Lycées en espace urbain : lycées en "territoire artificialisé"1.
Le principe de distribution des lycées sur le territoire national a connu de nombreuses péripéties, après avoir suivi celui des préfectures, l'objectif a été d'atteindre le chiffre de 100, etc2 mais comme l'écrit Vincent Flauraud : "les lycées sont restés longtemps rares, mais sans refléter forcément la hiérarchie urbaine : c'est en raison d'affinités politiques particulières que Moulins a été la première ville française hors Paris à voir son lycée (de garçons) fonctionner, dès 1803 [...], l'Allier obtenant un second établissement d'État en 1880, à Montluçon"3. De la même façon, au Puy-en-Velay, il n'allait pas de soi qu'on y construise un lycée de filles puisque les conseillers municipaux catholiques les plus radicaux s'y opposaient. La loi Camille Sée ayant été promulguée en 1880, ce n'est qu'en 1893 que le lycée de filles ouvre, grâce à l'intervention du député Charles Dupuy, alors ministre de l'Instruction publique4.
Dans ce dossier ne seront traités les lycées que dans leur relation à l'espace urbain. Le choix de cette problématique, afin de regrouper les lycées par "comportement urbain" (sans les personnifier), exclut des pans entiers de leur morphologie.
Le corpus.
Rappelons les termes du Cahier des clauses scientifiques et techniques de l'étude : en préalable de nos analyses, nous devons constituer un corpus homogène5, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de définir précisément l’objet de notre étude, en s’émancipant de la liste des établissements dont la collectivité a la gestion, afin que l’étude corresponde bien à un programme de recherche scientifique tel que l’Inventaire général du patrimoine culturel les envisage.
Des lycées...
1802 constitue la limite chronologique haute du corpus d'œuvres, date de création des lycées (même si ces derniers ont été implantés dans des édifices réaffectés), et la limite chronologique basse est celle des « 30 ans avant la réalisation de l’enquête », « l’intervalle d’une génération, soit une trentaine d’années avant le présent, appor[tant], dans la majorité des cas, le recul nécessaire pour mieux juger de l’intérêt des productions récentes »6. En l’occurrence 2018 sera l’année à partir de laquelle les 30 ans sont déduits : 1988 sera la limite chronologique basse. C’est ainsi que nous pensions regrouper toute construction d’un établissement d’enseignement secondaire ayant abrité un lycée à un moment de son histoire, située entre 1802 et 1988, dans notre corpus de base. Dans la réalité, l'analyse n'a pas pu être menée de manière exhaustive. On s'est proposé néanmoins d’intégrer les lycées que nous savions avoir été construits comme tels et désaffectés entre temps, ainsi que les lycées construits dans les 30 dernières années, au moins à titre de corpus complémentaire en vue de comparaisons sur des points précis (en évacuant la possibilité d’en faire des monographies). Établir la liste de tous les édifices construits pour être des lycées pourrait constituer un des buts marginaux de l’étude puisqu’a priori cette liste n’existe pas7.
Selon le Thesaurus de la désignation des œuvres architecturales et des espaces aménagés (Inventaire général du patrimoine culturel – MCC, « documents et méthodes », n°7, décembre 2013), la dénomination "lycée" renvoie à : "établissement d’enseignement général ou technique, dispensant l’enseignement du second cycle. » Mais on y trouve aussi : « lycée technique : employer école professionnelle », « école professionnelle : école dont l’enseignement vise à préparer à un métier particulier. Elle abrite en général des salles de cours, des ateliers, etc. adaptés aux matières enseignées. » En notant que dans le cas des lycées technique et professionnel, la fonction et la forme de l’édifice peuvent se révéler sensiblement différentes de celle du lycée général car avec l’introduction d’ateliers dans le programme, l’architecture industrielle pénètre les lieux d’enseignement et les données de son inscription urbaine peuvent s’en trouver modifiées mais nous les retiendrons.
-Selon le TLFi8 :
Lycée.
« 1_Anciennement, établissement d'enseignement secondaire créé par l'État en 1802, destiné à recevoir des élèves masculins payants ou boursiers de l'État, pourvu le plus souvent d'un internat et quelquefois de classes du cycle élémentaire.
Établissement d'enseignement secondaire réservé aux jeunes filles créé en 1880 sur le modèle des lycées de garçons.
2_ Établissement public d'enseignement secondaire, dispensant le plus souvent un enseignement long de la classe de sixième aux classes terminales.
Rem. 1. Depuis 1975, les lycées sont des établissements d'enseignement public, mixtes, comprenant les classes du second cycle du second degré (de la classe de seconde aux classes terminales) et parfois des classes préparatoires aux grandes écoles. Ils font suite à l'enseignement reçu au collège. 2. On donne maintenant le nom de lycées d'enseignement professionnel (LEP) aux anciens collèges d'enseignement technique (CET), qui assurent une formation technique courte, par opposition aux lycées techniques qui assurent une formation longue. »
... en espace urbain.
Par ailleurs, nous avons été également amenée à donner des limites à la notion d’espace urbain, autrement dit à déterminer ce à quoi « lycée en espace urbain » renvoie. Par exemple on aurait pu vérifier que les lycées retenus étaient bien situés dans les « unités urbaines » telles que définies par l’INSEE9, ou bien situés dans les localités répondant aux critères retenus pour l’étude sur les villes d’Auvergne10. Une autre solution consistait à retenir les établissements implantés dans les « territoires artificialisés » tels que déterminés sur les cartes officielles de la région Auvergne-Rhône-Alpes11. C’est ce second parti qui a été adopté, conforté par la définition de l’espace urbain qu’en donnent les Principes d’analyse scientifique du ministère de la Culture : « Continuum physique des agglomérations ; ensemble des espaces construits et libres d’une agglomération, en liaison avec le sol naturel ou artificiel qui les reçoit. […] Il concerne donc les agglomérations tant urbaines que rurales, du fait que leurs constituants sont pour une bonne part les mêmes, et que leur distinction est principalement le fait des fonctions et de l’échelle des aménagements urbains. […] »12.
On peut noter que les cas ayant posé des difficultés par rapport au critère "situation en territoire urbain" sont ceux de Saugues (43), Noirétable (42), Rochefort-Montagne (63), Saint-Gervais-d'Auvergne (63) et Pontaumur (63). Malgré l'élargissement de la notion "espace urbain" à "territoire artificialisé", ont dû être exclus du corpus les lycées agricoles de Durdat-Larequille (03), Neuvy (03), Fontannes (43), Perreux (42) et Saint-Genest-Malifaux (42), ainsi que le lycée professionnel (hôtelier) de Verrières-en-Forez (42). Par rapport à la liste des lycées actuellement en exercice mais construits postérieurement à 1988, et donc retirés du corpus, on en dénombre dix (les lycées Valery-Larbaud de Cusset, de Haute-Auvergne de Saint-Flour, Léonard-de-Vinci de Monistrol-sur-Loire, René-Descartes de Cournon-d'Auvergne, Pierre-Joël Bonté de Riom, L'Astrée de Boën, Adrien-Testud du Chambon-Feugerolles (nouveau site), des Horizons de Chazelles-sur-Lyon, Pierre-Coton de Néronde, Lucien-Sampaix de Roanne).
48 agglomérations sont touchées dans le cadre de cette étude.
Le "repérage"13.
Suivre la méthode de l'Inventaire général du patrimoine culturel est revenu à se rendre in situ devant chacun des établissements connus et situés sur les anciens départements de l'Auvergne (Allier, Cantal, Haute-Loire et Puy-de-Dôme) auxquels a été ajouté le département de la Loire, afin d'en analyser l'inscription urbaine à l'aide d'une "fiche de repérage". Cette fiche, autrement dit grille de lecture, avait été élaborée à la suite d'un "pré-repérage". Il s'agit de saisir les récurrences et les singularités, d'une agglomération à l'autre, d'un département à l'autre, d'une période à l'autre, de tenter d'analyser des réalités complexes grâce à un outil de comparaison des formes, en l'occurrence de formes architecturales et urbaines.
La fiche a été divisée en trois grands chapitres : l'édifice, ses relations à la structure urbaine, ses relations au paysage urbain14. Les 94 établissements ou "membres de la famille lycées en espace urbain" ont été passés au crible de cette grille, de manière à mettre en évidence leurs points et degrés de similitude entre chacun, les filiations, les variantes, les mutations dominantes.
Les principales difficultés rencontrées sont inhérentes au fait que les lycées sont des équipements publics (donc des édifices importants, contrairement aux maisons, par exemple, qu'à l'Inventaire on a plus coutume de regrouper suivant des typologies), le plus souvent agrandis, ou ayant subi plusieurs campagnes de travaux. Ainsi arrive-t-il que la même œuvre présente des caractéristiques urbaines variées (par exemple, une partie ancienne alignée sur la rue, tandis que la partie la plus récente est située en cœur d'îlot, sans relation avec la voirie). Dans les détails également, il arrive que des réponses aux questions qui semblaient simples et claires au début de l'étude, deviennent compliquées à trouver : une "entrée principale", telle que définie dans notre fiche au départ, correspond-elle à celle des élèves ou à celle de l'administration ? Mais nous restons convaincue que l'approche collective, en pendant d'une approche monographique, peut être tentée.
D'autre part, des ouvrages à caractère historique et des archives (nationales, départementales, municipales, propres aux lycées) ont été consultées dans la mesure du possible (il reste à ce jour 31 établissements sur les 94 pour lesquels aucune documentation n'a été rassemblée)15. Ceci afin de dater et documenter les édifices et les contextes institutionnels et urbains dans lesquels ils avaient été créés : sur la question du choix des emplacements, par exemple, seule la documentation est susceptible de livrer des éléments précis et éclairants.
I. Éléments de chronologie.
Prendre en compte le contexte dans lequel les lycées ont été construits revient notamment à prendre connaissance des instructions délivrées par les instances nationales (évolutions pédagogiques comprises), des règles urbaines en application sur le territoire national et localement, des évolutions technologiques en matière architecturale, des évolutions des manières de construire (fluctuation générale des formes à succès)...
Sans grande surprise (au regard des périodisations générales établies par les historiens spécialistes de la question scolaire comme Anne-Marie Châtelet, Antoine Prost ou Marc Le Coeur, ou encore par nos collègues de l'Inventaire général du patrimoine culturel des autres régions engagés dans des études sur les lycées de leurs régions), le corpus des 94 établissements se divise en 68 avec noyau principal au moins (sinon l'intégralité) construits au 20e siècle, avant 1988 (dont 41 dans le 3e quart du 20e : il s'agirait des lycées dits "des Trente Glorieuses"), et 19 au 19e siècle (dont 13 durant le 4e quart : il s'agirait des lycées dits "Jules-Ferry"). Il devra être tenu compte de ce ratio à l'annonce des dénombrements successifs afin de les pondérer. Restent sept autres établissements dont les bâtiments ont été construits sous l'Ancien Régime et réaffectés, soit au 19e siècle (pour six d'entre eux), soit au début du 20e (pour l'un).
Dans cette famille de lycées sont en effet mêlés les établissements ayant bénéficié de réaffectation et ceux construits ex-nihilo pour être des édifices d'enseignement (il y en a 79), car nous partons du principe qu'en choisissant ces édifices existants, c'est en même temps une relation à l'espace urbain que l'on choisit (ou en tous les cas qui ne fait pas obstacle au choix, qui peut convenir à la destination de l'édifice).
94 lycées en espace urbain. Par période de construction initiale.
Les délais entre un vœu exprimé au cours d'un conseil municipal et l'ouverture d'un chantier de construction peuvent être très longs (par exemple, 7 ans pour la mise en route du lycée Emile-Duclaux d'Aurillac, finalement ouvert en 1891, ou, encore à Aurillac, un vœu pour l'ouverture d'une école technique masculine surgit en 1917, pour laquelle le premier plan est établi en 1961). Un temps de prise de décision que l'on peut s'amuser à comparer au temps de la construction : 8 mois, un record, en 1962, pour le lycée Haubtman de Saint-Etienne, à partir d'éléments préfabriqués (en fait une annexe du lycée Etienne-Mimard).
Quant à la répartition des lycées en fonction de leurs statuts ou désignations d'origine16 :
-31 sont nés lycées (plus un établissement né sous l'appellation "lycée et CET"),
-11 étaient des CET (collège d'enseignement technique), auxquels on adjoint un "CET et collège moderne et centre d'apprentissage", un "collège moderne technique" et un "collège technique",
-6 étaient des centres d'apprentissage, auxquels on ajoute un "centre d'apprentissage et CET" et un "centre d'apprentissage et collège classique et moderne de jeunes filles",
-3 étaient des ENP (écoles nationales professionnelles), 3 des "écoles professionnelles", auxquelles on ajoute 2 EPCI (écoles pratiques de commerce et d'industrie), une "école professionnelle et EPCI", 2 "écoles primaires supérieures"17, une "école supérieure et professionnelle" et une "école pratique de filles",
-3 étaient des foyers de progrès agricole, auxquels on ajoute 2 centres de formation professionnelle agricole, une école régionale agricole, une école d'agriculture d'hiver,
-4 étaient des collèges communaux18,
-4 étaient des collèges jésuites,
-3 étaient des couvents.
Parmi les 10 autres cas, sur lesquels nous n'avons pas entamé de recherches de documentation, figurent un hôtel de voyageurs et une école privée.
Du point de vue institutionnel, entre 1802 et 1988, le contexte est bien évidemment très fluctuant aussi lorsqu'il ne s'agirait même que de lycées. Mais puisque les établissements sont nés sous un statut différent pour les deux tiers d'entre eux, les contextes varient dans les mêmes proportions. Cependant, de manière schématique, les instructions et décisions principales (programmes pédagogique et architectural) émanent des ministères, et le choix d'emplacement dans les agglomérations relève des municipalités (avec un retour vers les instances nationales pour validation du choix). Lorsque l'on évoque les ministères (de l'Instruction publique puis de l'éducation nationale, de l'agriculture, de l'enseignement technique, etc.), encore faut-il énumérer différents niveaux d'intervention, selon les périodes (commission générale des bâtiments civils, DESUS, etc.), auxquels il faut ajouter des cohortes d'échelons intermédiaires (préfet, recteur, inspecteur d'académie, inspecteur de l'enseignement technique, etc.), sans parler des commissions départementales des constructions scolaires, des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées, etc. Ces avis et autorisations des uns et des autres doivent garantir la bonne qualité du projet. Sur la plus grande partie de notre intervalle d'étude, il incombe aussi aux ministères de désigner les architectes des édifices : architectes du ministère de l'instruction publique, architectes des bâtiments civils et palais nationaux -ABCPN- (premier ou second Grand prix de Rome)19, etc. Ces derniers, souvent parisiens, sont nommés même après que la circulaire concernant l'industrialisation des constructions scolaires a paru (1952). Ce point a de quoi étonner un non-spécialiste de l'architecture du 20e siècle. Du reste, dans ce dernier cas, il arrive que les architectes se déclarent "architecte d'adaptation"20, statut encore différent de celui de l'architecte d'opération (qui est la plupart du temps domicilié à proximité de l'établissement).
À ce sujet, nous versons deux pièces au "dossier sur le fonctionnement entre l'architecte concepteur et l'architecte d'opération" :
-un courrier du 9 novembre 1959 d'Albéric Aubert, l'architecte d'opération, à A-V. Blanc, l'ABCPN nommé par le ministère (lycée Roger-Claustres, Clermont-Ferrand, 1956-1959, puis 1965, puis 1972-1974) : il donne à son "cher Blanc" des informations quant aux finitions (l'établissement est ouvert depuis septembre), aux règlements aux entreprises (et réclame ses propres émoluments), lui demande le plan-masse du bâtiment d'éducation physique et s'il a pu voir à Paris dans quelle mesure le portail pourrait être commander au titre du 1% artistique21,
-un courrier daté du 15/7/1963 d'André Chatelin à Georges Martin (au sujet du lycée Albert Londres de Cusset-Vichy) : "il y a bien longtemps que je n'ai vu de photographies du chantier, la dernière en ma possession date d'avril 1963. Il est très urgent de combler ce vide par une série de photographies : d'ensemble du chantier (vue d'avion si possible en couleur sur papier), de chaque bâtiment"22.
On est en droit de se demander également s'il n'est pas arrivé que de "grandes distinctions" (comme ABCPN) ou de "grands noms" de l'architecture, n'aient pas joué un rôle de prête-noms23. Ou bien que dans l'agence des plus connus, des spécialistes de l'architecture préfabriquée aient été nommés pour traiter des lycées, malgré ce qu'a pu en écrire R. Egger en 1966 dans la revue Techniques et architecture (n°4) : "l'homme de l'art ne peut et ne doit se désintéresser de son chantier sous prétexte qu'il s'agit de la mise en place d'éléments préfabriqués dont il n'est pas l'auteur". Par exemple, Eugène Beaudouin à Issoire (et P. Fournier aurait assuré le travail) ou Joseph Belmont à Saint-Chamond (et D. Cler aurait assuré le suivi auprès des architectes d'opération), ou encore Henry Bernard à Saint-Etienne (et Edouard Hur serait l'auteur des plans du lycée Jean-Monnet, 1957-1961, et du lycée Honoré d'Urfé, 1957-1962, quoique le second soit donné en modèle dans l'ouvrage d'A. Gutton24)... En 1968, H. Bernard critiquait les "lycées-wagons" français : "on réduit l'architecte à un rôle de pâle exécutant de programme, normes et règlements alors que sa fonction est de composer et de diriger"25.
Peu d'urbanistes sont directement impliqués dans ce circuit mais ils sont les auteurs des éventuels plans d'aménagements des villes et donc interviennent antérieurement à la mise en œuvre du projet de lycée. L'architecte-urbaniste de la Zone d'habitation de Montbrison est néanmoins nommé dans le projet du lycée de Beauregard, en 1969 : "une liaison entre l'architecte d'opération [et J. Marty, l'urbaniste] est absolument indispensable", de façon à ce que la construction "s'harmonise et s'intègre parfaitement dans le plan-masse prévu pour la zone de Beauregard toute entière, car elle se trouvera en début de zone et dans la perspective de la ville ancienne"26. Des architectes-voyers peuvent être sollicités au 19e siècle (la matière "urbanisme" proprement dite n'existant alors pas encore)27. Cependant, il faut composer avec le fait qu'un collège communal est de la compétence prioritairement de la commune, et que la correspondance entre les titres (architecte communal, architecte-voyer, architecte-conseil puis architecte-urbaniste, architecte DPLG, etc.) ne peut être établie parfois qu'avec difficulté. À partir de 1962, la maîtrise d'ouvrage des lycées nationalisés revient aux villes mais elles choisissent parfois de la déléguer à l'État28.
Les usagers, comme les directeurs d'établissement (proviseur, intendant, professeurs, etc.), ou les parents d'élèves, les habitants, peuvent également être sollicités, voire se manifester, lorsqu'il est par exemple question de la création d'un lycée de jeunes filles (qui n'allait pas de soi, au moment du vote de la loi Camille-Sée, en 188029), ou du déplacement d'un établissement.
Des instructions et circulaires guident les différents acteurs dans les projets (publiées en [1802], 1843, 1861, 1891, 1929, 1952... ), de même que des écrits émanant de différents architectes et théoriciens, sans compter les notices sur l'architecture scolaire que l'on trouve dans différentes encyclopédies (par exemple, L. Raynaud, en 1858, Planat, en 1888-1892, Morancé, entre 1927 et 1939, Guadet, en 1901-1904 (cours de 1896), P. Abraham, en 1946, A. Lurçat, en 1950, C. Rambert, en 1954, A. Gutton, en 1959). Nous ne pouvons pas traiter le sujet sans en avoir pris connaissance30.
En nous en tenant aux considérations en lien avec l'inscription urbaine et les choix d'emplacement, nous relevons :
-en 1843 : "les bâtiments d'un Lycée doivent être vastes, bien aérés, convenablement placés pour la facilité des communications, et éloignés de tout établissement insalubre, dangereux ou bruyant. Ils doivent être situés de telle sorte que les maisons les plus voisines n'aient ni jour, ni vue sur les cours du Lycée".
-en 1858, Léonce Raynaud préconise de "laisser les cours ouvertes d'un côté au moins, le midi de préférence",
-en 1888-1892, pour Planat, construire les lycées "en pleine campagne" est une "heureuse tendance",
-en 1891 : la même injonction à se trouver aussi éloigné que possible des hôpitaux, casernes, cimetières, usines et établissements insalubres est reprise, il y est ajouté que le lycée "doit cependant être assez rapproché du centre de la ville" et "l'isolement des bâtiments à construire est obligatoire"31. Il faut aussi "laisser les cours ouvertes d'un côté au moins, le midi de préférence". "Une cour dite d'honneur est souvent demandée par les municipalités ; cette cour n'est point indispensable [...]. Cette cour d'honneur sera, autant que possible, disposée en jardin pouvant servir l'été d'annexe au parloir. [...] Les bâtiments seront construits avec les matériaux en usage dans le pays, et disposés de telle sorte que l'air et la lumière pénètrent dans tous les locaux ; ils abriteront les cours de vents à redouter."
-en 1901-1904 (dans les Éléments et théorie de l'architecture, de Julien Guadet) : "Que le lycée soit un internat ou un externat, ou qu'il soit mixte, les considérations hygiéniques doivent être prépondérantes. De l'air et du soleil autour des bâtiments, de l'air et de la lumière dans les bâtiments, tel est le mot d'ordre essentiel. L'emplacement est donc chose capitale : il faut -ou il faudrait- un terrain dominant les voisinages, bien sec, avec de larges accès pour l'air et le soleil, abrité cependant des vents froids et humides. Mais il est rare que l'architecte soit consulté sur le choix d'un emplacement, il le reçoit tout fait et ne peut que chercher à en tirer le meilleur parti. Et trop souvent cet emplacement est insuffisant à bien des égards. [...] À Paris et dans presque toutes les grandes villes, les lycées ont été installés tant bien que mal dans d'anciens bâtiments de couvents [...] auxquels nous n'aurons rien à emprunter."
-1929 : rien de nouveau concernant l'implantation des lycées dans ces nouvelles instructions officielles ; il est en particulier spécifié que dans l'idéal les externats seraient mieux "à l'intérieur des villes" tandis que les internats seraient mieux à la campagne.
-1952 : nous reproduisons ici deux paragraphes de normes édictées le 1er septembre 1952, car si elles ont trait à la technique constructive, elles n'en concernent pas moins l'aspect général des lycées : "une trame identique de 1m75 a été choisie pour les deux directions perpendiculaires du plan afin de faciliter la composition des bâtiments en équerre. Les plans se présentent donc comme un assemblage de carrés de 1m75 de côté. [...] La dimension de cette trame élémentaire de 1m75 va être expérimentée d'une façon toute particulière à l'occasion de réalisations importantes de bâtiments scolaires (LYCEE DE CLERMONT-FERRAND...)".
-en 1954 (Charles Rambert) : outre certaines considérations déjà évoquées au siècle précédent (exposition solaire primordiale etc.), "la longueur du chemin conduisant à l'école doit être adaptée à l'âge des élèves la fréquentant : c'est donc avant tout une question d'urbanisme. les écoles maternelles seront ainsi au maximum à 200 mètres des groupements d'habitation, les écoles primaires à 1200 mètres, les établissements secondaires à 1500 mètres." Si l'exposition solaire (le sud-est est recommandé) est une préconisation que l'on suit sur les deux siècles, elle peut être d'autant mieux appliquée à partir des années 1950 que l'architecture, d'une manière générale, se désolidarise de la rue, c'est-à-dire que l'implantation des bâtiments sur la parcelle est libre. L'orientation des bâtiments peut prendre le pas sur leur connivence avec le tracé viaire.
Pour en arriver à cette circulaire de 1981, dont le constat préliminaire, dans le cadre de cette étude, se révèle particulièrement éclairant : "Trop souvent , l'équipement scolaire d'une ville ou d'une région a été fait opération par opération." L'objectif de cette circulaire est d'étendre la procédure des "études préalables" aux équipements de l'éducation nationale, auparavant restreinte aux domaines de l'urbanisme et du logement. Ces études replaceront "chaque projet dans le voisinage du quartier et de la ville"32.
Les prospectus de présentation des établissements relaient les préconisations, en les présentant comme les avantages desdits établissements. C'est ainsi que le prospectus du lycée de jeunes filles de Roanne, paru en 1902, vante "les conditions remarquables d'hygiène et salubrité... les locaux vastes et aérés... les cours de récréation très spacieuses"33. De même, dans le prospectus édité en 1934 à l'occasion de l'ouverture de l'école nationale professionnelle de Thiers (devenue lycée), on peut lire, parmi les arguments en sa faveur, qu'elle est "située à 2 km de la ville, près de la route de Vichy [...] magnifiquement exposée, dominant la plaine de la Limagne"34.
Les modèles : certains établissements ont servi de modèle à l'échelle nationale. Du point de vue de leur inscription urbaine, les lycées parisiens Chaptal (1866-1876) et Louis le Grand (ouvert en 1803, mais reconstruit entre 1885 et 1888), pour présenter un plan à cour(s) centrale(s) (c'est-à-dire que les bâtiments peuvent être disposés en grille), tout en respectant une marge d'isolement dans un contexte bâti existant, Lakanal à Sceaux (1882-1885) et Michelet à Vanves (1864-1888), pour la référence à la maison des champs, voire à l'Angleterre, présentant a minima une cour ouverte (le lycée à la campagne, opposé aux couvents et casernes, objets des premières réaffectations)35, l'école de plein-air de Suresnes (par E. Baudoin et M. Lods, 1932-1935), pour la "répartition des bâtiments dans la verdure"... Localement : le lycée de filles de Guéret constitue le modèle proposé pour l'édification du lycée de filles du Puy-en-Velay36, le lycée de Cusset-Vichy (par A. Chatelin, 1961-1965) est une référence à Riom (lycée Marie-Laurencin, par D. Ameil,1987-1990) pour son aspect de parc urbain... En matière de construction industrialisée également, certains établissements servent de modèle : par exemple, les bâtiments du lycée Claude-Fauriel de Saint-Etienne construits suivant le procédé d'industrialisation lourde JCS de l'entreprise STRIBICK est cité en référence en 1969 lors de la construction du lycée Murat à Issoire37.
II. Caractérisation de l'inscription des lycées dans leur environnement construit.
La situation/1 : lycée et structure urbaine.
D'après Joseph Belmont, qui a signé d'une part les plans du lycée hôtelier de Saint-Chamond (1975-1976) et d'autre part l'ouvrage De l'architecture à la ville (1989), "presque tous nos monuments ont été construits en rase campagne et à l'ouest des villes". Il en amène pour preuves les monuments parisiens que sont le palais des Tuileries, les Invalides, la place de la Concorde, l'Arc de Triomphe... Les vents dominants qui chassent vers l'est les fumées et odeurs justifieraient en partie cette orientation. Il continue : "beaucoup plus tard [...] les villes sont venues les rejoindre et les entourer". Certes il s'agit d'une évidence lorsque le foncier nécessaire ne se trouve plus en tissu constitué (la nécessité d'équipements sportifs ne fait qu'augmenter les besoins) mais il faut compter avec des arguments hygiénistes d'autant plus pesants qu'ils concernent des enfants et adolescents.
En fait, dès les origines, des difficultés avaient surgi quant à l'emplacement à donner à ce nouvel équipement public. Dans les projets pour la ville nouvelle napoléonienne de La Roche-sur-Yon (Vendée), le lycée, le premier en France construit ex-nihilo, s'était "promené" : il figurait d’abord sur la grande place où se trouvait l’hôtel de ville et la grande auberge, à côté du tribunal. Puis le directeur des Ponts et Chaussées avait décrété qu’il ne devait pas être dans le centre mais, pour profiter du bon air, "à l’extrémité et au voisinage de la campagne". On lui avait donc trouvé un emplacement au nord de la ville, dans l’axe cependant de la préfecture. Finalement le lycée avait été construit entre 1810 et 1814 sur la grande place avec cette réserve, qui présente un caractère visionnaire (puisque la tendance actuelle est de demander aux architectes des constructions d'emblée promises à des destinations variées) : « lorsque la ville sera entièrement bâtie, ledit établissement pourra être transporté dans le lieu [désigné précédemment, c’est-à-dire à l’extérieur, au milieu des jardins] et les bâtiments affectés à une autre destination"38.
Sur les 94 lycées d'Auvergne et Loire, 35 étaient situés à la campagne à l'origine, dont 22 sont actuellement en lisière de ville, et 13 sont complètement intégrés dans un tissu urbain, ayant été rattrapés par la ville39.
Par exemple, le lycée Roger-Claustres de Clermont-Ferrand est décrit en 1960 comme étant implanté sur un terrain "naguère une Zone de transition qui s'interposait entre le Secteur aéré de la Zone de construction en ordre discontinu et la Zone rurale. Ce n'est que tout récemment que les bâtiments ont été englobés dans la limite d'agglomération et rattachés au Secteur aéré"40.
Sur ces 35, proportionnellement, les plus nombreux sont ceux du 4e quart du 20e siècle (12 sur 17), viennent ensuite les 16 (sur 41) du 3e quart du 20e siècle, puis les 3 sur 13 du 4e quart du 19e siècle. Aucun lycée antérieur au 4e quart du 19e siècle n'était à la campagne à l'origine. Il semblerait donc que l'échec du gouvernement, à la fin du 19e siècle, "dans sa tentative de transporter à la campagne les établissements d'internes" constaté par Marc Le Coeur (pour les lycées parisiens) n'ait été compensé par ce revirement de la fin du 20e siècle (même si les internats, dans nos cinq départements, ne sont pas distingués des autres établissements).
Les lycées peuvent-ils ainsi être considérés comme de bons marqueurs d'extension urbaine ?
55 d'entre eux, sur les 94, participent clairement d'une extension urbaine. Nous avons discerné parmi ces 55 les extensions que l'on pourrait qualifier de naturelles ou spontanées, différentes des extensions concertées. Le second sens est celui que nous avons adopté lorsque nous avions connaissance de l'existence de la création d'un quartier ou d'une zone (d'habitation, ZAC, ZUP, parc technologique ou autre) dans lequel le lycée s'inscrivait. Ainsi, 21 établissements appartiennent au groupe des extensions spontanées et 20 s'inscrivent dans des aménagements urbains concertés. Pour les 14 restants, nous n'avons pas l'information et rien sur place ne permet de déterminer. Il semblerait donc que pour nos cinq départements les lycées sont en effet de bons marqueurs d'extension urbaine. D'autant plus que sur les 30 qui ne s'inscrivent pas dans une extension urbaine, on retrouve en priorité les 7 édifices antérieurs au 19e siècle (sur 7), 8 autres sont issus des 19 du 19e siècle. Et parmi les édifices du 20e siècle ne pouvant pas être déclarés comme participant d'une extension, on dénombre 3 édifices implantés sur des friches urbaines enclavées (Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand, Mme-de-Staël et Albert-Einstein à Montluçon), et deux autres dans des parcs de villas existantes (Claude-Lebois à Saint-Chamond et Honoré-d'Urfé à Saint-Etienne). La situation de lisière, conjuguée à la position sur un axe routier important peut aboutir à un effet lycée en porte de ville (c'est le cas pour le lycée Raymond-Cortat d'Aurillac, pour le lycée La Fayette de Clermont-Ferrand...).
Au demeurant, 60 lycées sont implantés en tissu lâche.
La faible proportion de lycées situés à proximité d'un hôtel de ville (quatre sur 94) confirme que dans nos cinq départements le "lycée de centre-ville" est presque une illusion. Il s'agit du lycée de garçons du Puy-en-Velay (collège jésuite à l'origine, actuellement collège Lafayette), du lycée Jean-Monnet d'Yzeure (pensionnat privé à l'origine, semble-t-il), du lycée municipal de Cusset (collège communal à l'origine, actuellement désaffecté) et du lycée municipal de Montbrison (école primaire supérieure à l'origine, actuellement désaffecté). Sur ces quatre, on remarquera que deux sont aujourd'hui désaffectés : la tendance est donc à l'éloignement des hôtels de ville pour les lycées. Ce qui peut s'expliquer à plusieurs titres : le lycée n'est plus l'équipement de prestige de ses débuts41, il est devenu multiple (il peut s'agir, comme nous l'avons vu, de lycées d'enseignement général, technique, professionnel ou agricole), une même ville peut ainsi disposer de plusieurs lycées (c'est le cas pour 18 villes sur 48). Il a pris le statut "d'équipement d'accompagnement". Il accompagne les quartiers périphériques des villes. Il conforte les nouvelles configurations dites multipolaires, qui, par ailleurs "relativisent la portée d'une analyse opérant une hiérarchie entre centres et périphéries"42.
Avant même que les lycées ne se démultiplient dans les villes qui s'étendent, avant qu'ils ne s'intègrent de manière privilégiée dans des quartiers résidentiels, la question de la desserte apparaissait fondamentale (A. Gutton préconisait en 1959 la multiplication des lignes d'autobus et de tramways, qui dès avant 1914 permettaient aux élèves habitant en banlieue de rejoindre les lycées du centre parisien). Or dans notre corpus seulement 36 entrées de lycées peuvent être déclarées en relation directe avec un axe routier important (et seulement 5 sur les 13 du 4e quart du 19e siècle). Certes, il faut composer alors avec le danger que représente ledit axe routier. Par ailleurs, en tout, 14 "individus" sont situés à des carrefours et 11 à proximité d'une gare. Si, parmi ces derniers, les deux plus emblématiques sont datés de la fin du 19e siècle (le lycée de garçons de Montluçon, désaffecté, et le lycée de filles devenu lycée Jeanne-d'Arc, de Clermont), les autres sont de la seconde moitié du 20e siècle (sauf le lycée Jean-Puy de Roanne, seulement agrandi au 20e).
Dix lycées sont associés à des créations de voirie, dont six cas où le lycée figure comme une pièce maîtresse du projet. Il s'agit du lycée de garçons devenu Claude-Fauriel de Saint-Etienne (1887-1889, agrandi), de l'actuelle cité scolaire Hippolyte-Carnot de Roanne (1903-1905, agrandi), du lycée Paul-Constans de Montluçon (1951-1956), du lycée La Fayette de Brioude (1965-1967). Sinon, pour plusieurs "individus", il a fallu étoffer un réseau secondaire (le lycée de garçons, devenu Emile-Duclaux, et le lycée de filles, désaffecté, d'Aurillac, le lycée de garçons, désaffecté, du Puy-en-Velay, le lycée agricole de Saugues... A plus forte raison lorsque les lycées font partie d'un projet de quartier à créer (par exemple, la zone d'habitation de Montbrison, dans laquelle l'établissement, construit entre 1970 et 1972, est prévu dès l'origine). Indice de leur déplacement vers les extérieurs de la ville, ils peuvent être associés à des créations de boulevards de contournement (lycée Marie-Curie de Clermont ; pour le lycée de Brioude et le lycée Roger-Claustres de Clermont, les boulevards ont finalement suivi un tracé plus éloigné).
Dans le domaine de la structure urbaine, et au vu du cas du lycée de filles du Puy-en-Velay (1888-1892), dont l'implantation en fond de foirail et à proximité d'un ensemble significatif d'équipements publics constitué de la préfecture, du théâtre, du tribunal, du musée et du jardin public, il nous avait semblé intéressant d'en évaluer la singularité. Il en ressort que ce cas est réellement unique sur nos cinq départements. Les lycées les plus comparables de ce cas sont ceux d'Ambert et Claude-Fauriel de Saint-Etienne, le lycée de garçons de Saint-Flour -désaffecté, et enfin celui de Mauriac. Sauf que pour Mauriac et Saint-Flour, les établissements pré-existent, dans le centre anciennement délimité par des remparts, au moment où la sous-préfecture (pour Mauriac), le théâtre (pour Saint-Flour) sont installés. D'ailleurs, à Cusset et à Yzeure, les choses se présentent dans des conditions similaires. Le cas d'Ambert est plus intéressant : le collège communal d'origine est implanté vers 1820 à l'extrémité de la promenade publique de la ville (les "Allées"), dans un secteur presque vierge, et il semblerait que ce ne soit que dans un second temps que le tribunal, la prison, l'école primaire et une halle se regroupent dans ses parages. Même si les responsables (édiles en particulier) ont probablement plus été attirés par la promenade publique que par le collège proprement dit, l'ensemble constitue un pôle (de prestige ou de services) autour duquel la ville s'étend.
À côté de ces lycées proches d'édifices ou d'équipements "de la représentation"43, 40 sont associés, de manière assez attendue, à des équipements sportifs (gymnases, stades, éventuellement mutualisés avec la municipalité44), 32 à des édifices où l'on enseigne, d'une autre nature (école primaire, collège -- au sens récent du terme --, voire faculté...), seulement 9 à des équipements culturels (comme musée ou médiathèque)... On relève encore 6 gendarmeries, 4 hypermarchés (le lycée agricole de Villars, ayant réinvesti un domaine rural avec villa du début du 19e siècle, s'est fait rattraper par la zone commerciale, le lycée Albert-Einstein de Montluçon est constitué principalement d'une usine réaffectée, le lycée La Fayette de Clermont-Ferrand est situé dans un parc technologique limitrophe d'une zone commerciale d'entrée de ville). Le lycée de Brassac-les-Mines, le quatrième à se trouver voisin d'un hypermarché, côtoie en outre un cimetière. Il partage cet aspect de son environnement avec le lycée Marie-Curie de Clermont-Ferrand. Or tous deux sont à peu près contemporains (1951-1956 pour Marie-Curie, 1956-1958 pour François-Rabelais de Brassac) et surtout nés comme centres d'apprentissage féminin : aurait-on été moins difficile dans ces deux derniers cas que, par exemple, pour trouver un nouvel emplacement au lycée d'enseignement général de garçons de Clermont (1954-1959), sur un site de caserne en friche plus central ?
Équilibrer la distribution des équipements à l'échelle de la ville est une donnée bien évidemment prise en compte, de tout temps (par exemple, à Riom, lors de l'édification du lycée Marie-Laurencin, puisqu'on veut remédier à une absence d'équipements, au sens large, à l'ouest de la ville). Il arrive que les municipalités fassent le choix d'une répartition différenciée des établissements, ou au contraire cherchent à les rassembler : à Aurillac, par exemple, le lycée de garçons (Emile Duclaux) est construit en 1887-1891, puis un ancien couvent de clarisses situé à proximité est investi pour le lycée de filles (en 1901-1904). Le projet d'un escalier monumental d'accès à Emile-Duclaux, en magnifiant ce dernier, aurait encore un peu plus rapproché les deux établissements45.Aurillac (Cantal). Extrait du plan exécuté en application de la loi Cornudet (1919), 1922. Le lycée de garçons est en haut du cliché, le lycée de filles en bas. Au centre du cliché, en rose, jaune et bleu figure un projet d'escalier monumental (non réalisé) qui aurait mis en scène l'entrée du lycée tout en le reliant plus significativement à l'avenue menant à la gare.
À Moulins, c'est le parti inverse : le lycée de filles (1888-1891) est situé à l'opposé du lycée de garçons (1804, reconstruit à partir de 1862). Sur le plan général de la ville qui figure dans le dossier du projet de construction du lycée Marie-Curie de Clermont-Ferrand, sont indiqués, en plus des autres écoles secondaires, les équipements tels que, outre les classiques hôtel de ville, préfecture, théâtre, etc., les rectorat, académie, inspection principale de l'enseignement technique, école normale, ainsi que les principales artères de desserte, les gares ferroviaire et routière. Toutes ces indications figurent comme autant d'arguments en faveur du choix d'un terrain qui par ailleurs, nous l'avons vu, dispose de limites constituées d'un cimetière et d'une voie ferrée46.
La situation/2 : lycée et paysage urbain.
Le plan-masse adopté pour le lycée participe directement de son inscription urbaine. C'est ainsi qu'au 19e siècle le lycée à cour centrale (héritée des cloîtres) repousse les bâtiments aux limites de la parcelle (la composition peut être dite centrifuge), le long de la rue, étant entendu que ce siècle, pour faire court, est celui des plans d'alignements47. La filiation des établissements à cour centrale nous conduit jusqu'au lycée La Fayette de Clermont-Ferrand, dont le projet date de 1987-1988 : guidé par l'organigramme de l'établissement, l'architecte C. Hauvette a établi un plan en ellipse (pour les bâtiments entourant la cour)48 qui a pour effet de désolidariser le lycée du réseau viaire au tracé orthogonal. Dans ce cas, la composition sur la parcelle est centripète49. Dans le même registre des plans-masse, l'image des lycées est dans les premiers temps associée à celle d'une enceinte haute et protectrice. Jusqu'à ce que des modèles comme celui de l'école de plein-air de Suresnes prennent la relève (1932-1935), et ainsi jusqu'à ce qu'un inspecteur écrive en 1948, à l'occasion du projet de construction d'un lycée commun à Vichy et Cusset : "la tendance actuelle au ministère de l'éducation nationale est de répartir les services et les classes dans des pavillons différents et non pas dans d'immenses édifices"50. L'architecte P. Sirvin renchérit en quelque sorte une vingtaine d'années plus tard : l'avantage de la composition architecturale avec pavillons séparés, "reliés entre eux par des constructions basses" permet une "réalisation par étapes, une utilisation partielle, et a le gros avantage d'isoler les bâtiments en cas d'incendie"51. La transition avait été progressive puisque le lycée Jean-Zay, à Thiers, que l'on doit à Paul Guadet, contemporain de l'école de Suresnes, relève du modèle monumental de composition centrifuge. D'autre part, lorsqu'André Lurçat dresse en 1950 un bilan sur l'évolution de l'architecture scolaire et qu'il qualifie les établissements anciens de "massifs, fermés, tristes et monumentaux", qu'il met en pendant des plus modernes qui seraient "légers, aérés, gais d'aspect et familiers", il ne semble pas anticiper l'arrivée des grandes barres que forment certains lycées dans les années 1960 (par exemple, le lycée Montdory de Thiers, 1967-1970, ou son contemporain, le lycée Fourneyron de Saint-Etienne52). En revanche, il prévient qu'à vouloir faire des économies dans ce domaine, le risque qui serait pris serait celui de présenter un "aspect sans rapport avec un édifice public affecté à la diffusion de la culture et de l'éducation nationale"53.
Ajoutons que si l'on peut vérifier à l'échelle de nos cinq départements, et sur notre intervalle chronologique (1802-1988), une évolution du plan-masse des lycées qui irait grosso modo du plan à cour centrale ou en grille, fermé sur la rue, vers une architecture faite de pavillons disjoints, plutôt regroupés au centre de la parcelle (d'une composition centrifuge vers une composition centripète), il arrive que les processus de densification des parcelles (préférés à des déplacements ou à des constructions d'annexes), produisent l'évolution inverse (par exemple, à Ambert, où l'ajout de bâtiments a progressivement avalé les jardins et généré l'effet d'une cour centrale, irrégulière). Le même manque de bâtiments peut avoir pour effet de fermer une cour, pourtant ouverte à l'origine (c'est le cas du lycée de filles de Moulins, construit en 1888-1891 avec une cour ouverte, fermée en 1953 par la construction d'un corps de bâtiment de jonction).
À l'échelle de la rue, puis à celle du paysage (dans le sens où l'on aurait la possibilité d'une vision plus globale du quartier ou de la ville dans son ensemble), comment se présentent les 94 membres de la famille des lycées ? Pour une évaluation au niveau de la rue, plusieurs variables peuvent être croisées. Puisqu'il peut s'agir de repérer les édifices dont le plan-masse, autrement dit la composition des bâtiments sur la parcelle, peut être qualifié de centripète ou centrifuge, indiquant d'emblée si les bâtiments sont proches de la rue ou pas. Ensuite, on dénombrera les édifices dont un ou plusieurs bâtiments sont alignés ou pas sur le tracé viaire, voire s'ils respectent un recul d'alignement. D'autres dispositions permettent de qualifier la relation au réseau viaire : un dégagement, une place-parvis, une axiation, sur une entrée par exemple54, un traitement d'angle... Enfin, des caractères plus directement liés à la morphologie des édifices entrent dans la perception qu'on en a dans la rue ou le paysage : leur gabarit (en hauteur, en longueur, ou les deux), s'ils présentent une rupture en matière d'aspect liée à leur forme, aux matériaux utilisés, au décor, aux inscriptions... Si l'édifice est implanté sur une pente, certes il sera en belvédère et aura une relation visuelle avec la ville, mais il ne sera pas forcément perçu depuis la ville, surtout si la pente a été creusée pour lui. Ces deux cas de figure seront à distinguer.
C'est ainsi que, suivant nos paramètres, se sont dégagés cinq principaux types de "lycées en espace urbain". Les deux extrêmes seraient représentés d'une part par les "lycées en lisière de ville, discrets et dont la répartition des bâtiments sur la parcelle est plutôt centripète" (on obtient alors un regroupement de 6 individus, dits du type A), d'autre part, par les "lycées monumentaux (ou imposants) jusqu'à tenir un rôle de repère à l'échelle de la rue55 et dont l'implantation sur la parcelle est dépendante du tracé viaire" (7 individus, dits du type D). Deux autres groupes seraient ceux des "lycées monumentaux dont l'implantation des bâtiments est centrifuge sur la parcelle, aligné sur la rue et objet d'une axiation" (groupe de 5, du type B) et des "lycées monumentaux dont l'implantation des bâtiments est centrifuge sur la parcelle, et liés à la création d'une voie" (groupe de 5, du type C). Nous ajoutons le groupe E qui répond aux critères de la monumentalité, dont la composition de la parcelle est centripète et qui forment repère dans le paysage : 9 sont concernés.
Afin de sélectionner les lycées qui seront les plus représentatifs de chacun de ces cinq types, des critères secondaires interviennent, comme par exemple le fait d'examiner la façon dont on accède à l'établissement : en y montant ou en y descendant (une manière de se mouvoir qui est susceptible d'avoir pour effet d'accentuer ou d'amoindrir la caractère monumental ou discret de l'édifice). Par ailleurs, des considérations liées à la mesure des transformations subies ou pas depuis sa construction, ainsi que la documentation réunie par nous sur les projets, a contribué à affiner la sélection. Le fait également que certains lycées des groupes constitués possèdent déjà un dossier dans notre base (au titre des dossiers d'urgence pour la plupart, c'est-à-dire au titre d'une transformation importante ou d'une démolition à venir) a pu servir d'argument pour leur préférer des lycées absents de la base.
Du groupe A le lycée Maurice-Guyot de Montluçon a été retenu (par Paul Lagneau, 1975-1978, désaffecté) et à l'opposé, pour le groupe D, se positionne le lycée Emile-Duclaux d'Aurillac (par Jean-Juste Gustave Lisch, 1887-1891). Le groupe B pourrait être représenté par le lycée Théodore-de-Banville de Moulins (couvent du 17e siècle à l'origine mais finalement entièrement remplacé par des bâtiments au cours du 19e siècle, essentiellement par E. Dadole, entre 1862 et 1889) et le groupe C par le lycée Murat d'Issoire (par E. Beaudouin, 1969-1971, récemment restructuré). C'est le lycée Roger-Claustres de Clermont-Ferrand (par A-V. Blanc, 1956-1960, agrandi et transformé en partie) qui représentera le groupe E.
Le lycée Emile-Duclaux fait-il partie des quatre dont la proximité avec l'hôtel de ville est avérée ? Question qui se justifierait au titre d'une opposition à la situation en lisière des lycées du premier groupe. Mais non, il ne figure pas parmi les quatre. En revanche, il est situé dans le quartier de jonction entre centre-ville et gare, où se trouve le tribunal, mais aussi, comme nous l'avons vu, l'hôpital.
Accessoirement, les deux extrêmes (les lycées Maurice-Guyot et Emile-Duclaux) se retrouvent sur un point : l'aspect répétitif des travées, que le plus récent des deux tient de l'adoption d'un procédé constructif industrialisé.
L'amplitude chronologique pour ces cinq groupes ou cinq types n'est pas la même, c'est-à-dire que :
-pour le groupe A, les lycées ont commencé d'être construits entre 1955 et 198156,
-pour le groupe B, entre 1675 (il s'agit d'un collège jésuite réaffecté) et 195457,
-pour le groupe C, entre 1644 (avec une création de voirie datée de 1878) et 196958,
-pour le groupe D, entre 1607 (un collège jésuite réaffecté à nouveau) et 195659,
-enfin, pour le groupe E, entre approximativement 1945 (en effet, nous n'avons pas la date de construction exacte du lycée de Sainte-Florine, désaffecté) et 197660.
Les trois types présents sur une plus longue amplitude chronologique (B, C et D), ont pour point commun de pouvoir être qualifiés de monumentaux (le groupe E partage ce caractère avec eux), et d'entretenir un lien avec le réseau viaire d'une manière ou d'une autre (pour les plus anciens, la voie avec laquelle ils entretiennent une relation privilégiée est conçue comme voie de prestige et contribue à les monumentaliser en retour, tandis que pour les plus récents, la voie créée dont il est question est un boulevard de contournement ou une rue d'accès à un quartier d'extension). Le représentant le plus récent du type B, dont les relations à la voirie sont l'alignement et l'axiation, est construit entre 1954 et 1959 (le lycée Blaise Pascal de Clermont), qui est proche de la date du dernier représentant du groupe D, dont la construction commence en 1956 (le lycée François-Rabelais de Brassac-les-Mines), et date à partir de laquelle se développent les types A et E, dont le plan-masse centripète indique bien des édifices qu'on a détourné de la rue, phénomène connu de l'architecture de l'après seconde Guerre mondiale, vérifié à l'échelle de nos cinq départements à partir de ce milieu des années 1950. Les principales "anomalies" que l'on peut signaler concernent le lycée Charvet de Saint-Etienne dont l'appartenance au groupe des établissements "en lisière, discrets et dont les bâtiments sont disposés plutôt de façon centripète", est liée au fait qu'il occupe une parcelle qui semble avoir été le parc d'une ancienne demeure, aux confins de la ville. Ce qui pourrait être une manière de vérifier que le lycée-parc correspondait à un modèle (l'échec du modèle du lycée à la campagne donné au cours des années Jules Ferry aurait pu ressurgir par ce biais). Le fait que l'on descende vers l'entrée du lycée, à Charvet comme au lycée Desaix de Saint-Eloy-les-Mines ou à Maurice Guyot de Montluçon, met l'accent sur leur caractère discret, mais ils ne sont pas les seuls à avoir abandonné le symbole de "l'élévation vers le savoir" (dont Emile Duclaux d'Aurillac est le plus significatif des représentants), et même d'en avoir adopté le symbole inverse, puisque l'entrée du lycée de Beauregard à Montbrison (1970-1972), dont la longueur de la façade l'établit comme repère, se fait en haut de la pente sur laquelle il est implanté : on y descend donc aussi. Il arrive aussi que des raisons géologiques impose l'implantation d'un édifice dans la partie haute d'un terrain alors qu'on aurait préféré l'établir en partie basse, ce qui oblige les usagers à gravir la pente pour y accéder (c'est le cas du lycée de Saint-Chamond, par J. Belmont, 1976-197861).
"On n'imaginait pas que c'était un lycée " est une exclamation rapportée dans un numéro du Courrier de l'éducation daté de 1978 consacré aux "nouvelles architectures scolaires" : elle dit assez bien l'anti-modèle que l'on se donne dans ces années-là et la discrétion avérée du type A en constitue un des effets. La réaffectation à différents types de bureaux de son spécimen représentatif, le lycée Maurice-Guyot de Montluçon, attesterait de cette capacité à "ne pas faire lycée"62.
Une sorte d'anomalie peut être relevée également en ce qui concerne le lycée Emile-Duclaux d'Aurillac, pourtant déclaré parangon du type D, puisque l'implantation des bâtiments ne peut être qualifiée que de tendance centrifuge, contrairement à ce qui se pratique à l'époque de sa construction. En effet, tant du point de vue des lycées où le plan en grille est roi (correspondant à des cours ceinturées de bâtiments), que du point de vue urbain (allégeance du bâti à la rue), les compositions centrifuges s'imposeraient. On peut cependant trouver l'explication de cette disposition des bâtiments : à rechercher une bonne exposition ensoleillée, il a été choisi un site de pente, mais cette pente était tellement accentuée au nord-ouest qu'une bande de terrain a été laissée vierge, protégée par un mur de soutènement ; de plus, la façade principale orientée au sud-est est précédée d'une cour ouverte et les élévations sud et nord sont séparées des murs de clôture d'une bande de terrain, respectant en cela le principe des marges d'isolement. En 1886, lorsqu'il s'est agi pour le conseil municipal du Puy-en-Velay de choisir un emplacement destiné à accueillir le lycée de filles, à 14 voix contre 10, "l'emplacement spacieux, aéré et autour duquel ne pourront jamais s'élever des constructions nouvelles dont les désavantages seraient de créer des vues sur les bâtiments et les cours du lycée et d'intercepter la lumière" a été préféré à l'emplacement du centre-ville "dominé par des fenêtres voisines"63. C'est ainsi que de simples bandes d'isolement, voire des rues d'isolement (comme au lycée Claude Fauriel de Saint-Etienne, 1887-1889), associées à des plans en grille ou en peigne, on est passé insensiblement au plan libre (appliqué certes dans tous les domaines de l'architecture après guerre) qui, en générant un isolement "naturel" des bâtiments sur leurs parcelles, réalisait l'idéal du lycée-parc, voire du lycée "à la campagne" préconisé par l'Etat depuis les années 1880. Il n'est plus nécessaire de prévoir ni rue ni marge d'isolement... De la même façon, la proposition officielle de 1861 d'une "petite cour ornée de fleurs et d'arbustes"64 à placer au-devant de la façade principale afin de rendre le lycée plus attrayant peut se révéler avantageusement remplacée par cet effet de parc. Les murs de clôture tombent également, remplacés par des grillages transparents et les aménagements paysagers rendus possibles entre bâti et grillage contribuent dans certains cas à envelopper l'établissement. Lorsque ce dernier n'est élevé que de deux étages, de surcroît en contrebas de la rue (c'est le cas de notre premier sélectionné, le lycée Maurice-Guyot de Montluçon), il disparaît du paysage urbain.
L'inscription dans l'espace urbain : fréquences de certains caractères, comme autant de thèmes à évoquer.
On pourrait dresser une liste des caractères les plus représentés (qui, assemblés, aboutiraient à une sorte de portrait-robot assez artificiel du lycée-type des cinq départements).
Toutes périodes confondues, la majorité des lycées sont monumentaux (71 sur 94), et présentent un décor (au sens large d'élément contribuant à un simple effet d'ensemble) (64 sur 94). Dès ces deux caractères avancés, des compléments voire des nuances s'imposent : par exemple, le lycée François-Rabelais de Brassac est considéré comme monumental, et c'est bien le cas pour les bâtiments relevant de la campagne de construction d'origine (1956-1958), qui le constituent en repère paysager, mais c'est dans son dossier, lors de la campagne secondaire d'agrandissement (1981), que l'on trouve cette intention de "faciliter la liaison visuelle avec l'environnement pavillonnaire", entraînant le choix d'un petit gabarit65. Quant à la question du décor, on rapportera que pour le lycée de filles du Puy-en-Velay (1888-1893), si le ministère demande des façades "aussi simples que possibles", la municipalité rappelle que l'établissement doit néanmoins servir "d'encadrement à la nouvelle place du champ de foire"66. Par ailleurs, les effets de modénature ne disparaissent pas avec l'adoption du béton, ni avec celle des éléments préfabriqués67 : à nouveau, le lycée Maurice-Guyot se révèle un bon représentant de ce phénomène, et avec lui, on comprend que le décor n'est pas forcément lié à l'ostentation. D'autres intentions peuvent prévaloir : par exemple, André Chatelin choisit un essentage en bois pour le lycée Albert Londres de Cusset-Vichy construit en béton (sur le principe du mur-rideau), de façon à lui donner "un aspect plus humain que les constructions utilitaires de la région parisienne"68. Pour Pol Abraham (architecte de deux lycées en Auvergne69), la faïence posée au ciment est "un obstacle efficace à la pénétration de l'humidité atmosphérique"70. Il faut également compter, parmi les lycées "non décorés", ceux dont les œuvres imposées par l'État au titre du 1% artistique à partir de 1951, jointes aux aménagements paysagers, font office d'animation. C'est ainsi que le lycée Murat d'Issoire (1969-1971, par E. Beaudouin, ABCPN, et P. Fournier) bénéficie d'une œuvre du 1% artistique qui est distribuée sur les pignons de deux bâtiments selon cette idée des architectes, retenue "en accord avec l'entreprise du gros-œuvre", est-il précisé : "ces pignons seront bien en vue sur le boulevard Pasteur et l'artiste devra marquer dans le dessin de son étude, une recherche de saillies qui feront jouer l'ombre et la lumière et marqueront le caractère assez rude, semblable au climat, à la lumière et à la couleur du paysage. Cette recherche devra être faite dans le domaine de l'abstraction plutôt que dans celui du figuratif pour bien rester dans le caractère des bâtiments industrialisés et répondre au souci de l'entreprise et aux dimensions des panneaux de préfabrication"71. Quoique l'on pense des résultats d'une ambition de cette nature, du point de vue des architectes, l'œuvre du 1% artistique doit favoriser l'insertion urbaine et paysagère.
Quant aux entrées des établissements, articulations importantes entre espace et édifice publics, 67 sur 94 sont situées en retrait par rapport au tracé viaire. Lorsque les bâtiments sont installés au coeur de la parcelle (de façon centripète), cela n'a rien d'étonnant puisque l'implantation génère un espace libre informel, et correspond donc surtout aux établissements du 20e siècle. Il faut de surcroît compter aussi avec la notion de "cour d'honneur", voire de simple "cour d'entrée". En dénombrant les lycées à cour d'entrée (que nous définissons comme des espaces libres antérieurs relativement bien cernés), on trouve 32 individus dessinant une filiation allant du lycée de garçons de Charles Le Coeur (1881-1883) au lycée Albert-Einstein (1984-1987), tous deux situés à Montluçon, en passant par le lycée Jacob-Holtzer de Firminy (1899-1902, pour le noyau initial), le lycée de filles d'Aurillac (installé dans des locaux existants en 1906-1911)... Une variante de ce caractère serait celle des lycées précédés d'une place-parvis, parmi lesquels figurent le lycée Amédée-Gasquet de Clermont-Ferrand (1923-1925) ou le lycée C. et P. Virlogeux de Riom (1958-1962) (43 sur 94 lycées disposent de ce type de dégagement appartenant à l'espace public)72. À Riom, l'emplacement choisi était celui d'une caserne dont François Vitale, en 1958, a conservé la position de l'entrée (comme Georges Noël qui héritait aussi en 1952 de l'emplacement d'une caserne à Clermont-Ferrand pour le lycée Blaise-Pascal et qui en gardait la position de l'entrée). À Riom, l'entrée se trouvait sur la bissectrice de l'angle de deux rues à un carrefour (même faciès que pour le lycée de Charles Le Coeur à Montluçon), que F. Vitale a enrichi d'un portique. On peut noter à ce sujet que Charles Le Coeur avait complètement retourné le parcours d'accès à l'établissement. En effet, le couvent des bernardines de Montluçon avait accueilli le collège municipal en 1811 sur le même emplacement, et son entrée était alors reliée par un petit diverticule au boulevard du tour de ville ; en 1879, quand un premier architecte, Esmonnot, est chargé de la construction du lycée, il prévoit son entrée sur un des longs côtés de l'édifice73 ; enfin, lorsque Charles Le Coeur hérite du projet en 1880, il fixe l'axe de la composition de l'entrée sur la bissectrice, dans l'angle de deux rues, sur un carrefour. Ainsi l'entrée du lycée est perceptible depuis l'avenue de la gare, et une cour d'honneur triangulaire achève la mise en scène.
Montluçon (Allier). Lycée Albert-Einstein. Une cour d'entrée du 4e quart du 20e siècle.
Il arrive par ailleurs que l'expression de "cour d'honneur", sur les plans, correspondent à de simples jardins de façade74 qui respectent un recul d'alignement (par exemple, au lycée Hippolyte-Carnot de Roanne, par l'architecte communal F. Poutignat, 1903-190575).
Ne disposent ni de cour d'entrée ni de place-parvis sont les cinq lycées suivants : les lycées de garçons de Clermont-Ferrand et du Puy-en-Velay, le lycée municipal de Cusset, le lycée technique de la rue Duguesclin du Puy-en-Velay et le lycée des Célestins de Vichy. Il s'agit pour les deux premiers d'anciens collèges jésuites établis intra-muros, pour le dernier d'un ancien hôtel de voyageurs (construit en 1925, réaffecté en lycée en 1945) et pour le lycée technique dit "de la rue Duguesclin" (né École professionnel de commerce et d'industrie en 1902-1903), il a été installé dans un tissu urbain constitué où l'on peut émettre l'hypothèse d'une règlementation qui imposait la constitution d'un front de rue continu. Pour ces cinq, le décor sculpté en façade, voire la porte ordonnancée, compense d'une certaine façon l'absence de recul qui mettrait en scène.
Une autre variante des lycées à cour d'entrée proprement dite correspondrait aux lycées dont l'oeuvre du 1% artistique, s'affichant de manière monumentale au devant de l'établissement, créerait en quelque sorte "un effet cour d'entrée" ou cour d'honneur, sans pour autant que l'espace soit bien cerné. Dans ce cas pourraient être rangés le lycée Jean-Monnet de Saint-Etienne (1957-1961), le lycée Henri Sainte-Claire-Deville d'Issoire (1966-1967), ou encore le lycée Desaix de Saint-Eloy-les-Mines (1981-1983). Ou même, à l'extrême limite, le lycée Germaine-Tillon de Thiers (1976-1977) avec son imposant portail sculpté en acier inoxydable. Le sculpteur Jean Cardot, à Issoire, se proposait, avec son œuvre L'envol de "développer l'imagination des élèves"76, la flamme de bronze du lycée Jean-Monnet devait rappeler aux lycéens "la primauté de l'esprit"77, non sans rappeler l'inscription choisie au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand "la pensée fait la grandeur de l'homme". Ces sortes de figures inspirantes, quant à elles, ramènent au premier décor de lycée de la région : le porche sculpté du lycée Théodore-de-Banville de Moulins (1804) sur lequel le préfet avait fait représenter les figures de Cicéron, Napoléon et Descartes. On pourrait, à partir de cet ancêtre, suivre de la même manière la descendance des lycées avec colonnes en façade, ou colonnades dites "de jardin", en avant de la façade, qui en seraient la déclinaison contemporaine78.
Les architectes étaient chargés de désigner les artistes du 1% artistique et de leur fournir des indications : un sens architectural, voire urbain, leur était ainsi, éventuellement, donné. La loi qui impose le 1% artistique date de 1951. L'année suivante, une trame d'1,75 m l'était dans la construction des établissements scolaires du second degré. Peut-être faut-il voir dans le 1 % comme une compensation, comme le lieu où, paradoxalement, l'architecte demeurait plus libre de ses choix. Il est arrivé en effet que les architectes investissent la commande du 1% artistique d'un rôle important : Michel Corbière, au Puy-en-Velay, face au lycée (Charles-et-Adrien Dupuy) composé d'une "dispersion de bâtiments, collés au sol", compte sur l'œuvre du 1% artistique "unique, possédant un caractère d'importance permettant de l'assimiler à un monument, [aurait] le mérite de recréer une unité, un centre à la composition [...]"79.
Enfin, revenons sur ce caractère du lycée en belvédère : 31 sur 94 sont situés sur une pente, un sommet de colline ou de plateau, mais parmi eux 6 ne sont pas considérés comme des repères. Pour ces six, il suffisait, semble-t-il, qu'ils bénéficient de la qualité de l'air (l'impératif hygiéniste) mais aussi, plus inattendu, de la vue. Le panorama sur la ville en particulier, est une qualité qui semble recherchée (article de presse à l'ouverture du lycée Emile-Duclaux, en 1891, prospectus du lycée J-Zay de 1934, l'attestent...)80. Le lycée de filles de Montluçon est décrit en 1936 comme "admirablement situé à 233 m, d'où il bénéficie d'une vue illimitée". Pour le lycée de Brioude, le rapporteur du dossier, en 1960, regrette que "la cour soit ouverte au nord-ouest et non à l'est où se développe un vaste panorama". Les sites de "coteaux bien orientés" sont prisés, comme à Issoire, pour le lycée Murat, ou à Montbrison pour le lycée de Beauregard, tous les deux de la fin des années 1960-début des années 1970. Et si le panorama sur la ville n'est pas recherché ouvertement, on peut constater que cinq des lycées de Saint-Etienne sont situés en belvédère, le lycée Roger-Claustres de Clermont-Ferrand est un autre exemple probant : un projet de boulevard panoramique (le "boulevard des côtes") était d'ailleurs prévu juste en contre-haut de l'établissement81...
Le fil de l'intérêt de la vue donnée aux élèves pourrait être déroulé jusqu'au 5 mai 2022, date à laquelle Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, fait parvenir une lettre aux Clermontois, à l'occasion de l'ouverture du nouveau lycée Gergovie, dans laquelle il justifie son appellation : "hommage à notre fierté auvergnate dont nous pouvons d'ailleurs apercevoir le plateau depuis le lycée".
Conservatrice du patrimoine, chercheure de 1994 à 2023 au service de l'Inventaire général du patrimoine culturel (Clermont-Ferrand).