).
Sur les 90 maisons singulières documentées, onze ont été conçues par des maîtres d’œuvre anonymes (voir l'annexe 3). D’après les caractéristiques graphiques des plans, ces concepteurs connaissaient le métier d’architecte. Il pouvait s’agir de collaborateurs d’architectes (dessinateur en agence par exemple) ou même d’architectes inscrits qui, pour diverses raisons, ne souhaitaient pas signer les plans.
Les 79 réalisations restantes ont eu pour auteurs 58 maîtres d’œuvre. Seuls trois d’entre eux n’exerçaient pas dans le Puy-de-Dôme : Lucien Ambrosetti et J.-P. Gauer (maison B.* à Romagnat, voir dossier IA63003862) étaient installés à Paris, Michel Vigneron (maison F.* à Clermont-Ferrand, voir dossier IA63003851) avait son adresse professionnelle à Neuilly-sur-Seine. Cependant, ce dernier était l’un des fils de l’architecte clermontois Valentin Vigneron ; il disposait donc de fortes attaches auvergnates. La domiciliation des autres maîtres d’œuvre était très concentrée dans la région clermontoise, essentiellement à Clermont-Ferrand (28) et à Chamalières (5). Les quelques praticiens les plus éloignés de l’agglomération se trouvaient à La Goutelle, Riom et Vic-le-Comte, c’est-à-dire dans un rayon maximal de quelques dizaines de kilomètres. Cette implantation locale quasi exclusive s’explique par le regroupement logique des maîtres d’œuvre dans la zone la plus habitée et par l’intérêt de limiter les distances entre les agences et les chantiers.
Les maîtres d’œuvre de notre échantillon se répartissent suivant trois statuts professionnels (trois architectes ont un statut indéterminé faute de renseignement). Le premier groupe se compose de 13 architectes non diplômés mais inscrits à l’Ordre des architectes. Le deuxième comporte 26 architectes inscrits à l’Ordre car diplômés par une école d’architecture (DPLG, diplômé par le gouvernement ou DESA, diplômé par l’École spéciale l’architecture). Le troisième comprend 16 maîtres d’œuvre non inscrits au tableau de l’Ordre et ayant des spécialisations variées.
Les architectes du premier groupe ont tous débuté leur carrière avant 1940. Parmi eux se trouvent des personnalités qui ont eu une production de qualité, abondante et variée : Jean Bosser, Antoine Fustier, Georges Guignabert, Jean Guillot, Valentin Vigneron et Élie Marquet (dont l’activité sera poursuivie par son fils Jean-Paul, non inscrit). Jean Bosser et Valentin Vigneron étaient à la tête d’agences importantes (pour l’époque et le lieu). Il est intéressant de noter que l’un et l’autre ne dédaignaient pas le programme des maisons individuelles, y compris des réalisations de dimensions et de budgets modestes (par exemple, de Valentin Vigneron, la maison F.* à Beaumont). Au fil de notre étude, nous avons ainsi trouvé de nombreux permis de construire portant la signature de Jean Bosser, y compris pour des maisons très simples sans grand intérêt architectural. De toute évidence, Jean Bosser – comme d’autres architectes – confiait des projets de petites maisons aux dessinateurs de son agence (ces derniers pouvaient être des étudiants architectes puisque le travail en agence faisait traditionnellement partie de leur formation).
Les architectes du deuxième groupe, DPLG et DESA, appartiennent aux générations qui sont entrées dans la vie active au cours des Trente glorieuses. L’on trouve parmi eux des enfants d’architectes déjà installés : Paul Faye (fils de Georges), Alain Galinat (fils de Georges), Paul Lanquette (fils de Marius), Michel Vigneron (l’un des fils de Valentin). Certains ont été à la tête d’agences importantes, chargées notamment de conduire les chantiers des grands édifices publics qui se sont multipliés à cette époque dans l’agglomération clermontoise (facultés, cité et campus universitaires, hôpital Saint-Jacques, etc.). Antoine Espinasse et Paul Lanquette illustrent ce cas de figure, mais l’un et l’autre conçurent également des maisons (Aubière, maison G.* voir dossier IA63003843, Durtol, maison I.* voir dossier IA63002714, Ceyrat, maisons A.* et L.* voir dossier IA63003848 et IA63003840). Paul Faye et Michel Tournaire, actifs à partir du milieu des années cinquante, ont réalisé des programmes très importants (immeubles, centres de vacances, édifices administratifs, etc.), mais aussi de nombreuses maisons (exemples à Aubière, Royat, Pérignat, Orcines). Julien Arnaud (non diplômé mais inscrit) et Robert Bournadet (DPLG), connus pour leurs nombreux immeubles de logements, furent aussi les auteurs de maisons (exemples à Durtol et Orcines). Pour ces architectes comme pour d’autres, avoir de grosses affaires n’excluaient donc pas de s’intéresser à des programmes plus réduits.
Autre cas de figure, des architectes diplômés puydômois semblent s’être spécialisés dans la conception de maisons individuelles. Inscrits au tableau de l’Ordre des architectes à partir du milieu des années 1960, ils ont pleinement bénéficié de l’accélération de la croissance de ce marché. Ainsi Gilles Gallon (maisons à Aulnat et Pont-du-Château) et Thierry Hébert (maisons à Le Cendre et Lempdes) paraissent avoir eu une activité très importante dans ce domaine. Il en est de même pour Michel Deloume et André Robert (maisons à Ceyrat et Orcines), Jean-Louis Douat et Jean-Paul Fourgeaud (maisons à Cébazat et Ceyrat), Jean-Yves Berthon et Jean-Claude Collet (le premier Agréé, le second DPLG, maison C.* à Cournon d’Auvergne, voir dossier IA63003853). Jean-Claude Barthe, DPLG en 1970, est quant à lui bien connu pour les nombreuses et intéressantes maisons qu’il a dessinées au cours de sa carrière. Certaines ont été publiées dans des revues spécialisées, telle la maison F.* à Saint-Genès-Champanelle24.
Le troisième groupe des « non inscrits » est le plus hétérogène. Il comporte d’abord des maîtres d’œuvre qui paraissent avoir eu une activité assez limitée et sporadique : R.-J. Barthelat, Roger Ballot, Armand Decombas, Jean Girard et Jean Minot. Le premier signe les plans de la maison C.* à Nohanent en tant qu’ingénieur-conseil et métreur-vérificateur. Roger Ballot s’affirme « ingénieur » (Gerzat, maisons jumelées R.*), Armand Decombas est « dessinateur-projeteur » (Gerzat, maison B.*, voir dossier IA63003841), Jean Girard « métreur-vérificateur » (Orcines, maison N.* voir dossire IA63003859) et Jean Minot « architecte-expert » (Pérignat-lès-Sarliève, maison B.*, voir dossier IA63002726).
Au contraire, des « non inscrits » ont eu de toute évidence une importante production dans le domaine des maisons individuelles. Roger Bourgougnon est l’un d’eux. Établi à Royat, apposant sur ses plans la mention « Cabinet d’études R. Bourgougnon », il semble avoir travaillé du milieu des années 1950 au début des années 1970. Au moins pendant un temps ou à l’occasion de certains projets, il a été associé avec Robert Delin, autre maître d’œuvre non inscrit (mais qui le sera en 1977 comme « Agréé »). Des cas similaires se présentent avec les Clermontois Paul et Raymond Delecambre, ainsi qu’avec Aimé Vernay, visiblement auteurs de nombreuses maisons. Paul Delecambre et Aimé Vernay obtiendront leur inscription comme « Agréé », respectivement en 1979 et 1977. Enfin, toujours dans la catégorie des maîtres d’œuvre non inscrits, nous pouvons mentionner Guy Lescure, Jean Raymond et Claude Waroquier (non documentés par une maison de notre corpus). En consultant à la chaîne des permis de construire, nous avons fréquemment vu leurs signatures sur des projets assez communs. Ils ont bâti des dizaines de maisons dans plusieurs communes de l’agglomération.
Dans le groupe des « non inscrits », Fernand Carpentier se distingue tant par son itinéraire professionnel que par la qualité de ses œuvres. Fernand Carpentier débuta sa carrière vers 1950 et travailla pendant vingt ans sans être inscrit à l’Ordre des architectes. Dans la foulée de Mai 1968, il bénéficia grâce à son travail d’une double reconnaissance. D’une part, il obtint « sur présentation de travaux » le diplôme d’architecte DPLG le 16 janvier 1970 (et il s’inscrivit à l’Ordre au mois d’avril suivant), d’autre part il fut appelé à enseigner dans la nouvelle Unité pédagogique d’architecture de Clermont-Ferrand dès la rentrée de 1969 (il enseignera jusqu’en 1984).
Entre autres choses, Fernand Carpentier s’intéressa à la question des maisons singulières à « petit budget » (même si sa notoriété se fonda sur une série de villas opulentes, telles les maisons B.* à Chamalières voir dossier IA63002710, P.* à Ceyrat ou F.* à Royat voir dossier IA63003863). La maison I.* à Gerzat (1953, voir dossier IA63003855) et la maison C.* à Aubière (1954, en collaboration avec Paul Faye, voir dossier IA63003864) appartiennent à ce type de programme. Par ailleurs, Fernand Carpentier tenta de commercialiser, en association avec une entreprise de construction, des modèles de maisons « de style contemporain » pour petits et moyens budgets. Ces modèles furent présentés au public vers 1970, lors de l’une des foires-expositions de Clermont-Ferrand. Plusieurs commanditaires se déclarèrent très intéressés, mais faute de suivi commercial l’affaire échoua25. Dans les mêmes années, Fernand Carpentier construisit cependant plusieurs villas plus ou moins importantes au lieu-dit L’Étang (commune de Chant-le-Mouteyre, à côté de Durtol), dans le cadre d’un lotissement commercialisé par le promoteur J. Marchand.
Le cas de Fernand Carpentier permet de souligner que la détention d’un diplôme d’architecte où l’inscription sur le tableau de l’Ordre des architectes ne préjugeaient en rien de la qualité des œuvres bâties. Les différences qualitatives entre les maisons singulières se fondaient sur des critères complexes qui ne dépendaient pas nécessairement du niveau de formation ou du talent de leurs concepteurs, et encore moins de leur statut professionnel.
3 - Les formes architecturales
Bien que numériquement réduit, notre échantillon documente un ensemble de caractéristiques sur les formes des maisons singulières des années 1945-1975. Ces caractéristiques ne sont cependant pas propres à notre échantillon. De toute évidence, et bien que des études similaires à la nôtre fassent défaut, elles sont représentatives de ce qui a existé sur le territoire métropolitain français à la même époque et dans des situations semblables.
En effet, nous n’avons pas trouvé de fortes particularités spécifiques au territoire de Clermont Auvergne métropole. Ce constat n’est en rien dévalorisant. Il atteste que dans le domaine des maisons singulières, la région clermontoise n’a été ni à l’avant-garde ni à l’arrière-garde. Même si les éléments comparatifs précis manquent, la production de maisons singulières semble globalement avoir atteint une quantité et une qualité analogues à celles des agglomérations similaires d’autres régions.
3. 1 - Des maisons de dimensions variées
Par l’ampleur de leur programme et par la typologie qui en découle, les maisons singulières couvrent un champ étendu. D’un côté de l’éventail se trouvent des maisons modestes (avec un logement de 70 à 100 m2), de l’autre de très grandes villas (le maximum atteint dans notre corpus est de 750 m2 de planchers). Entre les deux prennent place des réalisations d’ampleur croissante, avec des surfaces de planchers de 200 à 400 m2 (la surface moyenne des maisons étudiées est de 289 m2 de planchers).
Les maisons I.* à Gerzat (1953) et C.* à Aubière (1954) possèdent une surface habitable d’environ 72 m2 (et une surface de planchers à peine supérieure). Les maisons A.*, De.* et Da.* à Lempdes (1972-1973), la maison L.* à Cébazat (1969) et la maison B.* au Cendre (1974) ont une surface habitable variant de 104 à 136 m2. Elles s’élèvent sur des parcelles couvrant de 440 à 1 290 m2. Ces maisons – les deux premières assez petites, les autres d’une surface plus confortable – ont eu des maîtres d’ouvrage se situant, du point de vue socioéconomique, à la limite entre la classe ouvrière et la classe moyenne (pâtissier, postier, agent de maîtrise, technicien supérieur, etc.). À titre de comparaison, les maisons L.* à Lempdes (1963) et G.* à Pérignat-les-Sarliève (1965), construites sur des plans-types de catégorie « économique », possèdent respectivement 50 et 60 m2 habitables26. L’une et l’autre ont toutefois un rez-de-chaussée utilitaire aménageable qui double la surface de planchers. La première a été commandée par un ajusteur-monteur, la seconde par un commerçant.
Dans notre échantillon de 48 maisons présentées dans un dossier, 17 illustrent la catégorie des « grandes villas ». Ce nombre, issu de nos critères de sélection, ne reflète pas la fréquence de ce type de réalisations qui s’avère évidemment beaucoup plus rare que celui des maisons modestes. Quatre œuvres se distinguent par leurs dimensions exceptionnelles : les maisons D.* à Ceyrat (1973), P.* à Pont-du-Château (1974), F.* à Royat (1971) et T.* à Saint-Genès-Champanelle (1971). Allant de 432 à 750 m2, les surfaces de planchers hors œuvre sont impressionnantes. La superficie des parcelles n’est pas en reste : de 2 470 m2 (dans un site périurbain très prisé) à plus de 5 hectares (en milieu rural). Sans surprise, les commanditaires appartenaient à la classe sociale supérieure : un pharmacien, un radiologue, le chef du contentieux d’une firme internationale et un professeur de chirurgie.
Entre une maison de 75 ou 100 m2 habitables et une maison de plusieurs centaines de m2, les différences de programme ne sont pas minces ! La commande des grandes maisons est forcément plus riche, plus diversifiée, que celle des maisons modestes, laquelle est par contrainte davantage limitée à l’essentiel, et donc généralement plus commune.
Le nombre de pièces et leur spécialisation (ou affectation) procèdent généralement de ces différences de taille. À minima, la maison singulière standard « basique » des années 1945-1975 possédait une cuisine, une salle-à-manger ou un séjour, des chambres, des toilettes, une salle de bain, des dégagements et un garage. Exposer ce programme minimum peut paraître inutile, mais encore faut-il rappeler qu’il comporte des éléments qui étaient des conquêtes récentes dans l’habitat de « monsieur tout le monde ». Il permettait de disposer d’un logement avec des pièces spécialisées et suffisamment grandes, de bénéficier du « confort moderne » (sanitaires, chauffage central, etc.), d’avoir des dépendances.
L’examen des plans des maisons singulières qui échappent au « programme minimum » met en lumière l’enrichissement et la complexification progressive du programme selon l’ampleur des réalisations.
3. 2 - Les pièces de services
Le garage est présent dans toutes les maisons documentées de notre échantillon, soit inclus dans le bâtiment soit construit à part. Cependant, dans des maisons plus importantes, il peut abriter deux automobiles. La maison M.* à Royat, édifiée en 1950, est un exemple précoce de cette capacité moins usuelle.
Dans les maisons de notre échantillon, les pièces de service les plus répandues sont la cave, la chaufferie, le cellier et la buanderie (ou laverie). Moins fréquemment, l’on trouve « la cave à vin » (maison F.* à Royat)27, le bûcher (maison P.* à Pont-du-Château), la pièce (ou « soute », maison D.* à Beaumont) pour le charbon ou la cuve de fioul, le fruitier (maisons P.* à Aubière, B.* à Clermont-Ferrand, N.* à Orcines, 1946, 1952 et 1971). L’on note aussi parfois la présence d’un séchoir, d’une lingerie, d’un atelier, d’un débarras, d’une réserve, d’une pièce pour les vélos (maison L.* à Ceyrat), d’un vestiaire (maison T.* à Saint-Genès-Champanelle) et d’un rare « local vide-ordures » (maison D.* à Ceyrat, 1973). Enfin, il convient de mentionner, comme espaces utilitaires annexes aux logements, la fréquence des placards et des penderies intégrés à l’architecture.
Des circulations et des pièces affectées au personnel de service existent dans quelques-unes des maisons les plus cossues. Les maisons V.* à Beaumont (1950) et P.* à Aubière (1952) possèdent ainsi une entrée de service donnant directement dans la cuisine. Les maisons A.* et D.* à Ceyrat (1967 et 1973), la maison Br.* à Durtol (1967) et la maison B.* à Cournon (1970) abritent des « chambres de bonne » et « chambre du personnel » placées à côté de la cuisine, de l’office ou de la lingerie, ou dans le sous-sol semi-enterré. L’une de ces chambres est équipée d’un lavabo, deux autres d’un lavabo et d’une douche. Dans les trois cas, des sanitaires complets se trouvent à proximité.
Dans tous nos exemples, les salles de bains et les toilettes (ou water-closets) sont séparés. L’on trouve également parfois des cabinets de toilettes (avec un lavabo) annexés à des chambres (maison B.* à Clermont-Ferrand). Au fil des années et bien sûr en fonction de la grandeur de l’habitation, le nombre de salles d’eau et de toilettes par logement tend à augmenter. La grande maison M.* de Royat (1952) abrite un W.-C., trois cabinets de toilettes et une salle de bain. Construite dix-neuf ans plus tard, la maison T.* à Saint-Genès-Champanelle établit un record avec trois W.-C. et six salles de bains.
3. 3 - Les pièces de vie commune
Sur le plan des mœurs, des mentalités, des comportements, les Trente glorieuses ont connu une forte libéralisation, en particulier après 1960. Ce sont les années de l’émancipation des femmes, de l’assouplissement des relations entre les parents et les enfants, de l’instauration d’une sociabilité plus décontractée. Dans l’habitat, cette évolution sociologique a influé sur les dispositions des parties affectées à la vie commune et à la vie intime. Globalement, les commanditaires et les architectes se sont orientés vers des espaces moins cloisonnés et des distributions plus fluides.
A contrario de ce qui précède, la cuisine fermée, « fief de la bonne ménagère ou de la maîtresse de maison » (assistée parfois par du personnel de service), s’avère encore très présente sur toute la période. Sans surprise (puisqu’il s’agit d’une formule déjà bien établie antérieurement), elle équipe les maisons des années 1945-1955 (maisons P.* à Aubière, V.* à Beaumont, B.* à Clermont-Ferrand). Elle se rencontre aussi dans des maisons plus récentes, par exemple la maison G.* à Aubière (1963), ou la maison N.* à Orcines (1971). Dans le contexte de vastes demeures, elle est parfois associée à un office (Beaumont, maison D.*, Chamalières, maison F.*, Saint-Genès-Champanelle, maison T.*).
La cuisine semi-ouverte ou ouverte (dite « à l’américaine ») sur une salle de repas ou un « coin repas » apparaît dans des réalisations des années 1960-1975, par exemple les maisons I.* à Durtol (1963) et F.* à Royat (1971). Dans un seul cas, la maison R.* à Romagnat (1973), la cuisine est à la fois au centre de l’habitation et ouverte sur les espaces de vie commune, dans une mise en scène la mettant totalement en valeur.
La salle à manger isolée s’avère assez rare (Clermont-Ferrand, maison B.*), tout comme le séjour isolé (Clermont-Ferrand, maison V.*, où il sert de salle-à-manger). L’association de la salle à manger et du séjour est plus fréquente (Cournon d’Auvergne, maison C.*, Nohanent, maison G.*), ainsi que l’association de la salle-à-manger et du salon (maison G.* à Aubière, M.* à Royat)28. Dans la maison B.* de Pérignat-lès-Sarliève (1952), un « living-room » est associé à un « studio » : ce vocabulaire anglo-saxon était à la mode après la Seconde guerre mondiale.
La disposition architecturale assurant une continuité spatiale et conviviale entre la cuisine ouverte ou semi-ouverte, le séjour et le salon connaît un succès croissant à partir du milieu des années 1960 (maison L.* à Ceyrat). Elle apparaît sous une forme très développée notamment dans les maisons B.* de Nohanent (voir dossier IA63003856), V.* de Cébazat, P.* de Blanzat et R.* de Châteaugay (toutes construites entre 1969 et 1975). Outre des utilisations plus souples, moins contraintes par les cloisonnements, cet enchaînement permet de disposer d’une plus grande surface d’un seul tenant.
Les critères de représentation sociale s’affirment plus fortement dans des dispositions privilégiant des enchaînements ou des enfilades. Ainsi, dans la maison M.* de Royat (1950), un grand hall, un salon, une salle à manger et une terrasse alignés sur un axe créent une longue perspective monumentale. Dans la maison T.* de Saint-Genès-Champanelle, l’enchaînement de trois pièces forme un espace de réception couvrant pas moins de 117 m2.
Dans de nombreuses maisons de notre échantillon, une cheminée à foyer ouvert est mise en scène dans les pièces de réception. De manière classique, les maisons M.* de Royat (1950), B.* de Pérignat (1952) et B.* de Gerzat (1960) ont des cheminées plaquées contre un mur et placées sur l’axe d’une pièce (séjour, salon ou « studio »). Dans la maison D.* de Beaumont (1948), la cheminée est déportée à droite de l’axe de la pièce. Dans les maisons L.* de Ceyrat (1966) et G.* de Nohanent (1968), la cheminée sert d’articulation entre le séjour et la salle à manger.
L’attrait d’un feu de bois, la symbolique du foyer et les réminiscences des veillées rurales « au coin du feu » (dans le célèbre « cantou » cantalien !) ont sans doute fortement joué sur le succès du « coin de feu ». Sous une forme assez semblable – des banquettes fixes souvent disposées dans une petite fosse face à la cheminée – ce « coin de feu » ou « coin feu » apparaît dans onze maisons présentées dans un dossier (dont les maisons R.* à Aulnat voir dossier IA63003844), V.* à Cébazat, R.* à Châteaugay et F.* à Royat). Il complète souvent le séjour ou le salon, il est même placé sous la cuisine ouverte dans la maison R.* de Romagnat. Quelquefois, il occupe une pièce spécifique (maisons P. * à Pont-du-Château, D.* à Ceyrat). Dans la maison P.* de Blanzat (1972), il mute en « coin TV » (sans cheminée).
Dans notre corpus, les maisons équipées de « coin feu » datent des années 1969-1975. Toutefois, le terme « coin feu » apparaît dès 1950 sur le plan du rez-de-chaussée de la maison F.* de Chamalières, mais il ne s’agit que d’une petite partie du salon située entre la cheminée et un piano à queue, et simplement meublée d’une table et de quatre sièges. En fait, la formule du « coin de feu en fosse » semble avoir été créée aux États-Unis d’Amérique vers 1950. Dans son ouvrage Villas 50 en France, Raphaëlle Saint-Pierre mentionne ainsi le « coin-feu en creux à l’américaine » de la villa de l’architecte Georges Iordanovitch à Bièvres (1959) et la « fosse à conversation » (dépourvue de cheminée) de la « Miller House », construite à Columbus (Indiana) en 1953-1957 par Eero Saarinen et Alexandre Girard29.
Deux dernières pièces sont quelquefois rattachées à la partie « vie commune » des maisons : le bureau et la bibliothèque. Si un bureau séparé, à fonction strictement professionnelle, existe bien dans certaines maisons (C.* à Cournon, B.* à Romagnat, B.* à Gerzat), l’on trouve un bureau relié à la salle-à-manger dans la maison B.* de Clermont-Ferrand, relié au salon dans la maison A.* de Ceyrat et relié au séjour dans la maison Br.* de Durtol (voir dossier IA63003866). Dans la maison R.* de Romagnat, une pièce sert de bibliothèque-bureau. La maison F.* à Clermont-Ferrand présente le seul exemple d’une grande bibliothèque ouverte sur le hall (vestibule) : la disposition laisse deviner un usage de représentation sociale.
3. 4 - Les pièces de vie intime
Au cours de la période étudiée, la distinction dans les maisons des secteurs destinés « à la vie commune » (ou « partie jour ») et « à la vie intime » (ou « partie nuit ») tend à s’affirmer. Cette division, voire cette coupure, a une visée protectrice. Elle est particulièrement marquée dans la maison B.* de Chamalières (1964). Le secteur « vie intime » est regroupé d’un côté du bâtiment et séparé du secteur « vie commune » par un sas composé du vestibule et de deux patios. Les maisons L.* à Cébazat (voir dossier IA63003839) et P.* à Blanzat témoignent également d’un strict compartimentage « jour / nuit ».
Quelques maisons possèdent un secteur spécialement affecté aux enfants. C’est le cas de la maison A.* de Ceyrat : dans une partie du rez-de-chaussée, trois chambres, un vestibule et des sanitaires sont accessibles par une salle de jeux. Une disposition similaire (trois chambres d’enfants et des sanitaires distribués par une salle de jeux) se remarque dans la maison B.* de Chamalières. Pour sa part, la maison T.* de Saint-Genès-Champanelle regroupe dans une aile « spécialisée » six chambres pour les enfants.
Autre équipement lié à l’intimité familiale, la « suite parentale » existe déjà au lendemain de la Seconde guerre mondiale, comme en atteste la maison F.* de Chamalières (1950). Dans cette habitation cossue, la « grande chambre » est reliée à une salle d’eau indépendante (avec W.-C.) par une « circulation » équipée d’une « penderie ». Les maisons L.* à Ceyrat (1964), G.* à Nohanent (1968), B.* à Cournon (1969), P.* à Pont-du-Château (1974) et R.* à Châteaugay (1975) témoignent du succès de la formule dans des demeures de ménages aisés.
Au sommet de cette catégorie, l’opulente maison T.* de Saint-Genès-Champanelle possède un secteur parental spécialement développé. D’une surface de 86 m2, il regroupe un bureau de 26 m2, une chambre de 30 m2, une salle d’eau, des W.-C., un « dressing » et un rarissime « boudoir » (sic).
3. 5 - Quelques éléments supplémentaires à relever
Parmi les nombreux éléments architecturaux que l’on peut remarquer sur les maisons de notre échantillon, plusieurs méritent d’être spécialement mentionnés en raison de leurs caractéristiques novatrices.
Les fenêtres sont l’un de ces éléments. Bien évidemment, sur toute la période prise en compte, l’on trouve les habituelles fenêtres et portes-fenêtres carrées et rectangulaires « verticales » de toutes tailles. Mais en revanche, des modèles de fenêtres inédits (où jusqu’ici peu utilisés dans l’architecture des maisons) se répandent. L’on trouve ainsi des baies beaucoup plus longues que hautes (c’est-à-dire de forme horizontale très allongée), par exemple sur les maisons G.* de Nohanent (1968) et V.* de Cébazat (1971). Quelques maisons (B.-C.* à Aulnat, 1972, A.* à Lempdes, 1973) possèdent des fenêtres non parallélépipédiques. Dans le premier exemple, une petite baie est constituée de deux demi-cercles décalés l’un par rapport à l’autre (un peu comme le signe du « yin yang »). Dans le second exemple, des fenêtres possèdent un linteau oblique parallèle à la rive du versant du toit qui le surmonte (ce type de baie « oblique » rencontrera un certain succès après 1975).
Un autre type de fenêtre connaît une fortune croissante : la baie coulissante. Souvent de grande dimension, la baie coulissante équipe très fréquemment les séjours ou les salons des maisons bâties après 1960. Le modèle qui semble avoir la faveur des commanditaires et des maîtres d’œuvre est celui qui n’a pas de seuil. Le châssis en bois coulisse sur un rail fixé dans une feuillure réservée dans le sol. La continuité de plain-pied entre l’intérieur et l’extérieur (souvent une terrasse qui prolonge le séjour) est ainsi assurée. La maison B.* à Chamalières (1963) offre un exemple particulièrement réussi du potentiel offert par ce type de baie.
Plusieurs maisons de notre sélection possèdent des fenêtres fixes (maison B.* à Nohanent, 1968, B.* à Cournon, 1969, R.* à Romagnat, 1973). Certaines fenêtres sont équipées de fins châssis en métal (souvent en aluminium). Pour d’autres fenêtres, le verre s’encastre directement dans les piédroits et le linteau. L’effet recherché est la dématérialisation de la paroi vitrée, et donc l’interpénétration de l’extérieur et de l’intérieur.
Trois types de baies très rares se remarquent dans notre sélection. La maison F.* de Pont-du-Château (1975) possède une baie de forme circulaire fermée par une grande et épaisse vitre. La porte d’entrée en bois de la maison est sertie dans cette vitre. En outre, la même demeure comporte une baie zénithale qui éclaire le séjour au travers d’un plafond à caissons percés. Pour sa part, la maison R.* de Romagnat (1973) dispose d’un vitrail horizontal qui entoure son second niveau et diffuse une lumière colorée dans toutes les pièces du logement.
Le concept d’interpénétration de l’extérieur et de l’intérieur se retrouve dans des ouvertures zénithales qui agrémentent certaines maisons. Ces ouvertures offrent des trouées vers le ciel, quelques-unes permettent aussi de laisser pousser un arbre. La maison V.* à Clermont-Ferrand (1961) possède ainsi, au-dessus de son entrée principale, un auvent percé d’une ouverture carrée. Le porche dans-œuvre de la maison B.* à Chamalières (1963) est également dominé par une ouverture carrée qui traverse le toit. Dans la vaste villa F.* de Royat (1971), l’ouverture zénithale perfore le toit-terrasse qui couvre partiellement l’espace de détente extérieur.
Toujours dans la même veine, quelques-unes des vastes maisons de notre sélection possèdent des patios. Plus ou moins enclavés dans la maison, équipés de baies vitrées, ces patios végétalisés font pénétrer la nature et l’éclairage naturel au cœur de l’habitation. La maison P.* à Pont-du-Château recèle dans sa partie « vie commune » un tel patio totalement enclavé. Dans la maison B.* de Chamalières, un patio ouvert vers l’extérieur s’insère entre les parties « vie commune » et « vie intime ».
La volonté d’enrichir le rapport entre le logis et son environnement naturel s’affirme également dans les bacs à plantes intégrés aux intérieurs. L’on relève la présence de tels bacs dans le séjour de la maison T.* de Saint-Genès-Champanelle (non représentés sur les plans reproduits dans notre dossier). Dans la maison B.* de Chamalières, le bac à plantes est continu entre l’extérieur (le porche dans-œuvre) et l’intérieur (le vestibule).
Un dernier élément original de ce dialogue entre architecture et nature retient l’attention. Il s’agit des bassins ornementaux intégrés à la composition que l’on remarque dans les maisons R.* de Romagnat, B.* de Chamalières et F.* de Royat30.
3. 6 - Les plans, les niveaux, la volumétrie
L’analyse transversale des maisons de notre échantillon révèle l’existence de plusieurs types de plans. De manière générale, au fil des années, les plans tendent à s’étaler et à gagner en complexité (même si, là encore, ce processus n’est ni linéaire ni universel).
Les plans massés demeurent très fréquents. Dans notre échantillon, la plupart des maisons des années 1945-1965 possèdent un plan massé. Il s’agit d’un héritage de l’Entre-deux-Guerres où ce type de plan était très souvent employé. Isolées sur leur parcelle, les maisons B.* à Pérignat-lès-Sarliève et I.* à Durtol, ainsi que les maisons D.* et V.* à Beaumont, sont de plans massés. Dans un contexte urbain dense où les contraintes liées à la surface réduite du terrain et aux servitudes urbaines étaient plus fortes, les maisons clermontoises B.* et V.* ont également un plan massé.
Les maisons R.* à Romagnat (1973) et F.* à Pont-du-Château (1975) appartiennent à ce groupe, mais leur plan carré (pour la première) et octogonal (pour la seconde) se fondent sur une savante composition géométrique et modulaire.
Des plans allongés (rectangulaires ou en « L » peu développé) sont employés pendant toute la période étudiée. Par exemple, les maisons M.* de Royat (1950) et B.* de Chamalières (1963) sont de plan en « L », les maisons G.* à Aubière (1963) et L.* de Cébazat (1969) sont de plan rectangulaire.
Dans les années 1965-1975, les plans irréguliers plus complexes se multiplient. Construite en 1964, la maison L.* à Ceyrat fait figure de sage pionnière avec son plan en « C ». Des plans composés de rectangles agglomérés connaissent par la suite un franc succès. L’emboîtement des rectangles forme souvent un noyau principal (ou plusieurs noyaux) entouré d’avancées et de renfoncements. Les maisons V.* de Cébazat, D.* de Ceyrat (voir dossier IA63003849), G.* de Nohanent et R.* de Châteaugay sont autant de variantes de ce type de plan, lequel possède une forte propension à l’étalement, comme en témoigne la maison P.* de Pont-du-Château.
Au début des années 1970, des plans encore plus originaux fleurissent. La maison F.* de Royat possède un plan « en boomerang », la maison T.* de Saint-Genès-Champanelle conjugue sur une longueur de 60 mètres un corps de bâtiment en « L » et une aile en « Y », la maison N.* à Orcines se dresse sur un dessin « en étoile et alvéoles », la maison Ver.* d’Orcines s’élève sur un plan en « trois quarts de cercle » (voir dossier IA63003869), enfin la maison T.* à Orcines s’étend en arc de cercle, à l’instar d’un éventail (voir dossier IA63002716). Puisque dans ces maisons les plans ne respectent plus l’orthogonalité, de nombreuses pièces ont une forme irrégulière.
Des maisons qui gagnent en superficie, des plans qui s’étendent : l’on assiste au développement de l’horizontalité. Certes, des maisons de volumétrie verticale ou cubique existent toujours : ce sont les maisons à plan massé des années 1945-1965 déjà mentionnées. Les maisons de ville (B.* et V*. à Clermont-Ferrand) sont de proportion assez haute puisqu’elles comptent trois niveaux complets, ce qui est rare dans notre corpus. Leur situation en secteur urbain dense, sur des parcelles assez étroites, explique ce développement vertical. Bien qu’elle soit en milieu rural, la maison I.* à Durtol (1963) possède aussi trois niveaux habitables et une silhouette élancée. Son implantation au flanc d’un coteau escarpé explique cette disposition : les deux premiers niveaux sont en réalité semi-enterrés à l’arrière.
L’affirmation de l’horizontalité procède également de l’emploi fréquent des toits-terrasses et des toits à faible pente. Sur les 48 maisons documentées dans un dossier, treize sont couvertes par un toit-terrasse et cinq par un toit à faible pente peu visible. Ce nombre important résulte cependant de nos critères de sélection et non de la situation globale réelle.
Les plans et la volumétrie sont aussi façonnés par la fréquente implantation des maisons de notre échantillon sur des terrains en pente (26 maisons sur 48). Dans la plupart des cas, les plans ont été conçus pour jouer avec le relief, d’abord pour mieux l’épouser afin d’intégrer les maisons dans leur site, ensuite pour obtenir des effets architecturaux. Cela se traduit notamment par des volumes échelonnés dans la pente (maison D.* à Ceyrat), par l’utilisation de niveaux semi-enterrés (maison V.* à Clermont-Ferrand, maison F.* à Royat) ou de demi-niveaux (maison L.* à Cébazat)31. L’on rencontre aussi des ruptures de niveau (maison B.* à Nohanent, P.* à Blanzat voir dossier IA63002709). À l’intérieur d’une maison, y compris dans une même pièce, une ou plusieurs marches séparent un plancher en deux parties ou forment un seuil entre deux pièces. Souvent, ces ruptures permettent d’obtenir des hauteurs sous plafond différentes selon les pièces, les séjours ou les salons étant souvent les salles les plus hautes (maison G.* à Nohanent).
3. 7 - La question des styles
La maison, sous ses différentes formes, semble avoir été un programme plus spécialement concerné par l’éclectisme qui s’est manifesté dans l’architecture pendant tout le XXe siècle. Le corpus de notre étude, et plus généralement le constat qui peut être fait sur le terrain, illustre cette diversité stylistique synchronique (fig. 24 à 27)32. Par exemple, la maison I.* à Gerzat, datant de 1953, possède un style très différent des maisons qui lui sont quasi contemporaines (P.* à Aubière, D.* et V.* à Beaumont, F.* à Chamalières, B.* à Pérignat-lès-Sarliève, M.* à Royat), lesquelles présentent aussi entre-elles une réelle diversité stylistique. À l’autre extrémité de notre créneau chronologique, les maisons Br.* à Durtol et Bou.* à Orcines (voir dossier IA63003857) témoignent de formes très contrastées. Quasi contemporaines l’une de l’autre puisqu’elles datent respectivement de 1967 et 1973, elles sont l’œuvre de la même agence d’architecture, celle de Julien Arnaud et Robert Bournadet. La première peut-être qualifiée de « moderne », la seconde de « traditionnelle ». Elles illustrent le grand écart stylistique qui pouvait exister simultanément pour un programme similaire, au sein d’un même territoire et d’une même agence.
Pour la période 1945-1975, le deuxième point général à souligner est l’identification malaisée des styles ou courants stylistiques rencontrés. Ce fait résulte d’une caractérisation formelle et historique encore insuffisante, malgré le nombre croissant d’ouvrages consacrés à l’histoire de l’architecture française de la seconde moitié du XXe siècle. En outre, quelle que soit la période, l’évolution stylistique n’est ni linéaire, ni universelle, et hormis un petit nombre d’œuvres faisant référence, les styles s’entremêlement toujours au moins partiellement. Dans ces conditions, pour notre corpus, indiquer des éléments d’identification et de périodisation s’apparente à une gageure. L’on peut cependant affirmer que, globalement, les langages architecturaux utilisés à la fin de la période prise en compte ne sont plus ceux en usage au début de cette période.
Il convient enfin de relever la dichotomie qui existe entre les exemples iconiques diffusés dans les ouvrages d’histoire de l’architecture et la situation constatable dans le cadre d’une étude de terrain telle que la nôtre. Dans le premier cas, il s’agit d’œuvres exceptionnelles sélectionnées pour leur représentativité, à l’échelon national voire international, des courants les plus novateurs de l’architecture33. Dans le second cas, il s’agit d’un échantillon d’œuvres sélectionnées pour leurs diversités typologiques et stylistiques au sein d’une agglomération provinciale de moyenne importance. La comparaison systématique des unes aux autres s’avère donc inopérante.
Il serait sans doute plus pertinent, pour contextualiser les maisons de notre étude, d’établir des parallèles avec des œuvres « moins exceptionnelles » publiées dans des revues d’époque. Les revues professionnelles (en particulier L’Architecture d’aujourd’hui, L’Architecture française, Techniques et architecture) ont consacré des numéros spéciaux aux maisons. Le « grand public » a eu accès à des revues spécialisées, notamment Art et décoration, La Maison française, Maison et jardin, Le Journal de la maison, Plaisir de la maison, Votre maison. Toutes ces publications ont été un puissant moyen de diffusion des tendances stylistiques. Les œuvres présentées ont servi de modèles, de sources d’inspiration. Ainsi, même si nous n’avons pas eu le loisir d’exploiter ces revues, il nous paraît très probable que des maisons de notre échantillon n’ont pas échappé à leur influence.
Quoi qu’il en soit, dans notre corpus, quelques grandes « familles stylistiques » semblent pouvoir être distinguées. Toutes les tendances identifiées au niveau national ne sont cependant pas représentées (ou n’ont pas été repérées). Par exemple, pour les années 1965-1975, nous n’avons pas trouvé de « maison bulle » inspirée des célèbres œuvres de Pascal Haüsermann et Claude Costy, Jean-Louis Chanéac, Jacques Couëlle, Antti Lovag, Pierre Székely et Henri Mouette. Il est vrai que ce type de réalisation est resté très rare en France34.
Les derniers feux de l’Art déco sont encore perceptibles dans la maison P.* d’Aubière (1954), notamment avec ses fenêtres d’angle (voir dossier IA63002723). La maison V.* de Beaumont (1950) se rattache également à la dernière variante très peu ornée de ce style (voir dossier IA63003845).
Les maisons D.* à Beaumont (voir dossier IA63003838), F.* à Chamalières (voir dossier IA63003850) et M.* à Royat (voir dossier IA63003842), conçues en 1948 et 1950, relèvent du Style régionaliste tel qu’il a été largement utilisé du milieu des années 1920 au milieu des années 1950. L’on trouve notamment l’évocation d’archétypes régionaux plus ou moins inventés, l’omniprésence des toits couverts de tuiles ou d’ardoises, la mise en scène des matériaux traditionnels, la recherche d’effets pittoresques. Dans les maisons citées, quelques détails renvoient à l’Art déco. Cela n’a rien d’inhabituel, les deux styles se sont souvent mêlés.
Le Classicisme moderne, langage également très utilisé des années 1920 aux années 1960 (notamment lors la Seconde reconstruction), est bien représenté par la maison B.* de Clermont-Ferrand (1946, voir dossier IA63002712) et la maison B.* de Gerzat (1960, voir dossier IA63003841). Dans ce courant comme dans d’autres, la « modernité » se traduit notamment par la place de plus en plus réduite accordée à l’ornement. La maison B.* de Clermont-Ferrand possède l’un des derniers décors d’architecture « gratuits » relevés dans notre corpus. Il s’agit d’éléments en ferronnerie répétés en haut de la façade principale, sur les garde-corps et sur la grille de clôture. Par la suite, le décor et l’ornement ajouté disparaissent quasiment de notre échantillon de maisons singulières. La maison M.* à Blanzat (1971, voir dossier IA63003846), avec son décor émaillé en façade, est l’une des exceptions à cette règle.
Le Modernisme tempéré (que l’on peut rapprocher des œuvres d’André Lurçat postérieures à 1945 ou de nombreux bâtiments édifiés à Royan lors de la Seconde reconstruction) se rencontre fréquemment dans les maisons des années 1955-1965. Les réalisations très géométrisées d’Antoine Espinasse – maisons I.* à Durtol (voir dossier IA63002714) et G.* à Aubière (voir dossier IA63003843), datant de 1963 – ainsi que la maison B.* à Durtol (1964, voir dossier IA63003854), illustrent bien ce courant. La maison V.* à Clermont-Ferrand (1961, voir dossier IA63003852), ainsi que les maisons L.* (1964, voir dossier IA63003840) et A.* (1967, voir dossier IA63003848) à Ceyrat, témoignent de l’esquisse du dépassement de ce style, avec notamment une utilisation renouvelée des parements de pierre, de bois et de céramique.
L’influence du Modernisme avant-gardiste (le courant qui a révolutionné l’architecture à partir des années 1910), s’avère plus rare. Elle sous-tend fortement les œuvres de Fernand Carpentier (Gerzat, maison I.* dossier IA63003855, Aubière, maison C.* dossier IA63003864, Chamalières, maison B.* dossier IA63002710, Ceyrat, maison P.*, Royat, maisons G.* et F.* dossier IA63003863). Inspirée par les créations de Le Corbusier, Franck Lloyd Wright et Ludwig Mies van der Rohe, la production de Fernand Carpentier doit aussi être rapprochée des villas californiennes de Richard Neutra et de Pierre Koening. Pour la génération des architectes qui débutent leur carrière après 1950 (par exemple Paul Faye et Michel Tournaire), la figure de Le Corbusier reste incontournable. Des relectures des formes avant-gardistes persistent dans des réalisations des années 1970, telles les maisons B.* à Cournon d’Auvergne (voir dossier IA63002713) et P.* à Pont-du-Château.
Dans notre corpus, le dépassement des références du Modernisme avant-gardiste est perceptible à partir de la fin des années 1960. Il a emprunté plusieurs voies pour lesquelles l’histoire de l’architecture n’a pas encore forgé une classification clairement définie. Les villas de Jean-Claude Barthe, bien représentées par la maison G.* de Nohanent (1968, voir dossier IA63002725), restent ainsi fidèles à des poncifs de ce courant (volumétrie parallélépipédique, toit-terrasse, vastes baies), mais elles relèvent d’une plus forte volonté d’insertion dans le site, notamment par l’emploi de bardages en bois. Pour leur part, les maisons F.* à Clermont-Ferrand (Michel Vigneron, 1969, voir dossier IA63003851) et R.* à Romagnat (Michel Mangematin et Jean Porte, 1973, voir dossier IA63002717), avec leur mise en scène du béton et leurs formes sans concession, peuvent être rapprochée du Brutalisme alors en vogue.
Une dernière voie paraît s’ouvrir au début des années 1970, sans doute issue d’une relecture de l’architecture vernaculaire. Cette tendance, que l’on pourrait qualifier de Néo-vernaculaire contemporain, se caractérise principalement par une réutilisation de certains matériaux traditionnels (par exemple la tuile creuse) et par une grande attention accordée à l’inscription de la maison dans son site. Cette insertion plus scrupuleuse se fonde en particulier sur le morcellement des plans et des volumes, ainsi que sur l’utilisation de toits complexes, souvent composés de pans indépendants. La maison R.* à Châteaugay (François-Yves Bernard, 1975, voir dossier IA63002711) est un bon exemple de cette tendance stylistique, à laquelle les maisons V.* de Cébazat (Jean Bernard, 1971, voir dossier IA63003847), C.* de Cournon (Jean-Yves Berthon et Jean-Claude Collet, 1972, voir dossier IA63003853) et A.* de Lempdes (Thierry Hébert, 1973, voir dossier IA63002715) peuvent aussi être rattachées.
Le « néo-vernaculaire contemporain » peut être vu comme un nouveau développement du Régionalisme, langage précédemment évoqué dans sa version antérieure à la Seconde guerre mondiale. Ce courant protéiforme hante en effet toute l’architecture domestique française du XXe siècle. Issu de diverses relectures d’archétypes régionaux plus fantasmés que réels, il a sans aucun doute eu la préférence des commanditaires de maisons singulières. Il a pu prendre différentes formes allant de la copie presque littérale de grands styles régionaux bien identifiés à la simple évocation de caractéristiques formelles perçues comme traditionnelles.
Trois maisons de notre corpus témoignent de la persistance de versions « traditionalistes » de ce courant jusqu’à la fin de la période étudiée. Ces trois exemples montrent que ce « régionalisme » n’a pas ou peu de rapport avec l’architecture vernaculaire de la région clermontoise. Contrairement à celle-ci, il n’y a pas d’adaptation des maisons selon les étages climatiques ni d’utilisation des ressources des terroirs. Par exemple, l’on trouve des toits couverts de tuiles creuses aussi bien en plaine qu’en montagne.
La première de ces trois réalisations, la maison M.* de Blanzat (1971, voir dossier IA63003846), peut être qualifiée de « tradi-contemporaine ». Elle relève d’un modèle très répandu issu de la réinterprétation d’un archétype régionaliste « façon Île-de-France ». Son toit pentu à croupes (une formule très fréquemment utilisée) et sa volumétrie massive lui donne un aspect traditionnel coutumier, ses lignes épurées et son décor émaillé lui confère de la modernité. Pour sa part, la maison Bou.* à Orcines (1973, voir dossier IA63003868) offre une variation sur le thème du « manoir petit budget »35. Avec la tourelle de sa façade principale (qui abrite un escalier en vis), elle incarne le rejet des langages architecturaux modernes et la persistance de formes historicistes proches du « pastiche ». Enfin, la maison F.* à Orcines, datant de 1969, est littéralement une chaumière puisque du chaume recouvre son toit. L’emploi de ce matériau traditionnel peut être perçu comme anachronique, mais il s’avère plutôt cohérent avec l’architecture rurale historique du site d’implantation de la maison (le plateau des Dômes)36.
Dans le même ordre d’idée, et pour en finir avec les avatars du Régionalisme, deux maisons témoignent d’une réutilisation d’un élément directement copié sur l’architecture vernaculaire clermontoise : la génoise. Ces corniches maçonnées avec des tuiles creuses, typiques de la plaine et des coteaux de la Limagne (entre autres lieux), règnent sur les façades de la maison F.* de Chamalières (1950, voir dossier IA63003850) et de la maison F.* de Pont-du-Château (1974, voir dossier IA63002727). Leur présence sur deux maisons d’époque, de type et de style bien différents semble faire un pied de nez à notre essai de classification stylistique !
4 - L’intérêt patrimonial des maisons singulières
4. 1 - Une valeur contextualisée
L’échantillon documenté par notre étude atteste qu’il existe bien, dans chaque commune de Clermont Auvergne métropole, en plus ou moins grand nombre, des maisons singulières dignes d’intérêt. Par rapport à la banalité de la production générique de masse, ces maisons sortent de l’ordinaire. Certaines sont très intéressantes, d’autres sont remarquables, quelques-unes s’avèrent exceptionnelles.
« Dignes d’intérêt », « intéressantes », « remarquables », « exceptionnelles » : ces qualificatifs établissent une échelle croissante de valeur. Cette hiérarchie dépend étroitement de la notion de contexte. Des maisons peuvent ainsi être exceptionnelles au niveau local, d’autres le sont au niveau régional ou au niveau national. Par exemple, dans le contexte local du lotissement Le Grand Champ de la commune du Cendre, la modeste maison B.* s’avère exceptionnelle par rapport à ses voisines. La maison T.* de Saint-Genès-Champanelle est l’une des œuvres remarquables à l’échelle régionale de notre corpus. Les grandes villas de Fernand Carpentier (B.* à Chamalières, P.* à Ceyrat, F.* à Royat) et les villas de Michel Mangematin (Orcines, maison Br.* voir dossier IA63003858), Romagnat, maison R.*, Pont-du-Château, maison F.*) atteignent une importance nationale. Elles pourraient figurer dans un ouvrage de référence sur les maisons singulières exceptionnelles construites en France au cours des Trente glorieuses. De fait, Fernand Carpentier est le seul architecte auvergnat cité par Raphaëlle Saint-Pierre dans son livre Villas 60 - 70 en France37.
D’autres architectes mentionnés dans notre étude ont une importance régionale par l’intérêt des maisons singulières qu’ils ont conçues (lesquelles n’ont été bien sûr qu’une partie de leur production). En suivant le fil des générations, et sans que cette liste soit limitative, il convient de rappeler les noms de Jean Bosser, Antoine Fustier, Georges Guignabert et Valentin Vigneron, de Paul Lanquette et d’Antoine Espinasse, de Jean-Paul Bertrand, Thierry Hébert, Jean-Claude Barthe, Paul Faye et Michel Tournaire, Michel Vigneron, Jacques Moinard, Jean-Yves Berthon et Jean-Claude Collet, Jean-Claude Breuil, Christian Couderc, ou encore de Jean-Louis Douat et Jean-Paul Fourgeaud.
4. 2 - Un élément patrimonial fédérateur
Même si elles sont inégalement disséminées, les maisons singulières dignes d’intérêt présentent l’avantage d’être implantées sur tout le territoire de Clermont Auvergne métropole, ce qui n’est pas le cas pour d’autres programmes architecturaux. Elles sont situées dans les hyper-centres et dans les faubourgs où elles se mêlent à des immeubles de logement, dans les zones périurbaines et dans les zones rurales. L’on peut même en trouver dans des quartiers pavillonnaires (notamment des lotissements) où il n’existe pas d’autres éléments susceptibles d’être reconnus comme faisant partie du patrimoine (en-dehors du patrimoine naturel, qui n’est pas l’objet de notre étude). Les maisons singulières dignes d’intérêt constituent donc un élément supplémentaire dans la densification du « balisage patrimonial » du territoire de Clermont Auvergne métropole.
La répartition intercommunale globale des maisons singulières dignes d’intérêt présente plusieurs avantages. Elle illustre d’abord l’histoire récente et le processus de constitution de l’agglomération clermontoise. Elle constitue ensuite un élément fédérateur entre toutes les communes de Clermont Auvergne métropole, quelles que soient les caractéristiques des milieux d’implantation des maisons (plus ou moins urbanisés, plus ou moins isolés, etc.). Elle s’avère être un excellent support pour explorer et valoriser le territoire de Clermont Auvergne métropole dans toute sa diversité, y compris des lieux rarement visités sous l’angle patrimonial (les lotissements périurbains ou les secteurs ruraux isolés et « mités » par des maisons).
Les maisons singulières dignes d’intérêt s’affirment donc comme un développement pertinent du champ patrimonial. Dans le cadre d’une politique de valorisation, elles ont l’avantage d’être un patrimoine « de proximité » et un « patrimoine vivant ». Présentes quasiment partout, elles appartiennent à un domaine familier. Elles touchent de près la vie quotidienne de nombreux habitants et elles renvoient à un désir très répandu, celui de vivre dans une telle demeure. Par conséquent, ces maisons forment un excellent support pour démocratiser le patrimoine. Elles permettent en outre, par leur valeur d’exemple, de diffuser plus largement la culture architecturale. Cet objectif dépasse la seule dimension patrimoniale : il ambitionne de promouvoir une qualité accessible à toutes et tous. Le corpus réuni dans notre étude montre bien que cette qualité n’est pas qu’une question de moyens financiers. Elle est aussi et surtout affaire de culture, de connaissances, de recul critique par rapport à des modèles dominants nettement moins intéressants. Proposer d’autres lectures, d’autres références plus qualitatives, ne peut que contribuer à cette ambition38.
4. 3 - Un patrimoine à inventorier et à protéger
Un recensement des maisons singulières dignes d’intérêt, fondé notamment sur les critères mis en exergue par notre étude, pourrait être mené. Il fournirait sans aucun doute une riche matière. Il pourrait aussi être étendu à la période 1975-2000 au cours de laquelle encore davantage de maisons singulières ont été construites, dont un certain nombre doivent être dignes d’intérêt. Cette extension chronologique conduirait sans doute à un rééquilibrage de la répartition géographique des maisons répertoriées (puisque les communes entrées plus récemment dans le processus de périurbanisation ont concentré davantage de nouvelles maisons après 1975).
Cependant, il faut souligner qu’au sein du créneau chronologique pris en compte par notre étude, les maisons singulières « intéressantes » ne sont pas si nombreuses, quel que soit les lieux d’implantation. Les maisons jugées « remarquables » ou « exceptionnelles » le sont encore moins. Au total, sur la base de notre estimation de 3 000 maisons singulières construites de 1945 à 1975 sur les 21 communes de Clermont Auvergne métropole, 20 à 25 % d’entre elles sont susceptibles d’être reconnues comme « dignes d’intérêt » et donc susceptibles de devenir des éléments patrimoniaux plus ou moins importants (suivant les critères pris en compte). Il s’agit là d’une évaluation fondée sur le regard d’ensemble que notre étude a nourri. Seul un recensement exhaustif permettrait de connaître leur nombre réel et d’estimer leur niveau, bref de donner les éléments scientifiques indispensables à une politique raisonnée de mise en valeur et de sauvegarde de ce patrimoine.
La question de la reconnaissance et de la protection de ces œuvres se pose avec acuité, car un virulent processus d’altération ou de destruction est en cours. En ville dense ou semi-dense, les maisons singulières sont sans discernement menacées de disparition par la densification. Leurs parcelles peu occupées se prêtent en effet à de juteuses opérations immobilières. En secteur périurbain, la menace la plus forte est plutôt celle de l’altération. Des maisons présentant de bonnes qualités architecturales sont fréquemment défigurées par des extensions et des rénovations maladroites. Le rehaussement et l’opacité croissante des clôtures, les isolations par l’extérieur gommant tous les reliefs, où encore le parasitage des façades et des toitures par des climatiseurs, des pompes à chaleur et des panneaux photovoltaïques, semblent devenus la norme. Face à ce constat amer, il est grand temps d’agir, notamment en inscrivant de nombreuses maisons singulières remarquables sur le prochain Plan local d’urbanisme intercommunal de Clermont Auvergne métropole.
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Période(s)
- Principale : 3e quart 20e siècle , daté par source
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Typologiesarchitecture domestique (3e quart 20e siècle)
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Toits
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Décompte des œuvres
- étudiées 48
- repérées 45
- © Clermont-Auvergne-Métropole
- © Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Auvergne Métropole
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- © Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Auvergne Métropole
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- © Archives départementales du Puy-de-Dôme
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- © Archives départementales du Puy-de-Dôme
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- © Archives communales de Beaumont
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- © Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Auvergne Métropole
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Annexes
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Annexe 1 - Maisons présentées dans un dossier
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Annexe 2 - Maisons simplement documentées
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Annexe 3 - Les maîtres d’œuvre des maisons documentées dans l’étude
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Annexe 4 - Les résidences principales construites de 1949 à 1974 par type de logement
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Annexe 5 - Notice sur la recherche des permis de construire
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Annexe 6 - Les principaux critères étudiables des maisons singulières
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-
Historien de l'architecture. Prestataire pour le service régional de l'Inventaire Auvergne, puis Auvergne-Rhône-Alpes, en 2014-2015 puis 2021-